(1767) Salon de 1767 « Sculpture — Le Moine » p. 321
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(1767) Salon de 1767 « Sculpture — Le Moine » p. 321

Le Moine

buste de M. Trudaine . Il est ressemblant, les détails y sont même larges, mais la chair avec sa mollesse n’y est pas. Du reste modèle du mauvais goût de nos vêtemens, il faut voir l’effet de cette lourde, dense, impénétrable, énorme masse de cheveux. On ne saura jamais par quelle bizarrerie nous nous surchargeons la tête d’un pareil fardeau. Qu’en pensera la postérité ? Un sauvage prendrait cela pour les têtes d’une douzaine d’ennemis appliquées l’une sur l’autre. Il faut voir l’effet de cette large cravate autour du cou, et de ces deux longs bouts de toile plats, raides, empesés, plissés bien strictement et placés sur le milieu de la poitrine ; le contraste du volume avec cette rangée de petits boutons. Sans exagérer, c’est un quartier de roche auquel on s’est amusé à donner une figure grotesque.

Cela fait frissonner d’horreur ou soulever le cœur de dégoût à celui qui a le moindre sentiment de l’élégance, de la noblesse, de la grâce. On ferme les yeux, on se sauve, et lorsque cette vilaine, hideuse chose revient à l’imagination, on est persécuté, poursuivi par une image importune. buste de Montesquieu . si vous voulez sentir tout l’ignoble, tout le barbare du Trudaine , jettez les yeux sur le Montesquieu . Il est nue tête, on lui voit le cou et une partie de la poitrine ; voilà du goût.

Celui-ci ressemble aussi ; mêmes qualités et mêmes défauts pour le faire qu’au précédent. J’aime mieux l’ancien médaillon ; il y a plus d’élégance, plus de noblesse, plus de finesse et plus de vie. buste de l’avocat Gerbier . du même.

Je ne me le rappelle pas. Tant pis. Est-ce pour le buste ?

Il y avait encore de Le Moine un autre buste en terre cuite, d’une femme ; il était très-élégant, très-vivant, très-fin ; le cou cependant maigre et sec, et la distance du menton au cou, la profondeur de la mâchoire énorme. La guirlande de fleurs qui descendait d’une épaule, jolie, mais peu selon la sévérité de l’art ; la coëffure moitié antique, moitié moderne.

En général, les terres cuites de Le Moine valent mieux que ses marbres. Il faut qu’il ne le sache pas travailler.

Il y avait à côté du Trudaine une autre espèce de magot, et, qui pis est, de magot sans verve. Si le premier n’était pas de chair, bien moins celui-ci.

Je ne sais qui c’était, mais de tous ces pauvres cordons qu’on voit dans nos rues traîner leur misère et l’ingratitude de la nation, je n’ai pas de mémoire d’en avoir vu un plus plat de physionomie.

C’est quelque mauvais plaisant qui a conseillé à cette tête de chou de se faire mettre en marbre, cette matière, cet art qui est si grave, si sévère, qui demande tant de caractère et de noblesse. C’était un moyen de montrer avec force le ridicule, l’ignoble de ces grosses joues boursouflées, de cette boule, de ce petit nez serré entre deux vessies, de ce front étroit. Connaissez-vous un livre d’Hogarth, intitulé la ligne de beauté ?

C’est une des figures hétéroclites de cet ouvrage ; et puis un jabot et des manchettes brodés, un gothique st esprit étalé sur la poitrine. Puisse pour l’honneur du siècle, ce hideux morceau aller frapper rudement le Trudaine, et le ministre mettre en pièce l’intendant des finances, en sorte qu’il ne reste de l’un et de l’autre que des fragmens trop petits pour déposer dans l’avenir de notre insipidité.