(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 289-290
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 289-290

Bertaud, [Jean] Evêque de Sées, né à Caen, mort en 1611.

Ami de Ronsard, il se laissa d’abord éblouir par le faux brillant de sa Poésie ; mais il reconnut bientôt son erreur, pour s’attacher à la maniere de Desportes, qui étoit aussi son ami, & qui pouvoir lui servir de modele pour la douceur & le naturel de ses vers ; il le surpassa même par la pureté de son style & la sagesse de sa Muse.

Les Poésies de Bertaud roulent presque toutes sur des sujets de piété, où la Morale présentée avec des graces intéressantes, est propre à se faire goûter des Lecteurs de toutes les classes. On peut les lire encore aujourd’hui, parce qu’on y trouve une fraîcheur de coloris que le temps n’a point flétrie. Ses Stances ont une tournure, une cadence qui plaît à l’oreille, en même temps que les pensées qu’elles contiennent, pénetrent le cœur & flattent l’esprit. On peut en juger par cette Chanson, que l’austérité de MM. de Port-Royal n’a pas empêché d’admirer & même de placer dans leur Commentaire sur Job.

Félicité passée,
Qui ne peux revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n’ai-je en te perdant, perdu le souvenir !
Hélas ! il ne me reste
De mes contentemens,
Qu’un souvenir funeste,
Qui me les converit à toute heure en tourmens.
Le sort plein d’injustice,
M’ayant enfin rendu
Ce reste, un pur supplice ;
Je serois plus heureux, si je l’avois perdu.

Il y a plus de cent cinquante ans que ces vers sont faits : mais tel a toujours été l’empire du sentiment ; il fait vivre les Ouvrages, comme il nourrit, anime & embellit la Société.