M. Pécontal
Volberg, poème. — Légendes et Ballades.
I
Il a été longtemps presque obscur, M. Siméon Pécontal. Attaché à cette œuvre ingrate et présentement stérile qu’on appelle la Poésie, il n’a pas encore sur son nom l’éclat de renommée qui serait dû à son talent, à ses travaux et à ses efforts. Les fleurettes de Clémence Isaure qui ornent le front de sa Muse ne sont pas des étoiles. Il y a des poètes plus ou moins mêlés à la littérature active des journaux et du théâtre, les deux timbalières de ce temps ; mais M. Siméon Pécontal se tient à l’écart de cette double littérature ; il vit modestement dans le recueillement du foyer domestique, dans le tête-à-tête chaste et solitaire de la Muse. Il pourrait concevoir et réaliser sa poésie comme il faut la concevoir et la réaliser pour être encore sympathique à un temps qui, demain, ne voudra même plus de cette poésie qu’on a descendue jusqu’à lui. Mais probablement il la dédaigne. M. Pécontal, doué d’une inspiration qui n’a pas voulu ou qui n’a pas pu descendre, doit sentir amèrement que le fond des âmes et l’écho des cœurs vont lui manquer !
Triste destinée, mais touchante ! Un poète qui n’a pas abaissé sa poésie, — qui la tient haut et au niveau de ses croyances spirituelles et religieuses, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus grand dans sa vie, est, après tout, un noble spectable. Que si la tristesse est aussi pour lui, elle est encore plus pour l’époque qui ne l’entend plus ou qui l’entend avec indifférence. Promettre à ce poète que l’avenir le vengera un jour de son temps, ce serait prendre sur soi d’affirmer que la Poésie n’est pas perdue. Pour notre compte, nous ne l’oserions pas. Seulement notre critique, à nous, n’aurait-elle que deux minutes à vivre, elle ferait, pendant ces deux minutes, sa pauvre justice éphémère et rendrait hommage à un homme de talent méconnu, parce que dans le débordement de paganisme et de matérialisme universel, il est resté purement et incorruptiblement un spiritualiste et un chrétien.
II
Tel est le premier mérite et la première infortune de M. Siméon Pécontal. C’est un poète de grande inspiration chrétienne. Dès 1838, il publiait un poème en plusieurs chants dont le Journal des Débats, plus littéraire que les autres, parla seul ; et ce poème, intitulé Volberg, n’était tout simplement que la conversion au catholicisme d’un esprit du xixe siècle, d’un de ces Titans du doute, de l’incrédulité et de l’orgueil, comme Byron, ce grand boiteux d’esprit comme il l’était de corps, en avait tant élevé sur leurs pieds d’argile, — sur des pieds qui ressemblaient au sien ! Ce poème, qui mériterait d’être réédité, si nous avions une littérature qui sût regarder derrière elle et qui n’abattît pas tous les jalons que les divers esprits contemporains ont plantés, attestait en son auteur une profondeur de foi et une santé de doctrine étonnantes dans un temps où tout était malade, même la vérité. On sortait, si on se le rappelle, de l’époque où les Méditations de M. de Lamartine et ses Harmonies, d’une valeur poétique bien autrement supérieure, étalaient à la sensibilité publique un christianisme faux et souffrant, mais n’en tenaient pas moins leurs beautés, quand il y en avait, de cette inspiration chrétienne, toute faussée et souffrante qu’elle pût être. Quoique le débutant de 1838 n’eût pas l’abondance et la spontanéité géniale du poète des Harmonies, il se plongeait hardiment dans la même inspiration, mais il ne la troublait pas. Il n’y apportait pas de passion malsaine. Il gardait l’accent chrétien dans son charme pieux et sincère, et l’accent chrétien, quoiqu’on ne l’écoute plus, est le plus beau que puisse donner la voix des hommes. Quant aux qualités individuelles de l’auteur de Volberg, c’étaient réellement des qualités de poète. Il avait l’ampleur, la correction et la simplicité. On en jugera par les premiers vers venus qui nous tombent sous la main, en ouvrant son poème :
…….. La fortune superbe,En naissant, me fit don de sa plus belle gerbe.La richesse embauma mon berceau de ses fleurs,Et plus tard, quand j’entrai dans les jeux de la vie,Mon étoile toujours, et selon mon envie,Monta comme un soleil, — et jamais les douleursN’obscurcirent les jours de ma jeunesse verte.Enfin, lorsque ma vie aux choses fut ouverte,Quand vint l’ambition dans la maturité,La fortune toujours se tint de mon côté.Ainsi je ne suis pas un homme à jeun, j’espère,Et, quand je pousse un cri, ce n’est pas de misère !Non ! non ! ce cri n’est point le cri du désespoir !Le regret douloureux de n’avoir pu m’asseoirAu banquet des faveurs et des folles richesses.Ma bouche a bu le vin de toutes les ivresses,Les femmes ont pour moi déserté leur enfant !J’ai ravi leur aînée aux plus grandes familles.J’ai dominé la foule, — et le peuple en guenillesÀ voulu dans ses bras me porter triomphant !
