(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 433-434
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 433-434

GOURNAY, [Marie Jars de] morte à Paris en 1645, âgée de 80 ans, fut en haute considération parmi nos premiers Académiciens.

Elle étoit très-jalouse de la société des Beaux-Esprits ; & quiconque prétendoit à ce genre de gloire, devoit, avant toutes choses, un tribut à sa vanité. A ce ridicule près, qui n’en est plus un aujourd’hui, à force d’être commun, Mademoiselle de Gournay n’étoit pas sans mérite. Son esprit étoit orné ; elle avoit l’imagination vive & agréable, une érudition peu commune parmi les personnes de son sexe. Il est facile de s’en convaincre par ses Ouvrages, dont les derniers mots paroîtront certainement singuliers. « Si ce Livre me survit, dit-elle, je défends à toute personne, telle qu’elle soit, d’y ajouter, ni diminuer, ni changer jamais aucune chose, soit aux mots ou en la substance, sous peine à ceux qui l’entreprendront, d’être tenu pour détestables aux yeux des Gens d’honneur, comme violateurs d’un sépulcre innocent…. Les insolences, voire les meurtres de réputation que je vois tous les jours en pareil cas en cet impertinent siecle, me portent à lâcher cette imprécation ». De si terribles anathêmes ont effrayé le Lecteur, & c’est apparemment pour ne pas s’exposer à la tentation qu’elle redoutoit si fort, qu’on ne lit plus ses Ouvrages. On leur rendroit cependant un grand service d’en retrancher une infinité de mots surannés, pour lesquels Mlle de Gournay a toujours eu la plus tendre affection, ce qui engagea Ménage à la faite figurer dans sa Requête des Dictionnaires. Le Cardinal de Richelieu ne pouvoit s’empêcher de rire, quand il lui en entendoit prononcer. Tant mieux, lui répondit-elle un jour, je fais un grand bien à la France. La finesse de ce mot consistoit à faire entendre au Ministre qu’elle conservoit les jours de son Eminence en l’égayant, genre de flatterie plus fait pour plaire à celui qui en étoit l’objet, qu’au Lecteur, qui n’en jugera pas de même.

Il ne faut pas ignorer que Mlle de Gournay fut fille adoptive de Michel Montagne, choisi par elle même pour pere, après la mort de ses parens. On lui doit une édition des Essais, avec une Préface à sa maniere, où l’on trouve des traits de sens, d’esprit & d’érudition, qui ont fourni, par parenthèse, à Pasial, trois ou quatre de ses plus brillantes pensées.