(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »
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(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Chapitre XXV.
Mme Clarisse Bader31

I

Si Mlle Clarisse Bader est un bas-bleu, ce n’est pas encore un bas-bleu très retentissant. Elle n’a point, comme tant d’autres bas-bleus, qui ne la valent peut-être pas, fait son irruption, cottes bouffantes, dans la publicité, Elle n’a pas la prélasserie insolente au soleil. Elle n’est guère connue que de l’Académie, qui lui a mis sa palme jaunâtre… L’Académie, cette Compagnie de vieillards qui aiment les femmes et qui les couronnent, ne pouvant faire mieux… ou pis, a décerné déjà deux prix à Mlle Clarisse Bader ; mais, en les lui donnant, l’Académie, qui est pour tant de lauréats et surtout tant de lauréates, une succursale du bureau de bienfaisance, n’a nullement fait une aumône à Mme Bader, courageuse fille, qui a bien et dûment gagné ses prix à la sueur de son front… et du nôtre ; car elle n’est pas très facile et très voluptueuse à lire, Mlle Clarisse Bader. C’est un bas-bleu grave…… savante, à accabler. Comme tous les bas-bleus qui se démènent dans toute gloire qu’on peut faire aux femmes, et qui croient, en s’y démenant, combattre pour leurs foyers et pour leurs autels, Mlle Bader ? qui ose aujourd’hui l’histoire, a consacré à la Femme (genre et espèce), sa puissance de talent et ses travaux historiques… Elle a déjà écrit la Femme de l’Inde, la Femme de la Bible, la Femme grecque et la Femme romaine, et elle nous promet la Femme chrétienne, la Femme du moyen âge et la Femme moderne. Et que n’y en a-t-il encore ! Toutes appartiennent à Mme Bader. Elle veut épuiser le sujet de la Femme. C’est une glorification encyclopédique de son sexe. Elle a eu l’ambition du lion qui disait : « Si les lions savaient peindre ! » Et elle a voulu montrer aux hommes qui se croient les lions de l’Histoire, que les gazelles pouvaient l’écrire aussi bien qu’eux.

C’est la question, Mademoiselle. Je ne suis point de ceux qui pensent que les femmes puissent faire de l’histoire, dans le sens réel et vigoureux de ce mot. La préparer, c’est différent ; en faire le ménage, en balayer les étagères, en ramasser les épingles, y tenir les comptes courants ; être des statisticiennes, des antiquaires, des archéologues, des érudites, des chercheuses ou des trouveuses de détails heureux ou utiles, je l’admets ; mais écrire l’histoire, mais juger de haut les choses et les hommes ; mais Voir, — cette intuition virile et qu’ont si peu d’hommes, tout hommes qu’ils soient, je ne l’admets pas pour les femmes. Les bornes de leur organisation s’élèvent entre elles et l’Histoire comme une muraille de la Chine et leur crient : Halte-là ! De par leurs facultés mêmes, elles sont excommuniées de l’histoire autant que de la métaphysique. Elles ont la poitrine trop étroite ou trop pleine pour pouvoir respirer à l’aise dans l’atmosphère des idées générales, et l’Histoire littéraire est là pour l’attester. Les pédants, qui se moquent de nous, ont glosé fort à leur aise sur Hypatia, l’Alexandrine, dont les écrits n’existent plus, et qui, d’ailleurs, n’avait écrit que des Commentaires sur Diophante et les Coniques d’Apollonius de Perge, Travail à la suite ! travail inférieur d’examen et d’érudition, qui ne consistait qu’à frotter des œuvres faites comme on frotte des meubles pour les faire reluire. Au siècle dernier, on a parlé de Mme Ferrand, qui aurait aidé Condillac dans son Traité des sensations. Mais cela n’est pas démontré d’abord ; et d’ailleurs, cela serait certain, qu’après tout ce ne serait là qu’un mariage philosophique, dans lequel le mari serait resté, — comme toujours, en matière d’idées, — le chef de la communauté. Au commencement du xixe  siècle, une femme, il est vrai, certainement supérieure, par le but et la portée de ses travaux, à Mlle Clarisse Bader, — et supérieure aussi par la sagacité, quoique cette sagacité ait été bien trompée, — Mlle de La Lézardière eut l’ambition de continuer Montesquieu et publia la Théorie des lois politiques de la monarchie française. Théorie qui est une erreur. Seulement pour parvenir à cette erreur savante, il fallait encore la poussée de l’épaule d’un homme. L’homme pour Mme de La Lézardière fut Feudrix de Brequigny. La Muse des femmes est toujours un homme, même en érudition, et je n’ai jamais dit, du reste, que les femmes soient inaptes en érudition. Patientes pour filer leur laine (quand elles la filaient), et tirer leur fil, elles peuvent très bien travailler sur le métier de l’érudition, comme sur leur métier à dentelles. Mais elles, dont le génie n’est que sensibilité et finesse, n’ont ni assez de sang-froid, ni assez d’étendue et de force de coup d’œil dans l’esprit, pour embrasser et étreindre ce vaste brouillamini de l’Histoire et pour voir clair dans ces ténèbres, coupées de jours trompeurs, qui la constituent.

