Rulhière.
Trois hommes, dans le dernier tiers du xviiie siècle, se distinguèrent comme à l’envi l’un de l’autre par un esprit fin, piquant, satirique, moqueur, et donnèrent en même temps des preuves d’un esprit sérieux ; ce furent Chamfort, dont nous parlions la dernière fois, Rivarol, dont nous parlerons peut-être un jour, et Rulhière, dont quelques ouvrages intéressants sont restés, dont on a retenu quelques jolies pièces de vers, et qui mérite certainement une étude. Rulhière a sa physionomie à part ; il a un talent réel, un style ; c’est un écrivain non seulement spirituel, mais savant et habile, qui, après avoir longtemps disséminé ses finesses et ses élégances sur des sujets de société, a essayé de rassembler finalement ses forces, de les appliquer aux grands sujets de l’histoire, et y a, jusqu’à un certain point, réussi.
Homme du monde et du très grand monde, tenant à passer pour tel, réservé, diplomatique et un peu enveloppé, très peu enclin aux confessions, on ne sait presque rien de précis sur ses débuts. On le fait naître vers 1735 (d’autres disent plus tôt) ; il était fils et petit-fils d’inspecteurs de la maréchaussée de l’Île-de-France ; il étudia au collège Louis-le-Grand, servit au sortir de là dans les gendarmes de la garde, et fut aide de camp du maréchal de Richelieu. Puis, passant du service militaire dans la diplomatie, on le voit attaché au baron de Breteuil en qualité de secrétaire. M. de Breteuil avait été nommé en 1760 ministre plénipotentiaire en Russie ; Rulhière l’y suivit ; il assista de près à la révolution qui, en 1762, précipita Pierre III et mit Catherine II sur le trône. Il s’appliqua, suivant la nature de son esprit observateur, à tout deviner, à tout démêler dans cet événement extraordinaire, et il en fit, à son retour à Paris, des récits qui charmèrent la société. La comtesse d’Egmont, fille du maréchal de Richelieu, et qui était la divinité de Rulhière, lui demanda d’écrire ce qu’il contait si bien : il lui obéit, et, une fois la relation écrite, l’amour-propre d’auteur l’emportant sur la prudence du diplomate, les lectures se multiplièrent. Elles firent événement. Catherine II et ses admirateurs furent alarmés ; on mit tout en œuvre auprès de Rulhière pour qu’il supprimât sa relation, ou pour qu’il l’altérât : il résista à toutes les offres avec une honorable fermeté. Grimm, si fait d’ailleurs pour goûter Rulhière, avec lequel il avait plus d’un rapport d’esprit, nous l’a représenté à l’une de ces lectures qu’il faisait de sa Révolution de Russie chez Mme Geoffrin, et si l’on s’en tenait à cette page de Grimm, destinée à être lue à Saint-Pétersbourg, on prendrait de Rulhière une idée fort injuste : on le croirait un homme de talent indiscret et étourdi, tandis qu’il n’était rien moins que cela. S’il céda, dans un cas unique, à une première indiscrétion, il mit tous ses soins à réparer insensiblement l’impression qu’elle avait pu faire et à n’en pas commettre une seconde. Rulhière, sous une enveloppe un peu épaisse et un peu forte, était un homme fin, adroit, circonspect et mesuré, néanmoins beaucoup plus homme de lettres au fond qu’il ne voulait le paraître, cherchant partout autour de lui des sujets d’épigrammes, de comédie, d’histoire, et s’y appliquant ensuite sous main, à loisir, avec lenteur, sans s’exposer au public, en se bornant à captiver la société de son temps, et en se ménageant une perspective lointaine vers la postérité.
Vers l’année 1770, il était tout à fait en vogue par deux ouvrages de genre différent, mais qui tenaient à une même nature d’esprit, par ce récit anecdotique de la Révolution de Russie et par un discours en vers sur Les Disputes. Voltaire, à qui Rulhière avait envoyé ce discours, lui avait répondu :
Je vous remercie, monsieur, du plus grand plaisir que j’aie eu depuis longtemps. J’aime les beaux vers à la folie. Ceux que vous avez eu la bonté de m’envoyer sont tels que ceux que l’on faisait il y a cent ans, lorsque les Boileau, les Molière, les La Fontaine étaient au monde. J’ai osé, dans ma dernière, maladie, écrire une lettre à Nicolas Despréaux ; vous avez bien mieux fait, vous écrivez comme lui.
