(1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128
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(1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Année 1880

Jeudi 1er janvier 1880

Les derniers vieux de la famille sont en train de s’en aller. Aujourd’hui de Béhaine ne peut dîner chez Mme Masson, parce qu’il garde sa mère, qui est bien, bien malade.

Vendredi 2 janvier

Un triste coup d’œil que mon jardin, ce matin. La moitié de la verdure persistante est de la couleur d’un artichaut à la barigoule, l’autre moitié de la couleur du papier brouillard, avec lequel nos mères faisaient leurs papillotes. Voilà un jardin tué deux fois, en dix ans. C’est excessif. La température française, se montre trop inclémente aux arbustes rares, pour que je recommence. Je vais planter des lilas.

Mardi 6 janvier

On causait de la pingrerie de Grévy. Là-dessus un académicien récemment nommé, de dire : « Moi, je ne sais qu’une chose, c’est lorsque j’ai été lui faire ma visite d’académicien, nous avons été reçus dans un salon si froid, si gelant, que Camille Doucet a pris une allumette se trouvant dans un coin, et a mis lui-même le feu au bois dans la cheminée. »

Vendredi 9 janvier

« Je vous présente mon élève », dit un jour à Bracquemond un vieux collectionneur d’une originalité toute particulière. Or, l’élève était une belle, grande femme en chemise, ayant sur le dos la redingote du monsieur, et toute recouverte et voilée dans le bas de sa personne d’une vieille tapisserie qu’elle raccommodait pour la collection du bibeloteur sexagénaire.

Mercredi 14 janvier

Aujourd’hui, je reste toute la journée triste de la visite d’un cousin dans le malheur, qui a le teint des gens qui ne mangent qu’incomplètement, et qui est par là-dessus entouré de je ne sais quoi de piteux des gens, sans chance — et cela avec une espèce de satisfaction de son sort, qui m’agace.

Vendredi 23 février

Des jours de souffrance, de faiblesse physique, de lâcheté morale, où peu à peu je perds l’énergie de sortir de chez moi, et où je m’habitue à une existence emprisonnée dans mon cabinet de travail, sans vouloir même descendre à la salle à manger pour y prendre mes repas.

Dimanche 1er février

Hier Tourguéneff donnait à Zola, à Daudet, à moi, un dîner d’adieu avant son départ pour la Russie.

Il part pour son pays, cette fois, travaillé par un sentiment assez étrange d’incertitude, sentiment, dit-il, qu’il a éprouvé dans sa première jeunesse, en une traversée de la Baltique, où le bâtiment était complètement entouré de brouillard, et où il n’eut pour compagnon, qu’une singesse, enchaînée sur le pont.

Puis, pendant que nous sommes encore seuls, il se met à parler de la vie qu’il va mener dans six semaines, de son habitation, de la soupe à la poule, l’unique plat que sait faire son cuisinier, et des conférences qu’il a sur un petit balcon, presque au ras de terre, avec les paysans, ses voisins.

En délicat observateur et fin comédien, il me donne la représentation des trois couches de la génération actuelle : les vieux paysans, dont il imite le parler sonore et vide, et composé de monosyllabes et d’adverbes qui ne concluent jamais ; les fils de ces paysans à la parole avocassière et belle-diseuse ; les petits-fils, la couche silencieuse, diplomatique, et souverainement destructive. Et comme je lui dis que ces colloques doivent l’ennuyer il me répond que non, et que c’est très curieux, ce que l’on tire parfois de ces gens sans instruction, et dont la tête sans cesse travaille dans la solitude et le recueillement.

Zola entre, appuyé sur une canne, se plaignant d’une douleur rhumatismale dans la cuisse. Il nous confesse, qu’à la publication de son roman dans Le Voltaire, l’écriture de la chose lui a paru détestable, et que pris d’un accès de purisme, il s’est mis à le récrire complètement, en sorte, qu’après avoir travaillé, toute la matinée, à la composition de ce qui n’était pas fait, il passait toute la soirée, à reprendre et à retravailler son feuilleton. Et ce travail l’a tué, absolument tué.

Enfin Daudet arrive avec son succès de la veille, au Vaudeville, sur la figure, et l’on se met à table, au milieu de cette phrase de Zola, qui revient comme un refrain : « Décidément, je crois que je vais être obligé de changer mon procédé !… il me paraît usé… diantrement usé !… »

Le dîner a commencé gaiement, mais voici que Tourguéneff parle d’une constriction du cœur, survenue la nuit, il y a quelques jours, constriction mêlée à une grande tache brune, sur le mur en face de son lit, et qui dans un cauchemar, où il se trouvait moitié éveillé, moitié dormant, était la Mort.

