FAGAN, [Christophe-Barthelemi] né à Paris en 1702, mort en 1755.
Sans rien ôter de sa gloire littéraire, on auroit pu retrancher du Recueil de ses Œuvres un grand nombre de Pieces, & les réduire à trois ou quatre qui méritoient seules d’être recueillies. Le Rendez-vous, la Pupille, l’Amitié Rivale, Joconde, sont, sans contredit, ce qui le distingue de la foule des Auteurs comiques de ce siecle. Les deux premieres, sur-tout, sont d’un comique agréable & piquant, d’un style simple & sans prétention. Les caracteres y sont variés, naturels ; les personnages ne disent que ce qu’ils doivent dire. On n’y trouve point de ces tirades parasites, de ces portraits encadrés avec effort, & tout exprès pour exercer les mains du Parterre, qui n’applaudit jamais tant que dans le moment où son jugement est le plus offusqué. Ces deux petites Pieces reparoissent souvent, & les Amateurs de la bonne Comédie les revoient toujours avec le même plaisir. On reconnoît d’excellentes choses dans l’Amitié Rivale & dans Joconde ; mais il y a trop à désirer & à reprendre, pour qu’on puisse les ranger parmi les bonnes Pieces.
M. Fagan étoit né avec du talent pour la Comédie ; mais les chagrins qui le dévoroient ne lui permettoient pas de donner à ses Ouvrages la perfection dont ils étoient susceptibles. Il devoit beaucoup à la Nature, & il en avoit reçu les germes du génie▶. Il auroit donc été plus loin, sans contredit, si l’indigence n’eût pas été pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le poison mortel du ◀génie. La tristesse sombre, compagne inséparable du besoin, étouffa ou rétrécit les heureuses dispositions que l’aisance l’auroit mis à portée de cultiver & de développer.
Ce seul exemple devroit suffire pour engager les Mécènes modernes à mieux accueillir les vrais talens, & à ne pas accorder leur protection & leurs bienfaits à des Auteurs dont ils devroient être eux-mêmes les redoutables fléaux. C’est en demander peut-être trop. Les hommes, en général, n’approfondissent jamais rien ; l’illusion, la flatterie, les décident ; & par-là le bon goût & la Littérature trouvent leurs premiers destructeurs dans ceux qui pourroient le plus aisément en soutenir les droits & en perpétuer la gloire.