Voltaire fit plus, il inséra l’épître tout entière au mot Dispute de son Dictionnaire philosophique,
en y mettant cette apostille : « Lisez les vers suivants sur les
Disputes ; voilà comme on en faisait dans le bon temps. »
Et en
effet, cette épître, qui a été reproduite dans toutes les Leçons de
littérature et que nous savions par cœur dans notre enfance, ressemble
par le ton aux meilleures de Boileau, auxquelles elle est supérieure par la
pensée. De jolis vers, tour à tour satiriques ou flatteurs, à l’adresse des
personnages du temps, en faisaient dans sa nouveauté quelque chose de plus vif
et de plus animé qu’il ne nous semble aujourd’hui. Le trait malin, proverbial,
les alliances heureuses de noms et d’idées, la concision élégante, tout ce qui
constitue le genre moral tempéré et en fait l’ornement, s’y trouve placé avec
art, et il n’y manque vraiment qu’un souffle poétique moins sec
et plus coloré, quand l’auteur tente de s’élever et de nous
peindre, par exemple, le temple de l’Opinion promené dans les airs sur les
nuages : c’est ici que l’on sent le défaut d’ailes et d’imagination véritable,
l’absente de mollesse, de fraîcheur et de charme, comme dans toute la poésie de
ce temps-là. Rulhière termine son épître par une comparaison de la poésie avec
le miel des abeilles ; mais on n’entend pas chez lui le bourdonnement des
abeilles.
Les Anecdotes sur la révolution de Russie en l’année 1762 sont un très agréable petit livre, sans prétention solennelle, et où les événements historiques ne sont eux-mêmes envisagés qu’au point de vue des mœurs. Le côté du récit où l’auteur vise au Salluste et rappelle le Saint-Réal et autres auteurs classiques de Conjurations, n’est pas trop prédominant. On conçoit que, malgré l’esprit d’observation de Rulhière et malgré sa position favorable pour démêler bien des choses, il a dû être réduit à en deviner et à en conjecturer plus d’une dans une entreprise si mystérieuse et si compliquée, et l’on ne saurait s’étonner que sa relation ait prêté aux récriminations des intéressés : il ne pouvait en être autrement. Les Russes eux-mêmes, dans ce qui concerne leur histoire, et une histoire si contemporaine, ne sauraient avoir ni exprimer un avis indépendant. Pourtant il me semble que les principaux points du récit de Rulhière ont été généralement adoptés depuis, et par les historiens même (tels que Lévesque) qui sont d’ailleurs le moins disposés à le suivre. Il y a certainement des coins du génie russe que Rulhière n’a point pénétrés ni appréciés ; n’ayant vécu qu’à Saint-Pétersbourg et dans le grand monde, il a vu surtout dans ce peuple plein de disparates les mœurs d’un Bas-Empire, il a cru y voir une sorte d’Empire grec finissant, et il n’a pas assez signalé, sous ce vernis de civilisation avancée, un peuple jeune qui commence. De même dans ce qu’il a dit de Catherine, tout en reconnaissant aussitôt que la nature semblait l’avoir formée pour la plus haute élévation, il ne paraît pas s’être rendu tout à fait compte de ce génie viril qui allait la classer, avec Élisabeth d’Angleterre, dans le petit nombre des grands monarques. On ne saurait dire, toutefois, qu’il ait méconnu ni encore moins calomnié Catherine, celui qui traçait d’elle dès l’abord ce mémorable et vivant portrait :
Sa taille est agréable et noble ; sa démarche fière ; sa personne et son maintien remplis de grâces. Son air est d’une souveraine. Tous ses traits annoncent un grand caractère. Son col est élevé et sa tête fort détachée ; l’union de ces deux parties est, surtout dans le profil, d’une beauté remarquable ; et, dans les mouvements de sa tête, elle a quelque soin de développer cette beauté. Elle a le front large et ouvert, le nez presque aquilin ; sa bouche est fraîche et embellie par ses dents ; son menton un peu grand et se doublant un peu, sans qu’elle soit grasse. Ses cheveux sont châtains et de la plus grande beauté ; ses sourcils bruns ; ses yeux bruns et très beaux ; les reflets de la lumière y font paraître des nuances bleues, et son teint a le plus grand éclat, La fierté est le vrai caractère de sa physionomie. L’agrément et la bonté, qui y sont aussi, ne paraissent à des yeux pénétrants que l’effet d’un extrême désir de plaire, et ces expressions séduisantes laissent trop apercevoir le dessein même de séduire.
Rulhière, de retour de ses voyages dans le Nord, vivait donc à Paris sur le meilleur pied, très goûté pour des opuscules qu’on regardait comme une faveur de pouvoir entendre, pour de jolis vers tels que L’À-propos, Le Don du contre-temps, qu’il récitait avec des applaudissements sûrs, pour des épigrammes très mordantes qu’il laissait courir et qu’il n’avouait pas, mais dont il avait tout l’honneur. Il jouissait de la plus brillante réputation d’auteur inédit qui se pût alors désirer. Le ministre, M. de Choiseul, le chargea en 1765 d’écrire, pour l’instruction du Dauphin (Louis XVI), l’histoire des troubles de Pologne ; c’est cette histoire toute contemporaine, dont la matière se déroulait chaque jour sous ses yeux, que Rulhière s’étudia à traiter durant vingt-deux ans à la manière des anciens, sans parvenir à la mener à fin, et qui forme aujourd’hui son titre le plus considérable.
