Eugène Pelletan
Les Uns et les Autres.
I
Le livre publié par Eugène Pelletan sous ce titre, vague et trouble et détestable pour un livre, qui doit porter radieusement son idée dans son titre : Les Uns et les Autres, est-il bien un livre, en réalité ?… N’est-ce pas plutôt un long article de journal, ou peut-être une mosaïque d’articles déjà publiés ? Dans tous les cas, si c’est un livre, ce n’est certainement pas un livre d’histoire, quoique l’histoire contemporaine y soit brassée, Dieu sait avec quel tour de bras ! Pelletan est trop journaliste pour écrire correctement l’histoire ; mais, en revanche, il sait faire de la fantaisie et même de la fantasmagorie avec elle. C’est qu’il n’est plus guères qu’un journaliste, Pelletan… Il avait commencé par être mieux que cela. Il avait montré, au début de sa vie intellectuelle, des facultés qui devaient l’élever bien au-dessus du métier qu’il fait actuellement et auquel il ne pourrait plus, quand il le voudrait, s’arracher.
Il s’est livré au Minotaure du temps. Le journalisme, cet ogre qui aime la chair fraîche littéraire et qui mange les littérateurs en bas âge, a dévoré l’homme de lettres que Pelletan aurait pu devenir. Mais, en dévorant le littérateur, il a fait de ce qui en restait quelque chose de bien plus compté par les sots que l’écrivain, dont la fonction noble et désintéressée est de mettre de la beauté dans ce qu’il dit et de la vérité dans ce qu’il pense. Il en a fait un homme politique, un de ces cuisiniers de révolutions et de gouvernements impossibles, qui empoisonnent la France depuis près d’un siècle… Le journalisme, qui, si l’on n’y prend garde, donne de si mauvaises habitudes à la pensée, a donné à Pelletan tous les défauts qui sautent aux yeux dans son nouveau livre : l’inconsistance, la frivolité, les passions de parti et leurs faux jugements et leurs injustices, et surtout cette terrible et misérable faculté de se monter la tête, de suer à froid, comme disait Beaumarchais, en parlant des avocats, ces journalistes du bec comme les journalistes sont les avocats de la plume, et de se faire illusion à soi-même pour mieux faire illusion aux autres.
Oui ! voilà — n’est-ce pas lamentable ? — ce que le journalisme a fait d’Eugène Pelletan. Où est le temps où il écrivait sa Profession de foi du xixe siècle ? Au moins il y avait là une idée, sinon un système, un essai de philosophie, malheureux, j’en conviens, défaillant, impossible à organiser, mais qui montrait dans les tendances de son auteur des besoins de zénith et d’horizon que sa pensée, ramenée sur la terre par la politique au jour le jour, ne connaît plus… Pelletan était jeune encore dans ce temps-là ; plein d’un enthousiasme, qui avait l’excuse de son inexpérience, pour des idées qui lui paraissaient généreuses. Il avait vécu dans l’atmosphère de Lamartine, cette pile de Volta de poésie et d’éloquence qui électrisait les âmes, même les moins semblables à la sienne, et dont la séduction était si grande que ceux qui ne pensaient pas comme lui avaient grand’peine à s’en défendre. Il avait été le Séide doux de ce Mahomet si doux et si peu prophète ! Il était enfin un des plus brillants jeunes premiers de cette démocratie qui ne s’est pas embellie en vieillissant, et dont je dirais qu’il est à présent un des pères nobles, s’il y avait des pères nobles en démocratie. L’âge est venu ; d’autres révolutions aussi et d’autres républiques, après la belle, proclamée en 1848, la république du genre humain et de l’imagination de Lamartine, qui avait rêvé d’être le Président des États-Unis Européens. Il semblait qu’on dût en rabattre, mais Pelletan n’en a rien rabattu. Il s’est durci dans les opinions de sa jeunesse. Il s’est fermé aux lumières et même aux incendies