(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »

V. L’avare et l’étranger

(Haoussa)

Il y avait un homme d’une avarice extrême qui quitta son village et s’en alla habiter à l’écart, tant il craignait que des étrangers ne vinssent lui demander l’hospitalité et partager avec lui son touho (couscouss). On n’ignorait pas dans le pays que jamais il n’avait offert à manger à quelqu’un et qu’il ne remettait jamais à sa femme le mil nécessaire pour leur nourriture qu’après l’avoir soigneusement mesuré par poignées.

Un étranger entendit railler sa ladrerie : « Aujourd’hui, affirma-t-il, je vais manger du touho de l’avare ».

Il se rendit chez celui-ci et entra dans la case au moment même où la femme demandait à son mari : « Maître, faut-il apporter le touho ? ».

L’avare apercevant l’étranger dit : « Pourquoi l’apporter puisqu’il n’est pas prêt ? »

La femme comprit ce que parler voulait dire et se garda bien de démentir son avare époux.

L’étranger alla s’asseoir à côté du maître de la maison : « Mon hôte, lui dit-il, voici 3 jours que je suis en route et j’ai grand faim, car, de ces 3 jours, je n’ai pris aucune nourriture ».

« — Ah ! geignit l’avare, l’année dernière ma récolte a été pitoyable ; aussi cette année en suis-je réduit, faute de mil, à me nourrir de feuilles et d’herbes. C’est ce qui fait que je n’ai rien à t’offrir ».

L’étranger sortit et, par un détour, revint sur la route qui l’avait conduit à la case de l’avare. Pendant ce temps, ce dernier s’était fait apporter son touho. Tout à coup il aperçut l’étranger qui, de nouveau, venait à lui : « Vite ! vite ! cria-t-il à sa femme, enlève le touho et quand l’étranger entrera, annonce-lui que je viens de mourir ». L’étranger arrive : « Mon mari vient de mourir, lui déclare la femme. — Bon, répond-il j’ai beau avoir faim, il me reste assez de force pour lui creuser une tombe. Passe-moi un nôma (daba, pioche ou houe). » Et il se mit à creuser une fosse.

Il saisit le faux cadavre, le jeta dedans et combla la fosse complètement. L’avare restait muet, comptant sur sa femme pour le retirer de là.

L’étranger se remit en chemin. Alors la femme rouvrit le tombeau et en fit sortir son mari : « En fit-il cent fois plus, cet étranger ! s’écria l’avare, jamais il ne tâtera de mon touho ! Apporte-le moi maintenant ».

Au moment où l’avare portait les doigts au touho, l’étranger apparut brusquement tout près de lui. L’avare prit alors la calebasse et la versa avec sa sauce dans la poche de devant de son boubou. Le touho qui avait été tenu au chaud lui brûlait l’estomac et le ventre et la sauce découlait de sa poche : « Mon hôte, dit l’étranger, tu affirmes ne pas avoir de couscouss et voilà la sauce qui suinte de ta poche ! »

« — Etranger répliqua l’avare, je vais te dire la vérité ; jamais étranger, fût-ce un moutâné ndâzi145 ne mangera chez moi ».

L’étranger s’éloigna. Il se rendit dans une grande forêt pleine de guinné qui tuaient tout homme qui passait par là. Quand ils le virent arriver, ils se précipitèrent à sa rencontre, des couteaux aux poings : « Je ne viens pas ici pour vous nuire leur dit-il, mais seulement pour vous faire connaître que quelqu’un vous a insultés ».

« — Et quel est celui-là ? crièrent-ils furieux ».

Pendant la nuit les guinné sont venus chez l’avare. Ils lui ont dérobé tout son mil. Le lendemain, l’avare s’en va porter plainte pour ce vol devant le chef de village. En route il rencontre un guinné qui avait pris la figure d’un homme et il lui raconte sa mésaventure.

Arrivé chez le chef, l’avare lui parle ainsi : « Chef, on m’a volé mon mil : il ne me reste rien pour nourrir ma femme et mes enfants. Si tu ne me fais pas rendre ce qu’on m’a pris, je vais mourir ici-même devant ta porte ».

« — Mais s’exclame le chef : je ne sais qui est ton voleur ».

A ces mots, l’avare se laisse choir sur le sol comme s’il était mort. Le chef du village l’examine et, le croyant réellement défunt, il ordonne de l’ensevelir. Cette fois il fut définitivement enterré et « ne revit plus la terre »146 car, avant qu’on l’enfouît, l’étranger à qui il avait refusé le couscouss et qui se trouvait là lui avait fendu la tête d’un coup de nôma.

Depuis ce temps, on ne refuse jamais à manger aux gens de passage.

Conté par ISSA KOROMBÉ.

Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENT

Cf. Le gourmand. Conte Soninké (Monteil. Op. cit.).