Chapitre II.
De l’expression
Au-dessous de la grande action principale, il y a de petites actions subordonnées qu’elle comprend, et chaque phrase en contient une ; la grande représentait la mort de l’agneau, la chute du chêne ; les petites représentent les circonstances de cette mort et de cette chute ; ce sont autant de menus événements découpés dans l’événement total. Et chacun de ces petits événements est décomposé en ses détails par les divers membres de la phrase, et par les divers mots de chaque membre. De sorte que voilà un nouvel ensemble différent de l’autre par les dimensions, mais pareil en nature, partant soumis aux mêmes règles, poétique au même titre, et atteignant la beauté par les mêmes lois.
I
Qu’est-ce qu’un mot ? Et quels sont les mots qui peignent ? Comment faut-il les choisir pour faire apercevoir au lecteur les gestes, les détails, les mouvements ? Comment, avec du griffonnage noir aligné sur du papier d’imprimerie, remplacerez-vous pour lui la vue personnelle des couleurs et des formes, l’interprétation des visages, la divination des sentiments ? Comment le ferez-vous sortir de la conception abstraite et de la notion pure ? Et par quelle merveille trois lettres lui feront-elles voir un âne, et cinq lettres un chien ? C’est que, s’il y a des mots secs, comme les termes philosophiques et les chiffres, il y en a de vivants comme les vibrations d’un violon ou les tons d’une peinture. Bien plus, à l’origine, ils sont tous vivants, et, pour ainsi dire, chargés de sensations, comme un jeune bourgeon gorgé de sève ; ce n’est qu’au terme de leur croissance, et après de longues transformations, qu’ils se flétrissent, se roidissent et finissent par devenir des morceaux de bois mort. Au premier jet, ils sont sortis du contact des objets ; ils les ont imités par la grimace de la bouche ou du nez qui accompagnait leur son, par l’âpreté, la douceur, la longueur ou la brièveté de ce son, par le râle ou le sifflement du gosier, par le gonflement ou la contraction de la poitrine. Encore aujourd’hui, si éloignés que nous soyons de l’imitation corporelle, ils gardent avec eux une partie du cortège qui les entourait à leur naissance ; ils renaissent en nous accompagnés par l’image des gestes que nous avons faits lorsqu’ils sont venus sur nos lèvres ; ils traînent après eux la figure de l’objet qui pour la première fois les a fait jaillir. Quand La Fontaine vous dit que le « coq fut grippé », involontairement vous écartez les doigts et vous en faites des crochets comme pour saisir. Quand il étale « tout l’attirail de la goinfrerie », vous voyez une large bouche qui s’ouvre, des joues rubicondes, et la mangeaille qui descend dans un ventre satisfait. De sorte qu’un mot bien choisi fait en nous comme un éveil de sensations ; par lui un point clair se détache, et tout alentour apparaissent et s’enfoncent par échappées les choses environnantes. Si les mots suivants ont la même vertu, le style est comme un flambeau qui, promené successivement devant toutes les parties d’une grande toile, fait passer devant nos yeux une suite de figures lumineuses, chacune accompagnée par le groupe vague des formes qui l’entourent et sur lesquelles la clarté principale a égaré quelques rayons. Par cette puissance, l’imagination reproduit et remplace la vue ; le livre tient lieu de l’objet ; la phrase rend présente la chose qui n’est pas là. C’est pour cela que le premier talent du poëte consiste dans l’art de choisir les mots. Il faut qu’ayant l’idée d’un objet et d’un événement il trouve d’abord, non pas le mot exact, mais le mot naturel, c’est-à-dire l’expression qui jaillirait par elle-même en leur présence et par leur contact. Il y a cent expressions pour les désigner sans qu’on puisse se méprendre ; il n’y en a que deux ou trois pour les faire voir.
Le mot propre est l’unique expression des choses particulières. Les périphrases et les termes nobles, appliqués aux objets grossiers, sont une sorte de mensonge. L’auteur déguise alors sa pensée comme s’il en avait honte ; il en efface les traits saillants et le caractère simple, et ce n’est plus elle qu’on aperçoit. — Quand Delille dit :
Et d’une horrible toux les accès violentsEtouffent l’animal qui s’engraisse de glands,
il ne laisse dans l’esprit du lecteur qu’une image froide et vague. C’est l’expression crue et nue qui fait la vie.
