(1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »
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(1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Sixte-Quint et Henri IV

E. A. Segretain. Sixte-Quint et Henri IV. Introduction du Protestantisme en France.

I

Ce volume, très intéressant, est moins une histoire qu’une dissertation historique sur ce grand événement dont le monde moderne est sorti, — la Réforme. Malgré ces noms de Sixte-Quint et de Henri IV, dont il a étoilé le front de son ouvrage, l’auteur n’est pas un biographe à la manière de notre Audin, le grand et délicieux biographe qui n’est pas encore estimé ce qu’il vaut, et dont la gloire, comme les chênes, est si lente à venir ! De même que Audin, du reste, l’écrivain du Sixte-Quint et Henri IV 24 appartient à la foi catholique. Disons-le d’abord, pour qu’on sache bien où il nous mène, c’est un ultramontain net et conséquent.

Absolu de principes comme tous les esprits qui croient à une vérité, Segretain n’en a pas moins les qualités de l’historien : le calme du regard qui voit, sans sourciller, même ce qui le blesse ; la main droite qui sait dépouiller les faits ; et la ferme qui sait les peser. Son livre est un début heureux, auquel ne manque même pas ce qui assaisonne si bien les débuts, — un peu de surprise. Segretain est d’hier dans les lettres. Il a commencé de s’y distinguer par des articles spirituels, écrits pour un journal fameux qui n’est plus, mais dans lesquels il imitait trop, selon moi, son rédacteur en chef, dont le talent, très admiré, à juste titre, de ceux qui l’entouraient, leur imposait à tous des formes… originales pour lui seul.

L’admiration est souvent un écho, et on sentait que l’écho, dans Segretain, pouvait être une voix. Eh bien, voilà la surprise ! la voix est venue. Des premières formes de son talent, il n’a gardé que l’esprit, que je lui conseille bien de garder toujours. Le livre qu’il intitule Sixte-Quint et Henri IV est une vue nouvelle, pour conduire par un chemin de plus à une conclusion déjà ancienne dans beaucoup d’esprits, c’est que la Réforme ne réforma rien, mais détruisit tout du monde qu’elle devait réformer…

La Réforme, en effet, pour tous ceux qui l’ont étudiée, fut la destruction complète et violente du monde catholique, si unitairement constitué, tel qu’il était au Moyen Âge, destruction consommée par une minorité qui ne l’eût jamais accomplie si les gouvernements n’avaient donné mieux que le nombre en donnant les forces organisées de leur pouvoir à cette minorité sans eux vaincue. Un tel résultat, dans l’état présent des connaissances historiques, ne se discute plus, tant il est visible, mais il peut s’éclairer encore. Segretain l’a éclairé. Il a eu une manière à lui de la démontrer qui a sa vigueur et sa beauté particulières, — sa vigueur dans l’étude et le rapprochement des faits et des textes de son livre, et sa beauté — sa beauté littéraire — dans l’accent étrange qui y respire, d’un impassible désespoir.

Car Segretain est un désespéré. Originalité douloureuse ! C’est un désespéré profond, qui, comme tous les désespérés profonds et complets, n’a plus de colère, et qui dit les choses dont il est le plus navré sans se passionner ou se plaindre. Pour lui, qui n’a pas d’autre conception de la vérité politique que celle-là que le monde du Moyen Âge avait réalisée, la Réforme a introduit dans le monde moderne un mal sans compensation et sans remède, et par-delà ce mal, qui n’est pas près d’être épuisé, et qui, dans sa conviction, sera la fin de tout, non seulement il ne voit rien, mais il ne regarde même pas… Que cette tristesse désespérée ait ou n’ait pas sa raison d’exister, je ne veux point l’examiner. Mais il est certain qu’elle est imposante, et qu’elle donne au livre à travers lequel elle est répandue la désolation immobile et saisissante des figures tumulaires, sobres de gestes, et une solennité sans emphase qui touche presque à de la grandeur.