Alors Zola d’énumérer les phénomènes morbides, qui lui donnent la peur de ne pouvoir jamais finir les onze volumes, lui restant à écrire. Et Daudet de s’écrier : « Moi, ça été huit jours une plénitude de la vie, pendant laquelle j’aurais embrassé les arbres… Puis, une nuit, sans avertissement, sans douleur, je me suis senti quelque chose de fade et de gluant dans la bouche — et il fait le geste d’en retirer une limace — et après ce caillot, trois fois des flots de sang qui ont rempli mon lit… Oui, c’était une déchirure du poumon… et depuis ce temps je ne puis cracher dans mon mouchoir, sans regarder s’il n’y a pas de ce sacré sang ! »

Et chacun, tour à tour, conte les hantises de la mort près de son individu.

Mardi 10 février

Un drôle de corps que ce Doré. Ce soir, chez Sichel, après dîner, il fait des tours à la Houdin, joue du violon, se livre à un tas de pitreries, entremêlées de phrases bourbeuses d’esthétique. Il ne dit qu’une chose juste : c’est que l’illustration n’est amusante pour un artiste, qu’avec les génies du passé, qui écrivent : « Il entra dans un bois sombre, où il arriva devant un palais, dont les murs semblaient de diamant. »

* * *

— Quelle diablesse de lettre peut écrire au restaurant, une femme honnête flanquée de son mari, — et une lettre de huit pages, tracée d’une main gantée, avec sa voilette sur les yeux.

* * *

— Donner, ce que je ne trouve nulle part, l’accent fiévreux de la vie du xixe  siècle, et sans le rassis et sans le refroidissement de l’écriture : c’est notre grande tentative.

* * *

— Une femme rencontrée en chemin de fer, et qui toussait.

Une tiède pâleur, à tout moment, rosée d’animation passagère, le bleu sombre de l’œil pareil à une lumière de nuit, des traits découpés et sculptés dans la chair, une coiffure retroussée à la Diane, découvrant le précieux modelage des joues, des tempes, et une petite oreille au contour transparent.

* * *

— Une femme de ma connaissance disait qu’elle croyait pouvoir, sans se tromper, juger assez bien moralement les femmes qu’elle rencontrait dans la société, en les voyant manger : ainsi pour elle, une femme qui mangeait du foie gras, sans pain, était nécessairement une femme sensuelle.

* * *

— Aujourd’hui, pendant la messe de mort de Mme X…, je pensais à la beauté jolie de ses vingt-huit ans, au rosé de fleur de sa peau, à la grâce molle de sa taille, et je me revoyais, de quatorze à dix-sept ans, enfantinement amoureux d’elle, et tout heureux de me frotter à ses robes de mousseline blanche, de me trouver dans l’air où elle vivait.

Je me rappelais une fois, où par hasard à la campagne, chez elle, on m’avait improvisé, par terre, un lit dans une chambre, et qu’elle eut besoin, lorsque j’étais couché, de traverser cette pièce, sa toilette de nuit déjà faite. Pour la serrer dans mes bras, la créole aux yeux bleus, aux cheveux blonds, j’aurais donné ma vie avec joie, je l’aurai donnée, comme la donne Chérubin, sans hésitation, sans regret, ainsi qu’une chose payée outre mesure.

Mercredi 25 février

De Nittis déjeune chez moi, et tout en mangeant, il sort de sa bouche un récit de sa vie : un de ces récits qu’on ne fait qu’une fois, dans de certaines conditions de bonheur, de plaisir, d’expansion.

Il a commencé à dessiner à l’école des Beaux-Arts de Naples, mais s’est refusé à faire des études au Musée. Il trouvait les tableaux anciens tout noirs, et l’atmosphère du dehors, toute claire, toute blonde, toute gaie. Alors il est parti à la campagne, pour une propriété de sa famille, et il est parti avec sept vessies de couleur, emportant sur lui, selon une expression de son frère, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Puis sans maître, sans guide, sans conseil, il s’est mis à peindre avec amour et rage.

Au bout d’un an, il revenait à Naples, exposait, avec un certain succès, mais les ennuis qu’il éprouvait, de la part de ses frères hostiles à sa vocation, le décidèrent à quitter Naples, avec l’idée d’aller à Paris. Il se rendait à Rome, où il vendait un tableau 25 francs, gagnait Florence, où il n’était sensible qu’à la peinture des Primitifs, attrapait Milan, où sur les 650 francs qui lui restaient, il était volé de 500 francs, dans son auberge, par des voleurs qu’il qualifie de véritables artistes.

Donc 150 francs étaient toute sa fortune, et le voyage en troisième jusqu’à Paris, coûtait une centaine de francs. Ma foi, il n’hésitait pas, et le voici en France, dont il ne sait rien, où il ne connaît personne.