« Une toux haletante secoue les porcs malades, enfle leur gorge et les étouffe. »
Ainsi nous n’avons pas besoin, pour excuser Homère, de dire avec Boileau que le terme d’âne était noble chez les Grecs. Nous dirons seulement qu’il était vrai, et que le lecteur ne voit la bête que lorsqu’elle est nommée par son nom. Ecrire avec des termes généraux et des périphrases, c’est donner la définition de la chose au lieu de la montrer, et l’exprimer en savant ou en faiseur d’énigmes, non en poëte. Il faut, quand on parle d’un marchand, nommer, comme La Fontaine, « les facteurs, les associés, les ballots, le fret », raconter la vente « du tabac, du sucre, de la porcelaine et de la cannelle. » Si vous voulez peindre un singe qui dissipe le trésor de son maître et fait des ricochets avec des louis, ne dites pas simplement qu’il jette l’argent par la fenêtre ; donnez le détail de cet argent ; appelez chaque pièce par son titre ; amoncelez les « pistoles, les doublons, les jacobus, les ducatons, les nobles à la rose » ; nous nous rappellerons l’effigie et l’exergue, et, au lieu de comprendre, nous verrons. En cela encore, La Fontaine s’est écarté de l’opinion de son siècle. Il est vrai qu’il peignait des animaux, et qu’on excusait des expressions vulgaires appliquées à des objets vulgaires. Ses personnages ne vivaient pas à la cour, mais aux champs et dans les étables, et on lui pardonnait de se faire fermier, et de savoir le nom rustique des bêtes, de dire la bique, le loquet, de peindre bravement la cuisine, « le tripotage des mères et des nourrissons », et plus intrépidement encore les habits de ses personnages, « le jupon crasseux et détestable d’une misérable vieille. » Il fait entendre les « pétarades » du cheval. Il ne craint pas même l’odeur du fumier.
Leur ennemi changea de note,Sur la robe du dieu fit tomber une crotte.
Il faut bien avouer qu’il n’y a pas de synonymes ; et quand La Fontaine dit :
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille,A qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille,187
ce dernier mot a quelque chose d’ignoble qui convient à ces pillards gloutons.
Mettez à la place : « Ils firent tous festin », on ne voit plus cette voracité brutale. Les fables sont remplies de ces sortes de mots : goujat, hère, racaille, etc. ; et tout cela a sa raison. Les mots diffèrent, par le son d’abord ; tout le monde sait qu’il y a des sons larges et francs, légers ou durs, élégants ou sales. Les émotions de l’oreille se transmettent à l’âme, et diminuent ou achèvent l’impression que l’idée a laissée. Ajoutez qu’ils diffèrent par leur origine et par leurs alliances. Ils se présentent à l’esprit avec les occasions où on les emploie. Ils se sentent de leur compagnie habituelle. Ils sont nés dans les tavernes ou dans les palais, dans le cabinet ou à la campagne ; ils apparaissent avec un cortège qui leur donne leur titre et leur rang, humble ou élevé, dans le discours. Un poëte, comme un législateur, doit respecter les places acquises, et ne pas mettre les beaux mots dans les bas emplois.
Dans cette société de petites gens et dans cette habitude des détails vulgaires, le poëte a pris un ton familier qu’il garde partout. Il parle assez peu respectueusement de ces princes « qui vont s’échauder bien loin pour le profit de quelque roi » ; c’est le mot d’un homme qui a vu bouillir la marmite. Il emprunte au peuple ses comparaisons, même quand il s’agit d’un dieu, de Borée :
Notre souffleur à gageS’enfle comme un ballon,Fait un vacarme de démon.
Il cite les proverbes du village :
Camarade épongier ……Portait, comme on dit, les bouteilles.188
Ce sont les figures habituelles aux campagnards, toutes prises dans la pensée de l’argent et de la bombance. Ses rats ne trouvent à manger « que le quart de leur soûl. » Son cormoran « fonde sa cuisine sur l’étang voisin. » Ses métaphores sont celles d’un tailleur ou d’une fruitière :
Le voisin au contraire était tout cousu d’or.Il n’était ambre, il n’était fleurQui ne fût ail au prix.
Junon chez lui, à l’occasion, parle en marchande et compare la queue du paon « à la boutique d’un lapidaire. » Il tourne volontiers au style trivial que sa trivialité rend narquois ; son amoureux est tiraillé entre deux veuves, « l’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre » ; il est de moyen âge et « tire sur le grison », mais « il a du comptant, et partant de quoi choisir. » Ailleurs la goutte plante le piquet sur l’orteil d’un pauvre homme, pendant que l’araignée « se campe sur un lambris, comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie. » Tout son style est composé ainsi de familiarités gaies ; rien n’est plus efficace pour mettre en notre cerveau l’image des objets ; car en tout esprit les images familières se réveillent plus aisément que les autres, et les images gaies naissent plus promptement que toutes les autres dans l’esprit des Français. Lucrèce avait dit noblement à l’antique :
Cur non, ut plenus vitae, conviva recedis ?
La Fontaine ajoute en bourgeois et en paysan, et dans le style amusant de la fable :
Je voudrais qu’à cet âgeOn sortît de la vie ainsi que d’un banquet,Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet.
