(1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »
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(1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Jean Richepin20

I

En voici un, pourtant, un livre ! — Je disais récemment que l’on n’en publiait pas et que le néant littéraire s’affirmait… Mais en voici un, cependant, et dans lequel l’imagination et l’observation sont bien pour quelque chose. C’est une réponse à mon désespoir. Celui qui me l’a faite n’est pas, du reste, une voix inconnue. Cette poudre a parlé, — comme disent les Arabes, — et elle a retenti. M. Jean Richepin a déjà de la célébrité sur la tête. Il débutait, en 1876, par La Chanson des gueux, qui le fit célèbre tout de suite, qui le tira de ces antichambres de la Renommée où tant de gens se morfondent ; car, insolente comme l’Attila de Corneille, elle fait parfois attendre jusqu’aux rois, — les rois futurs de la pensée ! Lui, M. Richepin, n’attendit pas. Dans cette société, pourrie d’or et de luxe, sa Chanson des gueux fit l’effet d’explosion d’un gueux superbe, qui serait entré dans un salon. Comme les Gueux des Pays-Bas, il avait eu le courage de planter cette cuiller de bois à son chapeau… Cela me plut. Je le dis alors. Je fus le fauconnier de ce faucon… Depuis ce moment-là, qui a été son plus beau moment, M. Jean Richepin a publié deux livres, l’un en prose, l’autre en vers, dans lequel le faucon n’avait pas enfoncé sa griffe au même degré de profondeur. Si la griffe y était encore, le coup de griffe n’y était pas. Jeune, — et parmi les derniers venus dans cette littérature expirante qui, comme le dauphin mourant, jette ses dernières couleurs, — M. Richepin est certainement un de ceux-là qui peuvent le mieux l’empêcher de tout à fait mourir. Tant qu’il y aura, d’organisation naturelle, des esprits bâtis comme le sien, la race des livres ne sera pas éteinte. Il est évidemment conformé pour produire. Il a ce qu’on appelle des reins. Si je cherchais dans l’ordre physique une ressemblance avec son talent, je dirais qu’il me fait penser à l’élève, héroïquement râblé, du Centaure Chiron, dans le beau tableau de L’Éducation d’Achille. Il est souple et musclé comme lui. Il a toute la souplesse de la force. Et c’est particulièrement de cette souplesse dans la force qu’il donne la preuve dans Madame André.

Sa Madame André est un roman ; et pour tous ceux qui connaissent et pratiquent M. Richepin, ce roman sera une surprise. C’est, de tous les livres qu’il pouvait faire, le plus étonnant à coup sûr, et celui auquel on devait le moins s’attendre. L’auteur de La Chanson des gueux, qui se chauffe avec les ossements des tombes et des têtes de morts tant il est affamé de flamme et de tableaux d’un tragique effréné, l’écrivain moins puissant, mais non moins ardemment épris de choses physiques, qui a écrit Les Morts bizarres et Les Caresses, et qui couve, en ce moment, comme le Chaos et la Nuit couvèrent l’Amour dans une terrible mythologie, l’œuf monstrueux de ses Blasphèmes, vient de nous faire, en Madame André, le livre le plus retenu, le plus contenu, le plus rassis, le plus didactique, le plus sage de la sagesse humaine, et le plus en dissonance et en contraste avec ce qu’il nous avait donné le droit de croire ses incoercibles instincts. Madame André, qu’on pouvait imaginer un livre de passion dramatique à faire pâlir tous les drames connus, et d’événements d’une invention extraordinaire, n’est que l’histoire la plus moralement exemplaire, si elle n’est pas la plus vertueuse en tout, et l’analyse très fine et très poursuivie, poursuivie jusqu’aux imperceptibles, de la situation la plus vulgaire de ce siècle où il y a tant de choses vulgaires, — le concubinage libre, qui est en train de remplacer le mariage pour faire place au concubinage légal du divorce que nous donnera la République ! Le violent, l’intempérant, l’extravagant (pour les bourgeois), l’indécent Richepin, l’impie Richepin, ce Capanée qui fourbit actuellement et damasquine ses Blasphèmes, se resserre tout à coup, se ramasse, se froidit, se simplifie, se métamorphose, et produit un roman d’analyse impartiale et patiente, — patiente… à impatienter le journal dans lequel il l’avait publié d’abord en feuilleton, et qui, lui, l’a raccourci, haché et châtré, ne voulant pas en perdre tout, puisqu’il l’avait payé à l’avance, et disant comme ce grand poète, qui n’est pas le Père prodigue, à son fils qui n’avait plus faim : « Mange donc cette côtelette encore, puisqu’elle est payée. » Le public, moins despotisé, n’a mangé qu’une partie de la côtelette de M. Richepin. Les superficiels auront peine à le croire. Le violent, l’absolu Richepin, s’est laissé tranquillement châtrer ; mais c’est ici un trait caractéristique de l’espèce d’homme qu’il est que je ne veux pas oublier. L’auteur de La Chanson des gueux a une si méprisante indifférence pour les journaux et l’opinion qu’ils font, qu’au sien il s’est détourné de son œuvre, avec une légèreté qui n’est pas même un stoïcisme, et qu’il a laissé opérer sur sa personne les sordides et lâches ciseaux de l’industrialisme qui l’ont dépecée. Sûr, d’ailleurs, de retrouver son œuvre plus tard ; sûr de la sauver du massacre qu’on lui avait fait subir, et de montrer — du même coup, en la publiant, — la double intégralité de l’œuvre et de la bêtise de ceux qui l’avaient massacrée !

