(1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »
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(1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Paris, 8 octobre 1885.

CHRONIQUE
Richard Wagner et les Parisiens : Une Capitulation bv

On a dit :

  • — Le patriotisme défend aux Français les œuvres de Richard Wagner. Que Wagner ait été l’ennemi de la France, que ses œuvres marquent une haine contre les Français, qu’en 1871 il ait écrit l’Ode à l’armée allemande et la Kaisermarsch, ce n’est point pour ces causes que Wagner doit être proscrit de Paris : Wagner, Allemand, avait le droit de haïr et d’attaquer la France ; son patriotisme était légitime comme celui de Gœthe, celui de Beethoven ; mais Wagner a été l’insulteur de la France malheureuse ; contre Paris tombé il écrivit cette œuvre de moquerie et d’outrage, Une Capitulation. Oui, plus ne nous importe que Wagner, comme Beethoven, comme Goethe, comme Mozart, comme Weber, ait prêché la guerre contre nous, l’ennemi ; mais encore nous importe cette chose, non admise par Weber, ni par Mozart, ni par Goethe, ni par Beethoven, ni par les généraux allemands vainqueurs et respectueux de nos soldais, admise par Wagner, l’insulte au vaincu. Wagner, par Une Capitulation, a blessé à jamais notre dignité nationale.

Tel est le grief : on a laissé aux patriotes de profession le systématique déni des gloires transrhénanes ; mais, une rancune a été gardée d’Une Capitulation. Donc, que vaut Une Capitulation ? — il faut venir en la terrible question, et, une fois, parler librement de ces malheureuses pages.

Une Capitulation, œuvre insultante à Paris, devrait elle détourner les Parisiens de l’œuvre Wagnérienne ?

Une Capitulation fut elle une œuvre insultante à Paris ? Que fut-elle ?

Une Capitulatîon, œuvre insultante à Paris, devrait elle détourner les Parisiens de l’œuvre Wagnérienne ?

Que la distinction soit faite des choses artistiques utiles personnelles… « Parce que la sympathie était morte, l’admiration devait elle s’éteindre ? Est ce qu’une brochure de vingt pages devait annuler douze partitions ? Est ce que cette farce, la Capitulation de Paris, supprimait ce prodigieux chef-d’œuvre, Tristan et Iseult ? Nous pensâmes que non… Nous crûmes qu’il fallait admirer et détester l’auteur de Lohengrin, cesser d’être son ami sans cesser d’être son apôtre, et se borner à ne plus lui tendre les mains qui l’applaudissaient… »

Ainsi parlait M. Catulle Mendès. Est-ce qu’une brochure de vingt pages devait annuler douze partitions, Une Capitulation, supprimer Tristan, et la Tétralogie, les Maitres, Parsifal ? — Aujourd’hui surtout, quand l’homme est mort, les rancunes doivent-elles survivre ?… « Maintenant, la mort est venue. Elle met déjà son ombre sur les tristesses et les haines. C’est d’oubli autant que de toile que sont faits les linceuls. Grâce à la tombe refermée, nous avons le droit et même le devoir de choisir entre nos souvenirs. Oui, je le crois, nous pouvons ne pas nous rappeler que l’incomparable poète-musicien fut l’insulteur de nos défaites et de nos gloires. Pour moi, je ne sais plus qu’il m’a fallu, hélas ! le mépriser et le haïr ; je le revois tel que je l’ai connu jadis, avant les années terribles, au jour des enthousiasmes sans restriction, je me reprends à l’aimer comme je l’aimais alors, et je salue son glorieux front mort. »

 

Nous devons oublier la Capitulation ; mais cet oubli même est-il nécessaire ?

Une Capitulation fut elle l’œuvre insultante à Paris ? Que fut-elle ?

Cette question est, d’abord, une question de texte. Lisez. Littéralement, il n’y a pas autre chose qu’une parodie de nos frivolités.

Mille ouvrages pareils ayant été faits par des Allemands et des Anglais et des Français, et les Parisiens étant les premiers qui raillent Paris, le fait de l’outrage, le crime, ne peut être qu’une question de ton, — de circonstances, — d’intentions.

De ton ? — Oh ! combien peu d’acrimonie en ces pages, peu d’acerbité, peu de malveillance ! lisez : de ces railleries quelle évidente, manifeste et indéniable bonhommie ! Oui, c’est œuvre de bon rire.

De circonstances ? — Une Capitulation fut composée dès le commencement du siège, avant la capitulation, avant le bombardement, avant la famine ; — et elle ne fut pas alors publiée : la Capitulation parut — seulement — en 1873… Une insulte, cette œuvre qui ne fut imprimée que trois ans après, en un recueil d’œuvres complètes !…

D’intentions ? — On chercherait loin les preuves de mauvaises intentions ; au contraire, les preuves sont formelles à des intentions innocentes. C’est, d’abord, deux textes, la préface d’une capitulation et la Lettre à M. Monod ; puis, encore, le ton, si constamment débonnaire, de toute l’œuvre : — Wagner continuant, comiquement, dans Une Capitulation, son œuvre philosophique du Beethoven, assignant, là encore, sa voie au génie allemand, a fait la satire de ses compatriotes, des Allemands, et les a raillés de ce que, négligeant leur propre génie, ils tâchaient, maladroitement, à imiter le génie français, et il a parodié les caricatures allemandes.

Une Capitulation est l’affirmement d’un principe d’art.

Or quelle est, l’artistique valeur d’Une Capitulation : si, celui que la nécessité de connaître à fond cette œuvre contraignit à une étude d’elle attentive et prolongée, estime qu’une Capitulation, farce digne des Maîtres Chanteurs, digne en son genre de la Tétralogie, en son genre aussi pleinement belle que Tristan et Isolde, comptera plus tard parmi les plus hauts chefs-d’œuvre du Maître vénéré, — juger Une Capitulation est encore, oui, une périlleuse question qui réclame des juges moins troublés, une époque plus sereine.

Mais aux ennemis de l’œuvre Wagnérienne, quelle arme, le patriotisme !

Une Capitulation, comédie à la manière antique,
par Richard Wagner

Écrite pendant l’automne de 1870, à Triebchen, cette œuvre a été finie en décembre de la même année, — quatre semaines après l’étude sur Beethoven, quelques mois avant l’achèvement de Siegfried ; de la même époque sont encore L’Ode à l’armée allemande devant Paris, et la Marche impériale (kaisermarsch). Elle n’a été publiée qu’en 1873, dans le neuvième volume des Écrits et poemes de Richard Wagner.

La préface a été écrite deux ans après l’œuvre, pour l’édition des Écrits et Poemes.

Nous traduisons entière cette préface où, très clairement, sont expliquées les dispositions et les intentions de Wagner. Quant à l’œuvre même, qui tient quarante pages in-8°, nous ne faisons que l’analyser et en indiquer le plan et l’esprit général.

Ce qu’il faut marquer, c’est, au lieu de l’acrimonie et de la malveillance qu’on s’est plu à chercher en ces pages, la parfaite et essentielle bonhomie qui, évidemment, respire en elles, à chaque ligne, et qui permit à Wagner de les joindre à ses Œuvres complètes, en 1873.

E. D.

PRÉFACE

(Traduction.)

« Dès le commencement du siège de Paris par les armées allemandes, vers la fin de l’année 1870, j’appris que les auteurs dramatiques allemands se mettaient à exploiter sur nos scènes populaires les embarras de nos ennemis. Je n’y pouvais rien trouver de choquant, surtout puisque déjà, avant le commencement de la guerre, les Parisiens s’étaient, pour leur amusement, donné en représentation nos malheurs qu’ils supposaient certains ; au contraire, j’espérais même qu’enfin, avec des esprits capables, on réussirait à se montrer original en traitant d’une façon populaire ce genre de sujets ; car, jusqu’ici, même en la plus basse sphère de ce qu’on appelle notre théâtre populaire, tout en était resté à une mauvaise imitation des inventions parisiennes.

Le vif intérêt que j’y pris finit par augmenter mon attente jusque l’impatience ; dans une heure de bonne humeur, j’ébauchai moi même le plan d’une pièce telle que je devais à peu près en désirer une, et ; en peu de jours, je la poussai si loin, — comme une interruption gaie à des travaux sérieux, — que je pus la remettre à un jeune musicien, qui alors habitait chez moi, pour qu’il essayât d’en faire la musique.

Le plus grand théâtre de banlieue de Berlin, auquel nous fîmes offrir anonymement la pièce, la refusa. Mon jeune ami s’en trouva délivré d’une grande peur, et il m’avoua qu’il n’aurait pu faire la musique à la Offenbach, véritablement nécessaire. Ainsi, nous reconnûmes que, pour toute chose, il faut un génie et une vraie vocation, conditions que, dans ce cas, nous accordions de plein cœur à M. Offenbach.

Si maintenant (1873) je communique encore à mes amis le texte de cette farce, ce n’est très certainement pas pour ridiculiser les Parisiens après coup. Je n’ai voulu mettre au jour aucun autre côté du caractère français que celui dont la lumière nous fait, en réalité, nous autres Allemands, paraître plus ridicules : car eux, dans toute leur folie, se montrent toujours originaux, tandis que nous, par notre dégoûtante imitation, nous descendons encore au dessous du ridicule.

Puisque cette triste préoccupation, — dont l’obsédante importunité me gâte mainte bonne journée ! — s’est présentée, en une bonne journée, gaîment et innocent, dans une manière comique, puissent, aujourd’hui, mes amis ne pas trouver mauvais si, en leur communiquant ce poème burlesque, — dont il nous fut pourtant impossible de trouver la musique convenable, — je tâche à éveiller en eux le même sentiment de libération momentanée que je sentis quelques instants en l’écrivant. »

UNE CAPITULATION

COMÉDIE À LA MANIÈRE ANTIQUE

(Analyse.)

Personnages : Victor Hugo, — chœur de la Garde nationale ; choryphées : Mottu, Emile Perrin, Lefèbre, Keller, Dollfuss, Diedenhofer, Véfour, Chevet, Vachette, — Jules Favre, Jules Ferry, Jules Simon, Gambetta, — Nadar, — Flourens, Mégy, quelques Turcos, — rats de Paris.

Le Proscenium représente l’Hôtel de Ville de Paris ; au milieu, l’autel de la République, etc…

Par une ouverture située devant l’autel et semblable à une boite de souffleur, Victor Hugo sort : il arrive de Belgique, ayant pénétré dans Paris par les égouts ; il vient au secours de ses concitoyens.

… Entrée de la Garde nationale : scène de serments…

… On aperçoit Victor Hugo ; ovation ; il se proclame le sauveur du pays ; le chœur et les habitants de l’égout se le disputent ; ils se l’arrachent entre eux.

Arrivée du gouvernement ; les trois Jules siégeant au tour d’une table à tapis vert, sont poussés sur le balcon. Jules Simon écrit, Jules Favre et Jules Ferry se lèvent ; ils s’embrassent et expriment par leur mimique une grande émotion.

Après quelques discussions, ils appellent M. Perrin, Jules Simon lui remet un papier fermé.

 

Le chœur

« Voyez, le citoyen Perrin monte sur le perron ; perron, Perrin, mirliton, ton, ton ! nous le préférons à tous les Plon-plon-plon !

Perrin lisant le décret du gouvernement.

Le Ministre du culte 38 arrête que l’Opéra sera réouvert !

Le chœur

Bravo ! Bravo ! bis ! bis !

Perrin

Vous le devez à ma politique : ainsi nous sauverons la République.

Mottu

Plutôt la sauverait l’Athéisme !

Perrin

L’Opéra le fera mieux encore.

Le chœur

Bravo ! bravo ! bis ! bis ! »

Le rétablissement de l’Opéra est décidé, mais, tous les artistes manquent : il faut les aller chercher, comment ?

Le chœur

« Trahison ! trahison ! qu’on amène les artistes ! nous voulons un Opéra, et surtout un ballet. »

Apparaît Nadar, en un costume qui représente un ballon ; aussitôt surgit Gambetta : gonflement du ballon : Gambetta et Nadar montent, pour aller chercher les artistes et les danseuses. Le ballon s’élève.

Gambetta criant de la nacelle.

« Citoyens, adieu ! — Le vaisseau de la République m’emporte !

(À Nadar).

Où est le porte-voix ?

Nadar le lui donne.