Il a tant de goût pour le mot propre qu’il va le chercher jusque dans dialectes de province. C’était le conseil de Montaigne, notre plus grand peintre.
…… L’héritageEtait frayant et rude.Avant que la nitéeSe trouvât assez forte encorPour voler et prendre l’essor.
Il rajeunit les vieilles expressions qui lui semblent avoir des nuances plus fines : chartre, déduit, boquillon, hère, drille, liesse, chevance, lippée, tous ces mots rejetés par l’usage gardent avec eux quelque chose de la naïveté du bon vieux temps. Un vrai peintre ne néglige aucune couleur, parce qu’il y a tel détail qui ne peut être rendu que par une seule teinte. Les mots sont aussi particuliers que les objets.
Quand on écrit ainsi le mot propre, c’est qu’on est frappé et comme possédé par l’objet ; on le voit intérieurement, tel qu’il est, grossier ou sale, et on ne peut pas s’empêcher de l’exprimer tel qu’on le voit. Cette véhémence de l’imagination produit l’audace. On se risque en avant, à travers le dictionnaire et la grammaire, et même à travers le bel usage. On ose tout pour rendre son idée. On se lance jusque dans des phrases qui semblent d’abord des niaiseries ; on parle « d’un chat qui fait la chattemitte », et « d’un saint homme de chat. » On imagine des épithètes héroïques à la façon d’Homère : « le chat grippefromage, triste oiseau le hibou, Rongemaille le rat, le milan porte-sonnette. » On change en dieux, à la façon des peuples primitifs, des conjonctions et des adjectifs. « Que-si que-non frère de la Discorde, avecque Tien-et-Mien son père. » On invente comme le peuple ces expressions hardies, étranges, qui faisaient dire à l’abbé d’Olivet qu’on fabrique plus de tropes en un jour à la halle qu’en un an à l’Académie. C’est Progné « qui caracole, frisant l’air et les eaux », c’est Perrette qui « d’un oeil marri quitte sa fortune à terre répandue », c’est le souper du croyant « qui s’envole » avec la colombe. Le mot ordinaire est trop faible, il a bien fallu le laisser là. On agrandit les événements par des images violentes ; on dit d’un richard qui s’enrichit, « qu’il pleut dans son escarcelle » ; on dit des pèlerins alléchés par la vue d’une huître « qu’ils l’avalent des yeux. » On insiste, on redouble, on s’acharne ; on ne se contente pas de dire qu’un avare entasse et compte ; on le montre « passant les nuits et les jours à compter, calculer, supputer sans relâche, calculant, supputant, comptant comme à la tâche. » On revient vingt fois sur le même objet, avec vingt expressions différentes ; un seul mot est impuissant à manifester la sensation intérieure ; tout le dictionnaire y passe ; toutes les images grossissantes ou appétissantes défilent coup sur coup pour l’exprimer. Le mouton que veut enlever le corbeau, est choisi « entre cent autres. »189 Il est « le plus gras », il est « le plus beau. » C’est « un vrai mouton de sacrifice. On l’a réservé pour la bouche des dieux. » Son corps est en « merveilleux état. » « Il affriande. » Le corbeau en devient « gaillard. » Il « le couve des yeux. » Et la peinture achevée, le poëte ne s’est pas encore débarrassé de l’impression qui l’obsède ; les idées de graisse et d’inertie béate le poursuivent et reparaissent en phrases homériques qui achèvent de peindre « l’animal bêlant, la moutonnière créature, la toison empêtrée comme la barbe de Polyphème. » C’est par cette puissance de recevoir l’illusion qu’on fait illusion.
Très-souvent c’est le poëte lui-même qui nous la retire, parce qu’au lieu d’exprimer simplement sa pensée, il songe à la faire valoir. Il n’ose être sincère, montrer la chose toute nue, parler sans apprêt, en bonhomme, retomber du haut du style passionné dans les petites idées communes qui viennent ensuite. Il se défie de son inspiration et la décore. Il transforme les phrases négligées en phrases correctes. Il tâche d’atteindre la dignité, il étale la période pompeuse sur tout le terrain qu’il parcourt, pour déguiser sous ce tapis uniforme les endroits secs ou bourbeux. On voit dans Voiture et dans les lettres du temps, que toute pensée, même gaie et folâtre, prenait alors la grande phrase pour parure. La Fontaine ne s’y est point astreint. Il n’a point suivi « les beaux esprits » qui poursuivaient l’élégance à tout prix, et faisaient mourir leurs héros en style académique.
Dans cet embrassement, dont la douceur me flatte,Venez et recevez l’âme de Mithridate.
Et la mort, à mes yeux dérobant sa clarté,Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.
