(1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »
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(1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Ernest Feydeau38

I

Nous avons toujours rendu compte des divers romans d’Ernest Feydeau ; Fanny, Daniel, Catherine d’Overmeire, ont été successivement examinés avec le sérieux qu’ils méritaient encore ; car, si manqués que soient ces livres et quelque singulière diminution de talent qu’on pût signaler dans chacun d’eux, ils accusaient tous, du moins, l’effort concentré de l’artiste. Tandis que nous ne trouvons plus même cet effort en ces trois volumes publiés à la fois, et qui ne sont, du reste, que le même roman en trois parties distinctes. Destinés à paraître dans un journal sous cette forme de roman-feuilleton qui peut se permettre tant de hors d’œuvre et de bavardages, les romans actuels de Feydeau sont tout aussi victimes de la forme qu’ils ont revêtue que des idées fausses et des facultés décroissantes de leur auteur.

Le roman-feuilleton est, en effet, la forme la plus énervante et la plus traîtresse des formes littéraires, parce qu’elle en est la plus facile et la plus débordée. Elle sacrifie tout au jour le jour, à l’intérêt de la minute présente, et c’est tous les jours à recommencer ! Aux robustes seuls à y toucher, et encore que de robustes elle a perdus ! Que de talents elle a déformés, épuisés, anéantis ! Évidemment, je n’appelle pas romans-feuilletons tous les livres publiés en feuilleton, tels chefs-d’œuvre qui, comme les Parents pauvres, par exemple, auraient été ou seraient obligés de passer par cette porte basse de la publicité, sous cette fourche caudine de l’imagination publique. Mais j’entends par romans-feuilletons tous les livres composés, ou plutôt décomposés, en vue de l’intérêt de chaque jour et de son succès, et je dis que cette forme littéraire abaissée pourrait, au fond, très bien s’appeler la forme « Rigolboche » en littérature !

Eh bien, c’est cette forme-là qu’Ernest Feydeau a choisie, ou qu’il a subie ici ! Qu’il ait écrit les trois livres qui n’en sont qu’un : Un début à l’Opéra, M. de Saint-Bertrand et le Mari de la Danseuse 39, tout d’une haleine ; qu’il en ait inventé ou combiné les événements à tête reposée et de longue main ; ou, comme tant d’autres marquis de la Rocambole du feuilleton, qu’il les ait trouvés au jour le jour dans cette improvisation qu’on apprend comme tout ce qui est de métier et d’exercice, il n’importe ! Il a fait certainement du roman-feuilleton selon les exigences de l’imagination contemporaine et des débitants de publicité qui la servent. L’abaissement de son exécution fait resplendir qu’il a eu, en écrivant, les yeux attachés sur le public pour lequel il écrivait ; qu’il lui en a fourré selon ses goûts ; qu’il l’a pris par ses préoccupations les plus momentanées ; que l’homme s’est fait enfin le courtisan du public et non son dompteur de génie… cherchant, avant la gloire de l’art, le petit chatouillement de la popularité.

Dans un roman qui devrait être, comme tout roman, une profonde ou riche étude du cœur humain, il nous a donné beaucoup de cabotinisme, suffisamment de Bade, beaucoup de Pologne, un peu de Californie, et, pour terminer la chose, une brûlure de danseuse en plein théâtre. Il a exploité jusqu’à l’attendrissement causé par la mort de la malheureuse Emma Livry ! Il est impossible — comme vous le voyez ! — d’avoir plus tiré sur les cordes de la mandoline de la publicité. Les aura-t-il cassées ?… C’est douteux. Ce sont les boyaux d’une si bonne bête !… Que cette littérature de feuilleton fût restée modestement au bas de ces journaux que le vent de chaque jour emporte vers ces cabinets où s’en allait le Sonnet d’Oronte, la Critique n’aurait point à en parler… Mais, après le succès fait par les portières de loge ou de salon, que l’auteur nous donne comme des œuvres cette littérature de feuilleton, aussi éphémère que les articles de mode de madame de Renneville, la Critique a vraiment le droit de s’instruire en faux contre tant d’aplomb, et de dire à ces trois volumes : « Vous ne passerez pas ! » ou plutôt : « Vous êtes déjà passés. »

