Ronsard, [Pierre] Prieur de Croix-Val & de Saint Cosme-les-Tours, Abbé de Bellosane, né dans le Vendômois en 1524, mort en 1585 ; Poëte trop célébré de son temps, & trop méprisé dans le nôtre.
Il est vrai que la Langue seroit restée dans une barbarie ridicule, si son style avoit servi de modele à ceux qui l'ont suivi ; mais on trouve dans ses Ouvrages une verve qui étonne, & des traits d'esprit, qui, revêtus d'expressions moins baroques, feroient honneur aux meilleurs Poëtes de ce Siecle. L'envie de dominer les Esprits de son temps, de devenir le Législateur du Parnasse, prétention absurde qui ne manque pas d'exemples actuels, le jeta dans le galimatias ; mais les bornes du bon goût sont fixées, & ce ne sont pas des idées particulieres qui décideront les suffrages présens & à venir.
Boileau a très-bien jugé ce Poëte ; quand il a dit après avoir parlé de Marot :
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,Réglant tout, brouillant tout, fit un Art à sa mode,Et toutefois long-temps eut un heureux destin ;Mais sa Muse, en François, parlant Grec & Latin▶,Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque,Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Jamais Poëte ne reçut des hommages plus flatteurs que Ronsard. Au lieu du Prix ordinaire de Poésie, établi dans l'Académie des Jeux Floraux, les Magistrats de la ville de Toulouse déciderent qu'on lui feroit présent d'une Minerve d'argent massif. C'étoit payer bien cher des Vers qui ne seroient pas même lus aujourd'hui par aucune Académie.
Marie Stuart, Reine d'Ecosse, renchérit encore sur la libéralité Toulousaine. Pour lui marquer le cas qu'elle faisoit de ses Poésies, elle lui fit présent d'un Buffet de deux mille écus. Parmi les Pieces de ce Buffet, il y avoit un Vase en forme de Rosier, représentant le Parnasse, au haut duquel étoit un Pégafe. Elle y fit joindre ce Vers :
A Ronsard, l'Apollon de la source des Muses.
Le don valoit certainement plus que l'inscription. Henri II, François II, Charles IX, Henri III, partagerent les mêmes sentimens, & lui prodiguerent de pareils bienfaits ; Charles IX fit même des Vers à sa louange.
Faut-il s'étonner, après cela, que la tête ait tourné à Ronsard ? Dès lors il regarda le Parnasse comme un pays de conquête, où il pouvoit établir son autorité, comme il y avoit établi sa fortune. De là cette fureur de mettre à contribution toutes les Langues, de farcir ses Poésies de vocables Grecs, ◀Latins, Italiens, Languedociens, Normands, Picards. De là, cette Pléiade, dont il se fit l'Astre dominant, genre de folie si ordinaire aux Distributeurs des rangs, qu'ils ne manquent jamais de se donner le premier. Heureusement le Public est toujours prompt à réprimer toute usurpation. Ce n'est pas tout, Ronsard égara une foule d'Imitateurs, qui crurent, d'après son exemple, ne pouvoir mériter le suffrage des Lecteurs, qu'en entassant des mots barbares, qu'en étalant une folle érudition, & qu'en s'enveloppant dans un entortillage de pensées ; abus ridicule dont on ne tarda pas à revenir, & que tout esprit censé auroit rejeté avec indignation.
Malgré tous ces travers, il faut convenir que Ronsard n'a pas peu contribué à l'avancement de la Poésie parmi nous. Il est le premier de nos Poëtes qui ait composé des Odes. Il a fait aussi passer l'Epithalame dans notre Langue : celle qu'il composa pour le Mariage de Monsieur de Vendôme avec Jeanne d'Albret, Reine de Navarre, est la premiere qu'on connoisse. Plusieurs morceaux de ses Poésies n'ont pas encore perdu leur agrément. Telle est l'Epître qu'il adresse au Cardinal de Lorraine, où l'on trouve ces Vers très-sensés :
Il ne faut pas toujours languir embesognéSous le souci public, ni porter refrognéToujours un triste front ; il faut qu'on se défâche,Et que l'arc trop tendu quelquefois on délâche.Après un fâcheux soir, vient un beau lendemain ;Et le grand Jupiter, de cette même mainDont il lance la foudre, il prend la pleine coupe,Et s'assied tout joyeux au milieu de la troupe.Après un rude hiver, un printemps radouciRenaît avec ses fleurs ; il nous faut vivre ainsi,Et chercher les plaisirs aux ennuis tout contraires,Pour retourner après plus dispos aux affaires.
Ronsard, pour le peindre en deux mots, avoit les principales qualités qui font les grands Poëtes, la force & le brillant de l'imagination, la fécondité de l'esprit, les agrémens de la fiction, cette invention heureuse, l'ame de la Poésie. Il avoit en même temps les défauts qui égarent & défigurent les plus grands talens, point de discernement, point de dépendance, point de goût.
Au reste, sa Franciade est un exemple de l'excès de platitude où peut tomber un homme qui s'exerce dans tous les genres, sans consulter celui qui lui est véritablement propre. Cent ans plus tard, Ronsard eût pu être un grand Poëte. Il ne lui manquoit que du goût ; & le goût qui n'est que le discernement des convenances, est rarement le partage de ceux qui ouvrent une carriere & écrivent dans une Langue encore barbare. Les honneurs qu'on prodigua à ce Poëte le suivirent jusqu'au tombeau. L'Abbé Duperron, depuis Cardinal, fut chargé de prononcer son Oraison funebre, après un Service magnifique où le Roi avoit envoyé sa Musique. Des Princes du Sang, les plus grands Seigneurs de la Cour, un grand nombre de Prélats y assisterent ; le Parlement de Paris s'y rendit par Députés. Ces distinctions accordées aux talens, prouvent que les talens ont une grandeur personnelle, que l'on peut croire égale à celle de la naissance & des dignités.