(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 142-143
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 142-143

DESMAHIS, [Joseph-François-Edouard de Corsembleu] né à Sully-sur-Loire en 1722, mort en 1761, un des plus agréables Poëtes de ce siecle.

Ses Poésies légeres l’emporteroient même sur celles de Chapelle & de Chaulieu, si l’esprit n’y étouffoit trop le sentiment. Ce défaut n’empêche pas qu’elles ne soient supérieures à tout ce qu’on a fait de nos jours en ce genre, pourvu qu’on excepte les Pieces fugitives de M. de Voltaire, de M. le Chevalier de Bouffers, & une grande partie de celles de M. Greffet. Il a surtout une tournure de pensées, vive, naturelle, & délicate ; sa versification est douce, harmonieuse, & facile ; sa poésie, pleine d’images & d’agrémens ; sa morale est utile, sans être austere ; un peu trop voluptueuse, sans être cependant libertine ; philosophique, sans être hardie ni indécente. Sa petite Comédie de l’Impertinent est bien versifiee ; mais elle est plutôt un tableau piquant qu’une Comédie.

Quoiqu’Eleve de M. de Voltaire, M. Desmahis a toujours respecté la Religion, les mœurs, les Lettres, & les Loix. Dans toutes ses Productions il paroît plus jaloux de qualités du cœur que des talens de l’esprit, plus sensible à l’estime qu’aux applaudissemens. Telle est l’idée qu’on s’en forme à la lecture de son Epître à Madame de Marville : le Poëte y fait un aveu de ce qu’il a été, de ce qu’il étoit, & de ce qu’il désiroit être.

Mais c’est peu de prêter à ma Philosophie
Ce tendre, ce touchant que le cœur déifie :
Il est d’autres devoirs, des décrets adorés,
Plus d’une chaîne qui nous lie,
Et des engagemens sacrés.
Nous naissons tous sujets d’une double Puissance ;
Chaque Peuple a son Culte, & chaque Etat ses Loix :
Malgré l’audace impie & l’aveugle licence,
Respectons les Autels, obéissons aux Loix.
Toujours vertueux par systême,
Coupable trop souvent, mais par fragilité,
Du moins, lorsque d’Aaron j’entends la voix suprême,
Fidele Israélite, & m’oubliant moi-même,
De ma folle raison j’abaisse la fierté,
Et laisse captiver devant un diadême
Mon impuissante liberté.
Cependant, ennemi du cruel fanatisme,
Secrétement blessé d’un trop grand despotisme,
Je n’ai point l’air esclave au milieu de mes fers.
Telle est mon ame toute entiere,
Et telle sera la matiere
De mes Ecrits & de mes Vers.

Il a tenu parole, & on ne peut que regretter qu’il n’ait pas joui d’une plus longue vie. Ses sentimens répondoient du bon usage de ses talens ; la maturité de l’âge en eût vraisemblablement écarté la frivolité, y auroit substitué l’empreinte d’une raison plus solide, & l’on n’eût pas eu à craindre de voir sa vieillesse déshonorée par des Productions propres à déshonorer tous les âges.