II

Et l’on est saisi d’autant plus que l’homme dans Segretain est absolu, qu’il appartient à une opinion extrême, et que c’est une coutume, assez sotte, il est vrai, mais une coutume, de croire qu’être dans une opinion extrême c’est être, de nécessité, un fougueux. L’auteur du Sixte-Quint et Henri IV, qui fait de la critique ici plus qu’il n’écrit l’histoire, ou, pour parler avec plus de précision, qui fait de l’histoire contre de l’histoire et répond personnellement à Poirson et à Michel ; l’auteur du Sixte-Quint, ancien rédacteur de l’Univers, n’a dans son livre ni flammes, ni dureté, ni morsure, ni amertume ulcérée… Il est doux comme un condamné à mort ; car il en est un au fond de sa pensée. Il fait partie d’une société qui, dans ses prévisions, faillibles ou infaillibles, mais siennes, est parfaitement condamnée à périr.

Je supplie qu’on me comprenne bien ! Segretain, n’a, certes ! pas manqué d’appeler les choses par ce qu’il croit leurs noms, et ces noms sont terribles. Mais le sentiment qui les lui fait écrire n’est plus la passion du combat. Non ! c’est bien plutôt la noire résignation de l’homme accablé par ces circonstances qui sont les conséquences inévitables du mal commis. Voilà surtout le sentiment qui circule et teint tout de sa sombre nuance dans son livre ! On voit bien qu’il serait violent, s’il le fallait. Mais à quoi bon ? On n’est plus violent quand il n’y a plus d’espérance… Le calme de l’historien ? J’ai dit qu’il l’avait, mais il a bien plus ! Il a le calme des choses finies. Il l’a tellement que, les faits montrés, il conclut à peine dans l’expression contre les hommes coupables de ces faits, et qu’il épargne à Henri IV, par exemple, ce que certainement un autre catholique, moins terrassé que lui dans son espérance, n’eût jamais voulu lui épargner !

En effet, si la Réforme est une destruction, et une destruction abominablement criminelle, surtout au point de vue des idées et de la conscience modernes, puisque cette destruction n’était pas seulement celle d’une certaine organisation, mais de l’organisation de la majorité d’un peuple, brisée par la minorité, Henri IV, qui fut le plus près d’un tel événement et qui pouvait le mieux élever une digue contre le fleuve, Henri IV a, dans cette destruction, la main qu’il n’y a pas mise pour l’empêcher, en supposant (supposition pure !) qu’il n’y en ait pas mis une autre… Henri IV a donc commis là bien évidemment une des plus grandes fautes que souverain pût commettre, même la question religieuse écartée, que l’Histoire cependant n’écartera pas, car, je le dis, en regardant bien en face les révolutions futures, ou du moins le chemin par lequel elles peuvent venir, les gouvernements doivent toujours venir à bout, quand ils le voudront, eux qui sont la force organisée, de la force qui ne l’est pas…

Segretain a par des exemples nombreux et frappants fait toucher du doigt dans son histoire la bévue des gouvernements du xvie  siècle qui précédèrent celui de Henri IV, lequel paracheva et fixa les conséquences de cette énorme faute, en la commettant à son tour ; et on se demande vraiment pourquoi, en lisant Segretain, qui nous met en lumière une chose qu’avant lui on n’avait pas assez vue, ce qui prouve son extrême bonne foi et son désir de justice : c’est qu’à toutes les époques de sa vie Henri IV, quelles qu’aient été ses apostasies, avait toujours été au fond de sa pensée plus catholique que protestant !

Tel est l’un des plus curieux éclairs de cette histoire, qui en a d’autres… Henri IV fut toujours plus catholique que protestant, et c’est un catholique qui le dit et qui nous l’apprend. Oui ! Henri IV, qui a laissé dans l’histoire deux paroles à travers lesquelles on l’a vu jusqu’ici, — et pas très beau : — « Je vais faire, ma mie, le saut périlleux ! » et : « Paris vaut, ma foi ! bien une messe ! » Henri IV n’était pas l’hypocrite catholique qui jetait si légèrement son masque aux pieds de sa maîtresse.

