Chapitre II.
Trois espèces de langues▶ et de caractères
§ I. Trois espèces de ◀langues▶
◀Langue▶ divine mentale, dont les signes sont des cérémonies sacrées, des actes muets de religion. Le droit romain en conserva ses acta legitima, qui accompagnaient toutes les transactions civiles. Une telle ◀langue▶ convient aux religions pour la raison que nous avons déjà dite, c’est qu’elles ont plus besoin d’être révérées que raisonnées. Cette ◀langue▶ fut nécessaire aux premiers âges, où les hommes ne pouvaient encore articuler.
La seconde ◀langue▶ fut celle des signes héroïques ; c’est le langage des armes, pour ainsi parler ; et il est resté celui de la discipline militaire.
La troisième est le langage articulé, que parlent aujourd’hui toutes les nations.
§ II. Trois espèces de caractères
Caractères divins, proprement hiéroglyphes. Nous avons prouvé qu’à leur premier âge, toutes les nations se servirent de tels caractères. À Jupiter on rapporta tout ce qui regardait les auspices ; à Junon tout ce qui était relatif aux mariages. En effet c’est une propriété innée de l’âme humaine d’aimer l’uniformité ; lorsqu’elle est encore incapable de trouver par l’abstraction des expressions générales, elle y supplée par l’imagination ; elle choisit certaines images, certains modèles, auxquels elle rapporte toutes les espèces particulières qui appartiennent à chaque genre ; ce sont pour emprunter le langage de l’école, des universaux poétiques.
Caractères héroïques, analogues aux précédents. C’étaient encore des universaux poétiques qui servaient à désigner les diverses espèces d’objets qui occupaient l’esprit des héros ; ils attribuaient à Achille tous les exploits des guerriers vaillants, à Ulysse tous les conseils des sages96.
Les caractères vulgaires parurent avec les ◀langues▶ vulgaires. Les ◀langues▶ vulgaires se composent de paroles qui sont comme des genres relativement aux expressions particulières dont se composaient les ◀langues▶ héroïques97. Les lettres remplacèrent aussi les hiéroglyphes d’une manière plus simple et plus générale ; à cent vingt mille caractères hiéroglyphiques, que les Chinois emploient encore aujourd’hui, on substitua les lettres si peu nombreuses de l’alphabet.
Ces ◀langues▶, ces lettres peuvent être appelées vulgaires, puisque le vulgaire a sur elles une sorte de souveraineté. Le pouvoir absolu du peuple sur les ◀langues▶ s’étend sous un rapport à la législation : le peuple donne aux lois le sens qui lui plaît, et il faut, bon gré malgré, que les puissants en viennent à observer les lois dans le sens qu’y attache le peuple. Les monarques ne peuvent ôter aux peuples cette souveraineté sur les ◀langues▶ ; mais elle est utile à leur puissance même. Les grands sont obligés d’observer les lois par lesquelles les rois fondent la monarchie, dans le sens ordinairement favorable à l’autorité royale que le peuple donne à ces lois. C’est une des raisons qui montrent que la démocratie précède nécessairement la monarchie98.