Sans avoir qualité d’historiographe, Rulhière était donc un historien d’office encore plus qu’un poète de société, et l’on dit que, malgré son bon goût, il en laissait deviner quelque chose :
M. de Rulhière, dit Mme Necker, laissait percer dans sa conversation une nuance de son état d’historien, qui visait à la pédanterie ; il mettait une trop grande importance à l’examen d’un petit fait et à toutes ses circonstances ; il ne voulait jamais voir l’Opéra que derrière les coulisses.
Ce tour d’esprit un peu subtil et trop analytique, que Rulhière
portait dans la société, ne se peint nulle part mieux que dans une conversation
qui nous a été conservée par Diderot83. Rulhière était d’avis que, dans un cercle, il ne
fallait jamais se presser de demander quel était l’homme qu’on voyait entrer et
qu’on ne connaissait pas : « Avec un peu de patience et d’attention, on
n’importune ni le maître ni la maîtresse de la maison, et l’on se ménage le
plaisir de deviner. »
Il avait là-dessus toutes sortes de préceptes,
de menues remarques très fines, très ingénieuses, dont il faisait la
démonstration quand on le voulait, et il ne se trompait guère :
Il en fit en ma présence l’application chez Mlle Dornais, raconte Diderot : il survint sur le soir un personnage qu’il ne connaissait pas ; mais ce personnage ne parlait pas haut ; il avait de l’aisance dans le maintien, de la pureté dans l’expression, et une politesse froide dans les manières. « C’est, me dit-il à l’oreille, un homme qui tient à la Cour. » Ensuite il remarqua qu’il avait presque toujours la main droite sur sa poitrine, les doigts fermés et les ongles en dehors : « Ah ! ah ! ajouta-t-il, c’est un exempt des gardes du corps, et il ne manque que sa baguette. » Peu de temps après, cet homme conte une petite histoire : « Nous étions quatre, dit-il, madame et monsieur tels, madame de… et moi. » Sur cela, mon instituteur continua : « Me voilà entièrement au fait. Mon homme est marié ; la femme qu’il a placée la troisième est sûrement la sienne, et il m’a appris son nom en la nommant. »
En nous racontant cette preuve de la sagacité un peu méthodique et
raffinée de Rulhière, Diderot donne à entendre que toutes ces choses déliées, conçues en des termes fort déliés,
l’étaient trop pour lui, bonhomme tout uni et rond, et qui, à chaque fois,
demandait des exemples : « les esprits bornés ont besoin
d’exemples »
.
Il s’amuse lui-même, dès qu’il a quitté Rulhière, à lui faire l’application de sa propre méthode, et à tirer sur lui un jugement dans lequel il entre un grain de critique et d’ironie.
Rulhière n’était point d’ailleurs du bord de Diderot, et il s’en est expliqué quelque part très nettement. Trois grandes influences philosophiques peuvent se discerner au xviiie siècle : celle de Voltaire, celle de Rousseau, et celle des encyclopédistes proprement dits. Rousseau, qui se sépare des encyclopédistes par certaines croyances et par une affiche de moralité plus stricte, ne se sépare pas moins de Voltaire en ce qu’il vise à une réforme politique profonde par le moyen du peuple, et en s’adressant à la logique commune, au sentiment universel. Voltaire, tout aristocratique au contraire, ne s’adresse qu’à quelques-uns, et la réforme qu’il prêche aux rois, aux grands et aux esprits d’élite, est plutôt civile et religieuse que politique. Rulhière se rattachait à cette manière de voir de Voltaire ; et, plus sage, plus conséquent que le maître, il n’y dérogea en aucun temps par imprudence ni par pétulance. Il avait des idées libérales comme nous dirions, mais il en désirait l’essai, l’application graduelle par les gouvernements et non par les peuples. Il fut fidèle jusqu’à la fin à cette manière de voir, et, quelque parti qu’on prenne soi-même en le jugeant, il mérite l’estime du moins par cette suite dans la conduite et par cette tenue.
Sa fortune reçut un violent échec après la chute du ministère Choiseul, et sous le ministère d’Aiguillon. Sa pension d’historien fut quelque temps supprimée. Chamfort, alors son ami, lui en adressa des condoléances, auxquelles Rulhière répondit par une épître en vers un peu longue, mais dans laquelle il développe avec facilité ses principes de philosophie et de sagesse, qui ne sont autres que ceux d’Horace :
L’astre inconstant sous lequel je suis né,Des biens aux maux m’a souvent promené ;Mais aux événements payant mon caractère,En jouissant de tout, rien ne m’est nécessaire.Dès que j’ai vu l’espérance me fuir,J’ai suspendu ma course volontaire,J’ai dans un sort nouveau pris un nouveau plaisir,Et mon repos forcé devient un doux loisir.Heureux par cette humeur sagement inconstante,C’est la facilité qui m’invite et me tente…
C’est vers ce temps que Rulhière fut nominé, sans l’avoir
sollicité, secrétaire de Monsieur, frère de Louis XVI (depuis Louis XVIII).