On peut dire ici, avec Mme de Sévigné que Racine avait bien de l’esprit. Il est si doux de le prouver qu’un écrivain se met sans le vouloir en quête de phrases ingénieuses, et défigure sa pensée pour la parer. Les mots simples, comme les mots vulgaires, expriment des détails qu’eux seuls peuvent exprimer. Il y a une certaine recherche dans ces vers de Phèdre :
Est ardelionum quaedam Romae natio,Trepide concursans, occupata in otio,Gratis anhelans, multum agendo nihil agens,Sibi molesta, atque aliis odiosissima.190
Ces heureuses antithèses font l’éloge de l’écrivain. La Fontaine dit bonnement la chose.
Ainsi certaines gens qui font les empressésS’introduisent dans les affaires,Ils font partout les nécessaires,Et partout importuns devraient être chassés.
Il y a même de l’affectation dans ces abstractions de Phèdre qui agissent comme des personnes.
Sic quod multorum fugerat imprudentiam,Unius hominis reperit solertia.191
Je ne sache pas que La Fontaine ait jamais voulu faire une phrase symétrique.
Le peuple s’étonna comme il se pouvait faireQu’un homme seul eût plus de sensQu’une multitude de gens.
Phèdre combine des sentences et lime des périodes :
Humiles laborant, ubi potentes dissident.192
Cet enchaînement des mots donne à la phrase une régularité qui n’est pas dans la nature. Les objets ne sont pas taillés ainsi en angles saillants, en formes géométriques. Une phrase ainsi opposée à elle-même, mot à mot, membre à membre, ressemble trop à une équation. La nature a des formes moins rigoureusement savantes, moins uniformément calculées. Il faut, pour la bien imiter, avoir plus d’abandon.
Hélas ! On voit que de tout tempsLes petits ont pâti des sottises des grands.
La Fontaine eût dit volontiers comme Henriette
J’aime à vivre aisément, et dans tout ce qu’on ditIl faut se trop peiner pour avoir de l’esprit.C’est une ambition que je n’ai pas en tête.Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête,Et j’aime mieux n’avoir que de communs proposQue de me tourmenter à dire de beaux mots.
Par la même raison, il évite les inversions poëtiques. En déplaçant quelques épithètes, sa fable se trouverait écrite en prose. Il ne change rien à l’ordre naturel, non plus qu’aux tournures simples. La prose et la conversation n’ont pas d’inversions. Les poëtes n’en font que pour obéir à la mesure ou pour être solennels. Or, La Fontaine est assez poëte pour commander à la mesure, et il aime trop le vrai pour être solennel à contre-temps. — De métaphores, peu ou point, si ce n’est les figures du langage rustique ; partout l’expression naturelle et primitive. Quintilien avait déjà remarqué que cette sobriété d’expression est le propre des littératures parfaites. Quand on commence à embellir sa phrase, à chercher des alliances de mots, à mettre dans un sujet plus d’esprit, d’imagination et d’éloquence qu’il n’en peut porter, le mauvais goût arrive, et la littérature va déchoir. Ce n’est pas un écrivain que nous venons voir, c’est un homme, ou plutôt c’est l’objet lui-même ; le véritable artiste est celui qui fait voir son sujet sans laisser voir sa personne. Il est comme un acteur dont tout le talent et tout l’effort sont de disparaître sous le personnage qu’il représente. Et croyez que cet art est le plus grand de tous, bien supérieur à la petite habileté qui équilibre de bonnes phrases correctes, à la rhétorique qui enferme toutes les idées dans le même moule, aux recettes littéraires qui font la période de Rousseau et de Johnson, ou le vers de Pope et de Voltaire. Platon, à quatre-vingts ans, retouchait encore le commencement de sa République pour y mettre plus de naturel. Il n’y a pas de découverte plus difficile et plus délicate que celle des changements de ton par lesquels une idée se continue dans l’idée suivante, car il s’agit alors d’imiter les véritables mouvements de l’âme, de la suivre, toute complexe et capricieuse qu’elle est, à travers les ondulations tortueuses et imprévues par lesquelles elle voyage tour à tour de la joie à la tristesse, de la tendresse à la colère. Nulle science n’y atteindrait ; nulle forme préconçue n’y suffirait. Un tact exquis peut seul y conduire ; et c’est là tout l’art de l’artiste. Son sujet le mène, comme un courant d’eau conduit et meut une feuille qui tournoie ; les mots viennent d’eux-mêmes, et les phrases aussi avec leur ordre, leur ton, leur longueur, capables de s’enfler, de s’abaisser, d’être tonnantes ou humbles, d’imiter par la majesté ou la nonchalance de leur mouvement toutes les faces et tous les accidents du spectacle qui se déroule en ce moment sous ses yeux. Car n’allez pas imaginer qu’un poëte naturel ne connaisse que les mots familiers et les tournures simples. Le propre de la nature est d’être variée à l’infini, sans cesse opposée à elle-même, à la foi sublime et naïve ; quand on cesse un instant de considérer les petits mouvements d’un insecte ou d’une plante, on voit autour de soi les paysages profonds, et sur sa tête le ciel immense. La Fontaine, en six vers, joint aux mots magnifiques d’un lyrique le ton plaisant d’un conteur. Il est alerte, comme les gens de sa nation, ennuyé quand on le maintient longtemps dans le même ton, prompt à regarder l’envers des choses, disposé à terminer un acte d’admiration par un bon mot.