II

Et d’autant que les prétentions de l’auteur de ces livres sont immenses. Feydeau est l’enfant gâté d’un début heureux. Il fut une minute la coqueluche d’une critique qui s’en est guérie. Attaqué, depuis son début, dans sa moralité d’écrivain, ce qui, au fond, lui est bien égal, il n’en a pas moins relevé le gant pour le compte de la moralité de son œuvre, afin de n’avoir point à le relever pour le compte de son talent contesté, et il a écrit une longue préface qu’il a plaquée à la tête de ces trois volumes, précisément, dit-il en capitales, « pour qu’on la passe ! », l’auteur l’ayant mise là, nous dit-il, toujours en capitales : « seulement pour lui-même (égoïste, val) et quelques-uns de ses amis ».

Ce titre curieux montre assez, en voulant la dissimuler, l’enclosure de l’amour-propre :

Monsieur, je suis porteur d’une large écorchure…

La plaisanterie et l’ironie de cette préface, charpies impuissantes, ne voilent ni ne ferment la blessure dont on parle avec une telle stoïcité. Dans cette préface, qu’il serait bien fâché qu’on ne lût pas, et avec raison, car c’est ce qu’il y a de meilleur dans les trois volumes, l’auteur fait une passe d’armes, fastueuse et inutile, en l’honneur de l’art pour l’art, disant, du reste, de très bonnes choses, claires comme de l’eau, contre les moralistes camards, qui ne voient pas plus long que leur nez et qui piaillent pour la morale en quatre points, la prêcherie et la pédagogie catéchisante en littérature !

Or, ces gens-là, que suppose Feydeau pour avoir le plaisir de leur répondre, sont évidemment des cuistres de moralité, faciles à découdre sans qu’on soit pour cela, en fait de raisonnements vainqueurs, un sanglier d’Érymanthe ; mais la question n’en reste pas moins tout entière de la moralité dans l’art, lequel n’atteint réellement son but idéal et suprême qu’à la condition d’étre moral dans l’effet ou l’émotion qu’il produit, — ce qui, par parenthèse, est précisément le contraire de l’effet produit par les livres de Feydeau. Nous n’avons pas à discuter contre lui une théorie qui pose, d’ailleurs, un principe vrai : c’est qu’une œuvre d’art incontestablement belle est toujours assez morale comme cela ! Mais nous avons à discuter la beauté de ses livres et le principe d’esthétique qui explique, selon lui, la beauté des œuvres, et, selon nous, la beauté des siennes. Ce principe singulier… vous l’imagineriez-vous jamais ?… C’est, nous dit-il, l’exactitude.

Non pas l’exactitude qui arrive à temps dans ce qu’elle fait, — qui donne, par exemple, son feuilleton à heure fixe (sur mon âme, je l’ai cru un moment !) ; non pas l’exactitude des surnuméraires et des commissionnaires ; mais (ne plaisantons pas !) l’exactitude dans le sens de renseignement, de description et de notions complètes et scientifiques des choses… La littérature de la dernière moitié du xixe  siècle, annonce dogmatiquement Feydeau, sera la peinture exacte de ce qui est. Et il ne s’aperçoit pas que voilà les commissaires-priseurs, avec leurs procès-verbaux, lâchés dans la littérature ! Mais, bouffonnerie à part, c’est là écloper la question. Après la représentation exacte de ce qui est, il y a encore la manière de peindre, qui fait l’artiste, et qui n’est déjà plus la même, par exemple, dans Ernest Feydeau l’auteur de Fanny, et Ernest Feydeau l’auteur de M. de Saint-Bertrand, le roman-feuilleton !

C’est, en effet, cette exactitude, pour laquelle on oublie trop la manière dépeindre, que je trouve, dans les nouveaux romans de Feydeau, mise à la place de la peinture. En ses premiers livres, où la description abondait, où il y avait bien des surcharges de détail, bien des puérilités de pointillé, il se préoccupait infiniment d’un certain genre de pittoresque, plus ou moins heureux, qui était sa manière à lui ; mais, à présent, il ne s’en préoccupe plus au même degré ; il se contente de l’exactitude.