Bien. — Le vaisseau de la République m’emporte : de l’Océan aérien, je ne reviendrai que victorieux ; je ne marcherai sur la terre que sur les débris de l’ancien régime. Adieu.

Diedenhofer

Que dit-il ?

Lefêbre

Il ne reviendra qu’avec le corps de ballet.

Le chœur

Gambetta ! Nadar ! couple béni ! en joyeux équipage, nous vous souhaitons bon voyage ! sublime gouvernement adieu, et vole au vent ! Gouvernement ! Gouvernement ! Vol-au-vent ! Vol-au-vent ! »

Tout à coup un grand bruit souterrain retentit.
Voix souterraines

« Poum peroumpoum ! poumpoum ! ratterah ! Ça ira ! ça ira ! ça ira ! Aristocrats ! crats ! crats ! Courage ! en avant ! Rats ! Rats ! Ô rats ! Ô rats ! Poumpoum ! raterah !

Mottu

Trahison ! Aux armes, citoyens ! Formez le bataillon !

Hugo sortant de terre formidablement armé.

Malheur ! malheur ! trahison ! trahison !

Le chœur reculant

Victor, que fais-tu ici, polisson ?

Hugo

C’est pour vous sauver, que la France m’a armé, avec les armes, une cuirasse et un bouclier, instruments de la civilisation. »

Arrivée de Flourens, de Mégy, et de Turcos qui proclament la République noire ; grand désordre ; invasion de rats, tumulte.
… Lorsque la confusion est à son comble, Offenbach apparaît, jouant sur le trombone un air de danse : peu à peu tout s’apaise.

Ferry

« … Nous vous amenons l’individu international, qui nous assure l’intervention de toute l’Europe : l’avoir en ses murailles, c’est être éternellement invincible, c’est avoir le monde entier pour ami. Ne le reconnaissez vous pas, l’homme du prodige, l’Orphée sorti des enfers, l’adorable preneur de rats de Hameln ?…

Le chœur

Krak ! krak ! krakerakrak ! Voilà Jack d’Offenback ! Que dehors, dans le fort, on ne cannonne plus, pour que rien ne soit perdu de la mélodie !… Oh ! combien doux et agréable, et aussi pour les pieds droitement commode ! Krak ! krak ! krakerakrak ! Ô seigneurial Jack d’Offenbach ! »

À un ordre d’Offenbach les rats se changent en dames de ballet. Perrin les passe en revue et prend des notes. Jubilation générale.

Le chœur

« Ô le plus aimable de tous les miracles ! quintessence du spectacle ! décolletées, légèrement chaussées !… »

De tous côtés on réclame la danse. Victor Hugo, habillé en Génie, tenant une lyre d’or, s’avance et chante victoire ; le chœur reprend, entre chaque couplet :

Dansons ! aimons ! soupons ! chantons ! — mirliton ! ton ! ton !

Offenbach dirige un quadrille.
Des attachés d’ambassade de toutes les parties du monde arrivent en foule. Enfin viennent les directeurs des grands théâtres royaux allemands, ils dansent avec les femmes, d’une manière maladroite, et se font persiffler par le chœur.
Apothéose finale.

LETTRE À M. GABRIEL MONOD

(Fragments.)

Après les représentations de Bayreuth, en 1876, M. Gabriel Monod, directeur de la Revue Historique, ayant écrit à Richard Wagner pour lui dire son admiration à la Tétralogie et ses regrets de ce qu’Une Capitulation rendit difficile aux Français la juste appréciation d’elle, Richard Wagner lui répondit par une assez longue lettre datée de Sorrente, du 25 octobre 1876, dont la traduction a été publiée après la mort du Maître, par la Revue Politique et Littéraire, en février et reproduite par un grand nombre de journaux français et allemands, puis dans le volume de souvenirs de Richard Wagner publié par M. Camille Benoit.

De cette lettre, où Wagner fait connaître ses sentiments à l’égard de la France, nous extrayons quelques passages décisifs à propos d’Une Capitulation.

 

… « Je vois que constamment mes amis français se considèrent comme obligés de donner toute sorte d’éclaircissements et d’excuses à mon sujet, à cause des prétendues invectives que j’aurais lancées contre la nation française. S’il était vrai qu’à n’importe quelle époque, sous l’impression d’expériences désagréables, je me fusse laissé entraîner à insulter la nation française, j’en subirais les conséquences sans m’en préoccuper davantage, n’ayant pas l’intention d’entreprendre quoi que ce soit en France. Mais il en est tout autrement. Ceux qui veulent connaître ma vraie pensée sur le public parisien qui a pris part à la chute de mon Tannhæuser, au Grand-Opéra, n’ont qu’à lire le récit que j’ai fait, peu après, de cet épisode, et qui a été reproduit dans le septième volume de mes œuvres complètes. Ceux qui liront les pages 189 et 190 de ce volume se convaincront que si j’ai attaqué les Français, ce n’est pas par mauvaise humeur contre le public parisien. Mais que voulez-vous ? Tout le monde croit les fausses interprétations par lesquelles des journalistes de mauvaise foi trompent l’opinion publique ; très peu de gens vont à la source pour rectifier leurs jugements.

Remarquez que tout ce que j’ai écrit au sujet de l’esprit français, je l’ai écrit en allemand, exclusivement pour les Allemands : il est donc clair que je n’ai pas eu l’intention d’offenser ou de provoquer les Français, mais simplement de détourner mes compatriotes de l’imitation de la France, de les inviter à rester fidèles à leur propre génie, s’ils veulent faire quelque chose de bon.

Une seule fois je me suis expliqué en français, dans la préface de la traduction de mes quatre principaux opéras, sur les relations des nations romanes avec les Allemands et sur la mission différente qui me paraît incomber à celles-là et à ceux-ci. J’assignais aux Allemands la mission de créer un art à la fois idéal et profondément humain sous une forme nouvelle ; mais je n’avais nullement l’intention de rabaisser pour cela le génie des nations romanes, parmi lesquelles la France a seul conservé aujourd’hui la force créatrice. N’y a-t-il donc personne qui sache lire avec soin ? Bien plus, qui donc, dans la presse actuelle, aura assez d’intelligence et de pénétration pour reconnaître que, dans l’écrit qui m’a été le plus reproché, composé au pire moment de la guerre, dans une disposition amèrement ironique, j’ai eu surtout pour but de ridiculiser l’état du théâtre allemand ? Rappelez-vous la conclusion de cette farce. Les intendants et les directeurs des théâtres allemands se précipitent dans Paris assiégé afin d’emporter pour leurs théâtres toutes les nouveautés en fait de pièces et de ballets.

… Je voudrais que les Allemands eussent à montrer, non une caricature de la civilisation française, mais le type pur d’une civilisation vraiment originale et allemande. Si l’on combat à ce point de vue l’influence de l’esprit français sur les Allemands, on ne combat point pour cela l’esprit français ; mais on met naturellement en lumière ce qui est, dans l’esprit français, en contradiction avec les qualités propres de l’esprit allemand, et ce dont l’imitation serait funeste pour nos qualités nationales… »

Nouvelles de l’opéra

Les compositeurs et les librettistes, qui possèdent dans leurs cartons des opéras terminés, peuvent s’en servir pour allumer leur feu cet hiver ; à moins qu’ils ne préfèrent s’armer de patience et attendre des temps meilleurs pour la musique et le drame lyrique. Mais ils ne doivent, paraît-il, fonder aucune espérance sur la direction de MM. Ritt et Gailhard. Ainsi, la Salammbô de Reyer, malgré Sigurd, ne sera pas entendue à Paris. Salammbô ira, si bon lui semble, faire briser sa chaînette à Bruxelles ou ailleurs. MM. Gailhard et Ritt ne veulent point d’elle. Qu’est-ce que Salammbô ? Un sujet extraordinaire, une histoire à dormir debout, qui se passe à Carthage. A-t-on idée de cela ? Où prenez-vous Carthage ? Et comment peut-on être Carthaginois ?

Mais l’amante de Mathô et sa tragique aventure ne sont pas les seuls objets de l’aversion des deux associés qui régentent notre Académie nationale de musique. Cette haine vigoureuse, MM. Ritt et Gailhard l’ont pour tous les sujets. Point de nouveautés. Rien d’inédit. À bas l’imagination. Tel est leur programme.

Que veulent-ils donc ? et qu’est-ce qu’ils méditent ? Nourriraient-ils le sombre projet de nous infliger perpétuellement, implacablement, inexorablement, les Huguenots, Robert le Diable, Faust et la Favorite — opéras que nous avons déjà ouïs un certain nombre de fois ?

Nenni, MM. Ritt et Gailhard commanderont des opéras. Mais ils fourniront les sujets. Et, ces sujets, ils les prendront dans les œuvres d’Alexandre Dumas. C’est ainsi qu’on nous promet la Belle Gabrielle ; puis la Dame de Montsoreau ; puis sans doute, les Trois Mousquetaires ; Montê-Christo, les Mohicans de Paris… Dumas ayant écrit quelque chose comme trois cents volumes, nous ne sommes pas au bout.

Énoncer de semblables plans, n’est-ce pas en faire la critique, en démontrer la bizarrerie ? D’abord, ne pas laisser le musicien, le poète, juges, maîtres de leurs sujets, les forcer à entrer dans des idées qui ne sont pas leurs, à se couler, pour ainsi dire, dans une peau étrangère, c’est couper les ailes de leur inspiration, détruire leur originalité, augmenter pour eux les chances, toujours grandes, de non-réussite.

En second lieu, rien n’est plus faux que de prétendre, — comme le fait la note annonçant la nouvelle en question, — que les ouvrages de Dumas s’adaptent, mieux que tous les autres, au cadre de l’Opéra, sont, plus que d’autres, propres à fournir des livrets, à être mis en musique. Nul moins que Dumas n’a eu le tempérament librettisant, operatisant. L’opéra, le lyrisme dramatique, que doit-ce être, manifestement ? Du rêve, du symbolisme. Or, le tempérament de Dumas, c’est l’action, l’action sans trêve, sans repos, sans respiration, à jet continu. C’est-à-dire le contraire, précisément, de l’opéra. Et, s’il n’en était pas ainsi, comment expliquer que lui, Dumas, qui avait un besoin de constamment produire, et sous diverses formes, et qui était doué d’une si prodigieuse facilité de travail, n’ait jamais songé à transformer en opéra un de ses ouvrages ? Mais non, il en tirait des drames mouvementés, rapides, heurtés ; ce qui est matière à drame, n’est point matière à opéra. Il en avait jugé ainsi, et bien jugé.

Veut-on une autre preuve, plus éclatante encore, de cette vérité qui devrait sauter aux yeux ? Nous invoquerons le grand témoignage de Richard Wagner. Peut-on recourir à une autorité plus haute ? C’est à lui, bien évidemment, qu’il faut toujours revenir, en matière de drame lyrique.

Qu’on se rappelle les sujets par lui choisis pour composer ses œuvres. Le Vaisseau-fantôme, Tannhæuser, Lohengrin, la Tétralogie, Parsifal. Tous sujets plus ou moins féeriques, fantastiques, miraculeux, enchantés, symboliques, mythiques. Et Tristan (N’est-ce pas un long rêve, une longue extase ? Dans Alexandre Dumas, où est le mythe, où est le symbole ? où l’extase ? où la féerie ?

Vainement objecterait-on que le dramaturge de Bayreuth a fait, Allemand, pour l’Allemagne, une œuvre unique, et qu’on ne peut, qu’on ne doit pas imiter. Il n’est, ici, pas question d’imiter Wagner ; mais de profiter de son labeur, et de tirer de ses ouvrages, des doctrines, des théories applicables, en les modifiant, au génie particulier de chaque peuple.

Or, ce serait, en France, les modifier un peu trop profondément, que de vouloir, comme veulent MM. Ritt et Gailhard, en prendre exactement le contre-pied.

Gramont.

La religion de Richard Wagner et la religion du Comte Léon Tolstoïbw

… Pour n’avoir pas chanté la Région où Vivre.
Stéphane Mallarmé

 

Deux fois, durant ce siècle, un étrange phénomène a été produit — d’abdication artistique.