Vouloir tromper le Ciel est folie à la terre.Le dédale des coeurs dans ses détours n’enserreRien qui ne soit d’abord éclairé par les dieux…
Un païen qui sentait quelque peu le fagot,Et qui croyait en Dieu, pour user de ce mot.Par bénéfice d’inventaire.Alla consulter Apollon.193
Au reste il a rassemblé exprès les contrastes de son talent, en se traduisant en prose, et en raillant un peu la poésie, qui l’enchante. Ceci est tout français et charmant ; nous quittons vite la poésie, non pas par caprice maladif, comme par exemple Henri Heine, mais par amour de la clarté, par gaieté, pour sortir des grands mots et voir les choses nues. La Fontaine s’est plu à tomber du ciel en terre, et à prendre le langage d’un marchand, après celui de Virgile.
C’est du séjour des dieux que les abeilles viennent.Les premières, dit-on, s’en allèrent logerAu mont Hymette et se gorgerDes trésors qu’en ces lieux les zéphyrs entretiennent.Quand on eut du palais de ces filles du cielEnlevé l’ambroisie en leurs chambres enclose.Ou, pour dire en français la chose.Après que les ruches sans mielN’eurent plus que la cire on fit mainte bougie.194
Ce mélange d’ironie, de familiarité, de grâce et d’enthousiasme, ne s’est jamais rencontré que dans Platon. Les écrivain du siècle sont soutenus ; ils gardent le même ton, noble ou plaisant. Ils sont partout d’accord avec eux-mêmes, parce qu’ils sont raisonnables. La Fontaine est cet être « ailé, léger, sacré, papillon du Parnasse », dont le vol capricieux monte et descend au gré de son imagination mobile. Il a plié la phrase comme l’idée ; il a retrouvé les coupes de Ronsard proscrites par Boileau. Il a laissé tomber son vers, sans s’inquiéter de le briser.
Voyez… quelles rencontres dans la vieLe sort cause !195
Comme vous êtes roi, vous ne considérezQui ni quoi ?196
Et, si j’eusse eu pour maîtreUn serpent, eût-il su jamais pousser si loinL’ingratitude ?197
C’est la liberté et la hardiesse de la conversation familière. Quand nous causons, tous les moyens nous sont bons pour mettre en lumière notre idée principale : nous rompons brusquement l’équilibre de la phrase, nous élevons la voix tout d’un coup ; à tout prix nous mettons en relief le mot important et La Fontaine fait comme nous.
On écorche, on taille, on démembre
Messire loup.198
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voieLe filet.199
Ce sont là des vers étranges, et dignes de scandaliser les pédants. Où sont les règles saintes des rejets et des césures ? Qu’est devenu le vénérable alexandrin ? Comment a-t-il pu s’assouplir, et quel est le réformateur naïf qui, sans fracas, sans effort, devance d’un siècle et demi notre révolte romantique ? Il a voulu rendre fidèlement sa pensée, voilà tout le secret de son audace. Il a aimé le rythme vrai, comme tout à l’heure le style vrai ; il a été artiste jusqu’au fond, dans la versification, comme dans le dictionnaire ; il n’a songé qu’à rendre son idée sensible, et il a eu raison, car c’est la meilleure moitié de l’art.
