Santeuil, [Jean-Baptiste] Chanoine Régulier de S. Victor, né à Paris en 1630, mort à Dijon en 1697 ; Poëte Latin▶ qui auroit contribué, par ses talens, à la gloire du Siecle d’Auguste, comme il a illustré le Siecle de Louis XIV. Un caractere original, une imagination vive & brillante, un esprit vigoureux & sublime, animent jusqu’à ses moindres Productions. Son enthousiasme, dont la vivacité se communiquoit à toute sa personne, annonçoit en lui le vrai génie de la Poésie. Santeuil étoit né Poëte, & ce fut sous le célebre Jésuite Cossart qu’il acheva de se former le goût. Les premieres inspirations de sa Muse furent consacrées à célébrer les Grands Hommes de son Siecle. Dès qu’il eut fait paroître quelques-unes de ses Pieces, tous les esprits se réunirent pour admirer l’élévation de son style, la délicatesse & la force de ses pensées, l’énergie & la pureté de ses expressions, l’élégance & le naturel de ses Vers. On voit peu de monumens remarquables dans la Capitale, qui ne soient enrichis d’une inscription de sa composition, capable de les immortaliser.
Ce Poëte s’est élevé à lui-même un trophée immortel, par les Hymnes composées à l’usage de l’Eglise, adoptées dans le plus grand nombre des Dioceses. C’est là qu’on admire à la fois tout ce que le sentiment a de plus vif, tout ce que la piété a de plus noble & de plus tendre, tout ce que la Langue ◀Latine a de plus énergique & de plus mélodieux, tout ce que la Religion peut ajouter à l’enthousiasme, en lui fournissant des sujets vraiment propres à l’échauffer. Quelle verve ! s’écrie le célebre la Bruyere, dans le portrait qu’il fait de Santeuil ; quelle élévation ! quelles images ! quelle Latinité !…. Ce Poëte, ajoute l’Ecrivain, étoit tout à la fois avide & insatiable de louanges, prêt à se jeter aux yeux de ses Critiques, & dans le fond assez docile pour profiter de leur censure.
Santeuil convenoit lui-même de la vérité de ce reproche, & se corrigea. On n’a qu’à lire ses Lettres, pour se former l’idée la plus avantageuse de sa Religion & de sa piété. Que je crains bien, écrivoit-il, à Gourreau, son Confrere, que je crains bien d’avoir reçu toute ma récompense, en recherchant trop les applaudissemens des hommes ! Dans une autre Lettre à un Chanoine de Saint-Quentin ; Hélas ! peut-être que les plus grands tourmens que votre saint Martyr aura soufferts, ce seront les Hymnes faites par un Pécheur comme moi, & vous auriez plus réjoui le Martyr, si vous eussiez voulu entreprendre son panégyrique. Les Saints doivent écrire pour les Saints : imitant leurs vertus, on les loue mieux que par des paroles & de belles Hymnes.
Il eut encore cela de particulier, que, malgré la pétulance de son caractere, ses mœurs furent toujours pures, sa conduite toujours conforme aux devoirs de son état, son ame toujours sensible au sort des malheureux. S’il lui échappa quelquefois de légeres saillies que la gravité n’approuveroit pas, la candeur de son ame & la naïveté de son esprit lui méritoient quelque indulgence à cet égard. D’ailleurs, on lui en a attribué un grand nombre qui ne sont pas de lui. De pareilles imputations ont soulevé les Religieux de S. Victor, ainsi que tous les honnêtes gens, contre l’Auteur anonyme du Santoliana, imprimé en Hollande. Ce Compilateur, avec un peu de discernement & d’honnêteté, se seroit gardé de mettre sur le compte de Santeuil plusieurs anecdotes scandaleuses ou ridicules, auxquelles il n’eut jamais la moindre part. On est étonné que M. l’Abbé Dinouart ait entrepris de donner une nouvelle édition de ce Libelle, contre lequel les Journalistes* s’étoient fortement élevés. On est encore plus étonné qu'il n'ait pas craint d'y mettre son nom, & d'assurer dans sa Préface, qu'il a fait des additions à cet Ouvrage, qui lui ont été communiquées, dit-il, par Messieurs de S. Victor. Nous savons très-certainement que M. l'Abbé Dinouart ne leur a jamais témoigné qu'il fût dans le dessein de donner une nouvelle édition du Santoliana ; que, loin de favoriser ce projet, ils en auroient arrêté l'exécution. Le seul bon sens suffisoit pour les empêcher de concourir à une compilation indigne d'un véritable Homme de Lettres, & encore plus, d'un véritable Ecclésiastique.