En 1864, Richard Wagner avait compris de quelle plus haute perfection était capable, maintenant, la forme musicale ; et il avait réalisé cette perfection. Il avait écrit la Lettre sur la Musique, où est exposée la théorie du Drame, du Drame créant, complète et réelle, l’Émotion. Il avait écrit Tristan et Isolde, œuvre d’achevée psychologie musicale, qui reste, — et, longtemps, restera — l’exemplaire ultime du pouvoir musical moderne. Il avait ébauché des autres drames réalistes, Siegfried, la Walkure. — Et, ayant élevé l’Art au degré suprême, Richard Wagner, ensuite, renonça l’Art. Il commença s’occuper à la Religion, écrivit le traité religieux Religion et Art39, et cette œuvre musicale religieuse, — non déjà artistique, — Parsifal.

En 1878, le comte Léon Tolstoï avait compris de quelle plus haute perfection était capable, maintenant, la forme littéraire ; et il avait réalisé cette perfection. Il avait écrit Enfance, Adolescence, Jeunesse, Trois Morts, Guerre et Paix 40, romans de complet et dernier Réalisme. Il avait écrit anna Karénin, œuvre supérieure à toutes les œuvres littéraires, non moins qu’aux œuvres musicales est Tristan et Isolde, — œuvre créant la plus grande somme de Vie que peut — et pourra, longtemps — créer la Prose, comme en Tristan est créée la plus grande somme de Vie que notre Musique peut créer. Il avait ébauché un autre roman réaliste41 l’avait, à demi, publié. — Et, ayant, au degré suprême, élevé l’Art, le comte Léon Tolstoï, ensuite, renonça l’Art. Il s’occupe, seulement, à la Religion, condamne et détruit son œuvre littéraire, écrit le traité religieux : Ma Religion42, prépare un livre de controverse religieuse, traduit les Évangiles43

À inspirer cette double conversion, prodigieuse, quelles circonstances furent, quels mouvements intérieurs des pensées ? Question inévitable ; hélas ! vaine. Nous ignorons entièrement, la vie de Wagner, et la vie de Tolstoï44 ; Et les deux artistes nous sont trop étrangers, trop lointains. À peine, dans les œuvres connues, quelques présages du possible changement prochain. Des autres raisons — bien incertaines — nous apparaissent : en Wagner, l’influence de Schopenhauer, la native disposition aux théories, le besoin de former au Drame Idéal un Public Idéal : en Tolstoï, l’aspiration slave vers le certain, le nihilisme environnant. Mais c’est, d’avantage, en les deux, la contemplation incessante (et, parce que seuls ils l’exercent, plus troublante) des vives âmes, les lois psychiques perçues, et menant au souci ce leurs aboutissements métaphysiques. Ainsi le seul romancier antérieur, Stendhal, ayant assisté à l’enchaînement ces phénomènes spirituels, avait, très-tôt, senti l’inquiétude des raisons premières. Mais l’éducation française — et du léger siècle — rendit sa métaphysique fort simple, aisément explicable dans la forme, encore, du Roman. Stendhal était demeuré un Artiste. Il avait dressé, vivantes, des âmes qui créaient leur vie, sous le motif unique du plaisir ; et des âmes choisies, qui éprouvaient le seul plaisir — désintéressé — du conscient Orgueil. Wagner et Tolstoï, non autrement, furent poussés par la vision psychologique à la vision métaphysique. Mais un poids étrangement pesant, une hérédité d’angoisses mentales, ont secoué et transformé leur esprit, au contact du problème nouveau. Ils ont quitté l’Art, afin que pleinement les émût ce seul pourquoi philosophique. C’est la hantise de l’Idée fatale, qu’amène un nécessaire Hasard, et qui, sitôt, monte, et qui monte.

De cette conversion les raisons furent-elles autres ? Tous l’ignorons. Mais, au vrai, cette question, inévitable, nous tourmente peu. Les œuvres religieuses, que ces faits inconnus préparèrent les œuvres nous sont données : chacun pourra, les ayant vécues, se créer, ensuite, ces faits, revivre l’âme de Wagner et l’âme de Tolstoï. La seule biographie n’est elle pas le Roman, qui, avec le secours des documents certains, reconstruit, entière et plus réelle, la Vie ?

 

Lisons les œuvres données, sagement, et les méditons. Énorme nous paraîtra, d’abord, la différence des doctrines.

Le livre du comte Tolstoï, Ma Religion, est une explication nouvelle des Évangiles, purement et seulement chrétienne. Elle nous fait voir les textes premiers, leur sens véritable, comment les paroles de Jésus furent, après lui, déformées. Elle nous engage à devenir chrétiens, opposant toujours aux préceptes mauvais, la doctrine, seule et textuelle, de Jésus. Elle condamne, par cette doctrine même, les modernes théories philosophiques, les pessimistes, surtout, « qui demandent à la vie ce qu’elle ne peut donner » (p. 124).

Les écrits religieux de Wagner, Beethoven, Religion et art sont de pure dialectique rationnelle. Le christianisme y est montré pareil aux religions hindoues, tenant une égale part de la Vérité. Les paroles de Jésus, rarement citées, montrées, plutôt, de vagues symboles, n’ont plus une autorité décisive. Et les théories philosophiques, précisément, dominent ; et domine, entre elles, le Pessimisme de la Volonté Absolue, invoqué toujours. Le livre de Tolstoï est la réfutation de Schopenhauer par le dogme évangélique : les écrits de Wagner sont l’adaptation à la Morale et à l’Art des dogmes même de Schopenhauer.

Sur les pratiques questions de la Morale, de l’Art, égale paraît la différence.

Tolstoï veut la fin des gouvernements, des patries, des lois sociales, des propriétés ; il veut, encore, la fin de l’Art. Wagner condamne, sévèrement, les utopies du socialisme germanique ; et c’est à l’Art qu’il confie la tâche d’éclairer les hommes, la tâche suprême de Rédemption.

Tolstoï résume les devoirs moraux en cinq commandements ; n’être à nul irrité ; ne commettre point l’adultère ; ne prêter, jamais, des serments ; ne point résister aux méchants ; ne point haïr ou traiter mal les hommes d’étrangères nations. La morale de Wagner est, toute, en ces autres commandements ; compâtir, épargner aux animaux, être tempérant, renoncer l’amour sexuel.

Doctrines diverses, diverses conclusions. Telles paraissent les deux œuvres, — lues, comme dans ce pays nous lisons, vivement, et d’apparence. Un trait commun, hélas ! seul : la puérilité, un peu égayante, de ces préceptes, qui nous devaient, sûrement, conduire à la bienheureuse Rédemption. Ne point jurer le serment, ne point manger la viande des animaux, et vaincre, ainsi, éternellement, l’épouvantable Mal ! Combien plus hautes et sérieuses, et utiles, les recommandations morales, dans le moins coûteux de nos Manuels Civiques !

Il est bon que méditent les Allemands et les Slaves, afin que nous rions. Et nous redevenons graves, malgré tout. Il nous souvient que Wagner et Tolstoï s’adressaient à Nous, à Nous voulaient donner le Bonheur, et nous nous rassurons, pensant que leurs livres, du moins, trop ridicules, ne sont point dangereux.

II

C’est que Wagner et Tolstoï nous ont adressé leurs écrits, à tous les hommes, mais ne les ont point destinés à notre spéciale façon gauloise de lecture. Ils ont voulu leurs œuvres lues sagement, lues par nous avec un désir de les penser à notre tour, non avec la vaine envie, commune, de critiquer et de railler.

Ayons, à relire leurs écrits, une sagesse telle. Avant de juger les théories énoncées, recréons-les entièrement, de notre création personnelle, mettant les pensées au point de notre spéciale intelligence. Imaginons, lisant les traités de Wagner, que cet homme, volontiers, usait de symboles, était peu apte, aussi, à la nette expression des détails pratiques. Imaginons, lisant le livre de Tolstoï, que cet homme est un logicien, un psychologue, ami des formules littérales, parfois trop précises. Et les œuvres, ainsi relues, nous apparaîtront nouvelles. Nous remplacerons telle phrase, telle page, par ce que nous aurions, nous-mêmes, écrit, ayant, au fond, la même pensée. Nous comprendrons l’ordre, d’abord inexplicable, de chapitres, où les transitions ne sont point ce que nous les aurions faites. Nous détruirons, ailleurs, l’ordre suivi, afin d’avoir plus nôtre, et plus exacte, l’Idée de l’auteur. Alors nous recréerons ces œuvres ; alors nous les pourrons juger. Et les différences dans les doctrines, qui, tout à l’heure nous frappaient, s’évanouiront ; nous percevrons, sous la diversité des formes et des expressions, l’absolue identité des notions. Et sous les apparences métaphysiques ou religieuses, nous percevrons le vrai sens des livres, un sens tout positif, d’universelle portée morale.

Cette ressemblance, en effet, domine : Tolstoï et Wagner, également, s’occupent à une religion tout positive et empirique, et à la même religion.

D’abord, les allures théologiques chrétiennes de Tolstoï laisseront voir, s’écartant, une absolue indifférence de toute théologie comme de tout christianisme. Par des commentaires du texte évangélique son livre débute, et se continue : mais l’autorité de Jésus est secondaire, le résultat d’une antérieure théorie personnelle. La doctrine de Tolstoï ne vaut nullement, pour lui, comme étant celle de Jésus. Elle est la vérité, parce qu’elle s’accorde pleinement à la seule théorie possible du bonheur. La Foi, dit-il, ne doit pas être la foi en quelque force extérieure, mais le sincère désir du salut, le désir qui donne le salut. Et Tolstoï a repris la doctrine de Jésus, parce que Jésus a compris, jadis, ce qui, à nos méditations modernes, apparaît la Vérité.

 

La doctrine de Jésus-Christ est la doctrine de la vérité. C’est pourquoi la foi en Christ n’est pas la croyance en un système sur la personne de Jésus, mais la connaissance de la vérité. On ne peut persuader personne de croire à la doctrine du Christ, on ne peut stimuler personne par aucune promesse à la pratiquer. Quiconque comprend la doctrine du Christ aura foi en Lui, parce que cette doctrine est la vérité. Et quiconque connaît la vérité, indispensable à son bonheur, ne peut pas ne pas y croire ; c’est pourquoi un homme qui a compris qu’il se noie ne peut pas ne pas saisir la corde du salut. Aussi la question : Comment faire pour croire ? est une question qui témoigne que l’on n’a pas compris la doctrine de Jésus-Christ (p. 175).

Qu’était donc Jésus ? Le Fils de Dieu ? Sans cesse Tolstoï nous montre cette question indifférente à la compréhension — à l’adoption — de la doctrine chrétienne.

Mais alors, Jésus qu’enseigne-t-il ? D’après l’Église, il enseigne qu’il est la seconde personne de la Trinité, fils de Dieu le Père, qu’il est descendu sur la terre pour racheter par sa mort le péché d’Adam. Cependant, quiconque a lu les Évangiles sait que Jésus n’y dit rien de semblable ou parle très vaguement à ce sujet. Admettons que nous ne savons pas lire et que cela s’y trouve. Dans tous les cas, les passages où Jésus affirme qu’il est la seconde personne de la Trinité et qu’il rachète les péchés de l’humanité forment la partie la plus minime et la moins claire de l’Évangile.

En quoi consiste donc tout le reste de la doctrine de Jésus ? Impossible de nier, et tous les chrétiens l’ont toujours reconnu, que la doctrine de Jésus règle en substance la vie des hommes, leur enseigne comment ils doivent vivre en commun (p. 62).

 

Et l’indifférence de Tolstoï à l’autorité théologique de Jésus éclate, mieux qu’en tout le livre, en cette phrase, de merveilleuse clarté :

C’est terrible à dire, mais il me paraît que si la doctrine de Jésus et celle de l’Église qui a poussé dessus n’avaient jamais existé, — ceux qui s’appellent aujourd’hui chrétiens auraient été beaucoup plus près qu’ils ne le sont de la doctrine de Jésus, c’est-à-dire de la doctrine rationnelle qui enseigne le vrai bien de la vie (p. 178).

Tolstoï expose sa doctrine, dit Sa religion, heureux, seulement, de ce qu’elle ait été déjà, avant lui, exposée. Il donne à son livre l’aspect d’un commentaire théologique, parce qu’il aime mieux être utile à beaucoup que paraître original45.