Beaucoup de gens disent quand on leur offre un volume de vers : « Ce sont des vers, je n’en lis pas, à la bonne heure, si le livre était en prose. » Ils font bien, car presque toujours l’ouvrage n’est que de la prose gênée par les vers. Un homme au collège s’est laissé dire qu’un vers est une ligne de douze syllabes sans élisions, laquelle finit par un son pareil à celui de la ligne voisine ; tout le monde peut fabriquer des lignes semblables, c’est affaire de menuiserie ; d’ailleurs il se souvient qu’il en a fait en latin, presque aussi bien que Claudien, bien plus joliment que Virgile ; maintenant que le voilà inspecteur des douanes, officier en retraite, il rabote et aligne des vers, compose des fables, traduit Horace, exactement comme d’autres, ses confrères, confectionnent des boîtes et des bilboquets avec un tour. Pour moi, j’aimerais mieux être obligé de commander une armée, que d’écrire ces terribles lignes non finies ; je trouve plus difficile de composer six beaux vers que de remporter une victoire ; en pareil cas du moins j’aurais la chance d’avoir un imbécile pour ennemi ; mes généraux me remplaceraient ; et il y a telle occurrence où les soldats tout seuls ont gagné la bataille. Mais trouver six beaux vers !200 — C’est que les vers sont tout autre chose que des lignes non finies. Je crois que s’ils ont tant de puissance, c’est qu’ils remettent l’âme dans l’état sensitif et primitif. Ceux qui ont inventé le langage n’ont point noté les objets par des signes abstraits à la façon des algébristes ; ils ont joué en leur présence et pour les exprimer un drame figuratif et une pantomime ; ils ont imité les événements avec leurs attitudes, avec leurs cris, avec leurs regards, avec leurs gestes ; il les ont dansés et chantés.201
Un poëte indien, dit la légende, vit tomber à ses pieds une colombe blessée, et, son coeur soulevé en sanglots ayant imité les palpitations de la créature mourante, cette plainte mesurée et modulée fut l’origine des vers. Encore aujourd’hui, sous tant de raisonnements accumulés, la nature sympathique persiste. Notre corps se redresse à la vue d’un noble chêne ; notre main décrit une ligne sinueuse à l’aspect d’une eau ployante et penchée ; notre pas se mesure sur le rythme d’un air que nous entendons. Les sons nous pénètrent et retentissent en passions au plus profond de notre coeur ; le monde extérieur trouve encore son écho en nous-mêmes, et notre vieille âme entourée et façonnée par la grande âme naturelle palpite comme autrefois sous son contact et sous son effort. C’est pour cela que l’homme qui peut traduire sa pensée par des sons et des mesures prend possession de nous ; nous lui appartenons et il nous maîtrise ; nous ne lui donnons pas simplement la partie raisonnante de notre être ; nous sommes à lui, esprit, coeur et corps ; ses sentiments descendent dans nos nerfs ; quand l’âme est neuve, par exemple chez les peuples jeunes et les barbares, il est puissant comme un prophète ; Eschyle202 renvoyait ses spectateurs « tout agités par la furie de la guerre. » Et nous aujourd’hui si âgés, si lassés, si dégoûtés de toute pensée et de tout style, nous recevons de lui une sensation unique qui nous reporte dans l’étonnement et la fraîcheur des premiers jours.
Ce n’était pas assez, pour donner à la fable l’air naturel, de ployer l’alexandrin et de chiffonner la roide draperie classique. Si la fable n’eût employé qu’un seul mètre, elle eût perdu la moitié de sa vérité et de son agrément : car l’alexandrin a beau s’humaniser, il garde toujours un air solennel ; douze syllabes sont un trop long vêtement pour une pensée légère et folâtre ; elle s’embarrasse dans les plis de ce manteau magnifique, et ne peut marcher que d’un air sérieux et compassé. Si gracieux et si naturel que soit la Fontaine, ses Filles de Minée, ses poëmes d’Adonis, de Philémon et de Baucis ont quelque chose de monotone. Les idées semblent s’y aligner avec les vers comme des soldats à la parade. Sous cette discipline des sons et de la mesure, elles perdent leur mouvement spontané et leur liberté native. L’effet est aussi malheureux quand les vers sont petits. La pensée court sans pouvoir s’arrêter sur les idées principales. Les rimes qui reviennent à courts intervalles, pressées, étourdissantes, comme le bruit d’une roue qui tourne, entraînent l’esprit avec l’oreille, et on arrive au bout de la pièce sans avoir rien remarqué. Plusieurs fables, Jupiter et les Tonnerres, les Vautours et les Pigeons, le Rat de ville et le Rat des champs 203, prouvent que le mètre uniforme eût fait tort à la pensée poétique, et que le génie ne peut rien contre la nature des choses. Qu’on réserve l’alexandrin pour le drame et la tragédie, à la bonne heure : les personnages parlent d’un ton sérieux et soutenu. Qu’on garde les petits vers pour la poésie légère : la pensée vole alors aussi légèrement qu’eux. Mais dans les fables, où les pensées sérieuses et gaies, tendres et plaisantes, se mêlent à chaque instant, nous voulons des vers de mesures différentes et des rimes croisées.
Il faut pourtant que cette variété et cet entrecroisement ne soient pas symétriques ; sans quoi, la fable prend l’air d’une ode ou d’une chanson.