Voltaire, l’en félicitant, lui écrivait à cette occasion (août 1774) :
« Il me semble qu’il se forme enfin un siècle, et, pour peu que
Monsieur s’en mêle, le bon goût subsistera en France. »
On voit
combien Voltaire faisait volontiers tout dépendre des grands et des princes. Il
est naturel d’ailleurs que Monsieur ait
eu de la
prédilection pour Rulhière, qui aiguisait si bien l’épigramme salée et même au
besoin le conte libertin, les deux genres littéraires favoris du futur
monarque.
Avant d’en venir aux œuvres toutes sérieuses, nous rencontrons encore Rulhière causant, et cette fois causant avec Jean-Jacques Rousseau ou sur son compte. C’est un des traits curieux de la vie de Rulhière et l’un des témoignages les plus frappants de la folie de Jean-Jacques. Ne nous le refusons pas.
Rulhière logeait près des Tuileries. Un jour, un matin de 1771, il rentrait du
bal (il était neuf heures du matin), il voit entrer son voisin Dusaulx, l’air
tout bouleversé. Ce dernier, traducteur de Juvénal, homme enthousiaste,
expansif, nourri de toute la sentimentalité du siècle, s’était fort jeté à la
tête de Jean-Jacques, qui l’avait d’abord pris en gré et l’avait, par exception,
admis dans son intimité. Mais bientôt les soupçons étaient venus, puis la
rupture ; et l’excellent homme avait reçu de Rousseau une lettre qui l’avait
navré, et où on lisait : « Vous me trompez, monsieur ; j’ignore à quelle
fin, mais vous me trompez… »
À cette lettre, Dusaulx en avait
répondu une tout en apostrophes, en effusions : « Si tu pouvais, ô toi
qui me fus si cher, remonter à la source de tes préventions !… Je t’atteste,
Jean-Jacques, au nom de la vérité que tu portes dans ton sein, etc.,
etc. »
Mais avant d’envoyer la lettre, tourmenté de perplexités, il
avait jugé bon de la montrer à son voisin Rulhière, et c’est pour cela qu’il
venait le réveiller à cette heure indue, à neuf heures du
matin. Dusaulx a très bien raconté toute cette entrée en conversation avec
Rulhière :
— De quoi s’agit-il donc si grand matin, ou de qui ? — De notre ami commun, de Jean-Jacques. — Bon ! est-ce qu’il vous a pas encore donné votre congé ? — Cela ne tient plus qu’à un fil ; tenez, lisez notre correspondance, et vous verrez.
Rulhière se met à lire à haute voix les
lettres de Rousseau, et à chaque instant il s’interrompait, il se parlait à
lui-même en approuvant, en disant : « Bon !… à merveille !… mais cela
vaut de l’or !… »
Dusaulx ne comprenait pas cette approbation, et il
fallut que Rulhière la lui expliquât. C’est que Rulhière savait si bien par cœur
son Jean-Jacques, qu’il le reconnaissait à chaque ligne, dans ses soupçons, dans
ses reproches :
Comme je suis au courant du caractère de notre homme et de son faire, comme je pourrais, en cas de besoin, lui tenir lieu de secrétaire intime et le suppléer en son absence, je ne me suis guère occupé, en lisant votre correspondance, que de ce qu’il devait, d’après mes données, vous dire ou vous écrire ; et j’ai si bien rencontré, que je m’en suis félicité. N’en auriez-vous pas fait autant ?
Et Rulhière, à qui Dusaulx demande conseil sur tout cela, et ce
qu’il en pense : « Ce que j’en pense ? Peste ! voilà de bons,
d’excellents matériaux pour ma comédie. »
Cette comédie était celle
du Méfiant, qui ne vit jamais le jour. Mais on sent que
Rulhière était des plus propres, en effet, à composer une comédie de cette sorte
dans le genre et dans le goût du Méchant.
Cependant Dusaulx, tout occupé de sa lettre, insistait pour savoir s’il devait l’envoyer :
Gardez-vous-en bien ! s’écria Rulhière ; vous le rendriez cent fois plus fou avec votre lettre à la Plutarque. Et puis, il est bon que vous sachiez qu’il n’a jamais plus de force que lorsqu’il a tort.