II

Le voici donc tout entier, ce livre qui, je l’ai dit, nous donne un Richepin aussi contenu qu’il avait été jusque-là incontinent, et aussi moral qu’on peut l’être sans Dieu ; car M. Richepin est athée. Il est athée, — mais en attendant qu’il ne le soit plus… Son livre est une lueur sur les fortes souplesses de sa pensée, et nous pouvons tout espérer de lui. Athée donc, pour l’heure, encore, comme ses contemporains, dont l’athéisme est aussi effronté que stupide, M. Richepin, qui vaut cent fois mieux qu’eux, n’est pas, sur d’autres points, en proie aux mêmes sottises. Par exemple, ce n’est pas un naturaliste du moment, comme ils le sont tous, ces singes qui prouvent bien leur descendance ! Il a le talent trop altier pour emboîter le pas derrière les assommants de L’Assommoir. Il ne croit pas, comme ces imbéciles, avoir inventé la nature. Il ne croit pas qu’une puanteur dans laquelle on ne peut pas rester puisse être jamais une École. Il est de la famille des écrivains qui, de toute éternité, ont mis de leur âme dans ce qu’ils écrivent, et qui ajoutent de leur âme à cette sotte et à cette brute qu’on appelle la nature, qu’on mutile (comme le journal qui a mutilé Madame André) quand on ne fait que la copier platement, cette nature… M. Richepin analyse trop l’âme pour n’y pas croire ; son livre, comme la vie, est encore plus psychologique que physiologique, et c’est là sa valeur, c’est là sa supériorité. Je lui ai entendu dire à lui-même, à ce jeune homme du temps de la photographie victorieuse, dans les œuvres de l’esprit comme dans les œuvres de la main, qu’il n’y avait, en définitive, que des romans d’analyse. Pour moi, ce n’est pas strictement vrai, mais cela prouve, du moins, une tendance à mille lieues des tendances et des procédés actuels. Assurément, on peut s’étonner déjà de cette opinion dans un écrivain de la génération qui n’est plus préoccupée, hélas ! que du rendu des faits extérieurs et de l’exactitude de leur description, Mais il y a bien d’autres choses encore qui vous étonneront dans le roman de M. Richepin, lequel, naïf ou volontaire, — et je le crois plus volontaire que naïf, — révèle un grand empire sur soi, et la rare faculté de s’éteindre aussi bien que de s’allumer.

Il s’y éteint, en effet. Il a mis le pied sur sa propre flamme. Je sais bien que ce n’est pas facile à éteindre, ce feu grégeois, ce feu Richepin, qui repart sous le pied mais dont le pied finit pourtant par être le maître. Tout est relatif. Où nous voyons Richepin éteint, d’autres que lui paraîtraient flamber encore.

