(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 42-44
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 42-44

Ramsay, [André-Michel de] né en Ecosse, mort à S. Germain-en-Laye en 1743, âgé de 57 ans.

Si l’on avoit besoin d’exemple pour prouver qu’un esprit juste & un cœur droit ne peuvent long-temps persister dans l’erreur & l’impiété, celui de M. de Ramsay viendroit à l’appui de cette vérité. Né Protestant, ses lumieres lui firent bientôt démêler la fausseté des dogmes particuliers à sa Secte ; mais il n’abandonna le Protestantisme, que pour s’engager dans une illusion plus dangereuse encore, le Scepticisme. Les Esprits indépendans, qui s’agitent & se consument à tout éclaircir & à tout analyser, finissent ordinairement par une lassitude qui ne leur permet plus de se decider pour rien, ni sur rien. On a osé nous donner pour la perfection philosophique cette misérable situation, qui n’est que le résultat de confusion des idées & de l’affaissement de la raison. Heureusement pour lui, M. de Ramsay ne demeura pas long-temps dans cet état humiliant. Il étoit de bonne foi, & l’amour de la vérité subsistoit encore dans son cœur au milieu des pénibles accès du doute & de l’incertitude. Il chercha à s’éclairer, il consulta, & l’illustre Archevêque de Cambrai fut son guide pour le tirer de ce labyrinthe ténébreux. Dès ce moment, la solidité de son jugement lui fit abjurer ses chimeres. Il embrassa le Catholicisme, auquel il a été attaché toute sa vie.

Ses Ouvrages prouvent trop en faveur de son esprit & de ses lumieres, pour que nos Philosophes, qui savent si bien travestir & les motifs & les démarches, puissent attribuer sa conversion à l’ignorance ou à la foiblesse. Ils consistent dans une Histoire de la Vie & des Ouvrages de Fénélon ; Histoire qui ne se borne pas, comme les autres, à raconter des faits particuliers, mais où la sagacité, l’art de l’analyse, l’heureuse faculté de tout voir & de tout saisir, le talent de penser & celui d’écrire avec solidité, ne permettent pas de méconnoître le Littérateur éclairé, l’habile Observateur, & le bon Juge : dans un Discours sur le Poëme épique, qui n’a pu être que le fruit de la lecture la plus réfléchie des Ouvrages des Anciens, & d’une connoissance raisonnée des regles de la Poésie héroïque : dans un Discours sur la Mythologie, où il seroit impossible de réunir plus de raison, plus de goût, & plus d’élégance. Les Voyages de Cyrus ne méritent pas les mêmes éloges, mais donnent l’idée d’une érudition très-étendue, d’une morale judicieuse, & sont écrits d’un style dont la noblesse & le sentiment forment le caractere principal. Nous parlerons encore de son Histoire de Turenne, moins pour en approuver l’ordonnance, que pour y rendre justice à des paralleles ingénieux, aux portraits bien dessinés, à la narration simple, noble & aisée, qui rendent cet Ouvrage supérieur aux Productions de nos Biographes modernes, sans en excepter l’Histoire de Louis XI, par M. Duclos, qui est très-éloigné d’avoir la même simplicité & la même décence.