(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160
/ 2421
(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160

Briard

Enfin, mon ami, il y a d’un monsieur Briard un Passage des âmes du purgatoire au Ciel. Ce peintre a relégué son purgatoire dans un coin de son tableau. Il ne s’en échappe que quelques figures perdues sur une toile d’une étendue immense, rari nantes in gurgite vasto. Pour se tirer d’un pareil sujet, il eût fallu la force d’idées, de couleurs, et d’imagination de Rubens, et tenter une de ces machines que les Italiens appellent opera da stupire. Une tête féconde et hardie aurait ouvert le gouffre de feu au bas de son tableau. Il en eût occupé toute l’étendue et toute la profondeur. Là on aurait vu des hommes de tout âge, de tout sexe, de tout état, toutes les espèces de douleurs, et de passions, une infinité d’actions diverses, des âmes emportées, d’autres qui [seraient] retombées ; celles-ci se seraient élancées ; celles-là auraient tendu les mains et les bras. On eût entendu mille gémissements. Le Ciel représenté au-dessus aurait reçu les âmes délivrées. Elles auraient été présentées à la gloire éternelle par des anges qu’on aurait vus monter et descendre, et se plonger dans le gouffre dont les flammes dévorantes les auraient respectés. Avant que de prendre son pinceau, il faut avoir frissonné vingt fois de son sujet ; avoir perdu le sommeil ; s’être levé pendant la nuit, et couru en chemise et pied nu jeter sur le papier ses esquisses, à la lueur d’une lampe de nuit.