(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 419-421
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 419-421

Vély, [Paul-François] Abbé, né à Crugni, en Champagne, en 1709, mort en 1759.

Avant lui, presque toutes les Histoires de France étoient moins l'Histoire de la Nation, que le recueil des fastes particuliers de nos Rois. Toute l'attention des Historiens s'étoit fixée vers le Trône, les Camps, ou le Cabinet, & leur plume ne s'exerçoit avec complaisance, que lorsqu'il s'agissoit de décrire des siéges, des batailles, des négociations, des traités. Une chaîne continuelle de généalogies, de noms de Princes, destinés, par leur peu de mérite, à ne servir qu'à établir les dates de la Chronologie, des portraits de Généraux, de Ministres, tracés d'imagination, sans aucune vraisemblance, l'Esprit de Parti toujours prompt à répandre la louange & le blâme, sans aucun discernement, formoient le tissu principal de leur narration. La mémoire seule pouvoit s'enrichir par les faits ; l'esprit y acquéroit peu de lumieres ; les mœurs y gagnoient encore moins.

Dans ces tableaux secs & arides qu'on nous présentoit, l'Abbé Vély a senti, plus que tout autre, que l'Histoire doit être un cours d'instruction, où les plus petits détails ne sont point déplacés, quand ils peuvent contribuer à intéresser le cœur & à augmenter les connoissances. C'est pourquoi, sans négliger les événemens principaux, il s'est attaché, dans son Histoire de France, à suivre l'Esprit humain dans sa marche, à développer les progrès successifs des vices & des vertus, les changemens opérés dans le caractere & les usages de la Nation, les principes de nos libertés, les sources de la Jurisprudence, l'origine des grandes dignités, l'institution des divers Tribunaux, l'établissement des Ordres Religieux & Militaires, l'invention des Arts, & tout ce qui peut avoir rapport à ceux qui les ont cultivés & perfectionnés.

On sait qu'il n'a laissé que huit volumes, & que son travail ne s'étend guere au delà des deux premieres Races de nos Rois. Cette partie de notre Histoire étoit, sans contredit, la plus seche & la plus rebutante, soit par la confusion & l'obscurité des matériaux, soit par l'ingratitude des matieres. Il a su, malgré ces obstacles, la traiter de la maniere la plus intéressante, en la rapprochant, en quelque sorte, de nous ; en y développant les révolutions de nos mœurs ; en opposant, avec autant de justesse que de précision, les usages actuels à ceux de l'ancien temps ; en donnant aux matieres qu'il présente, une netteté, un ordre, un souffle de chaleur & de vie qui subjuguent l'attention & gravent profondément les objets dans la mémoire.

Peut-être a-t-on eu raison de lui reprocher trop de penchant à la critique, trop d'affectation à combattre certaines traditions accréditées par la multitude & le poids des témoignages, trop de facilité à tourner les textes à l'appui de ses idées, trop de complaisance dans les tableaux qu'il trace des abus qui lui déplaisent, trop d'amertume dans les censures ; mais en convenant de quelques-uns de ces défauts, il n'en est pas moins vrai, que si une plus longue carriere lui eût permis d'exécuter l'Ouvrage en entier, il auroit eu la gloire de nous avoir laissé une Histoire aussi estimable par la recherche des faits, leur ordonnance & leur variété, que par le mérite du style, qui est simple, aisé, naturel, & piquant, sans jamais s'éloigner de l'élégance & de la pureté, qui sont le partage d'un excellent Ecrivain.