(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104
/ 2456
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Robé de Beauveset, [N.ABCD] né à Vendôme dans la Beauce.

Sa Muse a commencé trop tard à garder le silence, puisqu'elle ne s'est exercée que sur des sujets licencieux ou bizarres, dont notre Littérature pouvoit très-bien se passer. Ce n'est pas qu'il ne soit né avec du talent : il est peu d'exemples d'une versification aussi énergique & aussi vigoureuse que la sienne ; mais sa verve ayant presque toujours choisi le vice pour sujet, son esprit doit en tirer peu de vanité : au contraire, son nom est devenu un opprobre aux yeux de quiconque conserve encore de la pudeur.

Ses Contes ont été concentrés dans son porte-feuille par l'autorité du Gouvernement, & n'ont pas été répandus au delà des Sociétés libertines où il les débitoit. Ce qui a paru de lui dans le Public, se réduit à des Odes au dessous du médiocre, à une Satire sur le Goût, dont les principes sont assez judicieux, & la versification heureuse par intervalles ; à un Poëme intitulé Mon Odyssée, qu'on croiroit avoir été fait pour des Lecteurs tudesques, tant le style en est dur & baroque, tant les rimes en sont bizarres : qu'on ajoute à cela la pauvreté du sujet, & l'on aura l'idée du plus pitoyable Ouvrage qui ait été fait depuis d'Assoucy jusqu'à nous, puisque le Héros de ce Poëme est M. Robé lui-même.

Depuis la derniere édition de cet Ouvrage, il a publié une Satire au Comte de B**, que nous regardons, malgré la dureté de plusieurs vers & le peu de noblesse de quelques expressions, comme une des meilleures Epîtres de ce genre qui aient paru depuis celles de J. B. Rousseau. Il y passe en revue la plupart des Auteurs de nos jours qui ont fait quelque sensation dans le Monde littéraire ; & si ses portraits n'ont pas toujours le mérite de la ressemblance, la touche en est du moins vigoureuse, hardie, & originale. Piqué du jugement que nous avons porté de ses Productions, & irrité de ce que nous n'avons pas craint de nous élever contre l'abus déplorable qu'il a fait de ses talens, ce Poëte ne nous a point oubliés dans cette Satire ; mais ce qu'il dit de nous, annonce moins de talent que de haine & de fureur : aussi croyons-nous ne pouvoir mieux nous venger des sarcasmes qu'il nous prodigue, qu'en les mettant sous les yeux de nos Lecteurs.

Mais devant moi quel vil Ecrivain passe ?
C'est Sabatier ; ah ! qu'il te rende grace
D'avoir tari tout mon fiel, cher Bussi,
Sans quoi le traître expireroit ici.
Très-volontiers je consens qu'il dénigre
Tous mes Ecrits ; mais la griffe du tigre,
En me rangeant parmi les froids Rimeurs,
Trop lâchement s'acharne sur mes mœurs.
Hé ! que m'importe à quel bas coin me marque
Le faux poinçon de ce faux Aristarque,
Dont la censure & dont le jugement
Sont sans justesse & sans discernement ?…
Aussi voit-on, dans les portrais qu'il trace
Le faux s'unir à l'ignorance crasse.
Il n'a rien lu ; des Faiseurs de Journaux,
Des Gazetiers, voilà les arsenaux
Où ce Pygmée, aux Géans qu'il relance,
Puise les traits que par-derriere il lance.
N'en parlons plus : le vouer au mépris,
C'est le porter encore à trop haut prix.

Il est facile de juger combien nous sommes peu blessés de ces injures si délicatement tournées, par l'attention que nous avons de les faire connoître nous-mêmes. M. Robé n'a-t-il pas bonne grace de nous accuser de poltronnerie & de lâcheté, lorsque le courage avec lequel nous avons défendu les principes du Goût, de la Morale, & de la Religion, contre une Secte d'autant plus dangereuse qu'elle est plus puissante, a fait l'étonnement de quiconque connoît les intrigues & le fanatisme persécuteur de la plupart de ceux qui la composent ? Est-il plus heureux, quand il nous accuse de malignité, & qu'il compare ingénieusement notre plume à la griffe du tigre ? Nous l'avons dit ailleurs, & nous croyons devoir le répéter ici en faveur des Esprits foibles ou peu réfléchis : l'accusation de malignité ne peut tomber avec justice que sur le Censeur caustique qui s'exerce à mortifier l'amour-propre des Auteurs, sans se proposer d'autre but que celui de mortifier ; le nôtre a été constamment d'instruire & de corriger, s'il étoit possible. Tout ce que nous avons dit a été animé par ce désir, & dirigé vers cet objet ; mais notre zele n'a jamais excédé les bornes de l'honnêteté. Les termes de vil Ecrivain, de Tigre, de Polisson, de Monstre, qu'on nous a prodigués dans cent Libelles, n'ont jamais déshonoré notre plume. Nous rougirions d'employer de pareilles expressions, même à l'égard de ces Ecrivains philosophes qui, peu contens de s'être épuisés en injustices, en sarcasmes, en personnalités de toute espece contre nous, ont encore recours aux calomnies les plus révoltantes & aux persécutions les plus perfides. C'est au Public honnête, impartial & éclairé, que nous laissons le soin de donner à ces Auteurs les épithetes qu'ils méritent.