Le pessimisme de Richard Wagner n’est point davantage un pessimisme. Peu soucieux, aussi, de la méprisable gloire, il rattache constamment sa doctrine à la philosophie de Schopenhauer, en reconnaissance d’une extraordinaire admiration. Mais, sous la terminologie pessimiste, l’écrit Religion et Art, l’écrit sur Beethoven, avec de nécessaires contradictions apparentes, reposent, exactement, sur les notions inverses du pessimisme allemand. Nous avons dit, en cette revue46, l’explication profondément optimiste qu’il donne à la vie. Nous pourrions faire voir, encore, dans Religion et Art, la réfutation des théories sur la Méchante Volonté. D’après Wagner, l’Univers, que nous croyons formé d’êtres multiples, est, dans la réalité, simple et un. Mais son Unité est bonne, sainte, non funeste comme pour Schopenhauer ; le but de notre vie est, précisément, réaliser cette Unité bienheureuse ; la réaliser, — la reconstruire, plutôt : car le Mal, qui était, pour Schopenhauer, le lot originel et constant, le Mal paraît à Wagner l’effet d’une volontaire décadence, un état anormal et que nous pouvons finir.

L’acceptation de cette décadence humaine, quelque contradictoire qu’elle paraisse avec l’idée d’un progrès continu, semble pourtant la seule qui puisse nous donner une espérance fondée. La conception dite pessimiste du monde ne doit nous sembler ici justifiée qu’à condition que nous supposions qu’elle se fende sur la critique de l’homme historique ; et elle subirait certainement de nombreuses modifications, si nous connaissions l’homme préhistorique suffisamment pour conclure des éléments de sa nature primitive à la décadence dans laquelle il est tombé par la suite, décadence qui ne résultait pas nécessairement de sa nature même. (Religion et Art.)

Wagner n’est point le disciple de Schopenhauer, mais du Christ : et le Christ de Wagner est, exactement, celui de Tolstoï47. La partie théologique des Évangiles lui est un symbole ; seule est chrétienne la doctrine morale de Jésus, et parce qu’elle dit la Rationnelle Vérité.

De temps en temps, se sont élevés des hommes, qui ont constaté que le monde souffrait d’une maladie le maintenant dans un état de décadence croissante… Et, parmi les plus pauvres et les plus méprisés, apparut le Sauveur, qui enseigne le chemin de la guérison non plus par des doctrines, mais par des exemples (R. et A )

La Vérité est conforme à la doctrine de Jésus : Tolstoï et Wagner sont, ainsi, chrétiens. Et tous deux attribuent aux mêmes raisons la corruption, par tous deux sentie, du Christianisme. Les religions antérieures, dont Jésus détruisait les dogmes, la religion Juive, surtout, ont vite étouffé l’enseignement du Christ, reprenant leur influence par le maintien des illusoires notions qu’elles avaient, jadis, données, et qu’elles ravivaient. Jésus avait abrogé la Loi Juive, mais cette Loi avait laissé aux âmes une vieille empreinte, bientôt reparue.

La Loi et les Prophètes (la Loi Juive) ont duré jusque Jean ; Jésus les abroge, ne gardant d’eux qu’un précepte : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux point t’être fait : c’est toute la Loi et les Prophètes (Luc). Et Jésus remplace à la Loi Juive la Loi Éternelle du vrai ; mais l’Église chrétienne a repris la Loi Juive, et la doctrine de Jésus a été annulée (Ma Religion. p. 55-60).

De même, Wagner montre la doctrine chrétienne disparaissante sous le retour de la cruelle Loi Judaïque :

Il semble que les Juifs aient cru pouvoir négliger cette participation de leur dieu au gouvernement du monde, puisque, d’un autre côté, ils avaient gagné de participer à la religion chrétienne, qui paraissait très propre à leur livrer, dans le cours des temps, sa civilisation avec tous ses éléments de supériorité ; car le miraculeux point de départ était historiquement donné : dans un coin de la Galilée, Jésus de Nazareth était né. Au lieu de voir dans cette basse origine une preuve de ce fait, que la naissance du Rédempteur des pauvres ne trouverait aucune place chez les nations civilisées qui régnaient alors, mais que cette Galilée, que seul le mépris des Juifs distinguait, avait pu être choisie, à cause même de son abaissement apparent, pour le berceau de la nouvelle foi, — et les premiers croyants, les bergers et les paysans, aveuglément soumis aux lois juives, crurent pouvoir prouver que le Sauveur se rattachait, par son origine à la race royale de David, comme pour excuser sa téméraire sortie contre la loi hébraïque. Qu’il soit douteux que Jésus ait même jamais été de la race juive, puisque les Galiléens étaient méprisés précisément à propos de leur origine hébraïque, c’est une question que nous abandonnons volontiers, comme d’ailleurs tout ce qui concerne l’apparition historique du Sauveur, à l’historien qui, de son côté, déclare qu’il n’y a rien à entreprendre contre un Jésus sans péché. Il nous suffira, de dégager la ruine de la religion chrétienne de la mixtion de judaïsme dans la formation de ses dogmes. (R. et A.)

Ainsi la religion de Wagner et la religion de Tolstoï, pareillement, sont chrétiennes ; mais opposées à tous les enseignements de l’Église chrétienne. Ces religions sont-elles donc athées, interdisantes de toute croyance religieuse ? Elles sont désintéressées de telles croyances, parce qu’elles sont des religions purement morales et positives. Mais elles laissent intactes, à leur côté, les théologies, comme les métaphysiques.

Dans un prestigieux chapitre, Tolstoï appelle à sa religion chrétienne les hommes de tous les cultes. Il admet, et accepte, toutes les révélations. Êtes-vous de quelque confession chrétienne ? Jésus approuve et admire votre croyance ; mais il vous offre le moyen de vivre heureux, et votre croyance n’importe pas à ce qu’il vous offre. Êtes-vous matérialiste, évolutionniste ? Jésus, encore, vous en félicite, mais il vous parle ensuite de votre bonheur pratique et terrestre ; et vous pouvez suivre sa doctrine sans perdre vos métaphysiques illusions. Êtes-vous mahométan, ou bouddhiste, ou mormon ? Jésus vous exhorte à tenir votre foi ; mais il ne s’inquiète point d’elle, non plus que de votre métier. Sa religion traite des tout autres problèmes (p. 242-250).

 

La doctrine de Jésus ne peut contrarier en aucune façon les hommes de notre siècle sur leur manière d’envisager le monde ; elle est d’avance d’accord avec leur métaphysique, mais elle leur donne ce qu’ils n’ont pas, ce qui leur est indispensable et ce qu’ils cherchent : elle leur donne le chemin de la vie, non pas un chemin inconnu, mais un chemin exploré et familier à chacun (p. 242).

La religion de Wagner admet, également, toutes les croyances et tous les cultes. Tous sont des symboles, tous ont un même sens, la direction de notre vie humaine au bonheur.

Une morale rationnelle : c’est la seule religion, pour Wagner et pour Tolstoï. Non une morale spéculative, fondée sur quelque destination surnaturelle ; non une morale conduisant à la réalisation d’un mystérieux impératif catégorique : car tout cela est théologie. Une morale du bonheur humain, et non superficielle ou casuistique, mais reposée à la nature même de l’Humaine Vie.

Et cette Religion qui nous doit sauver, la devons-nous rétablir avec ses rites et ses symboles ? Aurions-nous besoin de toute l’ornementation allégorique avec laquelle, jusque aujourd’hui, toutes les religions ont été défigurées ? Ayons donc devant nous la Vie, dans sa réalité (R. et A.).

 

La doctrine de Jésus, dit Tolstoï, a un seul but : donner à l’homme le royaume de Dieu, c’est-à-dire le bonheur et la paix (p. 110). Elle enseigne, seulement, aux hommes comment il faut vivre pour être heureux (p. 114). Elle nous fournit, uniquement, un moyen rationnel d’améliorer notre vie par nos propres forces (p. 124). Sans cesse, en chaque page, Tolstoï affirme que la religion se doit occuper exclusivement à nous donner le bonheur.

Et ce bonheur est possible, naturel, aisé ; nous le pouvons acquérir dans le monde présent. Tolstoï explique que sa religion, donnant le bonheur, est toujours d’application facile. Comprenons seulement où est le bonheur ; et, par un déterminisme nécessaire, nous atteindrons le bonheur. Comprenons la vanité de cette existence éternelle d’outre-tombe, que nous promettent les dogmes déchus. La vie éternelle, infinie, qu’annonce Jésus est la vie de ce monde, si nous la voulons arracher aux limites des personnes et des intérêts. Chassons les héréditaires fantômes qui nous font, depuis des siècles, mépriser cette notre vie, au nom de vaines et dégradantes vies ultérieures. Comprenons où est le bonheur, et nous atteindrons le bonheur.

« Ayons donc devant nous la vie, dans sa réalité : et ce sera toute la religion, et nous rachèterons le bonheur naturel, dit Wagner. »

Où donc est ce bonheur ? Quelle est la réalité de la vie ? À renoncer l’égoïste opposition des vivants, à nous faire la partie vivante de l’Unique Vie. Tolstoï et Wagner donnent à ce problème cette solution.

Le chapitre dixième de Ma Religion dit le sens véritable de la vie. La vie égoïste, mondaine, la vie des intérêts et des luttes, évidemment, n’est point la vie réelle, puisqu’elle se termine par la mort. Nous passons cette vie à bâtir la vaine tour de notre prospérité, qui, jamais, ne peut être construite. Aussi Jésus nous met-il en garde de la mort : « Soyez prêts : ayez joui votre joie, lorsque la fin viendra ». Mais plutôt : « Supprimez cette fin, par la fusion de votre existence dans l’universelle existence. »

La morale de Wagner met le seul bonheur dans le renoncement. Éloignons-nous des passions mondaines : « constatons l’unité de tous les êtres vivants, et comment notre perception sensible nous égare, nous représentant cette unité comme une pluralité insaisissable et comme une variété multiple. » Beethoven est le Mage Divin, parce qu’il a vu l’Unité profonde de l’Être sous la diversité des apparences. Parsifal se rachète, et rachète les hommes par le renoncement. Renonçons les erreurs, le néant de l’existence individuelle. Chassons les fantômes qui nous hallucinent, les désirs égoïstes et maudits : « Fort est le Désir ; mais plus puissante la Résistance48 », chantaient dans le saint temple les chevaliers, célébrant la décisive victoire. Et jouissons la prodigieuse joie du Compatir, qui nous fond dans l’éternel Un, nous donne, éternelle, la Béatitude.

Comprenons la vie et ce que nous sommes. Dans l’Unité qui seule est, vivons la seule vie. Renonçons les égoïsmes, nullement à la fin de nous anéantir, non par une pessimiste résignation, mais parce qu’en le renoncement est le suprême bonheur et notre naturelle destination.

Nous avons vu Tolstoï et Wagner amenés, par de mêmes raisons, à la même doctrine morale. Que nous importent, maintenant, les différences dans les préceptes particuliers fondés sur cette doctrine ? Ne les voyons-nous pas nécessairement superficielles, et que, sous elles, doit être une égale conception de la vie pratique ? Le bonheur est dans le renoncement ; mais nous devons renoncer non point telle occupation ou telle autre — renoncer nos désirs mondains, les désirs — en chacun divers — de nos âmes. Le moraliste ne peut pas chercher une indication plus précise du devoir commun : à peine, ensuite, ranger, dans une formule générale, les désirs les plus fréquents autour de lui.

Ainsi, Wagner et Tolstoï, forcés à des règles détaillées du renoncement, les donnent différentes, suivant la différence de leur race et de leur esprit, et la différence des désirs égarant leurs paroles, dans le vain rêve cruel de la vie égoïste. Et ces préceptes nous apparaissent nullement puérils, de suprême sens, exprimant un même principe merveilleux. Aux Allemands, Wagner recommande qu’ils renoncent le mauvais désir des nourritures animales, l’intempérance, l’isolement des efforts et des travaux. Tolstoï enseigne aux Slaves le renoncement des orgueils sociaux, des violences, des haines nationales.

D’ailleurs, ces différences, encore, s’atténuent, si nous lisons les deux livres avec l’intelligence entière de leur sens véritable.

La forme du renoncement, l’unique, est, dit Wagner, la Compassion. Chaque homme doit se faire Tous, élargir son âme à vivre toutes les âmes. Et Tolstoï nous montre le bonheur, seulement, dans la fusion de notre vie avec la commune Vie. Il nous dit fils de l’Homme — membres de l’Homme, plutôt — éléments de l’Organisme total.

Jésus oppose à la vie personnelle non la vie d’outre-tombe, mais la vie commune qui se fond avec la vie présente, passée et future de toute l’Humanité.