Jamais on n’aurait trouvé dans Fanny, dans Catherine d’Overmeire, ni dans Daniel (le plus mauvais de ses romans avant ceux d’aujourd’hui), quelque chose de comparable au commencement d’Un Début à l’Opéra, qui est purement et simplement une dissertation technique et numérotée sur l’intérieur de l’Opéra, l’administration supérieure, le directeur, les sujets de la danse, les protecteurs du corps du ballet, les auteurs, compositeurs, professeurs, maîtres de ballet, les habilleuses, les coiffeurs, les chefs de claque, les abonnés, les feuilletonistes ; et qui, placée là en dehors du roman, comme un feuilleton à part, pouvait se publier toute seule, puisqu’elle ne se rattache en aucun lien appréciable à l’économie du récit qui va suivre.

Certes ! tout cela peut être exact, mais si, au lieu d’avoir cet unique souci de l’exactitude, l’auteur avait su se servir des notions de cette dissertation pour en tirer des effets de pittoresque ou de drame, il aurait fait de l’art intéressant et non pas une ennuyeuse nomenclature. Fondre les choses dans son œuvre ne le regarde plus probablement, et pourvu qu’elles y soient cela lui suffit sans doute. Parti de la description minutieuse, Feydeau est, je le prédis, en voie d’arriver à la plus épouvantable sécheresse. Puisqu’il se plaint dans sa préface, avec un rire couleur un peu gomme-gutte, des chicanes de moralité qu’on lui a faites, je veux bien les lui épargner, et ne considérer que littérairement les nouveaux livres qu’il publie, trop dégoûtants, du reste, pour pouvoir être dangereux !

III

Rien de pareil ne s’était encore vu, même dans Feydeau, et il a si bien senti lui-même la puanteur de son sujet, choisi probablement par fanatisme d’exactitude, que lui, l’homme de la réalité exacte, et qui persifle si joliment les moralistes dans sa préface, a cru devoir se faire provisoirement moraliste contre l’épouvantable drôle, son héros, et le timbrer, pendant tout le temps que dure son récit, des épithètes de misérable, d’homme affreux, de coquin, comme s’il était, Feydeau, un des vertueux dont il se moque ! Certes ! je ne lui fais pas un reproche de cette honorable conduite ! Je le crois de l’école des Impassibles en littérature, mais je connais les despotismes de cette forme littéraire qu’on appelle le roman-feuilleton.

Les abonnés, dont dépend le journal, n’auraient peut-être pas accepté la monstrueuse et basse immoralité du monsieur dont Feydeau a distillé les infamies dans son roman, si, de temps à autre, l’auteur n’eût montré une indignation honnête, et allongé, pour l’acquit de la conscience publique, un coup de fouet à l’indigne animal qu’il conduit l’espace de trois volumes dans le brancard de son feuilleton. Ces trois romans : Un début à l’Opéra, M. de Saint-Bertrand et le Mari de la Danseuse, qui ne font, comme je l’ai dit, qu’un seul livre, malgré leur triple étiquette, et qui devraient seulement s’appeler M. de Saint-Bertrand, ne sont que la vie de ce beau fils aimé d’une danseuse, homme entretenu (il faut dire exactement le mot), qui, pour jouer et bambocher, vend tout, se vend lui-même d’abord, puis vend sa maîtresse, puis sa femme, puis, quand sa femme n’est plus, son cadavre !

C’est un de ces hommes corrompus, lâches, sordides et abjects, qui s’enfoncent dans la boue de l’or, cent fois plus sale que l’autre boue. Par épisode, ce misérable est un traître. La vente de sa maîtresse n’a pas été une vente simple. Elle a caché une trahison. La maîtresse de Saint-Bertrand, à laquelle il a dévoré trois millions, est une polonaise. Traquée par le gouvernement russe, elle a confié à la loyauté de son amant tout le plan d’une conspiration qu’elle dirige et la liste des conspirateurs, et le misérable les a vendus à la Russie. Un nouveau massacre de la Pologne a été la conséquence de cet horrible marché.