de l’expérience. Cet homme de progrès n’a point progressé. Il est devenu la borne de ses idées. Et si ce n’était encore qu’un vieux républicain de la première heure, sur lequel Lamartine aurait laissé son rêve, comme Lekain laissa son talent sur La Rive, certainement ce ne serait pas très imposant d’intelligence, mais ce serait touchant, comme une folie de sentiment, que cette fidélité obstinée aux illusions de ses beaux jours. Mais le rêveur, en vivant dans les-réalités qui auraient dû le réveiller, n’y a pas vécu impunément. Il s’y est aigri, comme une vieille fille-dans le célibat. Il s’y est envenimé. La colère l’a pris, la haine aussi, et toutes les deux ont fait de son esprit, dans lequel l’imagination dominait, ce que les ; bacchantes firent d’Orphée. Et, cependant, cet Orphée· déchiré a de la beauté à certaines places encore. Il y a du talent dans ce livre passionné, entêté, ulcéré, aveugle de parti pris et gardé… Mais le fond de cela n’est vraiment pas digne de la forme. En voulant descendre des hauteurs humiliées de la philosophie qui avait inspiré la Profession de foi du xixe siècle, Pelletan n’a pas su aborder fermement et tranquillement l’histoire. Il a passé à travers, comme on passe à travers un plafond qu’on crève, pour, aller tomber· dans les sous-sols du pamphlet. Le titre du livre en dit, avec une assez obscure intention d’insolence, le fond et la portée. Les Uns et les Autres, c’est comme qui dirait : républicains et monarchistes. Les uns sont les amis de Μ. Pelletan, et les autres, ses ennemis. C’est nous !
C’est entendu, c’est nous ! Mais avec nous non plus qu’avec personne il ne fallait risquer, fût-ce dans un pamphlet à outrance, les affirmations compromettantes, même pour un pamphlet, que Pelletan a osé risquer dans le sien. Ah ! les choses qu’on n’est pas né pour faire, on les outre et on les fait mal. Pelletan, de nature, n’est point un pamphlétaire. Il n’a rien de cruel, rien d’archiloquien dans le tempérament. C’est une espèce de Tibulle d’une République innocente, mêlée de Jocrisse et de Platon, à qui il siérait de pleurer sur sa flûte, non pas la mort de sa maîtresse, mais son impossibilité d’exister ; et, au lieu de cela, il veut faire de sa flûte une massue et tomber sur nous ! Le roseau creux se casse et lui perce la main. Dans l’introduction de son livre, qui en est probablement pour lui le morceau capital, Pelletan ne trouve rien de mieux que de faire de nous des révolutionnaires, parce que nous avons, autant que nous l’avons pu, arrêté la révolution, et par là, dit-il, justifié tous les maux et les crimes qu’elle a faits. Un badinage de cette force, introduit, sans rire, dans l’histoire, mériterait d’être relevé comme une impudence digne de John Falstaff, si Pelletan, maladroit au pamphlet, n’en ayant ni le génie, ni la mesure qui le rend dangereux,
ne s’enfilait lui-même sur cette plaisanterie effrontée ! Toute son introduction est pleine d’assertions de cette espèce et de réticences qui les complètent : « La France — dit l’auteur des Uns et des Autres — est républicaine jusque dans les dernières mottes de « terre de son sol. »
Mais, c’est là précisément la question ! C’est ce que disent les uns, mais ce n’est pas ce que disent les autres ! Les « mottes de terre » de Pelletan ne sont l’âme, ni le génie, ni les mœurs, ni les habitudes séculaires de la France. Mais c’est de la propriété, — divisée, hélas ! pulvérisée, — mais de la propriété encore, et les républicains de l’heure présente — les républicains qui appelaient Victor Hugo « vieux casque », et qui ajouteraient peut-être « à mèche » pour Pelletan, — n’en veulent plus ! Ne l’ont-ils pas appelée : « un vol », pour, la reprendre, ces honnêtes gens ?… Pour eux, Pelletan n’est qu’un vieux jeune homme inconséquent, un bourgeois de 1848, et la preuve, l’opinion que voici : « La France respira — dit-il — sous la République de Cavaignac »