Selon Segretain, s’il y avait un hypocrite, il était plutôt de l’autre côté. L’hypocrite, en Henri, fut le protestant. Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions. Assurément, l’apparence y est, mais Segretain a prouvé, avec la finesse d’une vue attentive qui prend garde à tout, que l’apparence fut une réalité. Aux pages 136 et suivantes de son histoire, il cite, d’après Tempesti, une lettre envoyée au pape Sixte-Quint par Henri de Béarn, frappé d’excommunication, et dans laquelle « il assurait Sa Sainteté qu’il avait toujours été vrai catholique et qu’il voulait mourir dans la vraie foi, mais que les trames des ligueurs l’avaient contraint à suivre la marche qu’il avait prise ». Et en écrivant cela, Henri, qui venait de protester publiquement contre l’excommunication du Pape, ne trompait plus, — il disait son secret.

« Ce qui ressortira de tout ce travail avec une certitude historique, — écrit Segretain, — c’est que Henri n’a pas cessé un seul instant d’associer à l’idée de son couronnement (qui fut l’idée de toute sa vie) l’abjuration de ses erreurs protestantes. » Avec la nouvelle foi de sa mère, et cette grande et populaire figure de Henri de Guise, jetant sur le trône l’ombre de son éclat, Henri de Béarn, qui craignait que ses droits à la succession des Valois ne fussent ni assez puissants ni assez assurés, crut, dit spirituellement Segretain, « que le chemin de traverse de la Réforme était le seul qui pût le conduire au Louvre… et il fit ce crochet stratégique… ». Ce crochet est un mot heureux, car il contient un blâme, — le blâme que mérite toute tortuosité, — mais véritablement les plaisanteries d’un homme à sa maîtresse, avec qui on est toujours un peu fanfaron de vices, ne prouvent rien, et tout ce qu’on sait de la vie de Henri et de sa persistante ambition politique, appuie cette idée du crochet.

Seulement, je l’ai dit, c’est un éclair sur Henri IV, ce n’est pas une réhabilitation. Qu’importe que la casaque d’hypocrite fût rouge ou blanche, catholique ou protestante ! il n’en fut pas moins endommagé d’hypocrisie, ce joyeux et « petit compagnon », qui finit par en devenir un grand ! Il n’en reste pas moins, aux yeux de l’Histoire, qui ne plaisante pas, elle ! cette espèce de Robert Macaire héroïque à qui la France, qui aime à rire, a passé ses duplicités et ses manquements de foi et de sincérité, comme si c’étaient des plaisanteries. Mais si Segretain, comme je le crois, a bien vu dans Henri, par-dessous les gasconnades du protestant, le catholique par le tempérament, par le sens pratique, par la connaissance qu’il avait des instincts du génie et du passé de la France, sa faute, que Segretain et les catholiques absolus lui reprochent, est d’autant plus grande et devient à peu près incompréhensible !

III

Toute l’histoire de Segretain est l’histoire de cette faute incompréhensible de Henri IV, qui s’immobilisa dans l’Édit de Nantes et resta sur le pays, dont elle brisa l’unité. S’il avait été protestant comme le prince de Condé ou Jeanne d’Albret ; s’il y avait eu en lui une fibre qui eût saigné de protestantisme sacrifié, sous son lourd manteau du roi catholique, accepté au prix d’une abjuration, je comprendrais que lui, l’homme de la politique ambidextre, eût favorisé ses anciens coreligionnaires, étant le Roi, et eût fait encore ce crochet… Faiblesse de cœur, généreux souvenir de ses compagnons d’armes ! Mais l’histoire de Segretain nous a donné le mot du protestantisme de Henri. Rien de tout cela n’eut lieu.

