(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 377-379
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 377-379

2. GARNIER, [N] Abbé, Professent d’Hébreu au College Royal, de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, né en 17..

Successeur de deux habiles Ecrivains dans la composition de l’Histoire de France ; il seroit digne de marcher à côté d’eux, s’il se fût un peu moins écarté de leur plan, & s’il eût mis un peu plus de chaleur dans son style. On ne peut se dispenser de rendre justice à son mérite. Il écrit avec noblesse, & souvent avec élégance ; il a l’art de présenter les faits d’une maniere intéressante ; on voit qu’il est plein de sagacité dans la Critique, judicieux & quelquefois profond dans ses Réflexions, toujours vrai dans ses Récits. Mais qu’il nous soit permis d’observer que les mœurs de la Nation, l’état des Arts & des Sciences, les usages des différentes classes de Citoyens, devenus si intéressans sous la plume de MM. Veli & Villaret, sont trop négligés par le Continuateur. Ces différens objets avoient répandu un nouveau degré d’intérêt sur les travaux de ses Prédécesseurs, qui s’étoient écartés, en ce point, du plan suivi par tous ceux qui ont écrit l’Histoire de France. M. l’Abbé Veli avoit très-sagement senti que l’Histoire d’un Peuple ne se borne pas à l’Histoire de ses Rois ; que le tableau de ce qu’il a été dans l’ordre moral & civil, est pour le moins aussi piquant, aux yeux d’un Lecteur avide & éclairé, que celui des révolutions de son Gouvernement. M. Villaret avoit suivi la route de son modele, & l’on a lieu d’être étonné que M. l’Abbé Garnier s’en soit écarté, pour rentrer dans celle de nos autres Historiens.

Un autre défaut qu’on peut lui reprocher, est trop de timidité dans le récit, & trop peu de cette abondance historique, si nous pouvons nous servir de ce terme, qui facilité la marche de l’Historien & lui donne de la rapidité. « Un homme qui écrit l’Histoire, dit M. de Fénélon, doit en embrasser & en posséder toutes les parties ; il doit la voir toute entiere, comme d’une seule vue. Il faut en montrer l’unité, & tirer, pour ainsi dire, d’une seule source tous les principaux événemens qui en dépendent. Il faut choisir, sur vingt endroits, celui où un fait sera le mieux placé, pour répandre la lumiere sur tous les autres. Souvent un fait montré par avance & de loin, débrouille ce qui le prépare ; souvent un autre fait sera mieux dans son jour, étant placé en arriere ».

Malgré cette critique, que nous jugeons indispensable, M. l’Abbé Garnier nous paroît digne d’être cité parmi les Historiens qu’on estime. Il s’étoit déjà distingué parmi les Littérateurs, par un Ouvrage qui a pour titre : l’Homme de Lettres. Des vûes excellentes, une grande connoissance dans la Littérature ancienne & moderne, étrangere & nationale, dans la Morale & la Politique, prouvent que cet Auteur a bien su choisir la matiere de ses lectures, qu’il les a bien digérées & en a tiré parti. Son Traité de l’origine du Gouvernement François, est dans un autre genre : il a le ton de la Dissertation ; mais l’érudition n’y marche qu’accompagnée de l’élégance & du raisonnement.