, et il oublie que ce peuple de Paris, qu’il prend si souvent pour la France, eut le sifflet coupé par le général Cavaignac ! Et, en effet, pas un mot de rancune, dans l’introduction de Pelletan, contre cet homme d’énergie et d’ordre qui fît, lui, son Deux-Décembre au mois de Juin. Le silence qu’il garde sur ce massacreur du peuple, ainsi que l’appellent les républicains, l’auteur des Uns et des Autres le couvre,
il est vrai, de cette énormité : c’est que les royalistes et les bonapartistes seuls firent l’insurrection que le général Cavaignac canonna. Affirmation qui peut aller avec celle que les seuls révolutionnaires sont les hommes qui se sont opposés à la révolution, parce que, par leur résistance, ils lui ont donné (textuel) des attaques d’épilepsie, à la pauvrette !… Et qui sait ? pour ce lynx de Pelletan, la Commune est peut-être aussi l’œuvre des bonapartistes et des royalistes seuls ? Il n’ose pas le dire, mais il n’ose pas dire non plus que c’est l’œuvre des républicains…
II
Telles sont les pitoyables idées de cette introduction, dont il faut sortir au plus vite, et qui déshonore le seuil de ce livre, qu’on ne lira peut-être plus une fois qu’on aura lu cette introduction. On se dira : pourquoi aller plus loin ? L’homme qui écrit des choses de ce calibre de fausseté n’a plus le droit d’être cru sur rien. Le livre de Pelletan vaut cependant mieux que cette introduction, qui ne serait que du radotage politique si elle n’avait pour caractère d’être aussi enragée qu’elle est frivole. La faculté de se faire illusion, pour mieux la faire aux autres, est aussi dans le livre, mais dans des proportions moins indécentes. Ce livre, qui joue la pensée et qui met des idées générales sous des noms propres, est divisé en quatre parties : le Pape, l’Antipape, l’Empereur et le Citoyen, correspondant à quatre hommes célèbres qui les expriment : de Maistre, Lamennais, Béranger et Lamartine. Comme on le voit, ce n’est pas là d’une très grande force de composition. Ces quatre biographies, qui ne peuvent pas être justes, avec les opinions de l’auteur, ne manquent ni d’intérêt ni même de piquant, non dans le fond des choses et des jugements, qui sont, excepté sur l’un d’eux (Béranger), de la plus profonde pauvreté, mais dans la manière dont elles sont touchées. Il y a là certainement du pinceau et du prestige de pinceau. Comme de certains portraits dont on dit : « Pas un trait vrai, et cependant cela ressemble », les portraits en pied de Pelletan semblent ressemblants sans avoir l’exactitude de la vérité, et, selon moi, ils sont par là pires que des mensonges. Ils trompent mieux que s’ils étaient tout à fait faux. C’est cela et ce n’est pas cela. Ils n’ont pas la probité du vrai. La réalité du tempérament intellectuel des hommes dont Pelletan nous donne les biographies est, je le veux bien, dans son livre ; mais l’intelligence de leurs opinions, mais la réalité de leur caractère moral, n’y sont pas. Et ceci est principalement frappant et choquant pour le premier de tous par une moralité supérieure, pour ce comte de Maistre dont la vertu égala le génie, cet homme de diamant qu’on n’ébrèche pas, mais contre lequel on peut s’ébrécher…
