(1767) Salon de 1767 « Peintures — Réponse à une lettre de M. Grimm » pp. 205-206
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(1767) Salon de 1767 « Peintures — Réponse à une lettre de M. Grimm » pp. 205-206

Réponse à une lettre de M. Grimm

Vous pensez donc que j’ai quelque tableau de Casanove ? Je n’en ai aucun, et quand j’en aurais, même de ceux qui sont exposés au sallon, cela ne m’empêcherait pas d’en dire mon avis sans partialité.

Que je suis son ami intime ? Je ne le connais point, et quand je le connaîtrais, je ne l’en jugerais pas moins sévèrement. Qu’il y a quelque raison pour l’avoir loué presque sans restriction ? La raison, je vais vous la dire, c’est que je n’ai rien apperçu dans ses derniers ouvrages d’important à reprendre.

Quoi, me demandez-vous, son cavalier espagnol n’est pas gris, même un peu sale, mollement dessiné, et son cheval une bête de somme ? Dans la petite bataille et son pendant, la tête n’est pas mauvaise ? Les soldats qu’on voit à droite sur le fond ont la finesse de touche ordinaire à ce peintre ?

Au maréchal, ses figures sont aussi spirituellement dessinées qu’aux Berghem ? à la botte rajustée, la couleur n’est pas un peu grise ? Malgré ces observations qui peuvent être très justes, je persiste à croire que les tableaux que ce peintre nous a montrés cette année sont d’une grande beauté et méritent mon éloge.

La couleur, la finesse de touche, l’effet, l’harmonie, le ragoût, tout s’y trouve. Ses deux paysages avec figures sont de vrais Berghem pour le choix des sites, l’effet et le faire ; sa petite bataille et son pendant tout à fait dans le style de Wouwermans, fins comme les ouvrages de cet artiste.

J’en dis autant du maréchal, du cabaret, de la botte rajustée, ce sont tous morceaux vraiment précieux, l’effet en est si piquant, la couleur si vraie, la touche si vigoureuse, si spirituelle, l’harmonie totale si séduisante, qu’ils peuvent aller de pair avec les Wouwermans, dont on voit avec plaisir que le goût n’est pas perdu. Il ne manque au moderne que le cadre enfumé, la poussière, quelques gerçures et les autres signes de vétusté pour être estimés, recherchés et payés leur valeur, car nos prétendus connaisseurs fixent le prix sur l’ancienneté et la rareté. Martial les a peints dans ces curieux de son temps qui flairaient la pureté du cuivre de Corinthe.

Horace dans l’insensé Damasippe, de brocanteur ruiné devenu philosophe, dont la première folie était de rechercher les vieilles cuvettes.

Il y avait telle statue qu’il poussait à l’odorat jusqu’à cent mille sesterces.

Cela, deux cents talents ? — deux cents. — vous me surfaites. — c’est vrai Corinthe au moins. Flairez-moi ces trépieds.

Son odorat subtil discernait les cuvettes, où le rusé Sisyphe avait lavé ses pieds.

C’était à Rome comme à Paris et pour la friponnerie des brocanteurs, et pour la folie des hommes opulens.

Dans le cavalier espagnol de Casanove, et le cheval et la figure, tout est beau. Le cavalier est bien ajusté, bien assis. On lui remarque partout une aisance, une souplesse qui est tout à fait vraie. Sa mine est bien torchée (passez-moi ce mot, il est de l’art), largement peinte et d’un faire très-ragoûtant. Le cheval est un bon cheval de cavalerie, beau, bien dessiné, de belle couleur, et quoiqu’il n’y ait dans tout le morceau que deux figures, il est d’un effet grand et sévère. Je fais cas des huit tableaux de Casanove et j’avoue bonnement que je n’ai que du bien à en dire. Il est plus fin, plus piquant, plus vrai, moins cru, plus naturel, plus fait que Loutherbourg, à qui toutefois on ne saurait refuser un grand talent. Et à tout prendre, je vois qu’il vaut encore mieux pour nos artistes qu’ils soient tombés entre mes mains qu’entre les vôtres. Vous êtes plus difficile, et vous seriez plus méchant que moi.