Chaulieu, [Guillaume Anfrie de] Abbé d’Aumale, né au Château de Fontenai, dans le Vexin-Normand, en 1639, mort à Paris en 1720.
La caducité de l’âge n’eut pas le pouvoir d’amortir les saillies de sa Muse, ni d’altérer ses goûts ; il aima toujours les plaisirs, & les chanta jusqu’à la fin de sa vie. Chapelle, son ami, avoit décidé ses talens par son exemple, & les dirigea par ses leçons. L’Abbé de Chaulieu surpassa son Maître à beaucoup d’égard. Doué, comme lui, d’une imagination vive, d’un esprit naturel & facile, il a plus de grace, plus de brillant dans la pensée & dans l’expression ; supériorité qui vient sans doute d’une sensibilité impétueuse qui l’entraînoit avec rapidité vers tous les objets agréables ; il les savouroit avec réflexion. De là cette multitude de Poésies pleines de délicatesse, d’aménité, de sentiment, & d’une hardiesse plus que philosophique. Son cœur, toujours ému par la volupté, lui fournissoit sans effort ces tournures naïves & délicates, propres à peindre les sentimens qu’il éprouvoit. Ses négligences mêmes sont une nouvelle source d’agrément, par l’intérêt séduisant qu’elles portent avec elles.
Il est fâcheux, pour la gloire de ce Poëte ingénieux, que la Jeunesse ne puisse lire ses Ouvrages sans danger, & les gens sages sans indignation. Tout ce qu’il pense, tout ce qu’il dit ne tend qu’à accréditer une Philosophie Epicurienne d’autant plus dangereuse, qu’il a su la réduire en sentiment. Point de moyen plus sûr de s’attirer des lecteurs, des admirateurs, des prosélytes ; & cependant rien de plus révoltant aux yeux d’une raison, nous ne disons pas austere, mais éclairée, que ce penchant à faire consister tout le bonheur dans la jouissance actuelle des plaisirs des sens. La Philosophie, qui se vante si hautement d’être la dépositaire des vraies lumieres, auroit dû rejeter un systême si faux en lui-même, & si propre à dégrader l’humanité. Au contraire, elle l’étend, le préconise, & ne craint pas de sacrifier ainsi sa gloire à l’envie de se procurer des partisans, qui oublient ce qui leur en coute pour figurer dans la société des ames foibles & des esprits forts.