C’est, en effet, surtout en parlant de ce grand de Maistre, qui s’est élevé, avec la lenteur de toute vraie gloire, à travers tant de cris imbéciles ou frénétiques, car les sots ont leurs frénésies, dans la tranquille majesté d’une renommée incontestée à présent et comme on n’en compte pas une seconde au xixe siècle, que Pelletan s’est le plus montré ce que je lui reproche d’être maintenant : l’homme du journalisme et des partis. Pour Lamennais, Béranger, Lamartine, il devait être moins injuste et moins emporté. Lamennais n’avait-il pas son apostasie pour se faire pardonner, par Pelletan, l’éclat de son sacerdoce et la grandeur des premières années de sa foi et de son génie ? Béranger, dont le Pégase hongre a toujours mangé à deux râteliers, Béranger, à qui Pelletan a reproché, avec un ressentiment si amer, d’avoir chanté l’Empire et l’Empereur, n’avait-il pas aussi chanté la République ? Et quant à Lamartine, cet idéal du Citoyen, placé en contraste des trois autres dans toute la perfection de son personnage à la fin du livre de Pelletan, Lamartine, dont Pelletan est sorti comme les Méditations, — mais j’aime mieux les Méditations, — Pelletan s’en regarde trop comme la géniture pour ne pas se croire parricide s’il convenait d’une seule des erreurs de ce grand génie de poète égaré. Mais de
Maistre, lui, n’a rien pour se faire pardonner d’avoir été de Maistre un jour ; car il a été toujours le même de Maistre. De Maistre n’a rien qui l’excuse. Il a l’unité dans la vie, la pérennité dans les opinions. Il n’a pas faibli, il n’a pas trébuché, il n’a pas tremblé dans le chancellement universel de l’Europe de son temps. Il est resté ferme, droit et pur, dans sa conduite comme dans ses idées. Il n’a forfait ni à sa foi religieuse, ni à sa foi politique, qui n’étaient pour lui qu’une même foi. Il a enfin été absolu, — ce qui estime horrible chose pour Pelletan, — absolu comme l’Église elle-même, cette autre horrible chose aussi, et Pelletan le voit toujours entre ces deux horreurs ! Et voilà pourquoi l’auteur de ce pamphlet des Uns et des Autres s’est donné tant de peine contre cet autre-là, sa haine contre la Papauté l’emportant, dans Pelletan, jusque sur sa haine contre l’Empire !
Seulement, profonde dans son intensité, cette haine a manqué de profondeur dans ses attaques. Le frivole, ici, s’est dégagé du fanatique. Devenu superficiel par le fait de ce journalisme qui diminue les facultés des hommes, quand il ne les tue pas après les avoir dépravées, Pelletan, qui n’a plus rien de sérieux dans la pensée, ne s’en est pas moins donné la peine du diable qu’est obligé de se donner tout journaliste pour enlever son publie, tout en l’amusant. L’amuser sur de Maistre, cet homme imposant, était difficile. Eh bien, c’est ce que Pelletan a essayé ! Le croirait-on à distance ? ce doux Pelletan, cette brillante couleuvre sans venin, pâmée si longtemps dans la musique de Lamartine, s’est tortillée et retortillée pour remuer la queue et piquer comme ce scorpion de Voltaire Pelletan, ne pouvant se faire puissant, a pris le part de se faire léger contre le grave de Maistre. Il s’est permis une mise en scène, romanesque et plaisante, qui ricane et persifle, et tend à ridiculiser la grande physionomie d’un homme qui résiste à tous les petits calculs d’ironie et d’impertinence qu’on ose contre lui. L’auteur des Uns et des Autres n’ayant pas dans l’esprit les muscles samsoniens qu’il faudrait pour mettre en pièces le lion, s’est fait taon contre ce lion de marbre. Et pourquoi n’avouerions-nous pas avec calme que, pour une nature comme la sienne, plus apostolique que narquoise, pour un disciple de Lamartine, qui n’aimait pas non plus de Maistre, dont le génie positif était désagréable au « dadais » que le cruel Chateaubriand disait exister au fond du poète des Méditations, Pelletan s’est mieux tiré qu’on n’aurait cru de sa besogne de journaliste irrévérent et pittoresquement gouailleur. Triste gloire, du reste, que de pocher une biographie avec la vie la plus digne, la plus fière et la plus translucide de pureté, pour la servir à un public républicain et libre-penseur !