D’un autre côté, l’idée de l’égalité de toutes les religions devant le pouvoir politique et civil n’était point née. L’Hôpital lui-même n’était allé que jusqu’à un simple édit de tolérance : or, l’Édit de Nantes reconnaissait un droit… Enfin, il y a plus encore : les idées modernes existaient si peu sur l’égalité des cultes et la liberté religieuse, que ces idées, maintenant en possession de tous les esprits, sans l’Édit de Nantes n’auraient peut-être jamais existé. L’une des plus belles discussions de ce livre de Segretain est celle-là, dans laquelle il démontre la fausseté de la thèse de l’émancipation de la pensée et de l’homme esclave brisant ses fers, que des écrivains de parti ont toujours soutenue avec succès à propos de la Réforme, et fait admettre à l’ignorance, non pas gobe-mouche, mais gobe-montagne de ceux qui les lisent.

Il prouve admirablement, au contraire, qu’au xvie  siècle les novateurs, à commencer par Luther lui-même, ne surent d’abord où aller, voulant une réforme des mœurs, mais tenus en respect par le dogme et l’opinion des peuples qui aimaient encore la « Sainte mère l’Église ».

La faute de Henri fut donc incroyable. Si on en lave son caractère, on en tache son génie, et c’est en lui tout l’homme d’État qu’il faut accuser. Si catholique que soit Segretain, n’allez pas croire pourtant qu’il ne fasse pas tout aussi bien qu’un autre la part du temps et des situations, qui ne sont jamais que l’engagement des fautes commises par nous-mêmes ou par ceux qui nous ont précédés… Il ne lui répugne nullement que Henri, venant après une guerre civile, eût accordé aux protestants la tolérance à laquelle seule ils avaient droit. Mais cela suffisait. Cela était assez pour un pouvoir généreux et habile.

La faute, la grande faute de Henri fut moins l’Édit de Nantes que sa teneur, qui replaçait en vis-à-vis de guerre, dans la société et dans la loi, les anciens vainqueurs et les anciens vaincus du champ de bataille. Cette faute, Richelieu la paya pour Henri plus que Henri lui-même. Il reprit, il est vrai, la Rochelle aux protestants aidés de l’étranger, mais il ne put jamais refaire, comme elle l’avait été, l’unité française. Il y usa sa vie. Il y échoua sublimement. Il nous faut la faute de Henri IV pour nous faire voir combien Richelieu est grand ! Quant à Louis XIV, qui exagéra Richelieu, il vint trop tard. L’heure était passée. Il y a une étoile du berger qu’il ne faut pas plus manquer en politique qu’en amour !

IV

Telle est la trame d’idées et telles sont les conséquences qui ressortent de la très lucide dissertation de Segretain, qui coupe si nettement le courant troublé des histoires contemporaines sur le xvie  siècle, comme l’angle d’un cristal coupe un flot fangeux. Au milieu des raisonnements politiques, appuyés de faits, qui sont le fond de cet ouvrage, évidemment écrit pour des lettrés qui savent ou doivent savoir l’histoire, et où il n’y a jamais le terre-à-terre d’une narration, se dressent, peintes, deux à trois figures, auxquelles l’auteur attache l’éclair qu’il a mis à la figure de Henri IV, ce sensé, qui n’eut jamais, en faisant le huguenot, une seule des passions huguenotes, qui voyait clair en se cachant, et honora toujours l’Église, même quand il l’insultait !

Par exemple, maintenant que j’ai lu Segretain, je connais mieux Henri de Guise, cet ambitieux non par lui-même, mais par influence de famille, trop négligemment et fièrement grand pour être ambitieux, s’il n’avait pas eu des parents qui le poussaient vers le pouvoir comme les mauvais Génies de son génie, et qui, pour le faire roi, auraient été forcés de le porter à bras, lui et son cheval, jusqu’au milieu du chœur de la cathédrale de Reims ! Gracieux grand homme de la race des César et des Alcibiade, dédaigneux de la mort comme du pouvoir, parce qu’il se sentait si puissant ! et qui n’en fut pas moins tué par Henri III, ce ver de terre, ou plutôt de boue, redressé enfin sous le mépris !

