(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 552-553
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 552-553

PRADON, [Nicolas] né à Rouen, mort à Paris en 1698.

Madame de Sévigné, Madame Deshoulieres, St. Evremont, le Duc de Nevers, &c. ont fait tort à leur réputation, en s’efforçant d’élever ce Poëte médiocre au dessus de ce qu’il valoit. Ils purent bien comparer sa Phédre à celle de Racine, faire des Sonnets, débiter des Plaisanteries, cabaler dans les Sociétés de leur temps, ressource ordinaire des Présidens & Présidentes des Bureaux d’esprit ; le pauvre Pradon n’y gagna que du ridicule. Son mérite étoit trop foible, pour se soutenir contre l’éclat du génie même. Le Public, toujours Juge équitable, quoique très-peu attentif à se défier des préjugés, revint enfin à admirer ce qui est vraiment admirable, & réprouva l’Idole absurde qu’on lui avoit présentée.

On peut juger, par cet exemple, combien les réputations factices sont inconstantes dans leur durée.

Pradon perdit, par le faux enthousiasme de ses Prôneurs, le droit qu’il pouvoit avoir à l’estime pour quelques-unes de ses bonnes Productions. Tamerlan & Régulus, deux de ses Tragédies qu’on jouoit encore il n’y a pas long-remps, sont de beaucoup supérieures aux Pieces des Pradons de notre Siecle. Le Régulus de M. Dorat n’est pas capable de faire oublier le sien. Un peu plus de versification que Pradon, & après cela une intrigue mal conduite, des caracteres mal dessinés, le costume mal observé, ne sauroient justifier l’indulgence du Spectateur, qui a laissé parvenir cette Piece jusqu’à la quatorzieme représentation.

Pradon avoit sur-tout des talens pour la Poésie légere, & savoit y répandre de la finesse & du sentiment. On a retenu plusieurs de ses Madrigaux, un, entre autres, adressé à Mlle Bernard qu’il aimoit, & qui ne lui répondoit que par des plaisanteries : Vous n’écrivez que pour écrire, &c.