Et pour se montrer plus journaliste encore, car si l’amusant est la visée du journaliste, l’idée commune est son véhicule et son moyen de succès, Pelletan s’est bien garde, sur Joseph de Maistre, d’un aperçu nouveau qui aurait déconcerté le public, cet ombrageux de médiocrité, et il a répétaillé encore une fois — une fois de plus — les idées sur le bourreau et sur l’Inquisition dont on fait une arme contre Joseph de Maistre, et qui traînent, comme pantoufles, à tout pied de grue qui veut les chausser ! C’est ce que j’appelle, moi, très bien, de la calomnie d’idées ; car, sur ces deux questions, de Maistre a été toujours plus calomnié que compris. De Maistre n’a jamais dit du bourreau ce que Pelletan et tant d’autres s’obstinent à vouloir lui faire dire. Ôtez le pittoresque de l’expression dans cette page terrible des Soirées de Saint-Pétersbourg, écrite ainsi pour faire mieux sentir la vérité de sa thèse, de Maistre, en parlant du bourreau, n’a posé que la nécessité de la peine de mort pour la conservation de tout ordre social, ce qu’on peut soutenir, n’est-il pas vrai ? sans être atroce… Pour ce qui est de l’Inquisition, de Maistre n’a touché ce sujet que de l’extrémité de sa plume, au lieu de le prendre carrément à pleine main. Pelletan se livre contre elle à des cris d’enfant affolé de peur par les commérages de ses bonnes. Personne, à l’heure qu’il est, et de Maistre pas plus que personne, ne songea défendre ni même à excuser les procédures de l’Inquisition, qui ressemblent, par leurs abus et par leurs vices, à toutes les autres anciennes procédures criminelles de l’Europe ; mais le principe même de cette institution, est-ce à cette heure — cette heure d’athéisme qui menace le monde des plus épouvantables catastrophes — qu’on peut le reprocher à la sagesse de nos pères ?… Seulement, ce n’est pas avec un journaliste, chez qui tout prend, sous sa plume, tournure de polémique, qu’on peut évoquer cette question morte de l’inquisition dans l’histoire, qui y a été résolue sans avoir été discutée…
III
Et, en effet, qu’importe à Pelletan la laborieuse et sévère recherche de l’histoire ! Tout pour la phrase et par la phrase, voilà la méthode en action de l’auteur des Uns et des Autres, pourvu que cette phrase soit trempée pourtant dans le vermillon de la République ou de la libre-pensée. Pelletan n’a jamais été plus fort que la sienne ; il est plus que jamais entraîné par elle, comme tant d’esprits de ce temps de démence chez qui l’imagination, cette singesse de l’intelligence, comme disait Schiller, tord si souvent le cou à la raison. Dans ces biographies, qu’il soit question de de Maistre, sur lequel j’ai le plus insisté parce qu’il est l’ennemi capital et intégral du parti
de Pelletan, ou qu’il ν soit question de Lamennais ou de Lamartine, la phrase est toujours surchargée de la déclamation la plus violente, unie, par une combinaison singulière, à la superficialité la plus vaine. Béranger, seul de tous ces hommes exagérés ou faussés en mal ou en bien, Béranger seul est étonnamment bien jugé. C’est qu’ici le tempérament de Pelletan a été plus fort que ses opinions de journaliste. La nature de Pelletan s’est retrouvée. Le lyrique et l’enthousiaste qui sont encore en lui ont eu horreur de cet antipathique petit bourgeois, de ce Tartufe de libéralisme qui savait jouer sa partie avec l’opinion et gagner, en trichant, la popularité, de ce constructeur de couplets qui mettait de l’habileté jusque dans sa poésie charmante et dont l’imagination froide, madrée et libertine, n’eut jamais une grande et vraie inspiration. Et, cependant, cette biographie de Béranger, malgré sa justesse exceptionnelle, est infectée comme les trois autres de ces déclamations haineuses qui ne vont ni à l’âme, ni au talent de Pelletan. Ce lamartinien, ce chimérique du progrès, ce brahmine dont Lamartine fut le brahme en chef, s’est enivré avec du Victor Hugo et du Michelet, et jusqu’à son style porte la trace de cette double ivresse. Il y perd, à cela, lui, sa personnalité littéraire et surtout son autorité. Le livre des Uns et des Autres n’en aura aucune, et ce sera la punition de cette violence dans le vide qu’on trouve à chacune de ses pages. L’espace
me manque pour citer, mais, pour en donner une idée, je me contenterai de la définition de l’ancien régime par Pelletan : « Ce fut — dit-il — le meurtre organisé d’une nation. »
Dans une discussion, à qui dirait cela on n’aurait plus, pour toute réponse, qu’à tourner les talons ; mais dans un article ?
Eh bien, on le termine ! C’est une manière de les tourner !