Mais de toutes les figures que Segretain nous a peintes, celle qui domine, à dessein, toutes les autres, est la majestueuse figure de Sixte-Quint, opposée à la figure de Henri IV, dans ce livre qui porte leurs deux noms, mais non dans un but d’antithèse. C’est autour de la figure de Sixte-Quint que l’allumeur d’éclairs que Segretain est dans l’Histoire en a fixé quelques-uns, que le préjugé ou la mauvaise foi, nous l’espérons, n’éteindront plus. Sixte n’est guère connu que comme un justicier, une espèce de Richelieu sous la tiare, plus grand pourtant que ce Richelieu que je m’obstine à trouver grand, quoiqu’il manque de charme, — oui ! plus grand de toute une hauteur de ciel. Richelieu disait qu’il n’avait jamais eu pour ennemis que les ennemis de l’État ; Sixte, qu’il ne craignait que le péché, et non les hommes.

Toute la différence entre ces deux hommes est dans ces deux mots. Grandeur consentie d’Ordre temporel, on n’a jamais pensé à considérer Sixte comme une grandeur d’Ordre divin. Le Justicier terrible a caché le Saint.

Mais, ne nous y trompons pas ! Sixte-Quint est bien moins un pape de génie que LE PAPE, dans son indéfectibilité. Rien ne montre mieux ce qui mène la barque de saint Pierre sur les flots des tempêtes humaines que le récit fait par Segretain de cette vie inébranlable et inaltérable, la seule qui fut calme quand tout était agité autour d’elle, au temps effroyable où elle fut. L’admirable histoire des rapports de Sixte avec Henri IV, avec l’Espagne, avec la France, avec la Ligue, est racontée par le nouvel historien, et ces rapports sont, hélas ! le dernier magnifique spectacle que la Papauté ait donné au monde qu’elle avait fait, dans ces derniers jours où il allait lui échapper !

Qu’on lise cela ! Que surtout les ennemis du catholicisme apprennent d’un homme qui ne déclame point une seule fois, qui ne crie point et qui s’est peut-être comprimé le cœur pour ne pas crier, en écrivant ces choses désespérées qui, pour lui, sortent de son livre ; qu’ils apprennent ce que fut ce Sixte-Quint qui aima la France, et même Henri IV, mais qui sut résister à Henri, à la France, à la Ligue elle-même, à l’Espagne, la catholique Espagne, qu’il finit par impatienter, — car, chose curieuse ! un prêtre espagnol, en pleine chaire, demanda que Sixte fût déposé comme fauteur d’hérétiques, — et cela pour avoir voulu rester LE PAPE, et n’incliner d’aucun côté les droits de sa paternité sublime. Le détail dans lequel nous ne pouvons entrer, on le trouvera dans Segretain, qui a peint cette figure de Sixte, impersonnelle comme la Sagesse, la Justice et la Charité, avec l’intelligence d’un homme qui a le sentiment de la Papauté.

Dans un tel sujet, qui élève l’artiste au-dessus de ses vaines fantaisies, on regrette pourtant, au nom de l’imagination, mais de l’imagination catholique, que le gardeur de pourceaux dans Sixte n’ait jamais existé, — pas plus que la scène tonitruante de l’Ego sum papa ! ce cri de combattant pour l’Église à qui sa force était, par l’élection, tout à coup révélée. L’auteur du Sixte-Quint nie absolument ces deux circonstances que nous aimons comme des légendes ; car les légendes sont l’idéal du vrai, et non pas le faux, comme le croient d’imbéciles philosophes. Segretain traite de scurrilités ces histoires de Leti et les dédaigne. C’est la seule chose sur laquelle nous ne sommes pas d’accord avec le spirituel historien. Même humainement, toute cette poésie de haillons, comme il dit, nous a toujours semblé très belle ; mais religieusement, c’est une pourpre. Cela ne rabaisse point Sixte-Quint d’avoir été un de ceux que Jésus-Christ appelle « ses membres » avant d’avoir été son représentant sur la terre, et, au contraire, la grandeur d’un si grand homme se voit mieux quand on la mesure à la profondeur d’abjection dont il est sorti.