Saint-Bertrand est un Deutz de l’amour, plus abominable que l’autre ; car, au moins, la duchesse de Berry n’était pas la maîtresse du Judas juif qui l’a trahie ! Tel est le personnage principal mis en scène. Je n’en nie point l’ignoble vérité, mais je dis qu’on a beau aimer l’exactitude, il est un point où elle devient insupportable. Les scalpels eux-mêmes n’ont plus rien à voir dans un corps humain quand il tombe en déliquescence.

Je ne crains pas de l’affirmer, étant ce qu’il est, ce Saint-Bertrand, nul talent, nul génie n’aurait pu se tirer d’un tel personnage. Mais Feydeau, qui n’avait pas d’idées à lui, a cru, en outrant l’infamie de son héros, dissimuler mieux un sujet de roman déjà traité et qui ne lui appartenait pas… Ce sujet, c’est celui de Leone Leoni. C’est l’amour mystérieux, incorrigible, inexplicable aux moralistes qui ne croient pas au péché originel et à la fange dont est faite notre âme, d’un être pur pour un être immonde. C’est l’amour idolâtre, mêlé de haine et de mépris, et s’enflammant davantage de ce mépris et de cette haine. C’est, enfin, la lâcheté, sublime ou abjecte, d’une passion qui ressemble à une maladie dont les rechutes seraient éternelles !

Madame Sand, qui faisait un livre, a traité ce sujet en se plaçant en plein centre d’âmes et de drame tète à tête, et, quoique sa main de femme ait un peu tremblé sur le scalpel et ne l’ait pas enfoncé aussi avant qu’il le fallait, elle en a mis pourtant la pointe à la place juste, tandis que Feydeau, venu après elle et faisant un feuilleton, a enroulé autour du Leone Leoni de madame Sand, dissous et délayé dans une boue plus liquide et plus infecte que la boue qui avait servi la première fois à la confection de ce type, un tas d’événements en arabesques qui sont des prétextes à feuilleton, mais qui ne font rien, absolument rien au sujet.

IV

Voilà le grand, le capital reproche que la Critique est en droit de faire à l’auteur de cette trilogie : Un début à l’Opéra, M. de Saint-Bertrand et le Mari de la Danseuse. C’est, d’une part, l’absence complète d’invention dans l’idée de son ou de ses livres, et l’odieuse abjection, l’abjection extra-humaine, d’un personnage déjà odieux dans le livre de madame Sand, où il est brutal, joueur, escroc, ce qui suffit pour poser et montrer le mystère de cet horrible amour sans bandeau, qui se jette, les yeux ouverts, dans des bras infâmes !

Quoique toute âme mérite son coup de pinceau ou son coup de lumière, pour certaines âmes cependant il faut que le coup de pinceau soit vite donné, que le coup de lumière n’ait pas plus que la durée d’un éclair ! Le Leone Leoni de madame Sand n’est pas long, et par là l’artiste a épargné à son lecteur, tout en l’émouvant, la sensation du dégoût qui n’eût pas manqué d’arriver si on eût prolongé la scabreuse situation, nécessaire au développement du sentiment qu’on a voulu peindre. Le Leone Leoni de Feydeau a trois gros volumes, lui ! C’est une véritable exhibition américaine de toutes les lâchetés, de toutes les sordidités, de toutes les ignobilités dans lesquelles un homme, par amour de l’argent et des jouissances qu’il procure, peut tomber. Aussi arrive-t-il un moment, quand on ne lit pas l’ouvrage comme il a été fait, dans l’ordre suspendu du feuilleton avec ses interruptions et ses coupures, où le lecteur le plus intrépide et le plus cuirassé contre le mal au cœur est tenté de rejeter le livre dont un pareil homme est le héros.