Mais tout cela, mon père, a fatigué mon âmeSans l’user, — tout cela, amour, jeunesse et femme,La gloire du Sénat, celle des bataillons,Et le peuple en drap d’or, et le peuple en haillons,Tout cela m’a bientôt paru fortune aride ;En le voyant de près, j’en ai trouvé le vide,Et, déchirant ma robe au fer de mes talons,J’ai porté mes regards vers de plus hauts jalons !
Depuis, dans l’infini mon âme se promène,Vingt fois j’ai fait le tour de la science humaine !Et remué partout pour voir ce mot cachéQue tant d’autres souffrants ont, avant moi, cherché !Mais en vain. J’ai couru pour trouver mon rivageÀ tous les vents du ciel. — À mon dernier voyageJe suis encore Œdipe appelant dans la nuitAntigone, l’enfant dont la main le conduit !
Tout le poème de Volberg était de cette large étoffe, à plis tombants et profonds ! Excepté l’enjambement renouvelé de Ronsard, des vieux tours duquel on avait tiré une poétique, on ne trouvait pas dans le livre de M. Siméon Pécontal les affectations volontaires et systématiques des écoles d’alors. La pensée n’y était pas renversée par l’image comme dans la poésie de M. Victor Hugo, ou comme dans celle de M. de Lamartine, noyée et dissoute dans un sentiment énervé. M. Pécontal, malgré sa jeunesse, malgré les tremblements de la main, inévitables à tout début, malgré la portée d’un vol qui ne s’élève jamais jusqu’au zénith, mais qui sait planer à la distance où il s’élève, M. Pécontal avait des virilités de pensée qui annonçaient un poète de reploiement et de réflexion, — oiseau rare dans les temps actuels !
Et quand l’homme ici-bas dans son orgueil sommeille,Le malheur a cela de grand qu’il le réveille !………………………………………………La fée aux ailes d’or mène le genre humain !Et ce n’est pas toujours aux mêmes originesQu’elle prend ses héros et ses races divines.Elle sait avec art varier leurs berceaux,Elle trouve Moïse au milieu des roseaux.… Bien souvent la déesse fécondeFait éclore un hasard qui s’empare du monde !Mais quand l’homme, lassé d’amuser ses deux yeux,Scrute dans leurs berceaux ces hasards et ces dieux,Toujours à l’examen le miracle s’envole…Et toujours en riant on sort du Capitole !
Mais ce que le poète de Volberg avait surtout, et à un degré suprême, c’était le don de simplicité. Dans ce poème dont il est facile de constater la faiblesse d’invention et de drame, et où l’homme seulement se promet, il y a un chant intitulé « L’Église », entièrement lyrique de mouvement et de rythme, et dont la simplicité est divine. Cette simplicité que le poète a trouvée dans une grande délicatesse d’organisation et plus encore dans le sentiment chrétien qui est le fond de sa vie vraie et non pas uniquement de sa vie littéraire, cette simplicité communique à sa poésie quelque chose de la pénétrante grandeur des hymnes de la liturgie qu’il rappelle et le fait arriver à des effets où l’art disparaît plus profondément que dans les chœurs même de Racine. C’est un chœur aussi que ce chant, avec ses appels, ses répons, ses rentrées, ses péripéties, toute cette chaîne mêlée et dévidée avec l’impétuosité de l’enthousiasme ou les grâces rêveuses de la mélancolie. Il est trop long pour que nous puissions le citer dans la variété de toutes ses modulations, mais dites si depuis les roucoulements des chœurs d’Esther ou d’Athalie vous avez vu des strophes de cette transparence tomber, avec ce mouvement de vapeur, dans un air léger :
Une Vierge de GaliléeDu nom de Marie appeléeEn ses deux lianes vous portera,Et dans une étable naîtraLe roi de la sphère étoilée !
Et quel nom aura-t-il, Seigneur,Votre enfant, l’enfant de Marie ?Le plus grand parmi ceux qu’on prie :Jésus ! qui veut dire Sauveur.
Il naîtra sur un lit de chaume,Et celle qui l’aura porté,Ce roi du céleste royaume,Gardera sa virginité ;
Car à travers sa chaste mèrePassera l’enfant radieux,
Trait raphaëlesque !