II

Et si j’avais besoin d’une preuve et d’un exemple de plus, pour étayer cette opinion que les femmes trouvent probablement oppressive, je prendrais Mme Bader elle-même. De notre temps, elle est la seule femme d’un esprit consistant et d’une instruction déterminée, qui ait eu, avec Mme Daniel Stern, la prétention d’écrire l’histoire. En générai, les prétentions du bas-bleuisme ne sont pas de ce côté. Le bas-bleu fait surtout du roman, comme on dit industriellement d’une chose qui devient de plus en plus industrielle, parce que le roman est la furie d’une société que l’ennui de la réalité tue, et qui n’a plus en elle de développé que deux facultés, — la faculté de l’imagination et la faculté des combinaisons scientifiques. Assurément je ne soutiendrais pas qu’il fût absolument impossible au bas-bleuisme contemporain de faire fleurir, dans quelque coin, quelque rude cactus de mathématicienne, quelque nouvelle Du Châtelet qui tracasse plus ou moins Newton. Mais ce phénomène est… un phénomène, c’est-à-dire, une chose exceptionnellement rare, et ce n’est pas ordinairement de ce côté que s’envole ce bel oiseau bleu de bas-bleu, qui est au xixe  siècle le bel oiseau bleu, couleur du temps ! Il vole par ailleurs. L’imagination, ce singe de l’intelligence, a dit Schiller, — ce qui n’est pas mal pour un Allemand, — l’imagination, qui est la première des facultés de la femme et d’un misérable siècle, chez qui la Raison est épouvantablement affaiblie, doit entraîner la femme, quand elle veut être littéraire, vers le roman dans lequel, d’ailleurs, elle cherche toujours un peu une place pour ses souvenirs et un miroir pour sa personne… D’un autre côté, par cela seul que le Roman est la forme la plus populaire des formes littéraires de ce temps, il rapporte du succès à plus bas prix… et l’Histoire, la sévère, l’Histoire, la désintéressée, n’a pas ces avantages…

Il faut se croire très homme pour l’aborder. Mme Daniel Stern se croyait réellement (et comiquement) un homme, parce que dans sa jeunesse, elle en avait enlevé un, et elle croyait de même enlever l’Histoire. Mais l’Histoire, qui n’est ni un piano ni un pianiste, oppose plus de vertu et de difficultés aux dames Putiphar, qui veulent récrire ou la violer. On peut juger, en la lisant, de la médiocrité ambitieuse de l’Histoire des Pays-Bas, par Mme Stern… Certes ! je n’outragerai pas Mlle Clarisse Bader, en la comparant à Mme Stern. Elle n’a rien de commun avec cette roide pédante, avec cet horrible Centaure littéraire, que d’avoir voulu être un historien et de ne l’avoir pas été.