Un corbel si étaitEn un arbre et mangeaitUn petit de fromage.Renard l’a avisé,Qui tôt fut apenséDe lui faire dommage
Dit Renard : « Par ma foi.En tout ce mont ne saiNulle si belle bête,Comme vous, dom CorbelCar fussé-je si belEt de corps et de tête.204
Les deux strophes prouvent assez combien il est dangereux d’accepter un rythme trop musical. On voudrait chanter cette fable, et on oublie les idées pour la mélodie. Dans la Fontaine, le chant du vers n’efface pas l’idée, il la marque ; il n’en écarte pas l’esprit, il l’y applique. Il s’allonge, il s’accourcit, il tombe, il court, il s’arrête, selon tous les mouvements de l’âme. Ici ses courtes mesures et ses rimes symétriques sont pleines de gaieté.
Un mort s’en allait tristementS’emparer de son dernier gîte :Un curé s’en allait gaîmentEnterrer ce mort au plus vite.
On dirait à entendre ces vers, que le bonhomme fredonne une chanson entre ses dents. Ecoutez maintenant ces rimes accumulées et ses sons pressés qui expriment la volubilité et la loquacité. C’est comme le babil joyeux des cloches argentines, tintant et gazouillant un jour de Noël.
Le pasteur était à côté,Et récitait à l’ordinaireMaintes dévotes oraison.Et des psaumes et des leçons,Et des versets et des répons.Monsieur le mort, laissez-nous faireOn vous en donnera de toutes les façons,
La multitude des rimes rapprochées étourdit le lecteur et l’accable sous le bruit, en même temps qu’elle oppresse son imagination sous les images, et agrandit l’objet décrit.
Un rat des plus petits voyait un éléphantDes plus gros, et raillait le marcher un peu lentDe la bête de haut parage,Qui marchait à gros équipage.Sur l’animal à triple étage,Une sultane de renom,Son chien, son chat et sa guenon,Son perroquet, sa vieille et toute sa maisonS’en allaient en pèlerinage.
Personne ne défend plus les théories de Delille et l’harmonie imitative. La vérité pourtant est que les grands poëtes seuls savent mettre d’accord l’expression et l’idée, la sensation et le sentiment. Ce long vers qui tombe sur un son étouffé ne peint-il pas à l’oreille la chute sourde du pesant sanglier ?
De la force du coup pourtant il s’abattit.
J’aime mieux cependant considérer dans cette table le mélange des mètres, remarquer les graves alexandrins employés à représenter les événements et les idées graves, puis deux petits vers au milieu d’une longue période choisis pour peindre un petit animal.
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbeTente encor notre archer, friand de tels morceauxAutre habitant du Styx : la Parque et ses ciseauxAvec peine y mordaient ; la déesse infernaleReprit à plusieurs fois l’heure au monstre fatale ;De la force du coup pourtant il s’abattit.C’était assez de biens. Mais quoi ! rien ne remplitLes vastes appétits d’un faiseur de conquêtes.Dans le temps que le porc revient à soi, l’archerVoit le long d’un sillon une perdrix marcher.Surcroît chétif aux autres têtes.De son arc toutefois il bande les ressortsLe sanglier, rappelant les restes de sa vie,Vient sur lui, le découd, meurt vengé sur son corpsEt la perdrix le remercie.205
Nous dirions bien encore que la difficulté est exprimée dans cette coupe pénible et dans cette suspension lourde :
La Parque et ses ciseauxAvec peine y mordaient ;
qu’un peu plus loin le vers interrompu laisse l’esprit dans l’attente :
Dans le temps que le porc revient à soi, l’archer…
Mais cette critique pourra sembler minutieuse. Elle est vraie pourtant. L’idée périt si le vers ne se modèle pas sur elle. L’âme veut, pour subsister, un corps choisi pour la recevoir. Elle languit et s’altère avec lui ; elle a besoin de sa perfection et de sa santé et nous, qui la contemplons, nous avons beau nous attacher aux choses spirituelles, nous ne pouvons nous détacher des choses corporelles. Il faut que nos sens soient émus pour que notre âme soit émue. Il faut que la rapidité et la légèreté des sons nous égayent, pour que la pétulance et la vivacité de l’action nous amusent. Le critique, comme le philosophe, doit se souvenir qu’il a un corps, et le poëte n’est si puissant que parce qu’il s’en souvient toujours.