Comme à travers l’azur des cieuxPasse un doux rayon de lumière.___C’est à Bethléem, à minuit,Que, dans une crèche, il naquit.Et celui que servent les anges,Qui tient le monde sur son doigt,Était là, tout transi de froid,Comme un pauvre enfant dans ses langes.___Alors tous les anges ravisChantèrent, au milieu des brises,Le Gloria in excelsisQue l’on chante dans les églises !
Ici, comme il est aisé de le distinguer, le sentiment qui a créé le poète des Ballades, que M. Siméon Pécontal nous a données plus tard, commence de paraître. Mais une simplicité si ingénue, un christianisme d’une foi si naïve, des vers qui coulaient comme d’une source, pouvaient-ils être remarqués au moment de l’histoire contemporaine où une École célèbre, l’École de la Forme, allait triompher et où commençaient les gymnastiques enragées dans le rythme qui font de la poésie moderne la danseuse de corde aimée de M. de Banville :
Saqui, l’immortelle ! au tempsDe sa royauté naissante,Tourbillonnait d’un pied sûrÀ mille pieds en l’air, surUne corde frémissante !
Évidemment cela était impossible. Le poème de Volberg n’eut aucun retentissement. Mais les trop rares esprits qui aiment la poésie en dehors des guerres civiles de la littérature y prirent garde et en respirèrent l’espérance.
III
Cette espérance ne fut point trompée. M. Siméon Pécontal a publié, en 1854, un volume de Ballades et Légendes qui pourrait être la première pierre d’une renommée, si l’attention du monde était aux esprits délicats et à leurs œuvres, mais le monde est ailleurs. Pour l’attirer et le gouverner, il faut dans le talent des supériorités terribles, et encore, un jour ou l’autre, le plus napoléonien des poètes ne le ramènera pas des intérêts matériels à la poésie. Elle peut entonner son chant de mort. Poète lyrique (il l’a bien prouvé dans son ode magnifique sur la mort de Chateaubriand et ses stances sur La mer à Biarritz), M. Siméon Pécontal, avec le don de simplicité qui est le plus précieux caractère de son talent et cette fraîcheur d’âme dont, à plusieurs places de son Volberg, on avait vu resplendir les teintes frissonnantes et nacrées, devait préférer la ballade à toutes les autres formes de la pensée poétique. Pour lui la ballade n’était pas, comme pour M. Hugo, par exemple, un violent essai d’archaïsme, pratiqué par un esprit puissant sur les mots, et qui se joue dans les difficultés pour les vaincre, c’était une des formes les plus sympathiques au genre de génie qu’il avait. Fille du Moyen Age, la Ballade, comme la Légende dont elle est la seconde épreuve, ne peut être abordée que par un poète qui a encore de l’esprit du Moyen Age dans la pensée et de sa vieille foi dans la poitrine. Or, tel est M. Siméon Pécontal. Son livre, distingué partout, renferme plusieurs véritables chefs-d’œuvre. Nous citerons Les Pains et les Roses, Le Drack, Les Deux Baisers, Christel, Karine et La Tentation. Dans ces poèmes naïfs, épouvantés et mystérieux, l’expression ne défaille presque jamais, mais elle défaillerait, que le sentiment intérieur qui y circule et qui les anime suffirait pour nous toucher et pour nous saisir. L’âme est toujours plus que le talent en M. Pécontal. Imbu et pénétré de l’esprit des anciens jours, il a les délicieuses terreurs des superstitions qu’il raconte et la faculté de peindre un merveilleux de fée avec des touches d’opale et d’aurore. Dans Le Drack, où il nous fait passer par toutes les nuances de la peur surnaturelle, il entremêle au pathétique de son sujet des vers charmants :
Ce sont les fleurs les plus étrangesEt des fruits d’un goût sans pareil,Des orangers remplis d’oranges,Dans des champs tout pleins de soleil !
Ce sont des rois, ce sont des reines,Assis au milieu de leur cour !Ce sont des villes si sereines,Que dans la nuit il y fait jour !
On voit tout ce qui peut surprendre,Des hommes de toutes couleurs,Des oiseaux qui se laissent prendreAvec la main comme des fleurs !