Je ne puis que renvoyer au récit de Dusaulx84 ceux qui désireraient ne rien perdre de la conversation. Rulhière, toujours occupé de son sujet de comédie, comme l’autre de sa lettre, continue de définir Jean-Jacques et de montrer à Dusaulx quelle chimère et quelle vanité d’amour-propre (sous forme d’enthousiasme) il y a de sa part à prétendre consoler un pareil homme :
Mais, de bonne foi, qu’espérer d’un homme qui en est venu au point (la chose est certaine) de se méfier de son propre chien, et cela parce que les caresses de ce pauvre animal étaient comme les vôtres trop fréquentes, et qu’il y avait là-dessous quelque mystère caché ?…
Et il raconte à Dusaulx l’histoire des moineaux que Rousseau nourrissait chaque matin, auxquels il donnait du pain sur sa fenêtre, et qu’il se flattait d’avoir apprivoisés :
J’avais bien le droit, ce me semble, dit Rousseau parlant par la bouche de Rulhière, de croire que nous fussions les meilleurs amis du monde ; point du tout, ils ne valaient pas mieux que les hommes. Je veux les caresser, et voilà mes étourdis qui s’envolent comme si j’eusse été un oiseau de proie. Ils n’auront pas été, j’en suis sûr, à deux rues de ma maison, qu’ils auront dit pis que pendre de moi.
À ce dernier trait un peu chargé, ne dirait-on pas que c’est déjà le Rousseau de la comédie qui parle ?
Rulhière, une fois en train, raconte comment lui-même il s’est maintenu jusqu’à
présent auprès de Jean-Jacques. Ce n’est point en le flattant, c’est plutôt en
le brusquant, en le raillant, en lui demandant d’un air délibéré, quand il lui
parle des méchants : « Est-ce que vous croyez aux méchants, vous ? c’est
avoir peur de son ombre. »
Mais lui-même il est à bout de son
crédit. La dernière fois qu’il est allé voir Jean-Jacques, celui-ci l’a reçu en
grondant et s’est tenu tout le temps sur la défensive :
Je sonne, il m’ouvre : — « Que venez-vous faire ici ? Si c’est pour dîner, il est trop tôt ; si c’est pour me voir, il est trop tard. » Puis, se ravisant : — « Entrez, je sais ce que vous cherchez, et n’ai rien de caché… même pour vous. »
Et Rousseau alors, s’adressant à sa ménagère, entre à dessein dans mille détails de cuisine et de pot-au-feu ; puis se retournant vers Rulhière :
« Vous voilà suffisamment instruit des secrets de ma maison, et je défie toute votre sagacité d’y jamais rien trouver qui puisse servir à la comédie que vous faites. » — Il ne se doutait pas, ajoute Rulhière, qu’il venait de m’en fournir le meilleur trait.
Et comme le visiteur ne sortait pas assez tôt :
« Bonsoir, monsieur ; allez finir votre Défiant. » — « Je vais vous obéir ; mais pardon, mon cher Jean-Jacques, est-ce défiant qu’il faut dire, ou méfiant ? car un habile grammairien, M. Domergue, me rend perplexe à cet égard. » — « Comme il vous plaira, monsieur, comme il vous plaira ; bonsoir. »
Toute cette scène est très agréablement contée ; elle fait plus d’honneur pourtant à l’esprit de Rulhière qu’à son cœur, et lui-même il nous apparaît en tout ceci comme un homme qui cherche partout trop visiblement des traits et des embellissements pour l’ouvrage qu’il compose. Il est à la piste de son sujet ; il n’est occupé que de cela, et aussi de faire preuve de finesse, tout en faisant sentir légèrement la griffe à celui avec qui il cause. Un véritable poète comique, un auteur qui a verve et gaieté franche, un Molière, ou simplement un Regnard, ne sont pas sujets à ces fatuités ni à ces raffinements épigrammatiques, qui font essentiellement partie du caractère et de l’habitude d’esprit de Rulhière. Cette conversation avec Dusaulx et son autre conversation avec Diderot nous le montrent parfaitement en scène au point de vue de la société.
Son faible est touché : je le résume : Rulhière ne se contente pas d’être fin, il s’en pique, il fait profession de finesse.
Et ceci nous explique une de ses différences avec Chamfort. Voyant celui-ci maigre et chétif, et Rulhière frais au contraire et florissant, on a dit pour se venger de leurs épigrammes (et c’est La Harpe qui répétait un mot de l’abbé Arnaud, et qui le mettait en mauvaises rimes) :
Connaissez-vous Chamfort, ce maigre bel esprit ?Connaissez-vous Rulhière, à mine rebondie ?Tous deux se nourrissent d’envie :Mais l’un en meurt, et l’autre en vit.
Ce mot d’envie qui s’appliquait à Chamfort ne convient pas proprement à Rulhière. Nous venons de le voir et de l’entendre, il n’est pas envieux, il est content. Les travers et les manies du prochain lui sont un gibier qu’il chasse. Il se complaît à les poursuivre, à les découvrir ; loin de s’en irriter, il s’en applaudit surtout comme d’une occasion d’adresse. C’est un curieux. Il jouit de sa malice et n’en souffre pas.