Il a entendu dire qu’il y avait un sculpteur napolitain, qui demeurait place du Mont-Parnasse. À la descente du chemin de fer, il se fait conduire là, par l’omnibus. De l’impériale, on lui jette sa petite malle, et sa grosse boîte à couleurs, qui s’ouvre en tombant, et dont les pinceaux et les couleurs se répandent dans le ruisseau. Il les ramasse tant bien que mal, entre dans le petit hôtel qu’on lui indique, prend en haut une mansarde, s’étend sur le lit. Il faisait, ce jour-là, une de ces journées d’été sans soleil, et une triste lumière d’un fond de cour lui tombait, par une tabatière, sur la figure, une lumière qu’il voyait sur lui, comme sur un cadavre. Dans cette grande ville inconnue, sans relations aucunes, sans une lettre de recommandation, sans même la connaissance de la langue qu’on y parle, il se sent tout à coup pris d’un immense découragement, au milieu duquel il s’endort.

Le jour était tombé quand il se réveille. Il se met à la recherche d’un endroit pour manger, et découvre une gargote, où on lui fait payer sept francs son dîner. Il retombe dans la rue, se dirige au hasard, arrivant au bout de deux heures, sur le boulevard des Italiens. Là, dans cette allée et venue d’hommes et de femmes, dans ce mouvement, dans cette vie de la foule parisienne, sous les lumières du gaz, le noir soudain, que le jeune artiste a en lui, ce noir s’évanouit, et il est transporté, enthousiasmé, par la modernité du spectacle. Puis au bout de quelques instants, au café du coin de la rue de Richelieu, deux ou trois : « Ah ! comment te voilà ! » de compatriotes, lui enlèvent toute inquiétude, tout souci, toute préoccupation d’avenir.

Et sans demander, en pleine nuit, il retrouve son hôtel de la place du Mont-Parnasse, ce que, dit-il, il ne pourrait faire aujourd’hui.

* * *

— La littérature, c’est ma femme légitime, les bibelots, c’est ma p….. mais pour entretenir cette dernière, jamais, au grand jamais, ma femme légitime n’en souffrira.

Samedi 23 février

Les juives gardent de leur origine orientale, une nonchalance particulière. Aujourd’hui, je suivais d’un œil charmé, les mouvements de chatte paresseuse, avec lesquels Mme *** pêchait, au fond d’une vitrine, ses porcelaines et ses laques, pour me les mettre dans la main. Puis quand elles sont blondes, les juives, il y a au fond de leur blondeur, comme de l’or de la peinture de la maîtresse du Titien.

L’examen fini, la juive s’est laissée tomber sur une chaise longue, et la tête penchée de côté, et montrant au sommet un enroulement de cheveux, qui ressemblait à un nœud de couleuvres, elle s’est indolemment plainte, avec toutes sortes d’interrogations amusantes de la mine et du bout du nez, de cette exigence des moralistes et des romanciers, demandant aux femmes qu’elles ne fussent pas des créatures humaines, et qu’elles n’eussent pas dans l’amour les mêmes lassitudes et les mêmes dégoûts que les hommes.

* * *

— Avez-vous remarqué, me disait une amie, comme les femmes bêtes ont quelquefois de l’esprit, du véritable esprit, quand elles disent du mal de leurs maris ?

Dimanche de Pâques, 28 mars

Aujourd’hui, nous partons, Daudet, Zola, Charpentier et moi, pour aller dîner et coucher chez Flaubert, à Croisset.

Maupassant vient nous chercher, en voiture, à la gare de Rouen, et nous voici reçus par Flaubert, en chapeau calabrais, en veste ronde, avec son gros derrière dans son pantalon à plis, et sa bonne tête affectueuse.

C’est vraiment très beau sa propriété, et je n’en avais gardé qu’un souvenir assez incomplet. Cette immense Seine, sur laquelle les mâts des bateaux, qu’on ne voit pas, passent comme dans un fond de théâtre ; ces grands arbres aux formes tourmentées par les vents de la mer ; ce parc en espalier ; cette longue allée-terrasse en plein midi, cette allée péripatéticienne, en font un vrai logis d’homme de lettres — le logis de Flaubert, après avoir été au xviiie  siècle, la maison conventuelle d’une société de Bénédictins.

Le dîner est excellent ; il y a une sauce à la crème d’un turbot, qui est une merveille. On boit beaucoup de vins de toutes sortes, et la soirée se passe à conter de grasses histoires, qui font éclater Flaubert, en ces rires qui ont le pouffant des rires de l’enfance. Il se refuse à lire de son roman. Il n’en peut plus, il est esquinté. De bonne heure, on va se coucher, en des chambres, meublées de bustes de famille.

