Carle Van Loo
Enfin nous l’avons vu, ce tableau fameux de Jason et Medée. Ô mon ami, la mauvaise chose ! C’est une décoration théâtrale avec toute sa fausseté ; un faste de couleur qu’on ne peut supporter ; un Jason d’une bêtise inconcevable. L’imbécile tire son épée contre une magicienne qui s’envole dans les airs, qui est hors de sa portée et qui laisse à ses pieds ses enfants égorgés. C’est bien cela ? Il fallait lever au ciel des bras désespérés, avoir la tête renversée en arrière ; les cheveux hérissés ; une bouche ouverte qui poussât de longs cris ; des yeux égarés ; et puis une petite Medée, courte, roide, engoncée, surchargée d’étoffes ; une Medée de coulisse ; pas une goutte de sang qui tombe de la pointe de son poignard ou qui coule sur ses bras ; point de désordre ; point de terreur. On regarde, on est ébloui, et l’on reste froid. La draperie qui touche au corps a le mat et les reflets d’une cuirasse ; on dirait d’une plaque de cuivre jaune. Il y a sur le devant un très bel enfant renversé sur les degrés arrosés de son sang ; mais il est sans effet. Ce peintre ne pense ni ne sent. Un char d’une pesanteur énorme. Si c’était un morceau de tapisserie que ce tableau, il faudrait accorder une pension au teinturier. J’aime mieux ses Baigneuses.
C’est un autre tableau oit l’on voit deux femmes nues, au sortir du bain. L’une par devant, à qui l’on présente une chemise, et l’autre par derrière. Celle-ci n’a pas le visage agréable ; je lui trouve le bas des reins plat ; elle est noire ; ses chairs sont molles ; la main droite de l’autre m’a paru sinon estropiée et trop petite, du moins désagréable ; elle a les doigts recourbés. Pourquoi ne les avoir pas étendus ? La figure serait mieux appuyée sur le plat de la main, et cette main aurait été d’un meilleur choix. Il y a de la volupté dans ce tableau, des pieds nus, des cuisses, des tétons, des fesses ; et c’est moins peut-être le talent de l’artiste qui nous arrête que notre vice. La couleur a bien de l’éclat. Les femmes occupées à servir les figures principales sont éteintes avec jugement ; vraies, naturelles et belles, sans causer de distraction.