Rulhière, vers le même temps, put retrouver quelques-uns de ces traits de méfiance dont il prenait note, dans un Rousseau plus jeune, mais également atteint du soupçon, dans Bernardin de Saint-Pierre qu’il avait beaucoup connu en Russie. Rien ne prouve qu’il ait eu, avec cet homme de talent susceptible et ombrageux, les torts de sottise que suppose M. Aimé Martin. Dans une lettre adressée à Bernardin de Saint-Pierre, Rulhière se montre affligé de ses soupçons et s’en plaint affectueusement. Dans une autre lettre, écrite au moment où Bernardin partait pour l’île de France, Rulhière, pour lui relever le courage, lui dit :
Si vous ne faites pas, mon cher ami, la fortune que j’attends de vos talents et de votre âme, au moins ferez-vous un bon Journal (un journal de voyage), et c’est quelque chose. On se console des revers de cette existence présente en songeant que la postérité nous rendra plus de justice. Peignez bien tous les habitants de notre globe ; rendez-vous intéressant aux hommes de tous les pays, et, quelque chose qui arrive, vous aurez au moins l’immortalité pour ressource.
Cette immortalité fut la ressource en effet de Bernardin de Saint-Pierre. Le Journal du voyage à l’île de France est peu de chose, mais Paul et Virginie était au bout. En lui conseillant cette noble revanche du sort, Rulhière montrait qu’il était digne d’en embrasser l’idée élevée et de la comprendre.
Comme historien et comme écrivain honorablement sérieux, il prit rang en 1788 par ses Éclaircissements historiques sur les causes de la révocation de l’édit de Nantes et sur l’état des protestants en France. Cet écrit avait été demandé à Rulhière par le ministère pour venir en aide aux vues bienveillantes de Louis XVI en faveur des protestants ; il s’agissait de leur rendre simplement l’état civil. M. de Breteuil eut avec Malesherbes l’honneur de poursuivre cette œuvre d’équité et de réparation. Rulhière, dans son ingénieux et savant écrit, rechercha quelles avaient été les causes et les circonstances qui avaient amené en octobre 1685 la révocation de l’édit de Nantes. Admis à puiser aux sources officielles manuscrites, il en fit usage avec habileté, avec art. Obéissant en ceci encore aux dispositions naturelles de son esprit, autant qu’à l’intérêt de la cause qu’il prenait en main, il s’appliqua, à l’aide de rapprochements fins et peut-être forcés, à rapporter ce grand acte, qui fut l’erreur de tout un siècle, à des causes secondaires accidentelles, et à en diminuer le dessein primitif ; c’était une manière d’en rendre plus facile, plus acceptable à tous, la réparation. Dans l’état d’études plus avancées où l’on est aujourd’hui sur le xviie siècle, on est amené à reconnaître que cette fatale révocation, dont la dévotion finale de Louis XIV fut le moyen et l’occasion, préexistait depuis longtemps, ou du moins flottait dans l’esprit de ce prince à l’état de projet politique, et qu’il ne fit en dernier lieu que réaliser un vœu ancien, dans lequel il fut insensiblement assisté et comme encouragé par une complicité presque universelle. Mais les Éclaircissements de Rulhière, pour être incomplets, et en quelque sorte de biais, n’en furent pas moins très utiles au moment où ils parurent, et n’en restent pas moins toujours une des pièces intéressantes à consulter dans l’étude de cette grande question historique.
Rulhière, par cet écrit, se montre à nous dans la vraie ligne de progrès qu’il suivait volontiers, dans la voie des réformes qu’appelait l’opinion publique et que dirigeait le gouvernement même. Mais bientôt, cette direction échappant aux mains des gouvernants, la société tout entière entra dans une de ces agitations profondes dont aucun esprit clairvoyant ne pouvait prévoir le terme ni les crises. Rulhière, averti d’ailleurs par son intérêt personnel, fut dès le principe un de ces esprits clairvoyants. Il n’avait plus rien à désirer dans la vie. Homme de lettres, il était entré à l’Académie en 1787 avec un discours supérieur de vues et parfait d’élégance, qui lui avait valu un applaudissement unanime. Homme du monde, il vivait dans toutes les compagnies et était initié dans ce qu’il y avait de mieux à la Cour. Sa fortune, un moment détruite sous le ministère d’Aiguillon, s’était réparée depuis avec toutes sortes d’avantages par la protection de M. de Breteuil. Il était chevalier de Saint-Louis depuis 1775. Il s’était fait, près de Saint-Denis, une maison de retraite, d’étude et d’humbles délices, appelée l’Ermitage. De son jardin, il voyait l’abbaye de Saint-Denis qui lui rappelait la grandeur humaine et la mort ; il avait fait construire une jolie fontaine dont les eaux l’avertissaient de la fuite de la vie, et que surmontait une statue de l’Amour. Un jour que la comtesse d’Egmont l’y était venue visiter, il mit cette inscription délicate au-dessous de la statue :
Églé parut sur cette rive ;Une image de sa beautéSe réfléchit dans cette eau fugitive ;L’image a fui, l’Amour seul est resté.
