(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »

IX. Chassez le naturel…

(Kissien)

Le lièvre et le singe s’entretenaient un jour. Et, tout en conversant avec son interlocuteur, chacun d’eux laissait libre cours à son tic familier. De temps à autre, le singe se grattait de brefs coups de patte saccadés et le lièvre, qui redoute sans cesse d’être surpris par quelque ennemi de sa race, ne pouvait s’empêcher à tout instant de tourner la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

Les deux animaux ne pouvaient se tenir en repos.

Et tous deux s’étudièrent à ne pas faire le moindre mouvement.

L’immobilité ne tarda guère à leur sembler insupportable. Le singe se sentait démangé comme jamais il ne l’avait été de sa vie. Quant au lièvre, il éprouvait de vives angoisses au sujet de sa sûreté depuis qu’il ne pouvait plus lancer à tout instant des coups d’œil furtifs vers chacun des points de l’horizon.

A la fin, n’y tenant plus :

Et tout en disant cela sire lièvre, comme entraîné par son récit, mimait ses inquiétudes en cette occurrence fâcheuse et regardait dans toutes les directions auxquelles il faisait allusion.

Le singe, de son côté, racontait son histoire, sans écouter le moindrement ce que disait son interlocuteur.

« Un jour, disait-il, je fus assailli par une troupe d’enfants qui me pourchassèrent à coups de pierres. J’en recevais ici ! — (Il se grattait le flanc droit comme pour désigner la place où le coup avait porté) là !… (au flanc gauche) sur les reins, à la cuisse, à la nuque ». Et, à chaque partie du corps qu’il nommait ainsi, il l’indiquait d’un geste précipité qui faisait cesser l’impérieuse démangeaison.

Le lièvre ne pouvait plus contenir son envie de rire. Il éclata ! Et le singe, en le voyant pouffer, rit aussi de tout son cœur.

Conté par EDOUARD NGOM.

ECLAIRCISSEMENTS.

Cf. Conte Le lièvre et l’hyène aux cabinets.

Noter que le lièvre ici est représenté comme le type de l’animal craintif.