Berruyer, [Isaac-Joseph] né à Rouen en 1681, mort à Paris en 1758, seroit sans contredit le meilleur de nos Historiens, si les Histoires▶ qu’il a écrites portoient un autre titre que celui de Peuple de Dieu.
Nous ne l’envisagerons point comme Théologien : nous souscrivons au jugement qu’on en a porté à cet égard ; mais en qualité d’homme de Lettres, il nous est permis de le regarder comme le génie le plus heureux, & comme un des meilleurs Ecrivains que nous ayons eus. L’élégance du style, la noblesse, l’agrément & la variété des images, la finesse & la solidité des réflexions toujours amenées par les faits, une marche naturelle & rapide dans la narration, une liaison & une netteté dans les événemens, un coloris proportionné au sujet, feront toujours de l’◀Histoire▶ de l’ancien Peuple de Dieu un Ouvrage intéressant, instructif, propre à plaire, autant qu’à féconder l’imagination.
On a reproché au P. Berruyer d’avoir affoibli la dignité des Ecritures par trop de délicatesse dans l’expression ; de s’être trop attaché à des idées particulieres sur la Chronologie, en rejetant ou en éludant les systêmes adoptés avant lui ; de s’être trop compu dans des descriptions que la gravité de la matiere exigeoit qu’on abrégeât ; d’avoir répandu quelquefois un air profane, où il eût fallu plus de décence & de simplicité. Nous convenons de la justice de ce reproche, & c’est ce qui justifie ce que nous avons dit, que ses Ouvrages eussent été des chef-d’œuvres, s’ils n’avoient pas un titre qui l’obligeoit à plus de circonspection & de retenue.
Malgré cela, quels traits de grandeur & d’élévation n’y trouve-t-on pas ! Soit qu’il énonce les oracles du Très-Haut, soit qu’il fasse gronder le tonnerre sur la tête des Rois coupables, soit-qu’il entr’ouvre les abîmes sous les pieds des sujets rebelles ; soit que, sous un jour plus touchant, il dévoile les richesses de la miséricorde divine, il développe les routes de la Providence, il étale la magnificence de ses bienfaits : tous ces différens tableaux font éprouver au Lecteur des mouvemens qui élevent l’ame, un feu qui la pénetre, une sensibilité qui l’attendrit ; par-tout il voit une éloquence qui l’entraîne, des graces qui l’enchantent, une harmonie qui le séduit. Dans l’◀Histoire▶ des Macchabées, tout ce que la guerre a de plus terrible, la politique de plus profond, le courage de plus sublime ; tout ce que les desseins de Dieu sur son peuple peuvent offrir de sagesse, de majesté, de puissance, de bonté, est développé avec des traits qui caractérisent le Génie créateur, dans un genre où le Créateur lui-même se manifeste si énergiquement.
L’◀Histoire du nouveau Peuple de Dieu a fourni matiere à de si justes condamnations. On est fâché de voir le même Ecrivain qui fait si bien nous peindre l’avénement du Messie, la sublimité de sa doctrine, la sainteté de sa morale, l’éclat de ses miracles, les circonstances de sa passion, les ignominies de sa mort, donner dans des écarts, dont une sagacité aussi profonde & aussi déliée que la sienne auroit dû le garantir.
Trop d’enthousiasme pour les idées extraordinaires du P. Hardouin, son confrere & son maître ; trop de fécondité à trouver des raisons pour se séduire lui-même ; trop de fermeté, disons même trop d’opiniâtreté dans les sentimens qu’il avoit adoptés avec peu de précaution, ont répandu quelques nuages, non sur sa foi (car sa soumission en écarte toute idée désavantageuse), mais sur son discernement & sur sa prudence. Qu’on pardonne à l’Homme l’incertitude de ses vues, la témérité de ses opinions, l’Ecrivain paroîtra toujours supérieur ; & la France, en condamnant ses erreurs, est en droit de s’enorgueillir de ses talens.