(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Van Lerberghe, Charles (1861-1907) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Van Lerberghe, Charles (1861-1907) »

Van Lerberghe, Charles (1861-1907)

[Bibliographie]

Entrevisions (1898). — Les Flaireurs (1899).

OPINIONS.

Valère Gille

Les quelques vers de Charles Van Lerberghe sont trop peu connus. Ce sont de fines tapisseries où, sur fond d’argent, se devine un dessin de légende un peu pâle et comme déjà effacé. La ligne en est d’une pureté admirable alors même qu’elle se complique savamment, et la couleur en est adorablement fanée. On dirait que le poète habite un château de fées, depuis des siècles, abandonné et que le seul silence des salles désertes l’a convié aux rêves très doux d’autrefois. Peut-être aussi, a-t-il, comme Villiers de l’Isle-Adam, frissonné de terreur aux bruits insolites d’une vie occulte et traduit cette angoisse et cette épouvante dans le drame : Les Flaireurs.

[Portraits du prochain siècle ().]

Gustave Kahn

Ce poète est une des originales figures de la littérature de ce temps. Doué d’un esprit souple, neuf, avisé, curieux, extraordinairement compréhensif, amoureux de nouveauté, aidé d’une très solide érudition, il est affligé d’une excessive modestie, d’une timidité violente, oppressive, qui est cause que ce subtil artiste est un des producteurs les moins actifs de cette heure. On sait qu’il fut, avec Maurice Maeterlinck, le trouveur de cette sorte de drame singulier, bizarre si l’on veut, mais mental, mais intelligent, de ces marches d’aveugles à travers des forêts tragiques, ces arrivées lentes ou brusques, inéluctables toujours, de la mort, qui forment un des titres du symbolisme, un de ses apports les plus incontestés. M. Charles Van Lerberghe nous donna les Flaireurs, et puis se tut. Pas complètement pourtant. De temps en temps il donnait à une Revue quelque court poème. Ce sont ces vers qu’il nous offre, et je crois qu’ils n’y sont pas tous, et qu’un esprit critique trop scrupuleux, trop rigoureux envers soi-même, a restreint les pages du livre et que tout n’y est pas. Encore dans les poèmes réunis peut-on regretter souvent que l’auteur, trop sévère envers son lyrisme, soit souvent demeuré trop sobre, se soit contenu à l’excès, et certains poèmes paraissent avoir été privés de développements utiles. Il est vrai que, parfois, ils y gagnent toute une valeur suggestive, que ce sont comme quelques beaux accords frappés, comme une phrase initiale donnée dont on nous laisse libre de nous figurer le développement. M. Van Lerberghe note ainsi sur l’amour, l’ingénuité de l’amour, sur la mort, sur l’attente de l’espérance de la découverte, des lieds imprécis et charmants, où les syllabes semblent du silence enchanté, et c’est ainsi : La Ménagère, Dans la pénombre (un poème de seize absolument charmant), La Barque d’or que connaissent bien les lettrés :

Mais une qui était blonde,
        Qui dormait à l’avant,
Dont les cheveux tombaient dans l’onde,
        Comme du soleil levant
Nous rapportait sous ses paupières
        La lumière.

Et encore L’Aumône et cette courte pièce :

Au temps des mûres, ils ont chanté
        Mes lèvres qui cèdent
Et mes longs cheveux, tièdes
        Comme une pluie d’été.

Au temps des vignes, ils ont chanté
        Mes yeux entreclos qui rayonnent,
Mes yeux alanguis et voilés
        Comme des ciels d’automne.

J’ai toutes les saveurs et toutes les lueurs,
        Je suis souple comme une liane.
Mes seins ont la courbe gracieuse des flammes
        Et des fleurs.

Ces courtes pièces sont peut-être les meilleures du livre. Les plus longues ne sont pas bien longues. Une idée se développe en ce qu’elle a d’essentiel avec quelques touches de décor, quelques métaphores simples, et c’est tout. Mais c’est d’un grand art.

[Revue blanche (1er mars ).]

Henry Davray

Malgré son titre : Entrevisions, d’une pas très heureuse recherche, le livre de SI. Charles Van Lerberghe laisse l’impression d’une œuvre très noble et très pure. D’une beauté constante, il est néanmoins varié à la fois d’inspiration et de technique. Le tempérament du poète persiste sous ses multiples aspects et à travers ses manifestations les plus diverses ; son âme n’est ni violente, ni véhémente : réservée, lointaine, insaisissable presque, elle laisse cependant parvenir jusqu’à elle les émotions de la vie, qu’elle ressent intimement, mais adoucies et purifiées, et c’est avec un art parfait que le poète les exprime et les réalise avec un luxe simple de mots et d’images. Il a embelli son âme de toute la Beauté intérieure, et son âme a transformé en beauté tout ce qu’il lui a donné ; elle lui a fait trouver en lui-même « une possibilité particulière de vie supérieure dans l’humble et inévitable réalité quotidienne », et c’est cette vie profonde que le poète a vécu et dont il nous révèle la précieuse essence en ce beau livre de poèmes. Il est difficile de citer : ce serait indiquer des préférences impossibles. Chacun de ces poèmes contient le si peu de choses qu’il faut « pour encourager la beauté dans une âme », et il faut se laisser mener, s’abandonner entièrement pour la joie de comprendre en toute simplicité, et de sentir profondément toute la tranquille beauté, toute la silencieuse activité de l’âme du poète.

[L’Ermitage (juin ).]