Ce sont là des vers pris aussi avec la main, comme les fleurs auxquelles ils ressemblent, tant ils sont faciles, d’une couleur exquise, d’un tour heureux et naturel. Aisance, simplicité, naturel, battements de cœur qu’on sent dans les vers du poète comme l’artère de la vie dans la gorge de l’oiseau, toutes choses que M. Pécontal possède plus que personne, mais auxquelles l’esprit de notre époque préfère le rythme, tourmenté, poli, aiguisé, affiné, savant enfin et si souvent vide ; le rythme, dernière expression de la beauté poétique, et que l’Imagination dégoûtée finira par rejeter, pour sa peine d’avoir rejeté l’âme, — comme le roi de Thulé jeta à la mer sa coupe épuisée, quand ses yeux mourants n’eurent plus de larmes pour la remplir !
IV
Ai-je donné une idée de M. Siméon Pécontal, de ce poète dans la légende, de ce poète dans la tradition, mais dans une tradition plus incertaine et plus lointaine ? En soi, la poésie n’y perd pas. Plus elle s’écarte de nous, la poésie, plus elle rentre chez elle. Elle a une perspective en sens inverse des choses, simplement visibles aux yeux corporels : plus elle s’éloigne, plus elle grandit et fort rayonne. C’est le contraire, hélas ! de l’homme qui diminue de toute manière et qui s’éteint, en s’éloignant. M. Siméon Pécontal est un poète lyrique et élégiaque, de cette simplicité qui à toute heure est rare, mais, à cette heure-ci, extraordinaire. Par ce côté, il n’est réellement pas de son temps. Dernièrement il a vanné les œuvres que nous connaissions, il y a ajouté et il a réimprimé un volume de choix qui a le mérite de l’unité dans l’inspiration et de la variété dans le détail des pièces composées. Il a voulu être spécial. Qui dit spécial dit plus artiste, et à l’exception des deux odes, dont nous parlions tout à l’heure, deux belles intruses auxquelles on pardonne en faveur de leur beauté, Chateaubriand et La mer à Biarritz, et de quelques fables dans lesquelles il n’a point imité La Fontaine, le seul genre d’éloge qu’on puisse donner à qui ose écrire une fable après l’incomparable et désespérant Maître Jean, M. Pécontal n’a été dans son volume que légendaire.
La Légende, avec sa piété attendrie, sa pathétique naïveté et son tragique surnaturel, est depuis longtemps l’Esprit familier qui hante sa rêverie, la Muse accoudée sur son épaule qui lui souffle au front, de ses lèvres pures, ses incantations mystérieuses. Le poète légendaire doit tenir de la nourrice, de la vieille fileuse, du mendiant, ces trois immenses poètes sans le savoir, venus en pleine terre de toute civilisation imparfaite. Il doit porter en lui leur accent spontané et profond auquel il doit joindre l’expression du poète de langue et de société avancée. Cela n’est pas facile à rencontrer, cet assemblage, surtout dans un homme qui dit ses vers le soir, entre deux tasses de thé, aux plus jolies femmes de Paris. Difficulté comme de faire donner au camélia un parfum sauvage. Voilà pourtant M. Pécontal !
En résumé c’est un poète ému, sincère, d’une nuance charmante et — puisque la poésie est l’intensité — intense à la manière des poètes de nuance, dont l’intensité, en ordre inverse des poètes de relief et d’énergie, est la transparence et la morbidesse. Ce n’est pas un poète sans défaut, et les siens, nous les connaissons et nous les lui dirons : c’est le prosaïsme et l’enfantillage, les deux écueils naturels du genre de composition qu’il a adopté. À force d’être simple, il glisse parfois dans la platitude, mais il n’y reste pas longtemps. À force d’être innocent et enfançon, Dieu sait ce qu’il devient ! mais, encore une fois, ce n’est pas long ; quand ces taches n’empâtent pas l’œuvre légère et diaphane, M. Pécontal enlève la légende avec un charme particulier de grâce et de mélancolie. Lorsque ces fils de la Vierge ne se rompent pas, on les croirait vraiment tombés du fuseau divin.
Le volume des Légendes est un clavier de tous les tons. Il y en a d’effrayantes qui font des peurs, de touchantes qui font des larmes, mais toutes font plaisir, même les imparfaites. Parmi les effrayantes, mettez Le Drack, Le Trolle, Édouard, La Chasse du roi Arthur, La Tentation, et au compte des touchantes, Les Pains et les Roses, Le Forgeron des Pyrénées, L’Ange et la Mère. Le Forgeron des Pyrénées est un morceau excellent. L’Ange et la Mère est exquis. De pareils vers eussent fait pleurer Wordsworth s’il les avait entendus. Sont-ils donc trop naturels, trop maternels et trop ingénus, pour qu’on leur donne un prix à l’Académie ?… Les Académies n’aiment pas les camélias parfumés et exceptionnels. Elles aiment les camélias ordinaires, qui ne sentent rien, les vrais camélias8 !