Cette vie commune est le travail de chacun pour tous, la Compassion Agissante :

Chaque individu, pris séparément, aura la vie la plus heureuse, s’il a compris sa vocation, qui consiste à ne point exiger qu’on le serve, mais à travailler toute sa vie pour les autres, à donner sa vie comme rançon pour tous.

Vivons la vie de Tous, devenons l’Humanité : cette règle Wagnérienne explique, seule, les cinq prétextes moraux que donne Tolstoï aux curieux de la joie.

D’abord, nous devons renoncer la colère aux hommes, qui nous sépare d’eux. Nous devons renoncer l’orgueil égoïste, l’orgueil humiliant des titres et des rangs. Et Wagner, aussi, nous enseigne vaincre les orgueils : les animaux nous doivent être sacrés, parce que, les traitant mal, nous affirmons notre vaine supériorité égoïste. Heureux est, seul, le Pur Simple, qui s’ignore plus humble.

Le second désir mauvais est le désir de la femme, parce qu’il nous sépare de tous, nous fait sentir, plus forte, notre personne individuelle. Nous devons renoncer le besoin sexuel, ne point commettre l’adultère, moins pour ne pas faire tort au prochain que pour nous éviter à nous-mêmes les soucis qui naissent de ces besoins. Nous devons nous accoupler à la femme dans l’union décisive, indissoluble, afin que nous perdions à jamais le désir de la femme. Ne renvoie point ton épouse, disait Jésus, parce que tu deviendrais « libertin ».

Le renoncement de la femme par le mariage c’est, encore, la doctrine de Wagner. Parsifal connaît, compatit, et sauve — et devient heureux — parce qu’il vainc le mauvais désir charnel. Mais Parsifal est père de Lohengrin, accomplit, comme tous le devons, la fonction génitrice. Ne renonçons point les actes, qui sont nuls, qui indiffèrent : renonçons les Désirs, et naîtra la Joie.

La troisième tentation funeste est, dit Tolstoï, le serment. Nous ne devons point jurer, engager notre vie prochaine, afin que nous renoncions, après le désir du Commandement, le désir, encore, de la Servitude. Ne mettons point notre vie dans l’engrenage fatale des choses extérieures, dit Wagner.

La quatrième tentation est le désir de résister à la violence par la violence. Nous devons tendre la joue, non pour souffrir, mais parce que le mal est inévitable, et nos efforts vains, si nous ne devenons indifférents à la violence. Jésus ne dit point : souffrez, créez-vous des douleurs. Il dit : pour détruire en vous toute douleur, renoncez la foi en l’existence individuelle, mettez plus haut le bonheur. Et Wagner nous montre la folie de toute résistance : agir au dehors, c’est affirmer la volonté personnelle, fausse et meurtrière. L’homme doit renoncer les apparences extérieures.

Enfin, la tentation dernière est l’orgueil national, la distinction des races et des cultes. Renonçons le patriotisme insensé, qui produit les guerres et les massacres.

Certainement, dit Wagner, ce n’est point Jésus-Christ, le Rédempteur, qui a ordonné à un Maître de faire prêcher des aumôniers devant des régiments rangés en bataille. Mais, en Le nommant, les souverains pensent, assurément à Jéhovah, à Jahveh, à Elohim, qui haïssait tous les autres dieux, et voulait les savoir soumis par son peuple fidèle (R. et A.).

Identité du principe religieux, identité de la doctrine morale, identité des préceptes déontologiques. Identité profonde, encore, dans telles menues prescriptions secondaires. Wagner, par exemple, admet expressément, entre les éléments du bonheur, ces choses que recommande Tolstoï : la vie naturelle, et dans la nature : le travail ; le commerce libre et affectueux avec les hommes ; la santé physique.

L’homme, faute de comprendre la vie, souffre et dépérit. Par suite d’une nourriture qui ne convient pas à sa nature, il tombe en des maladies que nous observons chez lui seul. Il n’arrive pas à son âge naturel, et n’a pas une mort douce ; mais il est précipité à travers des misères morales et des souffrances physiques qu’il est seul à connaître (R. et A.).

Le renoncement doit produire, dans le monde nouveau, un état social nouveau. Tolstoï et Wagner l’ont également compris.

Tolstoï veut la suppression des gouvernements, la suppression des Eglises, la suppression des tribunaux publics et privés, la suppression des armées, la suppression du capital économique, l’universel prolétariat de la fraternité. Mais il veut ces réformes volontairement faites par le joyeux accord des intelligences, et répugne, évidemment, le socialisme de la force.

Wagner, pour mille diverses raisons, n’expose point son idéal social avec une pareille netteté. Mais il condamne plus discrètement l’inégalité des conditions humaines. Proscrivant la guerre et les haines patriotiques, et toute violence, il ne peut être favorable au maintien des armées et des tribunaux. Ennemi aux utopiques théories socialistes contemporaines, fondées, plus étrangement que tous les systèmes sociaux, sur la force, il admet cependant un socialisme plus rationnel et plus chrétien.

Néanmoins on pourrait, et cela pour de puissants motifs intérieurs, regarder le socialisme contemporain comme très digne d’être pris en considération par notre société civile, aussitôt qu’il formerait une alliance étroite avec les trois associations mentionnées plus haut, celle des végétariens, celle pour la protection des animaux et la société de tempérance. Ce qui semble jusqu’à présent n’avoir été entrepris par les fondateurs de ces associations que par un calcul de prudence repose, en grande partie inconsciemment, sur une base que nous appelons sans honte une conscience religieuse : l’aigreur même de l’ouvrier qui produit ce qu’il y a de plus utile, pour en retirer pour lui-même les avantages relativement les moindres, renferme une constatation de l’immoralité profonde de notre civilisation, que ses défenseurs ne peuvent repousser qu’à l’aide de sophismes véritablement ridicules : car s’il est vrai que la richesse ne fait pas le bonheur, celui-là seul qui est dépourvu de tout sentiment oserait nier que la pauvreté fait le malheur (R. et A.).

Reste le désaccord incontestable des deux philosophes sur le rôle de l’Art. Les déclarations de Tolstoï sont formelles : il condamne toutes les œuvres artistiques comme toute civilisation. L’homme, pour être heureux, doit renoncer, plus que tous les autres désirs, le vain désir égoïste des jouissances esthétiques. Il doit ignorer les romans, les drames, les occupations d’affinement intellectuel. Wagner, dans Religîon et Art, montre, au contraire, que le salut viendra aux hommes par l’Art, qui expliquera la vérité, chassera des âmes le funeste aveuglement.

Mais cet Art que Wagner admet et qu’il nous a donné, ce n’est point l’Art véritable, désintéressé de toute tendance à l’utilité. La pièce de fête, Parsifal, n’est plus un drame d’art pur, comme était Tristan et Isolde. L’Art que promet Wagner doit enseigner la vérité, n’a de valeur que celle d’un précepte. Et nous retrouvons encore, ici, avec la différence des moyens proposés, l’identité des objets voulus. Tolstoï a condamné l’Art ; mais il a écrit ces livres de religion et de morale, des contes même pour le peuple. Ce qu’il a espéré faire par de tels traités, confiant à l’universel pouvoir de la seule raison, Wagner l’a cru possible, seulement, par des œuvres de forme artistique. L’écrit Religion et Art révèle la vérité aux penseurs. Parsifal la doit révéler aux ignorants. Tolstoï suppose tous les hommes capables de comprendre pareillement la vérité qui les sauve ; et son livre, s’adressant à tous, vaut pour lui ce que valaient, pour Wagner, ses écrits et ses derniers drames.

L’Art est mauvais s’il reste seulement un Art ; l’Art est sacré, s’il est un moyen à nous faire chercher notre bonheur.

Ainsi le parallèle s’achève, montrant, complète et profonde, chez les deux philosophes, l’accordance des théories.

Voulons-nous, maintenant, résumer ces deux enseignements pareils ? Wagner et Tolstoï nous donnent encore le tableau de ce que serait le Sage, réalisant son bonheur.

Que ses parents aient été, jadis, les nobles princes, ou les serfs des glèbes, le Sage mènera la vie de sagesse, la seule vie de l’Homme. Dans les champs, entre les forêts qui protègent et les plaines fertiles qui nourrissent, il habitera, sain, fort, joyeux. Autour de lui germera l’immense nature, fournissant aux fatals besoins physiques le trésor des aliments végétaux. Le simple vêtement qui le couvrira lui sera un abri des froidures et des pluies, non l’entrave douloureuse de ses membres. Une femme, autrefois choisie, apaisera son besoin sexuel, et lui donnera, encore, la nichée bénie des enfants, moëlle de sa moëlle, et vie de sa vie. Auprès, il verra les hommes, librement pareils ; avec eux il fera les tâches salutaires, partageant le travail commun pour le commun bonheur : le travail facile des moissons, des bâtiments, des vêtements.

Tranquille, il aura, en chaque jour, la satisfaction de ses désirs, de tous ses désirs. Il ignorera les inventions funestes, qui créent des besoins inassouvis. Il ignorera les mystères de l’Economie politique, les pernicieux avantages de l’argent, des luxes, des lointains commerces. Il ignorera la passion des droits électoraux ou civiques, des droits judiciaires, et les mairies et les préfectures.

Il restera, toujours, le maître de son bien ; nul serment n’engagera ses actes prochains, nul orgueil ne troublera sa joie. Si quelque ignorant de la vie le vient attaquer, volontiers il cédera à l’irrésistible, offrira sa pauvreté, et, sûr de n’être jamais violenté ou privé de son bonheur, il plaindra seulement la folie du violent, lui enseignera la majeure délice. Et si quelque bizarre cohorte de mascarade, se nommant, sur des papiers, État ou Empire, le contraint à vêtir un costume bariolé, à tuer, ensuite, des hommes inconnus, ses pairs, il refusera cette fatigue incomprise ; il ira, gaiement, en des maisons, où, toujours, lui seront donnés l’aliment et l’asile, regrettant à peine, dans ces prisons, non les champs et les hommes, mais les anciens besoins de ces choses, qu’il aura perdus.

Il mènera la vie bienheureuse de la santé et de la joie. Le travail rustique, l’absence de vains désirs, longtemps, à son corps donnera la santé comme la paix sereine à son âme. Malade, il oubliera les besoins de la santé, éprouvera plus grande la joie de se voir fort et jeune, dans la jeunesse et la vigueur de son fils.

Ainsi, loin des villes meurtrières et des civilisations cruelles, le Sage, par le renoncement de l’égoïsme, aura, incessante, la bienheureuse vie. Il acceptera la mort sans nulle résignation, mais comme un phénomène indifférent, la transformation, seulement, de quelques organes : car l’illusion d’une âme personnelle et isolée, depuis longtemps aura, devant lui, disparu. Il se saura une partie de l’existence infinie, éternelle, de l’Impérissable Vie, une partie inséparable du Tout, un organe insignifiant de l’Humanité Vivante.

Et ce Sage parfaitement heureux, n’est point le vague Sage idéal des rhéteurs stoïciens. Il est le fils possible de notre sang moderne, et le fils prochain, si les néants qui nous aveuglent, enfin se dissipent, éclairant à chacun la sûre et joyeuse voie de son bonheur.

III

Tolstoï et Wagner ont, en des termes divers, dit, pareillement, la doctrine pareille.

La seule Religion, toute la Religion, est à chercher le bonheur, le bonheur immédiat et présent, le bonheur qui s’acquiert par le Renoncement. Le Renoncement s’exerce par la Compassion, répète Wagner : et Tolstoï ajoute : par la Compassion Agissante.

Cependant, sous la profonde parité des théories, nous éprouvons, lisant les deux livres, deux étrangement différentes émotions. Wagner, sans cesse, invoque les désespoirs de Schopenhauer, affirme lointaine et difficile la Rédemption ; et son œuvre, pourtant, nous est plus consolante. Tolstoï fait voir, en chaque page, aisée et prochaine, et doucement légère, la tâche de salut ; mais sa religion nous lamente et navre, comme par la vision ininterrompue d’un néant fatal.

Relisons les écrits, encore : les causes de cette différence nous deviendront manifestes.