On conçoit que, sage et sans passions, satisfait et désabusé, Rulhière n’ait pas vu sans une impression profonde la grande commotion qui ébranlait la société et toutes les existences. Il mourut à temps, et subitement, à Paris, le 30 janvier 1791, à l’âge de cinquante-six ans et demi, disent les uns, de soixante ans passés, disent les autres, et, dans tous les cas, ne paraissant pas son âge.
Parmi les places et prérogatives dont jouissait Rulhière, il est une sinécure trop singulière pour ne pas être notée ; il avait ou devait prochainement avoir le gouvernement de la Samaritaine, ce qui valait de cinq à six mille livres. Or, la Samaritaine n’était autre chose que la pompe-fontaine construite sous Henri IV sur le Pont-Neuf, et destinée à fournir de l’eau au Louvre, au jardin des Tuileries et au Palais-Royal. Cette fontaine, par sa façade du côté du Pont-Neuf, divertissait les passants avec la petite cascade qu’elle faisait en présence de Jésus-Christ et de la Samaritaine, figurés en bronze doré auprès du puits de Jacob. La destination royale de ce bâtiment faisait qu’il avait titre de gouvernement, et qu’il procurait des émoluments fort honnêtes. Il n’était pas besoin de ce dernier fait pour nous prouver que Rulhière avait toutes sortes de raisons pour n’être que médiocrement révolutionnaire.
Mais ses meilleures raisons étaient encore dans son caractère et dans le tour de son esprit, qu’on pourrait définir, de tout temps, libéral mais ministériel.
Les regrets qu’excita la mort de Rulhière parmi ceux
qui jouissaient de sa société, montrent assez qu’il ne faut pas prendre à la
lettre la réputation de méchanceté qu’on a voulu lui faire ; il a dû se
calomnier lui-même par son goût et son talent pour l’épigramme. Mais tout chez
lui, dans la suite de sa vie et de ses procédés, semble indiquer l’honnête homme
socialement parlant. « Les gens d’esprit se permettent quelquefois des
bons mots, disait-il, mais il n’y a que les sots qui fassent des
méchancetés. »
Plus de quinze ans s’étaient écoulés depuis la mort de Rulhière, lorsqu’en 1806 Napoléon, ayant formé des desseins sur la Pologne et contre la Russie, crut utile à ses vues de faire publier l’ouvrage manuscrit qu’avait laissé Rulhière, et qui avait pour titre : Histoire de l’anarchie de Pologne et du démembrement de cette république. L’édition en fut confiée à Daunou, qui s’en acquitta avec le soin et le scrupule qu’il mettait à tous ses travaux et à tous ses devoirs. Cette histoire de Rulhière, si considérable et pourtant incomplète, fait le plus grand honneur à sa mémoire, et achève de montrer en lui l’écrivain habile et l’esprit sérieux qui ne s’était point laissé absorber dans les frivolités élégantes. Pourtant cette histoire mérite-t-elle, comme Daunou l’a soutenu et comme Chénier d’après lui l’a répété, d’être placée au rang des monuments modernes comparables à ceux de l’Antiquité ? Je ne me permettrai à ce sujet que quelques doutes et quelques observations.
