Tourneur, [Pierre le] Censeur Royal, & ancien Secrétaire général de la Librairie, né à Valognes en 17..
Il a eu un mérite bien rare parmi les Traducteurs, celui de surpasser son original. Les Nuits d’Young, telles qu’il les a données dans notre Langue, sont préférées à l’Ouvrage Anglois. Peu de Livres ont eu autant de succès que celui-ci, & peu en ont été plus dignes. M. le Tourneur a eu le talent d’embellir, par une touche aussi vigoureuse que sublime, les moindres pensées du Poëte lugubre & énergique qu’il a traduit, mérite qui ne doit pas paroître médiocre aux yeux de ceux qui savent que la Langue Angloise est supérieure à la nôtre, pour rendre les idées sombres, fortes & pittoresques.
Cet Auteur travaille présentement, en Société avec M. le Comte de Catuélan & M. Fontaine Malherbe, à la Traduction du Théatre de Sakespeare, dont on a déjà publié trois volumes. Cette Traduction, à laquelle il a, dit-on, la principale part, lui a attiré les anathêmes du Patriarche que les Lettres & la Philosophie viennent de perdre : M. de Voltaire, offensé de ce qu’on n’a pas parlé de ses Tragédies dans le Discours qui précede celles du Poëte Anglois, ne put retenir son ressentiment, comme il est aisé d’en juger par plusieurs de ses Lettres, & entre autres, par celle qui est imprimée dans la seconde édition du Bureau d’Esprit, où il traite M. le Tourneur de faquin, de maraud, d’impudent imbécille, de monstre, &c. Tachez , dit-il ensuite à la personne à qui cette honorable Lettre est adressée, tâchez, je vous prie, d’être aussi en colere que moi, sans quoi je me sens capable de faire un mauvais coup.
Les réflexions se présentent ici en foule à notre esprit : nous nous contenterons de remarquer qu’il n’y a peut-être pas d’homme de Lettres plus honnête, ni qui ait des mœurs plus douces, que celui que M. de Voltaire traitoit, peu de jours avant sa mort, de maraud & de monstre.
Au reste, M. le Tourneur a été couronné dans plusieurs Académies ; mais, nous le répéterons toujours, & nous sommes aujourd’hui plus en droit que jamais de le répéter, ces Couronnes ne sont que la moindre partie de la gloire de tout homme de mérite.