Mais pour lui, pour cet intense de Richepin, il y a, dans ce livre, extinction de cette flamme exaspérée qui devait, nous disait-on, tout incendier dans ses œuvres. Excepté le bohème (Nargaud), qui est le justicier en ce roman, moral à sa manière ; excepté ce paroxyste, comme il l’appelle, dont la prose est… les vers de Richepin auxquels il a enlevé la rime ; excepté deux ou trois scènes d’amour où se retrouve un peu de l’ancien Richepin des Caresses, le roman de Madame André n’a que le spiritualisme de l’analyse, qui regarde surtout dans le cœur et qui en épingle les ténuités. Quoique le romancier voie les réalités, et, quand il s’agit de les nommer, ne barguigne pas, le cynisme de ce terrible Richepin, qui ne craignait pas autrefois d’être cynique, qui n’hésitait jamais devant l’expression et se jetait à corps perdu sur elle, n’a plus guères, dans tout ce livre, que quelques traits fort rares, et encore le romancier ne s’y arrête pas, ou, s’il les ose, le croiriez-vous jamais ? c’est par moralité, — son espèce de moralité à lui, — pour condamner ou pour mieux flétrir ce qui lui paraît immoral ou laid dans la vie. Et sa personnalité, la personnalité de ce Richepin que nous connaissons, où est-elle ici ? On la cherche… Certes ! s’il y a quelque part une personnalité retentissante qui semblait, comme dans les vrais poètes, devoir se reproduire et se chanter elle-même dans toutes ses créations, ou du moins dans les types favoris de sa pensée, c’était bien Richepin, la personnalité de ce mâle Richepin, si fier d’être un mâle, et dont le héros dans Madame André est une femelle pour la faiblesse, un lâche… idéal de lâcheté !

III

Triste et difficile sujet de roman que la lâcheté ! triste par lui-même, car il dégoûte l’imagination comme il indigne le caractère, et difficile à toucher, même au génie. Waller Scott y a mis la main une fois, mais ce n’est que la lâcheté physiologique qu’il exposa dans son roman de La Jolie fille de Perth, et son poltron n’était pas son héros. Ses héros, c’étaient ceux qui mouraient pour lui et pour cacher avec leurs poitrines la lâcheté du chef de leur clan. Dévoûment sublime ! C’était là une donnée virile digne de l’esprit viril de Walter Scott, le vieux féodal écossais. Mais de lâche, non plus de nerf, mais d’âme, il n’y a jamais eu que des femmes qui en aient placé sur le premier plan de leurs livres. Elles avaient leurs raisons pour cela. Les unes, c’était pour humilier les hommes devant elles ; les autres, pour se venger de quelque sans-cœur qui les avait abandonnées. Madame de Staël a créé Oswald peut-être en se ressouvenant, ce blondasse anglais, plus mou que ses bottes molles, et dont la misérable infidélité tue Corinne. M. Jean Richepin, qui n’a pas d’injure personnelle à venger, est-il le chevalier d’une madame André, qu’alors il n’eût pas inventée ? Le Nargaud de son livre serait-il lui de pied en cap ?… Mais jusque dans cette hypothèse l’analyse serait allée trop loin, et le moraliste mâterait l’artiste, — ce qui peut augmenter le nombre des étonnements que fait naître le livre de M. Richepin, en y ajoutant le plus grand de tous. En effet, il faut que le roman, pour être une œuvre supérieure, nous prenne par tous les côtés de notre âme, et il est impossible de nous intéresser longtemps au caractère de Lucien Ferdolle, le héros, si cela peut s’appeler un héros, de M. Richepin. Il est impossible de supporter longtemps l’analyse, même la mieux faite, de tant de choses méprisables… Je conçois que Le Sage peignît un laquais dans Gil Blas, à l’époque où les laquais intéressaient une société qui donnait chaque jour sa démission de sa noblesse. Je conçois même aussi que M. Jean Richepin, dans une société sans noblesse et sans laquais, — car cette société est égalitaire, et le larbin, si elle est conséquente, y vaut le sénateur, — peigne un lâche parce qu’il y en a beaucoup dans cette charmante société. Mais il n’y a pas les mêmes raisons pour que le lâche nous plaise, à nous, comme le laquais a plu dans la société du xviiie  siècle. Le laquais pouvait être un brillant, ou un dangereux, ou un amusant coquin. C’était une force. Mais Lucien Ferdolle, qu’est-il et que pourrait-il être ?… C’est une faiblesse. C’est un enfant qui a toujours besoin de sa bonne, qui pleure et toujours demande pardon à sa bonne, et sa bonne, c’est madame André. C’est aussi M. Jean Richepin, qui, à chaque pusillanimité, à chaque lâcheté, à chaque abjection, lui enlève sa jaquette et le fouaille. On est bientôt las de cette jaquette éternellement levée. Je n’ai pas à faire le compte de toutes les pusillanimités, de toutes les lâchetés, de toutes les abjections de Lucien Ferdolle. Qu’on aille les compter où elles sont ! Mais on croit toujours cela fini, et toujours cela recommence…