Le lendemain, on se lève tard, et l’on reste renfermé à causer : Flaubert déclarant la promenade un échignement inutile. Puis l’on déjeune et l’on part.

Nous sommes à Rouen. Il est deux heures et nous ne serons à Paris qu’à cinq. Donc la journée est perdue. Je propose de battre les marchands d’antiquités, de faire un petit dîner fin, et de ne revenir que le soir. On accepte, à l’exception de Daudet qui a un dîner de famille. Nous n’avons pas fait cinquante pas, que nous nous apercevons que les boutiques sont fermées — nous n’avions pas songé que nous étions le lundi de Pâques. — Enfin une boutique entrebâillée, et une paire de chenets, qu’on nous a faits 3 000 francs.

Nous revoilà dans la rue, où bientôt nous nous trouvons si désheurés, que nous entrons dans un café où nous jouons au billard, deux heures et demie, nous asseyant tour à tour, morts de fatigue, sur les angles du billard, en disant : « Quel four ! »

Enfin six heures et demie, nous nous rendons dans le grand hôtel, pour le dîner fin. « Quel poisson avez-vous ? — Monsieur, il n’y a pas aujourd’hui un seul morceau de poisson dans la ville de Rouen ! » Et le solennel maître d’hôtel nous propose des côtelettes de veau.

Mercredi 31 mars

Je ne sais qui disait hier, que les hommes de lettres ayant une originalité sont rencoignés et renforcés dans leur originalité par la critique, qui fait d’eux des espèces de types exagérés, sur lesquels ils sont condamnés à se modeler aveuglément, tout le reste de leur vie — et il citait Mérimée.

* * *

— Sous le ciel implacablement bleu, se profilant sur la mer, une procession de petits nègres qui marchent tout nus, à la queue leu leu, un gros cigare à la bouche, et au milieu du ventre un nombril comme leur cigare : c’est un tableau causé de Cuba, par Hérédia.

Samedi 3 avril

Une assiette de 700 francs, oui, une assiette de ce prix ridicule, je me paye cela, moi misérable ! Mais c’est l’assiette à la mésange sur une tige de magnolia en fleurs, l’assiette coquille d’œuf de la collection du président M. ***, de la collection de Barbet de Jouy.

* * *

— Dans la vie, il y a des successions de bonnes et de mauvaises chances, semblables à ces courants d’eau chaude et ces courants d’eau froide, que trouve, en mer, un nageur.

* * *

— Dans Gavarni et L’Art du dix-huitième siècle, j’ai écrit l’histoire du grand art que je sentais. Dans La Maison d’un artiste au dix-neuvième siècle, j’écris l’histoire de l’art industriel de l’Occident et de l’Orient, et l’on ne se doute pas, à côté de moi, que je prends la direction d’un des grands mouvements du goût d’aujourd’hui et de demain.

Jeudi 22 avril

Je dîne aujourd’hui chez Zola. Zola est triste, triste d’une tristesse qui donne à son rôle de maître de maison quelque chose de somnambulesque. Il s’échappe à dire, un moment : « Ah ! si j’avais été mieux portant, j’aurais été, cet hiver, n’importe où… j’avais besoin de m’en aller d’ici ».

C’est curieux ce navrement au milieu de cet immense succès.

* * *

— De Nittis m’affirmait, qu’il y avait un onguent particulier pour le visage des papes, fabriqué par une congrégation religieuse : un onguent qui donne la plus extrême fraîcheur à leurs vieux traits, jusqu’au jour de leur mort.

Jeudi 6 mai

Il n’y a que Paris pour ces tragédies bourgeoises. Ces jours-ci est morte, une semaine après son mari, Mme X… La maison X…, sans un capital bien connu, était une maison à chevaux, à voitures, à nombreux domestiques. La malade est morte dans son lit, sans avoir été complètement déshabillée, pendant cinq jours, par ses femmes faisant une noce d’enfer avec les domestiques dans le sous-sol ; et des sinapismes ayant été commandés par le médecin, c’est le cocher complètement saoul, qui les lui a posés sur ses bas, oui, sur ses bas, qui n’avaient pas été retirés.

Samedi 8 mai

Est-ce que vous allez dimanche chez M. Flaubert ? venait de me dire Pélagie, quand la petite a mis sur la table une dépêche, qui contenait ces deux mots : Flaubert mort ! » Oh ! pendant quelque temps, un trouble de mon individu, dans lequel je ne savais pas ce que je faisais, et dans quelle ville je roulais en voiture. J’ai senti qu’un lien, parfois desserré, mais inextricablement noué, nous attachait secrètement l’un à l’autre. Et je me rappelais, avec une douloureuse émotion, la larme tremblante au bout d’un de ses cils, quand Flaubert m’embrassa en me disant adieu, au seuil de sa porte, il y a quelques semaines.