Elle apportait cependant dans l’histoire des qualités inconnues à Mme Daniel Stern, qui n’y apportait, elle ! que la fausse métaphysique d’un esprit gâté par les philosophies allemandes, et qui lutta toute sa vie contre les deux impossibilités pour les femmes, la métaphysique et l’histoire. Mme Stern a l’orgueil sophistique de la libre penseuse, et la première des qualités de Mme Clarisse Bader, et qui fait nappe de lumière sur toutes les autres, c’est qu’elle est chrétienne, de volonté, d’aveu et d’accent… Je ne me souviens pas qu’il y ait un mot dans ses livres qu’on puisse lui reprocher au nom du christianisme offensé. Ceci est vraiment du courage ! Évidemment, en effet, c’est par l’Académie que Mlle Bader a compté faire ou du moins commencer sa fortune d’écrivain. Eh bien, nulle part elle n’a sacrifié aux préjugés haineux de ces vieux païens, qu’elle a pris pour juges de ses Œuvres ! Elle a gardé fidèlement devant eux le christianisme de sa pensée. On peut lui reprocher sur le compte de quelques Académiciens, pris individuellement, des opinions dans lesquelles il y a un peu trop d’encens. Ainsi, elle traite résolûment Villemain de « critique de génie ». Ainsi, encore, elle appelle Mgr Dupanloup, non pas seulement un grand Évêque, — ce qui serait déjà bien joli et peut-être embarrassant pour l’humilité de ce prélat, — mais elle l’appelle le Grand Évêque, ce qui est insolent pour les autres, et elle cite de lui, pour lui être agréable, avec une émotion maladroite, une petite sottise oratoire, sur la corruption glacée de notre temps. « Le feu ne prend pas dans la boue », avait dit Mgr Dupanloup. Ce qui est faux. Il y prend, au contraire, et les marais les plus infects ont leur phosphore. Ainsi encore, la sentimentalité mouillée du père Gratry la charme, quand il beurre cette tartine de miel pour attirer et prendre les femmes, ces mouches ! « L’époux et l’épouse seront dans le ciel des amants éternels ! » Contrairement à la parole de Notre-Seigneur aux Sadducéens, tendeurs de pièges : « Vous ne savez ni les Écritures ni la puissance de Dieu ; car, au jour de la résurrection, les hommes n’auront pas de femmes, ni les femmes de maris. Ils seront comme les Anges dans le ciel 32 » Mais à part ces féminités, à part ces révérences qui entrent trop dans le parquet, devant certaines personnes, le christianisme de Mlle Bader reste au-dessus du parquet et ne s’abaisse ni ne se cache. Elle a le bon sens et le bon goût d’être chrétienne sans honte ; et parce qu’elle l’est, elle a la lucidité de cette lumière, et elle y ajoute le naturel, la simplicité, la loyauté du renseignement, l’étendue de l’érudition. Qualités véritablement historiques, qui pouvaient être fécondes, mais qui, sous cette plume de femme, n’ont rien donné de neuf ni par le fond ni par la forme, et ont, — il faut bien le dire, — avorté.