Rulhière, chargé en 1768 d’écrire l’histoire de l’anarchie de Pologne, anarchie qui commençait à éclater à cette époque, mais dont les suites se prolongèrent jusqu’au dernier démembrement de la Pologne, consommé en 1797, avait affaire à un sujet qui n’était pas défini, qui était, si l’on peut dire, en cours d’exécution, et qu’il ne pouvait par conséquent embrasser dans son ensemble. Toute la composition de son ouvrage se ressent de ce premier manque de point de vue. S’il n’avait voulu qu’écrire des mémoires, tracer un récit extrait des conversations, des dépêches, des confidences de diverse nature, il le pouvait ; mais tel n’était point son dessein ; il voulait réellement composer une histoire classique, à l’antique, définitive, ayant des proportions savantes et majestueuses : or, le sujet prématuré et non encore accompli ne s’y prêtait pas. Le cadre en restait flottant. Aussi le peintre s’est-il étendu outre mesure dans les préambules ; il semble attendre, pour aborder son sujet, que ce sujet ait un dénouement, et ce dénouement recule sans cesse. On ne sait, par moments, si c’est l’histoire de Russie ou celle de Pologne que retrace l’historien, tant il nous transporte d’abord alternativement de l’un à l’autre pays. Lorsqu’il aborde enfin sa vraie matière, qui commence avec l’élection du roi Stanislas Poniatowski, Rulhière a l’inconvénient d’avoir à se prononcer sur des caractères vivants qui n’ont pas eu leur entier développement, sur des personnages qui n’ont pas donné leur dernier mot. Il méconnaît la grandeur et la suite des projets de Catherine ; il ne pénètre pas ceux du grand Frédéric et sa part d’initiative dans les destinées de la Pologne. Parmi les chefs polonais, il en choisit pour ses héros qui n’ont pas soutenu plus tard ce caractère : il les voit de loin dans les poses chevaleresques qu’ils se donnent, et tout à leur avantage. Il leur prête des discours qui rappellent avec talent ceux des anciens dans les assemblées publiques, mais j’aimerais mieux quelques-uns de ces mots vrais et qui transportent dans la réalité. Dumouriez fut quelque temps agent du ministère français auprès de ces Polonais, les confédérés de Barr. Ce qu’il me dit sur eux en courant et dans sa vive familiarité, m’en apprend plus et entre mieux dans mon esprit que les scènes dramatiques et un peu extérieures de Rulhière, qui, tout en nous avertissant de l’ostentation de ses héros, y donne lui-même et s’y laisse prendre. Il a besoin de peindre, et il cherche des sujets de tableaux, comme nous l’avons vu ailleurs chercher des sujets de comédie ou d’épigrammes. La main-d’œuvre se fait sentir. En un mot, Rulhière conçoit et exécute son histoire bien plus en homme de lettres et en peintre qu’en homme d’État et en homme politique. C’est une histoire qui, pour être si contemporaine, ne paraît pas assez voisine des sources et qui sent trop la rédaction, ou, si vous aimez mieux, la palette. On comprend bien que, tandis qu’elle excita au sein de l’Institut des objections de la part d’hommes pratiques et qui avaient vu la Pologne ou la Russie, elle ait tant agréé à Daunou, esprit orné, plus académique qu’il ne croyait, et qui ne voulait pas que l’histoire, même vraie, fût écrite d’une manière quelconque.
Daunou, dans son analyse des mérites de Rulhière, est allé jusqu’à remarquer que, dans les phrases courtes comme dans les plus longues, l’auteur varie sans cesse le ton, le rythme, les constructions, les mouvements :
Il y a des livres, ajoute-t-il ingénieusement et en rhéteur consommé, où la plupart des phrases ressemblent plus ou moins, si l’on me permet cette comparaison, à une suite de couplets sur le même air ; et ce n’est pas sans quelque effort qu’un écrivain se tient en garde contre ce défaut ; car l’esprit ne s’habitue que trop aisément à un même genre de procédés, le style aux mêmes formes, l’oreille aux mêmes nombres. Mais lorsqu’en lisant Rulhière on peut se détacher assez de l’intérêt profond des choses pour n’observer que la structure du discours, on est partout frappé de la riche variété des nombres qui concourent à l’harmonie générale. Après cela, j’avouerai que son style est ordinairement périodique (on avait reproché à Rulhière d’avoir la phrase trop longue), c’est-à-dire tel qu’il devait être pour représenter par l’enchaînement des expressions la liaison des idées, pour rapprocher et développer les circonstances des grands événements, et pour conserver à l’histoire sa magnificence et sa dignité.
Je me suis plu à citer ce passage de la réponse de Daunou aux objections élevées contre Rulhière, pour montrer de quel genre de soin, inusité chez les Modernes, cet historien élégant était préoccupé en composant ses tableaux. On lira toujours avec plaisir chez Rulhière de curieux et saillants portraits, la description de Varsovie à l’ouverture de la diète électorale, les scènes de tumulte et de confusion grandiose dont il traduit aux yeux le drame. Mais ceux qui aiment à se rendre compte ne s’en tiendront pas à cet aspect de coloris un peu lointain, et ils se demanderont ce qu’il y a au revers de cette toile immense. Rulhière dissimule trop bien ses recherches, et il oblige celui qui doute à les recommencer.
Il lui reste du moins l’honneur d’une grande tentative. Il a conçu une vaste composition historique, il a commencé à l’exécuter et l’a poussée durant plus de onze livres avec aisance, harmonie et largeur. Cet homme du monde, qui ne semblait qu’un spirituel épicurien, a montré qu’il savait se proposer l’élévation du but, et y diriger avec art tous ses moyens.
Où est-il l’historien qui saura unir la beauté et la pureté de la forme, propres en tout genre aux anciens, avec la profondeur des recherches imposée aux modernes, et doit-on l’espérer désormais ? Rulhière en eut l’idée : là est son titre, et c’est en quoi, bien qu’il soit demeuré en chemin, nous le saluons aujourd’hui.