Mardi 11 mai

Je suis parti hier avec Claudius Popelin, pour Rouen.

Nous étions à quatre heures, à Croisset, dans cette triste maison, où je ne me suis pas senti le courage de dîner. Mme Commanville nous a parlé du cher mort, de ses derniers instants, de son livre qu’elle croit incomplet d’une dizaine de pages. Puis au milieu de la conversation brisée, et sans suite, elle nous a raconté une visite, qu’elle avait faite dernièrement, pour forcer Flaubert à marcher, une visite à une amie, demeurant de l’autre côté de la Seine, et qui avait, ce jour-là, son dernier-né, posé sur la table du salon, dans une charmante bercelonnette rose : visite qui faisait répéter à Flaubert, tout le long du retour : « Un petit être comme celui-ci dans une maison, il n’y a que cela au monde ! »

Ce matin, Pouchet m’entraîne dans une allée écartée, et me dit : « Il n’est pas mort d’un coup de sang, il est mort d’une attaque d’épilepsie… Dans sa jeunesse, oui, vous le savez, il avait eu des attaques… Le voyage d’Orient l’avait, pour ainsi dire, guéri… Il a été seize ans, sans plus en avoir… mais les ennuis des affaires de sa nièce, lui en ont redonné… et samedi, il est mort d’une attaque d’épilepsie congestive… oui avec tous les symptômes, avec de l’écume à la bouche… Tenez, sa nièce désirait qu’on moulât sa main… on ne l’a pas pu… elle avait gardé une si terrible contracture… Peut-être, si j’avais été là, en le faisant respirer une demi-heure, j’aurais pu le sauver… »

Ça été tout de même une sacrée impression d’entrer dans le cabinet du mort… son mouchoir sur la table, à côté de ses papiers, sa pipette avec sa cendre sur la cheminée, le volume de Corneille, dont il avait lu des passages la veille, mal repoussé sur les rayons de la bibliothèque.

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Le convoi se met en marche. Nous grimpons par une montée poussiéreuse à une petite église, l’église où Mme Bovary va se confesser, et où l’un des crapauds tancés par le curé Bournisien, semble être en train de faire de la voltige, sur la crête du petit mur de l’ancien cimetière.

C’est exaspérant dans ces enterrements, la présence de tout ce monde du reportage, avec ses petits papiers dans le creux de la main, où il jette des noms de gens et de localités, qu’il entend de travers.

On ressort de la petite église, et l’on gagne le cimetière monumental de Rouen, sous le soleil, par une route interminable. Dans la cohue insouciante, et qui trouve l’enterrement long, commence à sourire l’idée d’une petite fête. On parle des barbues à la normande et des canetons à l’orange de Mennechet, et des lèvres murmurent des noms de rues infâmes, avec des clignements d’yeux de matous amoureux… On arrive au cimetière, un cimetière tout plein de senteurs d’aubépine, et dominant la ville, ensevelie dans une ombre violette, qui la fait ressembler à une ville d’ardoise.

Et l’eau bénite jetée sur la bière, tout le monde assoiffé dévale vers la ville avec des figures allumées et gaudriolantes.

Daudet, Zola et moi, nous repartons, refusant de nous mêler à la ripaille qui se prépare pour ce soir, et revenons, en parlant pieusement du mort.

Lundi 31 mai

Aujourd’hui la princesse venant déjeuner chez moi, m’a fait le cadeau le plus charmant qu’elle pouvait me faire. Dans le temps, elle m’avait dit : « Goncourt, je vous laisse, dans mon testament, les dessins que Gavarni avait faits pour La Mode, et que Girardin, aux jours où nous étions bien ensemble, m’a offerts ».

En me mettant l’album dans les mains, elle m’a dit gentiment : « Tenez, je me porte très bien, je vous ferai attendre trop longtemps… Je ne sais quelle idée m’avait pris de les vendre cet hiver, comme ça je ne pourrai plus. »

Jeudi 24 juin

Je dîne aujourd’hui chez Francis Magnard, établi dans 2 500 mètres de terre, à Passy. Il y a là, Gille, nous racontant ses fréquentations à la Pissole, avec Grassot, frénétique admirateur de Chateaubriand, qui, avant de prendre connaissance de son premier vaudeville, lui dit : « Mon petit, as-tu seulement lu Le Génie du christianisme ? »

* * *

— Pense-t-on ce que doit être une maîtresse, qui traduit du Darwin ?