II
C’est à condition d’y mettre une âme, et ce n’est pas chez La Fontaine qu’elle peut manquer. Ces mots si particuliers et si pittoresques, ces tournures si simples, ce mètre si imitatif et si varié, cette exacte imitation de la nature n’ôtent pas à son style la liaison et l’unité, qui rendent l’art supérieur à la nature. Il atteint, quand il en a besoin, l’ampleur des périodes, et la régularité des strophes. C’est d’ailleurs le propre de la poésie de faire des ensembles. Non-seulement, par l’analogie des sons, elle rend les idées sensibles ; mais encore, par l’arrangement des sons, elle forme les idées en groupes. Son chant soutenu rassemble les impressions que ses accents imitatifs ont produites, et de toutes les sensations notées une à une elle compose un air. — Les gens d’esprit et savants s’y sont trompés. Patru aurait voulu que La Fontaine ne mît pas ses fables en vers ; et Lessing plus tard écrivit les siennes en prose, prétendant ramener l’apologue à son expression naturelle. L’un trouvait que la brièveté est le principal ornement du conte, et que les vers le gâtent en l’allongeant. L’autre décidait que l’enseignement est l’unique but de la fable, et que les vers l’altèrent en l’embellissant. Il est heureux que La Fontaine ait négligé les avis de Patru et mérité les reproches de Lessing. Chez lui, si le mètre ne se remarque pas, il se sent. Ce sont des liens lâches et flexibles, mais ce sont des liens. A travers toutes les ondulations du rythme, il se conserve une mesure régulière qui garde une symétrie obscure, et aide la pensée à relier ses fragments épars. La répétition des rimes est une musique sourde, qui rappelle à l’esprit par la ressemblance des sons la ressemblance des idées, et simule par une union physique leur union morale. On joint involontairement l’idée présente à l’idée ancienne, en joignant la rime prononcée à la rime qu’on prononce. Ajoutez enfin que cette mesure et cette mélodie peu sensibles mais perpétuelles laissent, parmi toutes ces émotions diverses, une émotion unique qui est très-douce, l’émotion musicale et poétique ; de même que, sous les bruits et les sons toujours changeants de la campagne, court un long et doux murmure qui calme et charme notre âme, et que nous ne remarquons pas.
Mais cette vague liaison devient, quand il le faut, un enchaînement rigide ; et ces vers si libres, qui semblent courir à la débandade, se disciplinent, au souffle d’une pensée éloquente, en groupes serrés de solides périodes. La construction grammaticale devient rigoureuse comme celle d’un discours d’orateur, et les vers s’ordonnent suivant une loi fixe, pour ajouter leur symétrie à son unité.
Craignez, Romains, craignez que le Ciel quelque jourNe transporte chez vous les pleurs et la misère.Et, mettant en nos mains, par un juste retourLes armes dont se sert sa vengeance sévèreIl ne vous fasse en sa colèreNos esclaves à votre tour.
Voilà la grande phrase oratoire, la période parfaite, et son cortège de propositions incidentes, enfermées les unes dans les autres, dont toutes les parties se tiennent comme les membres d’un corps vivant, et qui se porte d’un seul mouvement avec toute cette masse pour frapper un coup décisif. Mais l’enchaînement des vers n’est pas moins étroit. A l’extérieur, les rimes peuvent se détacher de celles qui précèdent et qui suivent, comme la phrase peut se séparer de celles qui l’entourent, comme la pensée peut se mettre à part de celles qui lui sont jointes, et la musique, la grammaire et la logique sont d’accord pour en former un tout distinct. A l’intérieur, les deux premières rimes appellent toutes les autres. Toutes s’opposent trois par trois à intervalles symétriques, et, si la symétrie manque à la dernière, c’est pour finir la phrase par un son plus plein et plus viril ; les mètres se disposent en deux rangées séparées et régulières, et la période est une strophe. D’où il suit que les sons s’appellent comme les idées et comme les phrases ; la logique, la grammaire et la musique s’accordent pour former un tout indissoluble. Elles en organisent le dedans, après l’avoir distingué du dehors.
Pardonnez-nous d’insister, et sur une phrase plus longue. En voici une telle qu’une oraison funèbre ou un discours d’académie n’en a pas de plus ample. On verra dans quelles minuties descend le tact d’un véritable artiste, et quelle est la puissance extraordinaire du chant. L’âme de l’auditeur se tend par contre-coup jusqu’à la hauteur de sa véhémence et de son énergie, et devient lyrique avec lui.
Il dit que du labeur des ansPour nous seuls il portait les soins les plus pesantsParcourant, sans cesser, ce long cercle de peinesQui, revenant sur soi, ramenait dans les plaines,Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux :Que cette suite de travauxPour récompense avait de tous tant que nous sommes.Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieuxOn croyait l’honorer chaque fois que les hommesAchetaient de son sang l’indulgence des dieux.
La période ici, sans se briser, est devenue un discours entier. A l’extérieur, elle est fermée et les rimes n’en demandent pas d’autres qui les complètent. A l’intérieur ; le second argument se distingue du premier par un changement subit du mètre, et s’y unit par une rime commune ; et, comme la gravité passionnée croît sans cesse, il se déploie en un double distique croisé, dont les longues mesures et les rimes alternatives captivent l’oreille et maîtrisent l’âme. Le vers tombe comme un chant solennel, avec l’autorité d’une sentence et la force d’une malédiction. Qu’on supprime cette unité musicale, en laissant l’unité grammaticale et l’unité logique, on verra ce que la première fournit aux autres.
« Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. »
Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.