IV

Seulement, on me dira peut-être : Ce n’est pas là le héros du livre de M. Richepin. — Il n’y a pas de héros dans son livre. Il y a une héroïne, ou plutôt, c’est madame André qui est le héros dans ce roman, qui, d’ailleurs, s’appelle Madame André. Lucien Ferdolle, ce pantin lacrymatoire, qui, comme les petits chiens de l’intimé, pleure partout, n’est que l’occasion pour madame André d’être le héros de ce livre féminisé par l’admiration pour les femmes. Madame André y est tout. Madame André, ce phénomène de madame André, cette Goule de perfection dévorante, y mange et y fait disparaître le pauvre Lucien Ferdolle. Elle l’avale comme une muscade, — comme une houlette dont elle meurt, par parenthèse. Elle l’absorbe et se l’assimile. Pour qu’il soit quelque chose, il faut que Lucien devienne elle. Il n’existe pas en dehors d’elle, si ce n’est pour faire des sottises, des vilenies ou des gémissements. Quand Lucien a quelque valeur, c’est elle qui la lui a soufflée, comme elle lui souffle la santé par la bouche quand il est malade ou mourant, — comme elle lui souffle de l’esprit quand il faut qu’il ait de l’esprit, — comme elle lui souffle du courage quand il a besoin de courage. Éternelle souffleuse ! qui lui souffle, sans qu’il le sache, jusque de l’argent dans sa poche. Eh bien, vous l’éprouvez, l’étonnement continue, et nous n’avons pas, cependant, épuisé la liste de toutes nos stupéfactions ! Cette incroyable, cette idolâtrique conception de madame André, qui va faire miauler de plaisir toutes les femmes dans leurs pâmoisons de vanité chatouillée, cette création d’une femme impossible de supériorité, devant laquelle l’homme s’aplatit et s’anéantit comme un nain chétif devant une géante toute-puissante, les femmes, flattées jusque sous la plante des pieds de leur orgueil, auraient-elles deviné qu’elles pussent la devoir jamais à M. Richepin, à l’humilité devant elles d’un homme qui sait se tenir debout, d’un homme qui a le sexe d’Hercule, et qui fait de sa massue la quenouille de ce roman filé ?… Ah ! vous l’avez vu, il n’y a qu’un moment, le moraliste, dans M. Richepin, ébréchait l’artiste ; et voici maintenant le sentimental qui s’ajoute au moraliste pour casser définitivement notre fier Richepin, comme une porcelaine de pâte tendre. C’est le sentimental, en effet, qui a parachevé, qui a léché ce type de madame André, qui renverse la hiérarchie humaine, transpose les sexes et fond la mère dans l’amante au profit de l’amant, qui n’est plus même alors le polichinelle de l’amour, mais qui en devient la poupée. C’est le sentimental, ce ne peut être que le sentimental, l’Amadis tombé, on ne sait d’où, dans M. Richepin, qui a pu rêver et nous donner pour une réalité cette fée, cette divinité, cette incomparable amoureuse, ce génie ; car elle finit par le génie, madame André, toujours au profit de son amant, à qui elle fait ses livres comme elle lui fait ses chemises. Elle finit par le génie, comme M. Richepin, ce fort contempteur, ce formidable gouailleur de La Chanson des gueux, l’athée Richepin, qui ne croit à rien, qui ne croit pas à la puissance divine de N.-S. Jésus-Christ immolé pour le salut du monde, finit par croire à la puissance divine d’un Bas-Bleu qui se sacrifie au plus inepte et au plus ignominieux polisson !