Et il n’y a pas plus d’invention non plus dans les autres personnages importants de ce ou de ces romans ! L’impresario Giskel est cet éternel vieillard qui aime, et qui également fait pleurer ou rire, selon qu’on le trouve dans un roman ou dans une comédie. La princesse Médeline, la femme pauvre qui boit de l’absinthe et qui est assez folle ou assez bête pour s’imaginer que son amant, le Saint-Bertrand, ne fera pas les mêmes infamies qu’elle a faites, cette Putiphar à contre-sens de la trahison qui veut que Joseph lui résiste au moment où elle le tente, et viole sa conscience en lui jetant des billets de banque à la figure, n’a d’originalité que celle de son impossibilité même. Enfin Barberine, la danseuse, est idéale de pirouettes, il est vrai, et n’a pas usé par les jambes, comme le dirait Stendhal, le fluide nerveux qui fait qu’on aime ; mais l’obstination de son amour pour Saint-Bertrand, amour qui aurait dû être combattu par des hontes et des résistances infinies, sa docilité à reprendre son amant chaque fois qu’il lui revient, couvert d’un flot de boue de plus, a quelque chose de si ponctuel qu’elle ne semble plus une femme qui se débat comme l’oiseau fasciné par le monstrueux reptile, mais la poupée mécanique de l’amour.

Quant aux autres personnages, tout à fait secondaires, tourbe qui entre, passe et sort dans ces romans sans y être nécessaire, sinon pour amener des épisodes, la princesse Wanda, — la conspiratrice polonaise dont toute la caractéristique est d’avoir une épaule plus grosse que l’autre (il faut être exact !), le grand seigneur poltron Rogatchef, le major Carpentier, Cocodès, de Perche, La Gruelle, etc., etc., nous qui ne tenons pas au même point que Feydeau à l’exactitude, nous n’avons pas à en parler, tant ils sont insignifiants ! tant on a vu ces plates figures à tous les coins des rues et des livres ! Restent donc les faits, les événements, les aventures, toute cette danse macabre des faits qui sont la vie même du roman-feuilleton…

Eh bien, ces faits, — la seule ressource qui restât à Feydeau dans sa pénurie d’idées, de sentiment, de conception quelconque ! — ces faits sont aussi plats, aussi connus, aussi usés que les personnages. C’est toujours la même potée de choses vulgaires qu’on nous jette, depuis des siècles, sur la tête. En voulez-vous la preuve ? Voulez-vous les compulser avec moi ?… Dans Un Début à l’Opéra, vous avez, bien entendu, la première représentation ; puis un duel, l’éternel duel dont la cause est un potage de bisque renversé sur le collet d’un habit (il faut être exact !) ; puis la mort par indigestion de la mère de la danseuse, madame Chaussepied (il faut être exact !) ; puis la chute morale de la danseuse, qui s’en va vivre en concubinage avec Saint-Bertrand. Dans M. de Saint-Bertrand, c’est la lune de miel de ce concubinage. C’est Bade et son jeu. C’est le mariage de la danseuse, qui n’aurait pas lieu s’il ne fallait un troisième volume, intitulé le Mari de la Danseuse. C’est l’Afrique, dont Feydeau a rapporté un petit épisode militaire. Toutes choses, du reste, qui se succèdent aussi bêtement (il faut être exact !) que les événements de la vie, et qui donnent à l’œuvre de l’art tout le décousu de la réalité. Enfin, dans le Mari de la Danseuse, vous avez la Pologne, couplet de circonstance, chanté pour le public de l’Opinion nationale où le livre de Feydeau a paru : et, pour faire pendant à l’Afrique, vous avez un bout de New-York et de San-Francisco, cette actualité pour les feuilletonistes en quête de neuf !

Certes ! je défie d’avoir moins inventé. Je défie d’avoir plus écrit sous la dictée des choses qui dictent à tout le monde. Le style (nous ne voulons rien oublier), le style dans lequel tout cela est écrit s’est desséché comme la tête de l’auteur sous sa théorie de l’exactitude. Il y a encore un reste de ressort pourtant dans l’articulation de cette phrase, aux jointures craquantes, mais le brillant qu’elle avait n’y est plus… Ah ! Feydeau a trouvé le moyen de nous faire regretter Feydeau… On nous a accusé, dans le temps, d’avoir été trop sévère pour l’auteur de Fanny, de Daniel, de Catherine d’Overmeire, parce que nous ne trouvions pas que son talent fût du génie ; mais, franchement, si nous le jugions rétrospectivement à la lumière de ses nouveaux livres, nous pourrions croire qu’il en avait.