III

Certainement les quatre livres sur la femme indienne, biblique, grecque et romaine de Mlle Clarisse Bader expriment la volonté d’être une histoire, et une histoire particulièrement intéressante, puisque c’est l’histoire d’une influence et de la plus puissante des influences sur les hommes ; mais cette histoire reste toujours à faire, et celle-ci n’est guère qu’un placage historique, plus ou moins industrieusement exécuté. Ces livres témoignent de beaucoup de connaissances, et les notes du bas des pages, de lectures nombreuses ; mais la glaneuse d’érudition, qui a ramassé tant de glanes, dans le champ de tout le monde, n’a pas eu la main assez ferme pour les relier et en faire la robuste gerbe, plantée fièrement droit, qu’il aurait fallu ; — et encore aurait-il fallu davantage. La première condition de l’Histoire, l’exigible avant toutes les autres, c’est la nouveauté, — c’est d’apprendre aux hommes quelque chose qu’ils ne savaient pas, — ou du moins de leur montrer, dans ce qu’ils savent, ce qu’ils n’avaient pas vu. Autrement l’Histoire n’est qu’une redite, et l’historien, sans personnalité, qu’un écho. Tel est l’essentiel reproche qu’on peut faire à cette érudite, qui entasse texte sur texte et noms propres sur noms propres pour ne nous apprendre, en définitive, que ce que nous savions, avant qu’elle prit la peine d’écrire. C’était-il bien la peine ? Est-ce bien la peine de la lire ? Il n’y a pas dans les quatre livres de Mlle Bader un seul fait (je dis : un seul !) qu’elle ait découvert, affermi ou purifié par une critique forte. Il n’y a pas une idée se produisant ou jaillissant tout à coup, à, travers tous les faits qu’elle enfile ou défile d’un doigt délié, au lieu de les brasser d’un biceps puissant ! Son livre, — car ses quatre livres n’en forment qu’un par le sujet — est une espèce de tapisserie historique qui suppose plus de patience et d’attention que d’inspiration et d’émotion passionnée. Mlle Bader n’est point une passionnée. C’est la vierge sage de l’Évangile, travaillant à la lueur d’une lampe qui ne s’éteindra pas et qui ne mettra le feu à rien. Avec elle, on n’a pas à craindre l’incendie. Elle mérite bien de porter ce nom de Clarisse, cette fille si vertueuse, mais elle n’aura pas de Lovelace. Je n’ai pas l’honneur de connaître Mlle Bader ; mais je me figure une fille tempérante, estimable, ayant plus de moralité dans le talent que de talent même, lequel n’eut jamais, chez elle, les chaudes couleurs de la jeunesse et manqua toujours de la beauté du diable ; car la beauté du diable existe chez les femmes pour l’esprit autant que pour le visage. Elle me produit l’effet d’une fille de trente-cinq ans, plus mûre que savoureuse. Qui sait ? Elle a eu peut-être toujours trente-cinq ans… Il y a des femmes qui naissent avec trente-cinq ans, comme il y en a d’autres qui ne les auront jamais. Cette bonne piocheuse d’Académie qui pourrait recommencer de traduire l’Iliade ; cette Dacier, à plusieurs pans, qui pourrait aussi traduire les Védas, ou le Talmud, ou les Poëmes scandinaves, ou tout autre livre de provenance étrangère et lointaine, est une de ces polyglottes dont Rivarol disait qu’elles ont quatre mots contre une idée… J’aimerais mieux l’idée ! Que n’a-t-elle pas lu ? mais qu’a-t-elle pensé ?… Elle a écouté à, la porte des livres pour venir me commérer ce qu’il y a dedans… Mais je préfère à cette commère historique la moindre femme de chambre à la Dorine, qui écoute à la porte du salon de ses maîtres et qui me vient dire ce qu’elle y a entendu, avec ce brio de langue affilée que la pauvre Mlle Clarisse Bader ne connaît pas.

Et pourquoi l’aurait-elle affilée, la langue ou la plume ?… Elle cultive un sujet vertueux et elle fait des apologies ! Malgré une simplicité et une modestie de ton, étonnantes dans une femme si bleue, Mlle Bader est bien plus bas-bleu qu’elle n’en a l’air. Elle l’est jusque dans son sujet, qui est la supériorité de la femme, prouvée par le degré de moralité et de civilisation dû à l’influence qu’elle exerce dans une société. La femme est l’égale de l’homme devant Dieu, dit Mme Bader, avec une naïveté qui n’a pas compris la portée du texte pieux qu’elle invoque. Les femmes moins naïves que Mlle Bader font souvent, de ce texte, une bêtise à leur profit, mais il faut l’entendre. L’égalité, ici, entre l’homme et la femme, n’est ni une égalité de facultés ni une égalité de fonctions. C’est une égalité, devant Dieu, de responsabilités et de devoirs. La responsabilité est la même, mais les devoirs sont différents. Un grand esprit, dont on ne parle plus mais dont on reparlera, le profond et axiomatique Bonald a donné, avec une brièveté et une simplicité sublimes, la formule de cette loi que les femmes méconnaissent. « L’homme, dit-il, est le souverain ; la femme, le ministre ; l’enfant, le sujet » ; ce qui fait une hiérarchie devant Dieu, et non pas une égalité. Et cela est si profondément justifié par les faits, cette loi, et par toute l’organisation de la femme que initiative même parmi celles que l’histoire appelle les plus grandes, leur a manqué33 ; initiative dans l’action comme dans la pensée. Ce serait là un ferme livre d’histoire à dresser contre les histoires flottantes de Mlle Clarisse Bader, qui n’a pas plus d’initiative dans la pensée que tout son sexe, et dont tous les livres servent à le prouver.