* * *

— Plus de principes, plus rien qui soit juste ou injuste, avec la doctrine de l’opportunisme. À quatre heures le gouvernement trouve que les coquins politiques sont indignes d’un pardon quelconque, à onze heures du soir ces coquins, sont dignes de toutes les miséricordes. Et de la politique l’opportunisme descendra bientôt dans la pratique de la vie, et il y aura de l’opportunisme dans l’honneur, dans la morale, etc.

Mardi 6 juillet

Je ne me sens pas malade, mais j’éprouve une fatigue, une lassitude de l’être qui va jusqu’à la souffrance. Puis il se passe en moi des choses singulières, il me semble que les nerfs qui font mouvoir mon individu, ont de la nuque aux talons, des relâchements, des distensions, qui me donnent à craindre de, tout à coup, m’affaisser et tomber à plat, comme un pantin, dont les ficelles seraient coupées.

Jeudi 15 juillet

Parti faire un mois de vie végétative à Jean-d’Heurs.

* * *

— Dans cette vie de succulence, qui est, en cette maison, le dernier mot de la cuisine provinciale, et peut-être son chant du cygne, il me vient un doux hébétement, qui me rend incapable d’écrire une ligne.

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— On me faisait voir ici deux coqs, qui se tiennent tout en haut du perchoir. Quand les malheureux descendent, les autres coqs se jettent sur eux, et assouvissent leurs passions antinaturelles. Les deux victimes ont la crête molle, allongée, avec quelque chose de comique, dans le galbe ridicule de leur personnage d’oiseau.

Jeudi 16 août

Dans le vide de Paris, en ces mois d’été, je suis toujours attaqué, à mes retours de la campagne, d’une tristesse, qui a quelque chose de splénétique.

* * *

— Combien d’aimeurs de peuple ont tiré de leur amour, 25, 50, 75, 300, 500 p. 100. Et vraiment je ne connais guère, en ce temps-ci, qu’un homme, qui ait véritablement aimé le peuple gratis : c’est Barbès.

* * *

— Dans une causerie avec Burty, sur le mariage, il me disait avoir entendu Onimus affirmer qu’une partie des maladies de matrice des femmes venait de la brutalité du viol, accompli par le mari, dans la huitaine du mariage.

Mercredi 25 août

Bonvin vient me faire voir une esquisse d’après Rubens, qu’il croit de Watteau. Il se plaint des amateurs qui travaillent à devenir les amis des peintres, pour payer moins cher, et à ce propos, il me cite la phrase de Diaz : « Oui, ils veulent connaître intimement la p…, dans l’espérance de devenir ses maquereaux ».

Ces temps-ci, après vingt-cinq ans de séparation, j’ai revu, mon cousin, le marquis de Villedeuil, le cousin avec lequel mon frère et moi, nous avons fait nos débuts littéraires, le cousin qui a mangé 800 000 francs en deux ans… Ah ! depuis la fondation de L’Éclair et du Paris, il a fait bien des métiers, et bien des milliers de lieues sur le globe. Il a élevé une sucrerie près de l’Escurial, il a construit des chemins de fer dans le Maroc, posé des télégraphes dans l’Amérique méridionale. Et de cette vie de voyage, de ces compagnonnages avec des êtres de toutes sortes, de ces lectures économiques, statistiques, sociales, dans une existence où n’existe pas le besoin du sommeil, il est sorti un tout autre garçon, que celui que j’ai connu. Oui, il m’apparaît comme un de ces raisonneurs, à la fois profonds et légers de Balzac, donnant à ce qu’il dit — et ce qui ne m’avait jamais intéressé chez les autres, — un intérêt de roman.

Aujourd’hui il est entré chez moi, en disant : « C’est curieux maintenant, quand une affaire est faite avec un banquier, ce n’est pas fait avec son argent, mais avec l’argent d’un autre, qu’il se met à chercher… » Et le voilà, sauf le temps d’un rapide dîner, jusqu’à onze heures, toujours en marche, parlant de la puissance intelligentielle des gens qui ne savent ni lire ni écrire ; parlant de la virtualité des révolutionnaires espagnols, complètement détruite par les cabinets des restaurants de Paris, et qu’il compare aux sauvages, ne prenant des civilisés que l’eau-de-vie ; parlant du travail idéologiste des socialistes, complètement arrêté en 1848, par la bêtise des radicaux, dont toute la politique est rapetissée à manger du prêtre, etc., etc.

