(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Giraud, Albert (1848-1910)

[Bibliographie]

Dernières fêtes (1883). — Le Scribe (1883). — Pierrot lunaire (1884). — Hors du siècle (1888). — Sous la Couronne ; Devant le Sphinx (1894). — Héros et Pierrots (1898).

OPINIONS.

Edmond Picard

« La Forme ! Il y a un âge où on ne voit que çà », me disait le lendemain Cladel, « comme il y en a un où on ne voit que l’Amour. J’aime ainsi ces jeunes… Cette nuit encore, je leur ai parlé de Baudelaire… C’est leur prototype… Albert Giraud, entre autres, y croit comme un nègre du Sénégal à son manitou. Il me plaît, ce Giraud : c’est un Saint-Just avec un filet de vinaigre, maigre et opiniâtre, tranchant, sans bruit. C’est fort beau ces vers qu’il nous a dits. » Et tâtonnant dans sa mémoire, il y rattrapait morceau par morceau et ajustait, comme on fait d’une porcelaine brisée, l’une ou l’autre pièce, par exemple, ce sonnet, que, quelques mois après, Catulle Mendès, le raffiné, notre hôte à son tour, admira autant que l’avait fait ce fils des sillons :

Ta gloire évoque en moi ces navires houleux…
Que de fiers conquérants aux gestes magnétiques
Poussaient, dans l’infini des vierges Atlantiques,
Vers les archipels d’or des lointains fabuleux.
[N’a-qu’un-œil, de Léon Cladel, préface ().]

Henri Vandeputte

Sous la Couronne et Devant le Sphinx sont bien la continuation de Hors du siècle, en passant par les œuvres intermédiaires. Après cette clameur : « La haine de ce siècle aux enfants qui naîtront », aveu juvénile de son orgueil blessé et désormais misanthrope, le poète a marché vers les Bergames chimériques et clair, de lunées, et s’est reposé en le triomphe accalmi des dernières fêtes. Là, son cœur semblait avoir trouvé une demeure digne où reposer… Mais non, le poète s’est remis en route vers le bonheur, toujours hors de ce siècle. L’a-t-il trouvé ? Ah ! non, sans doute… Voici qu’il pleuro et sanglote en le mirage de ses derniers vers. Le volume me semble le vitrail dont il parle dans une pièce d’un volume antérieur, intitulée : Résignation. Il appelle son œuvre :

Ces vers d’un méconnu, ces vers d’un résigné,
Ces vers où ma douleur devient de ta lumière,
Ces vers où ma tendresse a longuement saigné
Comme un soleil couchant dans l’or d’une verrière.

Et voyez ! à peine se dit-il triste dans quelques vers (La Blessure étoilée, les Vaines rencontres) ; c’est « le beau roi Charles IX » et Henri III qu’il fait parler et pleurer. Il dessine ainsi, à grands traits amples, la conception de ses personnages et ses visions d’antan. Et il jette là-dessus ses couleurs les plus ardentes et harmoniques.

Quelques pièces, comme Déclin, sont froides.

Quant à la forme du vers, — peut-être par trop classiquement arrêtée, — tant discutée et attaquée, je n’ai pas la prétention ridicule de la juger, raisonnant : L’œuvre est-elle belle ? Oui. Donc, pratiquons le vers libre, s’il nous plaît, laissons le poète tranquille et admirons.

[Stella (janvier ).]

