(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 412-415
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 412-415

1. GODEAU, [Antoine] Evêque de Grasse, né à Dreux en 1605, mort à Vence en 1672.

Dans son temps, il passoit pour un des meilleurs Auteurs, soit en Vers, soit en Prose. Aujourd’hui on sait seulement qu’il a écrit, sans qu’on se donne la peine de lire ses Ouvrages, qui déplaisent par la prolixité du style, quoique l’élocution en soit facile & nombreuse. Son Histoire de l’Eglise a de la noblesse & de la simplicité, mais n’est pas exempte du défaut que nous venons de lui reprocher. Il n’a pas plus évité cet écueil en Poésie qu’en Prose. On dit pourtant que sa Paraphrase du Cantique des trois jeunes Hebreux lui valut l’Evêché de Grasse. Il paroît que cette anecdote n’a été imaginée que pour faire dire un bon mot, ou plutôt un mauvais rebus* au Cardinal de Richelieu : Quoi qu’il en soit, cette longue Paraphrase ne valoit pas un Evêché ; on n’y trouve par-tout que des fleurs d’or sur le Ciel étalées, des miracles roulans, de vivans écueils, & mille autres expressions semblables que le bon sens rejette, & que n’admit jamais la belle Poésie. Le seul mérite qu’on y reconnoisse, est le nombre & l’harmonie, qualités rares dans les Poëtes, ses contemporains. Il faut cependant rendre justice à quelques Strophes, & sur-tout à celle-ci, dont le quatrieme Vers paroîtra très-heureux :

Qu’on te bénisse dans les Cieux,
Où ta gloire éblouit les yeux,
Où tes beautés n’ont point de voiles,
Où l’on voit ce que nous croyons,
Où tu marches sur les étoiles,
Et d’où jusqu’aux Enfers tu lances tes rayons.

L’immense Recueil de ses Poésies offre quelques autres morceaux assez heureux, mais toujours noyés dans un déluge de Vers vides & boursoufflés. Enfin, on peut s’en rapporter, à quelque chose près, au jugement que Boileau portoit de ce Poëte. « M. Godeau est un Poëte fort estimable. Il me semble pourtant qu’on peut dire de lui ce que Longin dit d’Hypéride, qu’il est toujours à jeun, & qu’il n’a rien qui remue ni qui échauffe : en un mot, qu’il n’a point cette force de style & cette vivacité d’expression qu’on cherche dans les Ouvrages, & qui les font durer. Je ne sais point s’il passera à la postérité, mais il faudra pour cela qu’il ressuscite, puisqu’on peut dire qu’il est déjà mort, n’étant presque plus maintenant lu de personne. »

Nous remarquerons, avant de finir cet article, qu’on lit dans une Ode de M. Godeau à Louis XIII, une image, rendue presque mot à mot dans la Tragédie de Polieucte.

Mais leur gloire tombe par terre ;
Et comme elle a l’éclat du verre,
Elle en a la fragilité.

Il y a dans la Tragédie :

Toute votre félicité,
Sujette à l’instabilité,
En moins de rien tombe par terre ;
Et comme elle a l’éclat du verre,
Elle en a la fragilité.

Il est difficile de se déterminer à soupçonner Corneille de plagiat ; ce qu’il y a de certain, c’est que l’Ode à Louis XIII est antérieure aux premieres représentations de Polieucte.