Il s’arrête un moment, et avec un petit rire sarcastique, qui a l’air de moquer tout ce qui sort d’original de sa bouche, il s’écrie : « Oui cela, je veux le dire dans un livre, qui, sur la constitution des sociétés, serait, toute distance gardée, ce qu’est le livre de Laplace, sur la constitution du ciel ! »

Et il remarche, jetant des phrases comme celle-ci : « Enfin nous sommes dans un monde tout nouveau, où toutes les conditions de l’existence sont changées, sans qu’on ait l’air de s’en apercevoir… Autrefois un ouvrier chaudronnier gagnait 6 francs par jour… Il pouvait mettre 3 francs de côté… Donc au bout de cinq ans, il avait 5 000 francs et pouvait se faire chaudronnier… Aujourd’hui il faut 800 000 francs pour établir un chaudron… donc il n’y a plus moyen pour le peuple de sortir du peuple… et le peuple ne veut pas rester peuple… Savez-vous avec quelle somme s’est fondée, sous Louis-Philippe, la plus grande fabrique de produits chimiques… Chabrol vous l’apprend… avec 60 000 francs… Allez maintenant chez Salleron, il vous demandera 15 000 francs pour une cheminée… un fourneau sans luxe, c’est une affaire de 50 000 francs… Et tout comme cela… une confiserie se fonde avec un capital de 1 200 000 francs… une épicerie, vous connaissez la maison Potin ? »

Et toujours marchant d’un bout de la chambre à l’autre, il parle de la population qui a augmenté d’un quart, pendant que le capital quadruplait ; du temps prochain, où le capital sera l’esclave du travail ; de la phrase de Cambon : « Il faut écraser ces morpions ! » etc., etc.

Vendredi 27 août

Aujourd’hui, au milieu d’une forte migraine, La Faustin a fait tout à coup irruption dans ma cervelle, avec accompagnement de fièvre littéraire.

* * *

— Peindre quelque part la nervosité d’une héritière d’une grande famille, donnant des leçons de piano à une jeune fille de la bourgeoisie, pendant qu’elle a sous les yeux, de l’autre côté de la rue, l’ancien hôtel de sa famille.

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— Jeune fille couchant, avec sous son oreiller, un chapelet de reliques, un petit Saint-Joseph, et une mèche de cheveux de son amoureux.

* * *

— Je rencontre à une exposition du Palais de l’Industrie, une jeune et jolie brune qui a profité des vingt jours de réserviste de son mari, pour devenir complètement blonde.

* * *

— On parlait aujourd’hui d’une grande dame de la société romaine, qui faisait essayer ses confesseurs par sa femme de chambre.

* * *

— Quelqu’un m’entretenait du goût d’art de Richard Wallace, achetant le cor de chasse de Saint-Hubert, non pour l’intérêt de l’objet, mais pour l’histoire qui s’y rapporte, et qu’il pourra raconter au prince de Galles, la première fois qu’il le lui montrera.

* * *

— Le vieux peintre Adolphe Leleux fume des cigarettes, qu’il allume encore avec des pierres à fusil, provenant d’un baril de ces pierres qu’il a reçu pour une prise d’armes, quand il faisait partie de la société des Droits de l’Homme.

* * *

— M. Alphonse Rothschild a un beau mot pour se défendre, dans le premier instant, contre un objet qu’on lui fait trop cher : « Non, non, dit-il, c’est immoral à ce prix ! ».

Vendredi 19 novembre

Je dîne ce soir chez Charpentier avec Rochefort.

Un toupet en escalade, fait comme de cheveux en fil d’archal, un œil sans couleur, triangulairement voilé par l’ombre d’une profonde arcade sourcilière, et dans cet œil un regard d’aveugle. Des traits — autrefois c’étaient des traits mièvres et tourmentés d’un nerveux duelliste de la cour des Valois, — aujourd’hui la ciselure de ces traits s’est avachie dans de grands plans, solides, carrés, britanniques.

On se met à table, et presque aussitôt, Rochefort me parle, poliment et gentiment, de mon livre sur la du Barry, contant qu’on a longtemps conservé dans sa famille le bonnet de la maîtresse de Louis XV, et qu’une grand-mère à lui, enfermée avec elle, avait ramassé, un jour que la pauvre femme l’avait jeté, pour prendre le bonnet d’une codétenue, qui venait d’être acquittée par le tribunal révolutionnaire. Et, de l’anecdote concernant Mme du Barry, il passe à l’histoire de ses papiers de famille, qu’on lui a volés, pendant la Commune, et qu’on vient de lui offrir à vendre. Qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas l’aristo perce dans chaque parole du démocrate, et parle-t-il de Gambetta, qu’il dénomme le prince de la goujaterie, on sent tout le dédain de l’homme bien né pour le fils de l’épicier de Cahors, et pour tous les côtés roturiers du parvenu.