C’est, d’abord, que Wagner montre plus volontiers les splendeurs de la théorie, Tolstoï, ses applications pratiques : il nous force ainsi à réfléchir d’avantage sur nous-mêmes, nous ordonne, plus nettement, les détails de notre guérison. L’idéal moral, d’intime séduction, vêt la forme des durs conseils immédiats. Nous voyons la nécessité du choix prochain, et que Nous le devons faire. Alors les mauvais désirs renaissent, nous apparaissant dans leur séculaire pouvoir, tandis que les évoque Tolstoï, pour leur maudire. Saint est le Renoncement, prodigieux le bonheur du Renoncement ; mais renoncer, aussitôt, tous nos désirs, et les attraits de l’Art, et les charmes des précieuses possessions, et les nobiliaires orgueils, et renoncer le sourire, tièdement embaumé, des vierges !

Plus profonde, une autre raison. Tolstoï et Wagner indiquent le Renoncement dans la Compassion. Mais la Compassion est, pour Wagner, le pitoyant amour, l’intime charité des cœurs, souffrant toutes les souffrances. Parsifal est le Sauveur bienheureux parce qu’il a eu pitié aux douleurs d’Amfortas. Et toujours le Maître vous dit : « Aimez, compatissez, élargissez vos âme ; à vivre toutes les âmes ! » Tolstoï, au contraire, nous recommande, sans cesse, la Compassion agissante, la charité pratique des mains, le Travail pour tous, qui, seul, est bon. Contraint à un commentaire rigoureux des Évangiles, il emploie, souvent, les termes Amour et Pitié. Mais il les emploie à regret, et, par des modèles, nous montre quel sens il leur veut donner. Il nous invite à livrer nos corps, à nous faire les serviteurs de l’Humanité : il n’exige pas le dévouement des âmes. Il semble dire : « Évitez les vaines affections, stériles ; faites le bien, à tous le bien ; livrez vos actes, sans fatigue, sans haine, sans colère, — et sans amour ; travaillez à Tous, mais ne chargez pas vos âmes de passions. Et si vos cœurs restent vides, lorsque vos mains seront pleines de faveurs pour les hommes, laissez en paix vos cœurs et remplissez de faveurs pour les hommes, toujours, vos mains ! »

Stériles sont les affections ; funestes, aussi. La doctrine de Tolstoï les devait condamner.

L’Amour est un Désir, le plus funeste de tous nos Désirs. Aimer les hommes, c’est nous séparer des hommes, dans la conscience orgueilleuse de notre Amour. Aimer les hommes, c’est oser, entre eux et nous, un rapport, dont nous restons, toujours le terme premier. L’amour est une promesse de bonheur, disait Stendhal, (hélas ! combien trompeuse et misérable !) Nos amis nous sont une illusoire somme de plaisirs espérés. Et si nous condamnons les attachements aux choses, quel sophisme excusera le pareil attachement aux hommes ?

L’amour est un Désir : il est tous les désirs. Aimer les hommes, c’est absorber leurs âmes en la nôtre, la grandir de toutes les passions : c’est partager de leurs besoins, souffrir leurs souffrances. Et pourquoi les souffrances, ainsi adoptés, nous seraient-elles joyeuses ?

Le Renoncement répugne tous les désirs. Nous devons chasser les besoins naturels et non nécessaires, et les besoins nécessaires, et vider nos âmes. Est-ce donc à la fin de les remplir par des besoins nouveaux ? Ou bien accueillera-t-on la contradictoire idée d’un amour désintéressé (désintéressé du plaisir d’aimer) ; ou niera-t-on que l’amour commun des hommes est la réunion, seulement, de toutes nos affections particulières !

Mais si l’Amour est funeste, pourquoi la Bienfaisance ? Parce qu’elle nous est, d’abord, un sûr abri des violations cruelles. Si vous êtes utile au prochain, dit Tolstoï, le prochain respectera et protégera votre vie : il vous nourrira malade, pour ne perdre point le travail de vos mains. Et la Bienfaisance, encore, n’est-elle point le moyen de nous arracher à la conscience mauvaise de notre moi égoïste ? Par elle, nous échappons au désir, tout occupés dans l’action incessante et normale. Par elle, nous atteignons le seul bonheur, l’ataraxie guérissante. Par elle, nous oublions le besoin pernicieux d’aimer, livrant nos travaux, sans arrêt, dans le sommeil ininterrompu de nos cœurs.

Ainsi la religion du comte Tolstoï s’achève, maudissant à tous les désirs et à toutes les affections. C’est la vieille doctrine d’Épicure : combien plus profonde ? Et cependant son livre nous demeure désolé, comme une moisson fertile et grasse, que n’éclaireraient point les soleils.

C’est que la doctrine d’Épicure doit être complétée par celle de Platon : c’est qu’il est, au Renoncement, une raison suprême, et que Tolstoï ne l’a point dite. Et le Philosophe, Wagner, a compris cette Raison et il l’a dite49.

Notre égoïsme se peut effacer seulement par un supérieur égoïsme. Nous devons mettre dans le monde des Apparences l’Unité, parce que ce monde est l’œuvre de notre Ame, et que Notre Ame la doit compléter.

Seule vit notre Ame ; elle crée, seule, nos visions, et les hommes, et les animaux, et les grandes plaines odorantes. Elle se projette, sans arrêt, en multiples images, rêves que, volontairement, nous rêvons. Mais l’heure est venue où, sous le poids d’une lassitude, nous avons perdu la science de notre pouvoir. Nous avons cru réel ce que nous réalisions ; nous avons accepté l’égalité humiliante du Non-Moi. Et nous sommes devenus les esclaves de nos créatures : car les désirs sont nés qui nous ont attachés aux choses, les besoins fatals, motifs nous contraignant, désormais, à l’assidue création des mêmes Apparences.

L’Univers est l’œuvre de notre Ame, et nous l’avons élevé au-dessus de notre Ame. Nous avons réduit notre Ame aux limites dépendantes du moi personnel, opposé à toute la variété des êtres créés. Et de l’opposition a surgi la Lutte, où nous périssons.

Maintenant, s’éclaire la théorie du Renoncement ; et la religion de Tolstoï nous apparaît, dans sa vérité. Les désirs nous enchaînant à l’Apparence, douloureuse, nous devons chasser les désirs. Notre corps, enlevé par nous au Monde extérieur dont il est une partie, a limité notre Ame ; nous devons rendre au Monde notre corps, le fondre dans l’Unité idéale de l’Univers, afin que nous rendions l’infinie liberté à notre Ame.

À l’Humanité livrons nos mains ; asservissons nos membres au travail régulier, restituons à la Machine que nous créons ce rouage nécessaire. Puis affranchissons notre Ame de tout lien à cette apparence ; renonçons les désirs, vidons nos cœurs de vaines affections ; cessons aimer l’Irréel.

Chassons les désirs actuels, personnels : mais remplissons-nos âmes par d’autres désirs. Car l’Ataraxie n’est point le Bonheur, mais le Néant ; et le bonheur est dans l’Action des âmes. Julien Sorel, aussi, vainc ses désirs, mais par le Désir, supérieur, de la Victoire.

Dressons, sur les débris de tous nos orgueils mauvais, cet orgueil sacré de la Science. « Connaissez la vérité, disait Jésus, et la vérité vous rendra libres. » Et c’est, encore, la doctrine de Wagner.

Beethoven devient le Mage Divin, parce qu’il ressaisit, sous l’Univers des Apparences, la notion de son pouvoir qui produit ces Apparences. Il renonce les désirs égoïstes, parce qu’il a vu la vanité des humiliants égoïsmes. Mais il ne s’abime point, comme le Sage de Tolstoï, dans l’inactive ataraxie. Au-dessus des Apparences mauvaises, il crée d’autres Apparences, l’Univers radieux de sa Divine fantaisie50.

Et nous, reprenons la science bénie, qui nous va délivrer ! Connaissons nous l’Etre supérieur, et que nos visions ne sont que visions. Mais, avant su notre Pouvoir, usons notre Pouvoir. Abandonnons au monde des Apparences nos corps qui sont apparence. Mais créons l’apparence supérieure de l’art. Dans l’Art est le salut. L’Art est la Rédemption et la Joie. Projetons des autres images, soyons des autres âmes, et à jamais, dans l’Eternité de l’Unique Essence, Chantons, joyeusement, la Région ou Vivre.

Teodor de Wyzewa

L’Or du Rhein, Das Rheingold
Traduction française littérale de la première scène.

NOTE

Ceci est un essai de traduction littérale.

Il y a deux systèmes de traduire : la traduction vulgarisatrice et la traduction littérale.

Assimiler une œuvre étrangère au génie de ses compatriotes ; la montrer claire ; l’expliquer en même temps que la traduire ; la rendre aisément intelligible ; de spécialement allemande la faire française : cela servira pour une très grande expansion de l’œuvre. — Conserver à l’œuvre son caractère national, historique et idiomatique ; lui laisser ses qualités étranges ou répulsives : négliger le souci de tout éclaircissement, — toute amélioration ; traduire simplement le mot par le mot ; rester allemand avec des mots français, garder en les phrases françaises l’œuvre allemande : cela à quelques uns servira pour pénétrer en l’œuvre.

Les œuvres de Richard Wagner nous doivent être traduites sous les deux systèmes.

La traduction vulgarisatrice sera dans quelques années achevée : Tristan, les Maîtres, la Tétralogie, Parsifal seront des poèmes français, que liront les Français, qui seront chantés en les théâtres français, et par lesquels largement sera répandue dans le public français la gloire Wagnérienne. M. Wilder donne la perfection de la traduction vulgarisatrice : sa traduction est exacte de sens ; elle est écrite littérairement ; elle est claire, tellement que les Allemands qui ne comprendront point des vers de la Walkure en chercheront l’intelligence en la Valkyrie ; au lieu des mots inusités, inventés ou renouvelés, du texte allemand, les mots sont ordinaires ; la grammaire, traditionnellement correcte, n’a rien des insolites complications de la grammaire Wagnérienne ; la métrique Wagnérienne est abandonnée pour l’usuelle versification des poèmes dramatiques français, — le vers rimé (nécessaire à une œuvre populaire), non allitéré, coupé selon le goût français non correspondamment au vers allemand ; c’est une francisation de ces œuvres formidablement différentes, une simplification d’elles qui les popularisera et, éminemment, une vulgarisation.

Mais cette traduction ne suffit pas : à la foule, aux théâtres, au grand public elle est bonne, et admirable ; à ceux qui souhaitent une intime connaissance de l’œuvre Wagnérienne, non : il faut la traduction littérale. Mais non un compromis d’élégante prose plus exacte : l’entière concordance du mot sous le mot, de l’archaïsme sous l’archaïsme, du néologisme sous le néologisme, de l’expression contournée, obscure, bizarre, sous l’expression contournée et obscure et bizarre, d’une phraséologie françaisement allemande sous la phraséologie du langage allemand ; chaque mot allemand scruté dans ses primitives racines et rendu par l’équivalent français également scruté, — oui, la traduction des mots suivant leur originelle et étymologique signification, rigoureuse ; et, nettement délimité, amené en son ordre, chaque vers, portant son accent propre, une vie et une puissance spéciales, spéciales à lui ; et, encore, — si cela est possible, — l’allitération et le rhythme des syllabes reproduits, l’aspect sonore du vers51 ; le décalque, en mots français, des mots Wagnériens… C’est l’œuvre qu’il faut essayer, l’œuvre modeste après les grandes, populaires et célèbres traductions vulgarisatrices ; l’œuvre intéressante à quelques rares curieux de l’œuvre Wagnérienne ; l’œuvre de petite renommée ; parmi les multiples éditions promises aux poèmes de M. Wilder, — le tirage d’amateurs, à petit nombre.

Assuré par la collaboration de notre ami, M. H. S. Chamberlain, de ce que je ne méconnaîtrais aucune nuance du langage Wagnérien, j’ai tenté cette tâche… Ce premier fragment est une épreuve ; avant que continuer en commun l’énorme travail d’une littérale traduction de la Tétralogie, il importait que fût soumis à la critique Wagnérienne le système, et un exemple.

E. D.

L’OR DU RHEIN

Prologue à L’Anneau du Nibelung

Première scène

Personnages :

Woglinde, Wellgunde, Flosshilde : Filles du Rhein.

