Achille du Clésieux.
L’âme et la solitude.
Nous annoncions tout récemment les vers de M. Turquety20, poète breton et catholique ; voici un autre poète de la même contrée et de la même foi qui prend son rang aujourd’hui. M. du Clésieux, pour ceux même qui ne connaîtraient de lui que son volume, est évidemment une de ces âmes rares, mais non pas introuvables en nos temps, un de ces jeunes hommes qui, de bonne heure, ont cherché le port dans l’antique croyance. C’est un spectacle assurément mémorable, au milieu de tant de scepticisme et de tant d’écarts dont on est entouré, que de voir comme l’élite de ces vierges et vertueux esprits ne diminue pas, comment elle se recrute et se perpétue, conservant, pour ainsi dire, dans toute sa pureté, le trésor moral. Quelles que soient les formes sous lesquelles doive se reconstituer (nous l’espérons) l’esprit religieux et chrétien dans la société, cette vertu avancée de quelques jeunes cœurs, cette foi et cette modestie, tenues en réserve, aideront puissamment au jour de l’effusion. M. du Clésieux, nous dit-on, après de bonnes études, et quelques années passées à Paris dans sa première jeunesse, s’est bientôt retiré, et comme enfui dans sa Bretagne ; les plaisirs l’avaient effleuré un moment, et il s’y dérobait avec une sorte d’effroi. Dans un domaine rural, voisin de la mer, six pleines années se sont écoulées pour lui à méditer, à prier, à se guérir et à s’affermir. Et l’amour de l’humanité ! nous crieront nos maîtres intellectuels ; et le service que tout homme doit aux autres ! et la part que réclame de chacun l’action commune ! En réponse à ces excellentes exigences, nous n’avons rien à opposer sinon que M. du Clésieux, nous a-t-on dit encore, n’a pas employé ces six années de retraite, dont nous parlons, à de pures extases de cœur, à de simples élévations d’intelligence ; il a fait le bien, et a beaucoup amélioré les hommes autour de lui ; combien d’agitations bruyantes sont moins effectives ! Au milieu de ces œuvres pratiques et dans les intervalles solitaires, sa pensée a quelquefois cherché, par instinct, la mélodie. La lecture de M. de Lamartine était toute son étude d’art ; c’est aussi dans cette forme libre et facile que se sont modulés ses premiers chants. Le volume que nous avons sous les yeux laisse certainement à désirer pour l’art, pour la composition et l’expression ; souvent, quand il parle du Jour des Morts, quand il nous peint sa paisible et assise existence sous le toit qui est à lui, quand, dans le silence de son vallon, il entend et nous raconte la voix de son cœur, en ces endroits, tout en étant lui-même, le poète nous rappelle un peu trop le maître harmonieux dont l’inspiration l’a éveillé. Mais le mouvement intérieur n’est jamais emprunté, même quand les mots le sont ; ce que disent ces lèvres pieuses, sort toujours d’une poitrine oppressée. Je ne sais quel souffle vif et quelle fraîcheur qui s’exhale nous décèle, là auprès, une source naturellement courante. Les dernières pièces du volume, qui sont d’une date plus récente, ont aussi plus de vigueur et de fermeté. Celle qui a pour titre, A mon Père, est d’une belle haleine et d’une sensibilité pénétrante. Celle à M. Victor Hugo offre du vague et un ton mystiquement exagéré dans la partie des reproches ; la fin a de l’onction et de la beauté. L’ode à M. de La Mennais est pleine d’essor ; mais nous trouvons, et nous osons croire que l’illustre prêtre trouvera comme nous qu’elle est trop prise du côté de la gloire humaine : il ne fallait pas clore une pièce à M. de La Mennais par des fleurons. Dans la Vocation du poète, le voile de la pensée ne se lève nulle part nettement. En abordant, comme il le fait dans ses derniers morceaux, une poésie plus soutenue et plus figurée, M. du Clésieux aura à se garder de perdre la clarté simple de ses premiers essais. Quoi qu’il en soit de nos critiques sincères, ce volume, qui vient de l’âme, et qui est une douce émanation, charmera les lecteurs dispersés de la même famille ; les lecteurs plus artistes et plus difficiles y verront au moins les promesses d’un poète.