(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 183-184
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 183-184

Saint-Amand, [Marc-Antoine de Gerard, Sieur de] de l’Académie Françoise, né à Rouen, mort en 1660, âgé de 67 ans.

Plusieurs morceaux de ses Poésies font juger qu’il étoit né Poëte, & qu’il auroit pu laisser d’excellens Ouvrages, si, se livrant moins à sa facilité, il l’eût assujettie aux regles du goût. On goûte encore son Ode sur la Solitude, malgré la bizarrerie de quelques Strophes mal-adroites & triviales. Il en est de même de sa Rome ridicule, où l’on rencontre des morceaux agréables. On sait qu’il a fait un Poëme de Moïse sauvé, divisé en douze Livres ou Chants, que Boileau a justement ridiculisé. Ce Satirique n’a pas été aussi équitable, en exagérant la pauvreté de ce Poëte :

Saint-Amand n’eut du Ciel que sa veine en partage ;
L’habit qu’il eut sur lui fut son seul héritage :
Un lit & deux placets composoient tout son bien ;
Ou, pour mieux en parler, Saint-Amand n’avoit rien.

Quand même cette pauvreté eût été réelle, elle n’étoit point du ressort de la Satire. Les travers & les ridicules peuvent fournir matiere à la plaisanterie, mais l’infortune doit au moins trouver grace devant une ame honnête. D’ailleurs, Saint-Amand ne manqua jamais du nécessaire, quoiqu’il ne fût pas riche, à la vérité. On dit qu’il avoit une maniere de réciter ses Vers, qui les paroit d’un mérite dont ils étoient bien éloignés, ce qui donna lieu à cette agréable Epigramme de Gombaud.

Tes Vers sont beaux quand tu les dis ;
Mais ce n’est rien quand je les lis :
Tu ne peux pas toujours en dire,
Fais-en donc que je puisse lire.

Il n’étoit pas fils d’un Gentilhomme Verrier, comme Maynard l’a fait accroire à plusieurs Biographes, par cette autre Epigramme.

Votre noblesse est mince,
Car ce n’est pas d’un Prince,
Daphnis, que vous sortez.
Gentilhomme de verre,
Si vous tombez à terre,
Adieu vos qualités.

Il étoit fils d’un Chef d’Escadre, ainsi qu’il le dit lui-même dans l’Epître Dédicatoire de la troisieme Partie de ses Œuvres, où il nous apprend que son pere avoit commandé, pendant vingt-deux ans, une Escadre d’Elisabeth, Reine d’Angleterre, & qu’ayant été pris dans une de ses courses, il resta trois ans prisonnier à Constantinople.