Elle en a si peu, en effet, que je n’ai pas assez dit combien elle en a peu. Elle sait si bien qu’elle n’en a pas, elle tremble tant, elle est si peu carrée, cette femme en bonnet carré qui professe la femme comme on professe l’astronomie, qu’elle se met toujours derrière quelqu’un lorsqu’elle s’avance. Se mettre derrière quelqu’un, c’est sa manière de s’avancer. Et si je voulais citer, que de citations ! Elle se met derrière Aristote, — non pas comme Sganarelle dans son chapitre des Chapeaux, mais dans sa Politique, quand elle dit que c’est chez les peuples guerriers que la femme a le plus d’influence, parce que plus on est fort, moins on est jaloux de son autorité. Certes, une femme même timide, pouvait se risquer à dire cela sans citer si majestueusement Aristote ! Une femme, même sans beaucoup d’invention, pouvait inventer cela ! Et, d’ailleurs, la raison qu’elle donne, après Aristote, prouve plus la générosité de l’homme et son longanime oubli dans sa force, que la supériorité de la femme, qui était à démontrer. Dans d’autres endroits de ses livres, c’est derrière quelque autre écrivain que marchera Mme Bader, comme une dévote à la procession, derrière le saint sacrement. Partout ce n’est jamais qu’une dame de compagnie. Or, pour épuiser ses humbles condescendances de dame de compagnie, elle va jusqu’à porter la queue de la soutane du père Duboscq, auteur assez obscur d’un livre intitulé la Femme héroïque, dans la question de savoir si la chaste Suzanne est plus grande que Lucrèce…, question, du reste, bien digne d’une discussion entre femmes !

Et garde-toi de rire, on ce grave sujet !

IV

Elle s’en garde très bien. Elle ne rit pas, elle ne sourit même pas, Mlle Clarisse Bader, dans cette histoire de la supériorité de la femme, prise au sérieux par un esprit sérieux, qui parle des mérites de la femme comme saint Just portait les mérites de son visage. Sourire ! Les bas-bleus n’ont pas, en général, la grâce du sourire. Les femmes la perdent, quand elles se font bas-bleus, et elles tournent alors au solennel, comme Mme André Léo en ses romans, quand ce n’est pas au rechigné… C’est aussi une institutrice que Mme Bader. Je ne sais pas si elle l’est en fait, mais elle l’est en puissance. Elle est institutrice, dans le sens religieux et moral, comme Mme André Léo l’est dans le sens de la plus piètre philosophie… Le malheur des femmes dont la destinée est de séduire, c’est, quand elles écrivent, d’endoctriner. Elles sont moins femmes que certains hommes et elles n’en sont pas plus hommes pour cela. Il y a des hommes qui ne pourraient pas être bas-bleus, et il y a des hommes qui le sont. Philarète Chasles (d’un grand talent) l’était. Je me souviens de l’avoir appelé Cidalise34. Le Prince de Ligne ne pouvait pas l’être. Le Prince de Ligne a touché à l’histoire, et il lui a mis sa livrée, qui était rose ! Voyez de quelle plume légère et profonde il l’écrit ! de quelle radieuse bonne humeur il l’illumine ! Mais les bas-bleus ! ils croiraient faire un péché d’indécence si, dans un sujet grave, ils n’outraient pas la gravité. Ils croiraient laisser passer un bout de jupe compromettant à travers les déchirures du vêtement masculin qu’ils veulent porter et qu’ils crèvent, en y faisant entrer de vive force, des beautés faites pour un vêtement tout à la fois plus voluptueux et plus chaste. Les livres de Mlle Clarisse Bader prouvent une millième fois de plus ce que la Critique prouvera toujours par des exemples, quand elle voudra le prouver : c’est que le bas-bleuisme roidit et défigure. Même les femmes qui, d’origine, étaient des esprits aimables, en entrant dans la science, entrent dans une gaine… La femme y disparaît pour ne plus montrer que sa tête. Elle pouvait rester une délicieuse statue vivante, et, ce n’est plus qu’un Hermès. C’était bien la peine d’être une charmante femme !… Ce n’est plus qu’un Hermès, et qu’on me permette cette légèreté, — car les femmes graves me font léger jusqu’à la dépravation, — un Hermès dont les livres doivent rester pour nous hermétiquement fermés.

La gaîne peut très bien monter jusque par-dessus la tête… Nous n’y perdrons pas !