Alberich Nibelung

Au fond du Rhein
Verdâtre lueur, plus claire vers le haut, plus sombre vers le bas. Le haut est empli par une eau agitée qui, incessamment, de droite à gauche, coule. Vers le fond, les flots se perdent en un humide brouillard, toujours plus fin, et l’espace d’une hauteur d’homme à partir du sol paraît être entièrement libre de l’eau qui, comme une traînée de nuages, au dessus du nocturnal fond, flue. De toutes parts se dressent des pointes escarpées de rochers, qui limitent l’espace de la scène ; le sol entier est déchiré d’une sauvage confusion de saillies ; ainsi, il n’est, à nulle part, tout à fait plat, et, en tous côtés, dans la plus épaisse obscurité, il indique de profondes crevasses.
Au près d’un rocher central, Woglinde tourne en un agréant mouvement de nage52.

Woglinde

Weia ! Waga ! vogue, ô la vague, vibre en la vive ! Wagala weia ! Wallala weiala weia !

Wellgunde d’en haut.

Woglinde, veilles tu seule ?

Woglinde

Avec Welgunde je serais à deux.

Wellgunde

Voyons comme tu veilles.

Woglinde

Sûre de toi.

Wellgunde plonge vers le rocher et cherche à attraper Woglinde, qui lui échappe. Les deux se taquinent et se poursuivent.

Flosshilde d’en haut.

Heiaha weia ! sauvages sœurs !

Wellgunde

Flosshilde, nage ! Woglinde fuit : aide-moi poigner la fluante.

Flosshilde

Le sommeil de l’Or, vous gardez mal : mieux veillez au lit de l’assoupi : ou vous paierez, vous deux, le jeu.

Flosshilde plonge en bas entre les jouantes ; avec de gais cris, les deux se séparent ; Flosshilde cherche à attraper ci l’une, çà l’autre ; elles lui glissent, et, enfin, se réunissent pour faire ensemble chasse à Flosshilde. Ainsi, s’élancent-elles, comme poissons, de rocher à rocher, folletant et riant.
Cependant, d’une crevasse sombre sort Alberich, grimpant ; il s’arrête, encore dans l’obscurité, et contemple, d’une complaisance croissante, le jeu des filles.

Alberich

Hehe ! ô Nixes ! comme vous êtes migardes, enviable peuple ! Hors la nuit de Nibelheim, je m’approcherais volontiers, si vous vous penchiez à moi.

Lorsqu’elles ouïssent la voix d’Albérich, les filles s’arrêtent.

Woglinde

Hei ! qui est par là ?

Wellgunde

Cela poind et appelle.

Flosshilde

Guettez qui nous écoute.

Elles descendent et voient le Nibelung.

Woglinde et Wellgunde

Pfui ! le laid !

Flosshilde

Gardez l’Or ; le Père a averti de semblable ennemi.

Flosshilde remonte rapide ; les deux autres la suivent, et elles s’assemblent toutes autour du rocher.

Alberich

Hé ! là, en haut !

Les Trois

Que veux-tu, là, en bas ?

Alberich

Troublé-je votre jeu, lors qu’ébahi ici je reste coi ? si vous descendiez, avec vous s’ébattrait et se lutinerait le Nibelung, volontiers.

Woglinde

Avec nous il veut jouer ?

Wellgunde

Est-ce à lui raillerie ?

Aberich

Comme vous brillez en la lueur, ô claires et belles ! comme volontiers mon bras entourerait une des sveltes, si elle glissait, gracieuse, ci bas !

Flosshilde

Or je ris de la peur : l’ennemi est amoureux.

Wellgunde

L’avide hibou !

Woglinde

Connaissons-le.

Woglinde descend sur la pointe du rocher au pied duquel Alberich est arrivé.

Alberich

Elle se penche si bas.

Woglinde

Or approche toi à moi.

Alberich grimpe agile vers la pointe du rocher ; il est souvent arrêté.

Alberich

Laide, lisse, glissante glace ! comme je glisse ! des mains et des pieds je ne saisis ni ne tiens la lèche-marche.

Humide mouille m’emplit le nez : maudit éternument !

Alberich arrive près Woglinde.

Woglinde Riant.

S’ébrouant, approche la magnificence de mon amant.

Alberich

Mon amante, sois ô féminin enfant.

Alberich cherche à entourer Woglinde qui se dégage, puis monte sur un autre rocher.

Woglinde

Si tu me veux aimer, m’aime ici.

Alberich se grattant la tête.

Aïe ! tu échappes ? reviens donc ! difficile m’est ce que si facile tu atteins.

Woglinde

Va au fond : là tu me gripperas sûr.

Alberich

Certes, mieux là, en bas.

Woglinde s’est envolée sur un troisième rocher, très profond, et Alberich grimpe hâtif vers elle. Woglinde, alors, s’élance, et vite remonte à un autre rocher.

Woglinde

À présent, plutôt vers en haut !

Wellgunde et Flosshilde riant.

Ha ha ha ha ha ha !

Alberich

Comment poignerai je au saut le revêche poisson ? gare, ô fourbe !

Alberich veut grimper hâtif après Woglinde ; Wellgunde se laisse alors tomber sur un rocher profond, d’un autre côté.

Wellgunde

Heia, ô gracieux ! ne m’ouïs tu pas ?

Alberich se retournant.

Appelles-tu après moi ?

Wellgunde

Bien je te conseille : vers moi tourne toi, évite Woglinde.

Alberich

Moult plus belle tu es que cette couarde, cette moins brillante et fort trop glissante… Plonge un peu plus profond, si tu veux m’être bonne.

Alberich grimpe hâtif vers Wellgunde qui se laisse tomber plus près encore lui.

Wellgunde

Or suis je près toi ?

Alberich

Pas encore assez. Tes sveltes bras ennoue autour de moi pour que, lutinant, je tâte ta nuque, qu’avec une flattante chaleur sur ta poitrine gonflée je m’enserre.

Wellgunde

Si tu es amoureux et avide d’amours, voyons, ô beau, comme tu es à contempler… Pfui ! ô poilu, bossu niais ! ô noir, calleux nain souffré ! cherche-toi une amante, à qui tu plaises.

Alberich

Si je ne te plais point, pourtant, je te saisis ferme.

Wellgunde

Ferme donc, ou je m’écoule loin de toi.

Alberich tâche à tenir de force Wellgunde ; elle s’élève rapide à un autre rocher.

Woglinde et Flosshilde riant.

Ha ha ha ha ha ha !

Alberich s’encolère et querelle après Wellgunde.

Alberich

Fourbe enfant ! froid, épineux poisson ! si je ne te parais pas beau, mignard et lutin, lisse et alerte, hei ! courtise avec des anguilles, puis que dégoûtante t’est ma peau.

Flosshilde

Pourquoi querelles-tu, Alp ? déjà si découragé ? tu as aimé deux, si tu demandais la troisième, douce consolation te créerait la chère.

Alberich

Gracieux chant chante vers moi. Comme est bon que vous une seule ne soyez ! de maintes, bien je plais à une : d’une seule, ne me goûterait aucune. Si je te dois croire, glisse ci bas.

Flosshilde

Comme folles vous êtes, pauvres sœurs, si celui point ne vous semble beau !

Flosshilde plonge vers Alberich, qui hâtif s’approche à elle.

Alberich

Pour pauvres et malplaisantes je les peux tenir, depuis qu’ô très gracieuse, je te vois.

Flosshilde

Ô chante toujours, si doux et fin… comme saint ce séduit mon oreille !

Alberich

Mon cœur tremble, tressaille, et se consume, quand me rit si décorante louange.

Alberich caresse familier Flosshilde, qui le repousse avec douceur, puis tendre le tire vers soi.

Flosshilde

Comme ton agrément éjouit mon œil ! comme la mollesse de ton sourire m’afraichit l’âme !… Très bien heureux homme !

Alberich

Très douce fille !

Flosshilde

Si tu m’étais gracieux !

Alberich

Si je te tenais toujours !

Flosshilde

Ton pointant regard, ton hérissée barbe, ô si je le voyais, si toujours je la saisissais ! ton épineux poil, tes raides boucles, si elles s’encoulaient à Flosshilde, éternelles !

Ta figure de crapaud, les croassements de ta voix, ô si je pouvais, ébahie et muette, seuls les ouïr et voir !

Woglinde et Wellgunde qui sont descendues au près d’Alberich, riant.

Ha ha ha ha ha ha !

Alberich effrayé se tire des bras de FIosshilde.

Alberich

Riez-vous de moi, mauvaises ?

Flosshilde

Comme il convient à la fin de la chanson.

Flosshilde et remonte avec les sœurs.

Woglinde et Wellgunde riant.

Ha ha ha ha ha ha !

Alberich

Aïe ! ah ! aïe ! ô peine ! ô peine ! la troisième, si chère, m’a trompé aussi ? Ô outrageuse rusée, déréglée vile clique ! ne nourrissez vous que tromperie, ô inféale engeance de Nixes ?

Les trois filles

Wallala ! Wallala ! lalaleia ! leialalei ! heia ! heiha ! ha ha ! Honte, ô Albe ! point ne gronde là, en bas ! ouïs ce que nous te disons : pour quoi, peureux, n’as tu pas lié la fille que tu aimes ? féales nous sommes et sans tromperie à l’amant qui nous poigne. Grippe vers nous seulement, et ne frissonne pas : dans le flot nous ne nous enfuyons pas faciles. Wallala ! lalaleia leialalei ! heia heia ha hei !

Elles se séparent, nageant, ci et là, en bas, en haut, et excitent Alberich à les chasser.

Alberich

Comme dans mes membres chaude ardeur me brûle et ard ! fureur et amour, sauvage et puissant, me boule l’âme. Quoi que vous riez et mentiez, avide j’ai soif de vous et une me doit échoir.

Il s’apprête, par un effort désespéré, à la chasse ; il grimpe rocher après rocher, courant, ci après une ; ça après une autre des Filles qui, avec des rires moqueurs, toujours lui échappent… Il trébuche, tombe, se relève et remonte plusieurs fois, jusque ce qu’en fin patience le laisse ; de fureur écumant, essoufflé, il s’arrête, et tend son poing vers les Filles.

Alberich

Qu’en poigne une ce poing !…

Il demeure en une muette fureur ; lorsque, soudain, son regard est attiré vers le haut.
À travers du flot, une lueur, toujours plus claire, descend, qui, au sommet du rocher central, peu à peu, s’allume d’un blanc et rayonnant brillement d’or : une merveilleuse clarté d’or de là s’épand parmi l’eau.

Woglinde

Guettez, sœurs : l’éveilleuse rit dans le fond.

Wellgunde

Parmi la verte crue elle salue le joyeux dormeur.

Flosshilde.

Maintenant elle baise son œil, pour qu’il l’ouvre.

Wellgunde

Contemplez, il sourit en la lumineuse lueur.

Woglinde

Parmi les flots, flue sa rayonnante étoile.

Les trois

Heia iaheia ! Heia iaheia ! Wallala la la la leia iahei ! Or du Rhein ! Or du Rhein ! luisante délice, comme tu ris, si clair et saint ! L’ardent brillement brille hors toi sacré en l’onde. Heia iahei ! heia iaheia ! Veille, ami, veille gai ! De joyeux jeux nous épandons à toi : le fleuve vibre, le flot flambe : nous fluons, plongeantes, dansantes, chantantes, en le bienheureux bain, autour de ton lit. Or du Rhein ! Or du Rhein ! heia iaheia ! heia iaheia ! Wallala la la la heia iahei !

En une toujours plus libre délice, les Filles nagent autour du rocher : l’entier flot vibre en un clair brillement d’or.

Alberich dont les yeux attirés puissants par le brillement, s’attachent fixes à l’Or.

Qu’est ce, ô lisses, ce qui, là, ainsi brille et luit ?

Les trois

Où donc, ô rude, est ton siège, que de l’Or du Rhein point tu n’aies ouï ?

Wellgunde

Ne sait-il point, l’AIp, de l’œil de l’Or, qui, tour à tour, veille et dort ?

Woglinde

De la joyeuse étoile en le gouffre aqueux, qui saint, transclaire les vagues ?

Les trois

Vois, comme bien heureuses dans le brillement nous glissons ! si tu veux, ô peureux, en lui te baigner, nage et t’éjouis avec nous ! Wallala la la leia lahei ! Wallala la la leia iahei !

Alberich

À votre jeu de plonge seulement serait bon l’Or ? À moi il vaudrait alors peu.

Woglinde

La parure de l’Or il n’outragerait pas, s’il savait toutes ses merveilles.