Hubert Krains

Peu de carrières artistiques offrent l’exemple d’une rectitude aussi absolue que celle de M. Albert Giraud. C’est un des rares poètes qui aient pris pour guide la ligue droite. La poésie, qui évoque si puissamment des idées de flânerie et de vagabondage, s’est présentée devant lui comme ces chemins d’or que font, entre la terre et le ciel, les rayons du soleil couchant. Le pampre et le lierre qui s’enroulent autour de son thyrse ne sont pas des éléments parasitaires, mais des ornements qui sortent de la tige même du javelot pour aller se fondre dans sa pointe et la renforcer. Ses livres n’existent pas l’un à côté de l’autre, mais ils s’engendrent mutuellement et se soutiennent par une même idée. Sa pensée ne s’est pas éparpillée. L’âme qui bat dans le Scribe, c’est celle qui bat dans Hors du siècle. Un même souffle et une même énergie animent ces deux œuvres. Un même coup d’aile les enlève. Mais la première — œuvre de départ — est engluée de terre. Elle contient la gourme du poète. Il arrive fréquemment qu’un prosateur débute par un volume de vers, il est plus rare qu’un poète débute par un volume de prose. M. Giraud, qui a la religion de la poésie, aurait-il craint de ne pouvoir se pardonner d’avoir écrit une œuvre poétique imparfaite, ou est-ce simplement le hasard qui a voulu qu’il jetât sa gourme en prose ? En tout cas, cela lui vaut de n’avoir aucun mauvais volume de vers à son actif. Si l’on veut connaître les scories d’un talent qui a toujours travaillé à s’épurer, c’est dans les contes du Scribe qu’il faut les chercher. On y trouvera une surabondance d’énergie et de couleurs, une gymnastique un peu folle, l’excès des qualités qui dominent dans son art. Le Scribe, c’est la chrysalide du Pierrot éblouissant qui va défiler dans les Rondels bergamasques.

C’est devant lui qu’il vient s’étendre dans la dernière partie de son dernier livre. Las d’avoir battu inutilement et en tout sens les plaines enflammées et vides du désert, il vient se coucher devant le monstre de pierre et confesser l’inanité de ses désirs, l’inanité de ses rêves, l’inanité de tout. Il s’incline enfin devant le seul Dieu auquel il puisse logiquement rendre hommage, parce qu’il est comme lui pétri de ténèbres. L’Adoration des Mages, la Tentation de Botticelli et surtout le Glaive et la Rose sont d’admirables offrandes expiatoires qui mettent aux pieds du sphinx le cerveau du poète avec toutes ses chimères et ses vaines splendeurs.

Comme beaucoup de penseurs de notre époque indécise, M. Giraud souffre de l’obsession de l’absolu. Comme rien ne le lui offrait autour de lui, ni le monde matériel, ni les philosophies, ni les religions, il a tenté l’entreprise gigantesque de se le forger lui-même. Il a cru que l’art possédait une vertu intrinsèque qui consolait de tout, et il semble tout d’abord avoir fait de l’art pour oublier, mais bientôt repris par son démon, — qui était sa vie et sa flamme, — il en a poursuivi l’essence même et il a voulu tâter de ses mains et presser contre son cœur la pomme d’or dont les poètes s’étaient jusqu’à présent contentés de sentir la folle caresse des rayons. Après avoir manié pendant quelque temps le martelet du joaillier et fabriqué de fins rondels, il a pris le lourd marteau de Vulcain et, dans une auréole d’étincelles et de flammes, il s’est mis à façonner son rêve à l’image de son âme.

[La Société nouvelle (décembre ).]

Paul Laur

Albert Giraud est un poète rare et hautain qui me semble doué d’une double personnalité. Dans la première partie de son recueil des Héros et Pierrots, il s’enferme dans la tour d’ivoire de ses pensées, et nous donne des poésies grandes, belles, d’une ligne impeccable, dans lesquelles il chante les passions les plus hautes, mais aussi les plus personnelles. Dans la seconde partie consacrée aux classiques Pierrots, de l’immortelle farce italienne, c’est un jet perpétuel d’esprit, de saillies alertes, vives, imprévues, toutes formulées dans des rondels pétillants. Nous reviendrons sur ce recueil multiple, si curieux à plus d’un titre. D’un côté, en effet, nous avons un caractère impérieux et nostalgique, de l’autre, une âme badine, presque gamine.

[Préface aux Poèmes ingénus, de Fernand Séverin ().]