Voilà toute cette madame André !

Si la Critique, comme je l’entends du moins, n’était pas plus haute que la sensation, le sentiment et tous les genres de critiques de ce temps matérialiste, sentimentalement niais et individuel, le livre, je l’avoue, aurait passé avec moi un mauvais quart d’heure. Je ne l’aime pas. Mais il ne s’agit pas de ce que j’aime ou de ce que je déleste. Il s’agit de juger le talent, en dehors des préférences de la pensée. Or, il faut convenir qu’il y en a, dans ce livre de Madame André. Quoique le sujet ait été choisi et traité par un esprit qu’on n’aurait jamais pu croire celui de l’auteur de La Chanson des gueux, des Caresses et des Morts bizarres, il termine les étonnements qu’il cause par l’étonnement du genre de talent qu’on y trouve. Ce talent, je l’ai dit, me fait l’effet d’être voulu, artificiel ; l’application de cette souplesse dans la force qui caractérise M. Jean Richepin. Cet écrivain, qui avait débuté par des poésies osées, d’un cynisme archaïquement rabelaisien, d’un cynisme d’un autre temps et d’un relief sinistrement ou grotesquement pittoresque ; cet impétueux sensuel, qui ailleurs ne comprenait de l’amour que les voluptés et les fureurs, s’est dompté tout à coup jusqu’à exécuter un livre d’analyse et à travailler agilement sur ce métier à dentelles.

Il a dansé sur ce fil d’archal. Qui sait si tout l’art de son livre n’est pas le froid machiavélisme d’un esprit capable de tout dans l’avenir, et qui se tâte et qui s’essaye ?… Je le souhaite, et même je l’espère ; mais à cette heure, quelle est la valeur nette de ce livre de Madame André ?… Les qualités qui manquent le plus dans ce roman, c’est l’attendrissement et le rire. Les Secs n’ont ordinairement ni l’un ni l’autre, et à force de s’être féru de l’idée d’analyse, M. Richepin s’est fait sec. Dans sa Madame André, il relève, sous des formes littéraires à lui, de Chamfort, de Stendhal et de Mérimée, ces yeux qui n’ont jamais pleuré, ces bouches qui n’ont jamais ri ! Le livre de Madame André n’entraîne ni par la nouveauté d’invention, qui n’y est pas, ni par la passion qui y est bien, mais par places, mais plaquée par-dessus l’analyse, comme du rouge plaqué sur du blanc. Ce que j’y vois de mieux, c’est le style, de force à déborder, et qui est endigué. Ici, je reconnais l’écrivain, griffant (l’ancien faucon !) le marbre ou l’argile des réalités. Plume appuyée, mordante, solidement éclatante, même quand elle appuie sur les choses vulgaires, procédant d’habitude par comparaisons plus pratiques que poétiques, mais qui font entrer l’objet comparé dans l’esprit du lecteur comme un coup de cette bûche emmanchée — le marteau des fendeurs de bois — qui enfonce le coin de fer dans le tronc noueux de l’arbre abattu… Vous voyez qu’ici, dans l’homme aux opinions et aux créations antiviriles de ce roman à petite morale, puisqu’elle est vide de Dieu, se retrouve le mâle que nous connaissions. M. Jean Richepin sait se plier aux sinuosités de la réflexion, et même, dans le monde, mettre de la profondeur dans la convenance. Il pourrait donc bien être le dictateur de son propre esprit. Mais s’il l’est, il n’a pas fait encore le livre qu’il faut pour sortir des petits bruits et pour entrer dans le grand bruit, sans tapage, qui s’appelle la gloire. On quitte son livre et on le reprend pour le quitter et le reprendre encore. On ne le lit pas forcément et d’une enfilée. On ne le sable pas. On peut s’arrêter en le buvant… Il n’exerce pas sur nous la tyrannie littéraire du génie, qui est toujours un despote, lui ! Dictateur de son propre esprit, nous demandons à M. Richepin le livre dominateur qui prouvera sa dictature.

Quand nous le donnera-t-il ?…