Wellgunde

L’héritage du monde, en propre celui gagnerait, qui en l’Or du Rhein créerait l’Anneau, d’où immesurable puissance lui serait donnée.

Flosshilde

Le Père l’a dit, et il nous a mandé qu’avisées nous gardions le clair trésor, pour qu’aucun fourbe au flot ne l’enlève : donc, taisez vous, ô jasante troupe.

Wellgunde

Ô très avisée sœur, nous accuses-tu bien ? mais ne sais-tu pas à qui seul forger l’Or sera accordé ?

Woglinde

Seul qui de l’Amour renonce la puissance, seul qui de l’Amour répudie la délice, seul celui atteint le charme, pour forger en cercle l’Or.

Wellgunde

Bien sûres nous sommes et libres de soucis : car tout ce qui vit veut aimer ; nul ne veut éviter l’Amour.

Woglinde

Et, moins que tous, lui, l’avide Alp : d’amoureux appétit il voudrait périr.

Flosshilde

Point je ne le crains, comme je l’ai trouvé ; la chaleur de son amour m’a brûlée presque.

Wellgunde

Brandon de souffre en la crue des vagues, de colère amoureuse il siffle bruyant.

Les trois

Wallala ! Wallaleia la la ! très aimable Albe, ris-tu pas aussi ? dans la lueur de l’Or comme tu luis beau ! ô viens, aimable, ris avec nous ! heia iaheiha ! heia iaheia ! Wallala la la la leia iahei !

Elles nagent, riant, dans le brillement, de long en large. Alberich, ses yeux fixés sur l’Or, écoute le bavardage des Filles.

Alberich

Du monde l’héritage, gagnerais-je en propre par toi ? si je ne conquiers pas l’amour, pourtant, par ruse, je me conquèrerais la délice ?… Raillez donc encore : le Nibelung s’approche à votre jeu.

Furieux, Alberich saute au rocher et grimpe. Les Filles se séparent, poussant des cris, et remontent de divers côtés.

Les trois

Heia heia ! heia iahei ! sauvez-vous ! il rage, l’Alp ! dans les eaux tout jaillit où il saute : l’amour le fait dément… ha ha ha ha ha ha ha !

Alberich, par un dernier bond, atteint la pointe et met ses mains sur l’Or.

Alberich

Point encore n’avez vous peur ? Ça, courtisez dans les ténèbres, humide engeance ! la lumière je vous éteins ; j’arrache au rocher l’Or ; je forge le vengeant anneau : car l’ouïsse le flot : ainsi, je maudis l’amour.

Il arrache, d’une terrible force, l’Or au rocher, et se précipite en la profondeur. Une nuit épaisse, éclate de toutes parts. Les trois Filles plongent après le voleur…

Les trois filles

Tenez le voleur ! sauvez l’Or ! aide ! aide ! Aïe ! Aïe !

(Traduit par Édouard Dujardin en collaboration avec Houston Stewart Chamberlain).

Bibliographie53

La maison Breitkopf et Hœrtel va publier prochainement
Œuvres posthumes de Wagner, Esquisses, Pensées, Fragments.

Ce volume contiendra, entre autres morceaux, une étude sur le merveilleux dans l’art, des fragments sur Berlioz et une esquisse de les Vainqueursbx. Nous en ferons un compte rendu, détaillé, et en publierons des extraits, notamment des Vainqueurs, le dernier drame projeté par Wagner.

 

Harmonie et Mélodie, par Camille Saint-Saëns (I vol. in-18, 3 francs 50).

M. Saint-Saëns ayant cité et jugé Wagner, la bibliographie Wagnérienne doit nommer son livre. Des études décisives, en ont été faites, ailleurs, par MM. Weber, Jullien, Remacle. J’aurais voulu, à mon tour, examiner les théories Wagnériennes de l’auteur de la Harpe et la Lyre ; telles m’avaient même paru intéressantes, ne serait-ce que par le ton d’évidente sincérité, et d’extraordinaire bonne foi. Mais j’avoue, naïvement, n’avoir pu bien comprendre aucune d’elles. Cette obscurité provient, je crois, de la mauvaise composition dialectique, les preuves — quand il y en a — se trouvant étrangement séparées des arguments qu’elles doivent prouver.

À peine ai-je pu, dans ces longues pages, relever trois affirmations très nettes ; je les cite sans les discuter : 1° M. Saint-Saëns admire, volontiers, l’œuvre de Wagner, mais il n’entend pas être contraint à cette admiration. — 2  La question patriotique qui pouvait, en 1876, être séparée de la question artistique au sujet de Wagner, ne peut plus en être séparée en 1885. — 3° Le duo de Parsifal semblerait, aujourd’hui trop facile à un jeune élève bien doué, de M. Saint-Saëns.

T. de W.

 

La Grèce, par Marius Fontane, cinquième tome de l’Histoire Universelle (I vol. in-8° à 7 fr. 50, chez Lemerre).

Œuvre de science et d’art, où sont des documents à l’intelligence de l’idée Wagnérienne et de la civilisation grecque.

 

Lohengrin à l’Opéra comique : les deux traductions de Lohengrin.

Depuis que la représentation de Lohengrin à l’Opéra-comique a été décidée, une importante question s’est présentée, celle de la traduction du poème.

Sans parler de la traduction en prose des Quatre poèmes, qui date de 1860, il existait depuis 1870 une traduction faite en vers pour la musique, celle de M. Charles Nuitter. Cette traduction n’est pas excellente, cela saute aux yeux ; l’auteur ne paraît pas s’être assez soucié de la valeur littéraire du poème : sa traduction est un pur livret d’opéra.

Représenter Lohengrin à Paris avec ce texte a donc paru hasardeux : qui ne sait que Wagner est non seulement un musicien mais un poète ? et quel démenti donnerait un pareil Lohengrin ! Aussi, l’homme qui s’est consacré à la vulgarisation des poèmes Wagnériens, le traducteur de la Tétralogie (un poème autrement difficile que Lohengrin !) M. Victor Wilder a-t-il songé tout de suite à faire une nouvelle traduction ; et, lorsque M. Lamoureux a monté des fragments de Lohengrin, c’est la traduction de M. Nuitter corrigée par M. Wilder qui a été chantée. Aujourd’hui M. Wilder a refait complètement la traduction de Lohengrîn.

Voilà donc, en concurrence, deux traductions. Mais M. Nuitter possède, par son contrat, le droit exclusif de la traduction de lohengrin, et ne veut pas renoncer à son titre : une pétition a été adressée de Paris à Madame Wagner en faveur ce M. Wilder ; M. Nuitter n’en est pas moins resté maître de la situation. Au point de vue littéraire, entre les deux textes, le choix ne peut être indécis ; celui de M. Wilder l’emporte évidemment ; mais M. Nuitter a déclaré qu’il corrigeait son œuvre ; il s’est mis à la besogne, paraît-il, aidé de hautes collaborations, et, comme il a pour lui des droits légaux, c’est apparemment son texte revu qui sera chanté à l’Opéra-comique.

De cette affaire ressort cette déplorable conclusion, l’absolutisme du monopole. Nul autre que le traducteur en titre ne peut prétendre à traduire l’œuvre de Wagner. M. Wilder ne pourra même pas publier son texte. Quelque chef-d’œuvre de traduction que l’on fasse il est d’avance enseveli. C’est le cours forcé en matière d’art.

Jules de Brayer

Mois wagnérien de juillet

LANDAU

  • 27 juillet : Concert : Marche d’hommage ; Quintette des Maîtres ; Chant d’amour de la Walkure.

LEIPZIG

  • 19 Juillet : Opéra : le Hollandais volant(M. Scaria).

LISBONNE

  • 12 Juillet : Concert du Colisée (dir. Breton) : Ouv. de Tannhaeuser.

LONDRES

  • 9 Juillet : Concert Selwyn Graham : Air des Maitres chanteurs
  • 9 Juillet : Concert H. A. Douglas, à Kensington : Marche de Tannhaeuser.
  • 17 Juillet : Cercle wagnérien : Concert wagnérien.

SHERBORNE

  • 3 Juillet : Concert d’élèves (dir. Louis N. Parker) : Sext. de Tannhaeuser (MM. Carver, Broadbent, Devitt, Morres, Prévost, Hodgson).
  • 11 Juillet : Concert de l’École de chant (dir. Louis N. Parker) : Album-sohate.
  • 17 Juillet : Concert militaire : Marche de Tannhæuser.
  • 25 Juillet : Concert de l’École de chant : Album-blatt.

SONDERSHAUSEN

  • 9 Juillet : Opéra : Tristan et Isolde (pour la première fois) (MM. Lederer, Büttner, Schulz-Dornburg, mesdames Morau-Olden, Sthammer-Andriesen) (dir. M. Carl Schrœder).

VIENNE

  • 21 Juillet : Opéra : Lohehgrin (Mlle Baumgartner).
  • 24 Juillet : Opéra : le hollandais volant.

Mois wagnérien d’août

BERLIN

  • 16 août : Opéra : les Maîtres Chanteurs.

BIRMINGHAM

  • 16 août : Festival (dir. Richter) : Ouv. de Tannhaeusér ; Select. de Tristan ; Chant d’amour de la Walkure.

DRESDE

  • 1er août : Opéra : Tannhæuser.
  • 11 août : Opéra : Tristan et Isolde.
  • 15 août : Opéra : les Maîtres chanteurs.
  • 18 août : Opéra : la walkure.
  • 28 août : Opéra : Lohengrin.

GENÈVE

  • 11 août : Concert du Kursaal : Marche de Tannhaeuser.

LEIPZIG

  • 2 août : Opéra : Tannhæuser.
  • 9 août : Opéra : Lohengrin.
  • 20 août : Opéra : Les Maîtres Chanteurs.

MUNICH

  • 9 août Opéra : Lohengrin.
  • 25 août Opéra : Tannhæuser.

PESTH

  • Août Opéra : Lohengrin (pour la première fois en hongrois).

PRAGUE

  • 2 août : Opéra : Lohengrin.
  • 12 août : Opéra : Tannhæuser.
  • 16 août : Opéra : Lohengrin.

VIENNE

  • 4, 10 août : Opéra : Lohengrin (MM. Nachbaur, Wiegand).

Correspondances.

MUNICH. — Depuis quelques années, le théâtre de Munich consacre les mois d’août ou de septembre à des Cycles Wagnèriens, qui attirent toujours un assez grand nombre de Français. Cette année, l’Anneau du Nibelung a été joué, en entier et sans coupures, les 8, 9, 11 et 13 septembre. Parmi les Français venus là, notons M. Lamoureux et Mlle Lamoureux, M. Victor Wilder, M. Albert Bataille du Figaro, M. Robert de Bonnières, la comtesse de Chambrun, M. Emmanuel Cosquin de Vitry le François ; on remarquait aussi Hans de Bülow, qui, paraît-il, entendait pour la première fois la Tétralogie.

Les représentations ont été très bonnes ; l’orchestre, dirigé par l’admirable capellmeister Hermann Lévi, est toujours merveilleux : l’œuvre de Wagner est traduite en toutes ses nuances, avec une précision et une finesse sans égales. Les chanteurs étaient Vogl (à la fois Loge, Siegmund et Siegfried) le premier chanteur wagnérien, au dire de beaucoup ; Mme Vogl (Brünnhilde), si excellente musicienne ; Gura, suffisant comme Wotan ; deux artistes de première valeur, Schlosser (Mime) et Fuchs (Alberich) ; encore Mmes Weckerlin et Blanke, MM. Siehr et Kindermann.

La mise en scène reste la même, passable.

Trîstan a été représenté huit jours plus tard, avec M. et Mme Vogl qui y ont leurs plus difficiles et leurs meilleurs rôles.

M.

 

BRUXELLES. — Le théâtre de la Monnaie va représenter cet hiver, en français pour la première fois, la Walkure, traduite par M. Victor Wilder.

Voici un tableau des représentations d’Opéra de Vienne et Berlin, en 1884 :

à Vienne. à Berlin.
nombre d’œuvres. de représent. d’œuvres. de représent.
Wagner 10 53 7 10
Meyerbeer 5 36 4 16
Verdi 5 26 3 9
Donizetti 5 20 3 8
Auber 4 17 2 8
Rossini 2 15 2 9
Gounod 2 11 1 7
Mozart 3 9 4 15
Weber 1 3 4 18
Beethoven 1 3 1 6

 

Le Directeur gérant : Edouard Dujardin.