Introduction
Même réduit aux proportions qu’il présente ici, un ouvrage sur la nouvelle littérature, fait à la fois de critique, de documents et de prophétie, ne laisse point que d’être un travail difficile, considérable et dangereux. Difficile car retrouver les dates de publications à tirage restreint, ces publications elles-mêmes, parmi l’amas de papier imprimé par la génération des « petites revues et des plaquettes », n’est point une tâche aisée ; les auteurs n’ayant pas gardé le plus souvent la mémoire des dates, des formats, ou nous ayant à ce sujet fourni des renseignements erronés qu’il nous a fallu rectifier à grand’peine. Considérable, car la liste est longue de ceux qui entre dix-huit et trente-six ans on écrit des pages intéressantes, ont participé au mouvement littéraire de ce temps, si fécond en cénacles, si fertile en personnalités curieuses ; dangereux enfin, parce que, malgré deux ans de recherches, nous avons commis des oublis inévitables et surtout parce qu’ayant combattu, nous aussi, dans les rangs de cette jeunesse, nous n’avons pourtant pas hésité à mettre de côté toute camaraderie, toute confraternité, pour présenter un tableau sincère et précis de cette « jeune littérature » dont on parle tant et qu’on connaît si peu.
Notre livre ne témoigne d’aucun parti-pris. Pour en avoir approché, nous n’ignorons rien des défauts ordinaires aux cénacles dont chacun, tour à tour ou parallèlement, prétend refléter l’âme française et contenir son évolution définitive. Nous n’avons pas voulu faire de la réclame à telle ou telle marque au détriment de telle autre. Nous avons la conscience de n’être demeurés étrangers à aucun effort littéraire. Pareils au peuple qui demeure pour nous, à jamais, l’initiateur de la beauté classique, nous n’hésiterons pas à dresser des autels à un dieu inconnu, à reconnaître des beautés en dehors de celles qui s’élevèrent, selon nos particulières théories d’art. Mais qu’on ne nous blâme point, en une époque de confusion et d’anarchie, d’avoir réservé nos meilleures louanges à ceux qui gardent fidèlement le sens de la tradition nationale : clarté, sobriété, mesure, méthode ; à ceux qui n’ont pas vêtu la déesse d’ornements étrangers, qui ne l’ont pas éloignée du grand chemin tranquille où passèrent, indifférents aux soucis de la politique éphémère et aux modes qui se fanent, les classiques.
Cela ne veut pas dire que nous n’ayons pas souci de vérité humaine. Au contraire. L’art compris en dehors de la vie ne peut guère que délasser quelques esprits subtils et précieux. Cependant n’oublions jamais que l’art s’écarte également de l’instinct et de la prédication. Il est autre chose que la vie et autre chose qu’un enseignement. Il est seulement une source d’émotions spéciales à la fois différentes des émotions de la vie et de celles de la philosophie ou de la morale. Notre temps a mêlé tous les genres, a rompu toutes les barrières, dépassé toutes les limites que l’expérience et l’observation de vingt siècles avaient mises entre les divers modes de l’expression artistique. Le roman et la poésie ont voulu être de la peinture, de la musique, de la sociologie, etc… À ces croisements multipliés et peu raisonnables s’est abâtardie la sève littéraire d’un pays qui reste cependant encore le premier, dans le domaine littéraire et idéologique. À ceux qui, dédaigneux des fortunes passagères, ont entrepris de renouveler, par une application plus stricte de la tradition ; la vieille vigueur française, nous réserverons notre approbation. Sans doute, ils ont été amenés par leurs théories à dédaigner certaines beautés, à s’interdire certaines façons de séduire, mais est-ce vraiment un mal dans un moment de production si intense ? D’autre part nous ne voudrions pas qu’on nous crut capables de confondre banalité et simplicité, pastiche et tradition, impuissance et classicisme. Il nous répugnerait autant de louanger un médiocre imitateur, un plat versificateur, que de méconnaître un tempérament original égaré dans des recherches malheureuses de style ou de pensées ?…
Ce livre sur des jeunes hommes est écrit par des jeunes. À nous deux, nous avons à peine l’âge de M. Frapié que l’Académie Goncourt appelle encore un jeune. On nous pardonnera donc parfois la vivacité de nos jugements, notre ardente confiance. Rien que l’amour des lettres nous a soutenus. Depuis déjà sept ans nous avons tous deux participé à bien des groupements et des manifestations. Notre espoir en une renaissance nationale s’en est fortifié. Sans pouvoir peut-être donner la côte de chacune, nous présentons ici les forces de la littérature de ce soir. Nous avons voulu ce tableau aussi complet que possible — l’expérience nous ayant appris que ce ne sont pas toujours « les petits prodiges » qui réalisent les œuvres les plus caractéristiques.
Il ne nous appartenait pas de proscrire personne en dehors de quels bas producteurs à scandale !… ou de quelques niais prétentieux !
On trouvera bien des noms inconnus au cours de cet ouvrage. Nous espérons qu’on s’y attendait. Il n’y avait pas lieu de tomber dans cette erreur qui fait appeler « jeunes » des écrivains illustres et âgés de plus de cinquante ans.
Nous avons, volontairement omis encore ceux dont la notoriété eût exigé des développements incompatibles avec notre format.
Nous avons eu le souci d’apprendre quelque chose à nos lecteurs. Surtout, nous désirerions que chaque fois qu’un succès signalera au public un nom nouveau, on pût chercher ici des notes sur ses débuts. Ce serait notre meilleure récompense que d’avoir deviné ceux qui seront l’honneur de la littérature de demain. Ce soin néanmoins ne nous a pas fait négliger la gloire des jeunes maîtres ou des écrivains déjà notoires. C’est à ceux-là que nous recommandons les nouveaux venus ·
Nous avons joint à notre travail un dictionnaire bibliographique, conçu selon une méthode que M. Ad. van Bever a popularisée et qui nous paraît excellente.
Enfin, il nous faut remercier MM. les éditeurs Eugène Fasquelle, Calmann-Lévy, Pierre Valdagne, Alfred Vallette, E. Sansot, G. Moreau (de la Maison Larousse) pour l’empressement avec lequel ils nous ont fait tenir les renseignements ou les volumes qui nous étaient utiles. Nous remercions également les directeurs des journaux et revues qui ont annoncé cet ouvrage.
Georges Casella et Ernest Gaubert.
P. S. — Il est difficile de démêler, même pour nous, la part de chacun dans cet ouvrage, signé dans l’ordre alphabétique, cependant M. Ernest Gaubert a donné plus particulièrement ses soins aux chapitres des Écoles et Manifestes, à une partie de la Critique, à la Poésie, au Régionalisme, à la documentation bibliographique, M. Georges Casella à la Critique, au Roman et au Théâtre.