Il a, ce Rochefort, je dois l’avouer, un charme fabriqué d’une certaine délicatesse d’esprit, d’une qualité de gaîté gamine, et surtout d’une câlinerie presque féminine.

Dans la conversation, un moment, il a laissé tomber, et cela sans jactance, et comme l’affirmation d’un fait : « Oui, je suis l’homme qui peut faire descendre 100 000 hommes dans la rue ! »

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— Un mot de physiologiste psychologue, un mot de Charcot sur Gambetta : « Certainement, c’est là, un homme doué, mais il lui manque… il lui manque la mélancolie ! »

Jeudi 2 décembre

La Comédie humaine : ça pourrait être aussi bien le titre de la Comédie au crayon de Gavarni, que la Comédie à la plume de Balzac.

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— X à Y…

— Mon livre est paru, vous le savez ?

— Non.

— Achetez-le, je monterai chez vous, ces jours-ci, y mettre une dédicace.

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— Les pays de l’Europe, où ne se trouvent pas d’objets d’art français, on y découvre des éventails : — l’éventail des émigrées, cet objet, que dans sa fuite la plus précipitée, la femme française emportait toujours.

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— La gravité de la vie présente a fait à l’homme une jeunesse sérieuse, réfléchie, mélancolique. Pourquoi la jeune fille du jour est-elle ironique, blagueuse ?

Un joli détail de coquetterie, confié par une femme du premier Empire à une de mes vieilles amies. Devant sa psyché, à l’effet de gracieuser sa bouche pour les bals du soir, elle se livrait à une véritable répétition tous les matins, disant cent fois, quand elle voulait la faire toute petite : Un pruneau de Tours, disant quand elle voulait la montrer dans sa largeur et son épanouissement : J’avale une poire.

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— Un terrible mot pour peindre la marche des gens, attaqués d’une maladie de la moelle épinière : « Oui il commence à stepper ! »

Mercredi 14 décembre

Zola vient aujourd’hui me voir. Il entre avec cet air lugubre et hagard qui particularise ses entrées. Il s’échoue dans un fauteuil, en se plaignant geignardement, et un peu à la manière d’un enfant, de maux de reins, de gravelle, de palpitations de cœur, puis il parle de la mort de sa mère, du trou que cela fait dans leur intérieur, et il en parle avec un attendrissement concentré. Et quand il vient à causer littérature, à causer de ce qu’il veut faire, il laisse échapper la crainte de n’en avoir pas le temps.

La vie est vraiment bien habilement arrangée, pour que personne ne soit heureux. Voici un homme qui remplit le monde de son nom, dont les livres se vendent à cent mille, qui a peut-être de tous les auteurs fait le plus gros bruit de son vivant, eh bien, par cet état maladif, par la tendance hypocondriaque de son esprit, il est plus malheureux, il est plus désolé, il est plus noir, que le plus déshérité des fruits secs.

Dimanche 26 décembre

Ce soir, au milieu d’un lied chanté par la sœur de Berendsen, le traducteur danois de Renée Mauperin, Nittis me dit tout à coup : « Les dimanches de Naples, les dimanches de mon enfance… c’est par des bruits, des sonorités qu’ils me reviennent… Voyez-vous, le bleu du ciel et le plein soleil entrant par toutes les fenêtres… là-dedans montant les fumées de tout ce qui frit dans la rue… là-dessus le branle des cloches sonnant midi, et dominant les cloches, le chant d’un marchand de vin de l’extrémité de la rue, chantant, donnant de la voix, ainsi qu’on dit chez nous, avec une voix telle, que les cloches, je ne me les rappelle plus que… comme du paysage ! »

Mardi 28 décembre

Au dîner des Spartiates de ce soir, le général Turr rappelait cette parole du juif Mirès, parole à lui dite en 1860 : « Si dans cinquante ans, vous ne nous avez pendus, vous les catholiques… il ne vous restera pas de quoi acheter la corde pour le faire ! »

Jeudi 30 décembre

Aujourd’hui, au sujet de mon livre (La Faustin), et pour avoir l’aspect vrai d’une répétition, j’ai passé toute la journée à prendre des notes à la répétition de Jack de Daudet.

Les notes jetées, j’ai été empoigné par l’intérêt de la chose représentée, et surtout par le travail à l’effet de la mettre au point. Il y a au troisième acte une déclaration de Jack dont pas une parole n’est à changer, déclaration qui ne portait pas cependant. Alors Lafontaine a eu l’idée de montrer à Chelles, comment elle devait être jouée, cette déclaration marchée, — et rien qu’avec une hésitation, un faux départ de la marche, et pour ainsi dire, des balbutiements de pieds, accompagnant le balbutiement amoureux des paroles, cette déclaration a pris tout à coup un très grand effet.