(1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289
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(1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

M. Oscar de Vallée

André Chénier et les Jacobins.

I

Ce livre est bien venu dans la publicité après La Conquête jacobine de M. Taine. Il est certainement inférieur par l’étendue, l’embrassement, au grand ouvrage de M. Taine, ce foudre d’érudition, qui en finit, selon moi, avec toutes les histoires faites jusqu’ici sur la Révolution française et qui force à les recommencer ; mais il a sur le Jacobinisme, qui est la Révolution dans sa forme définitive et sa fatalité dernière, la même Vue droite, inflexible et perçante… Il est de même portée et il atteint au même point, — mais avec une flèche enflammée, avec la palpitation et la passion de l’éloquence en sus, et que M. Taine a eu la force d’étouffer. André Chénier n’est pas tout seul dans le livre de M. Oscar de Vallée, qui n’est, d’ailleurs, qu’un imposant fragment d’une biographie que j’aurais voulu lui devoir tout entière. Me permettra-t-il de la regretter ?… Intégralement, Chénier n’y est pas… Les Jacobins qui le tuèrent sont plus que Chénier dans le livre de M. Oscar de Vallée, et c’est à travers la victime qu’il a regardé les bourreaux.

Bonne lorgnette, du reste, pour bien les voir, que cette lunette sanglante de la guillotine par laquelle passa la plus noble des têtes que la Révolution ait coupées ! Magistrat, même la plume à la main, c’est surtout les bourreaux que M. Oscar de Vallée a voulu juger. Il a pensé et il a dit — en d’autres termes peut-être, mais il a positivement dit, — que l’André Chénier qu’on trouverait dans son livre serait moins le Chénier poète, dont la gloire est faite et n’a plus besoin qu’on y touche, que le Chénier politique, — l’homme d’action et de courage qui a presque disparu dans l’absorbante gloire du poète, et qui était pourtant dans le poète, dans cet être charmant d’une imagination si divine ! Ce qu’on doit rencontrer ici, c’est le Français, — le Français de cœur qui respirait dans ce Grec par l’intelligence ; c’est le journaliste oublié, — que la guillotine n’oublia pas, elle ! Enfin, c’est Chénier, mais c’est Chénier, surtout, l’antijacobin !! Et voilà pourquoi M. de Vallée a mis sur le front de son livre le nom infâme des Jacobins à côté du nom glorieux d’André Chénier.

C’est qu’en effet lui et eux y sont également, mais les Jacobins y sont davantage, grâce à Chénier lui-même, qui les a combattus avec une incomparable énergie jusqu’à sa dernière heure. Les nombreuses citations arrachées par M. de Vallée aux journaux du temps forment, dans son livre, un ensemble sur lequel il a écrit le plus brillant des commentaires. L’auteur des Manieurs d’or est un écrivain. Par l’élévation de son âme et la nature des opinions politiques de son esprit, M. Oscar de Vallée s’est trouvé tout naturellement en ardente communion de sentiments et d’idées avec André Chénier, mort si tragiquement aux premières floraisons d’une révolution qui n’a produit, en somme, que des fleurs empoisonnées, et qui a même taché — il faut bien le dire ! — ce lys pur de Chénier des premières gouttes de son poison… Je sais bien qu’il les a essuyées, et que le lys trempé dans le sang n’en paraît que plus beau dans l’Histoire, mais il eut besoin de les essuyer… Certes ! je comprends mieux que personne l’enthousiasme de M. Oscar de Vallée pour André Chénier, et surtout quand cet enthousiasme est fait avec l’horreur des Jacobins ; mais il y en a un autre que celui-là, dans le livre de M. Oscar de Vallée, et celui-là, je ne le comprends pas, du moins au même degré. C’est l’enthousiasme pour le talent que l’intention des pages qu’il a citées est de ressusciter. Pour moi, il fut moins grand que le danger et le courage de les écrire, et en les lisant, je ne m’étonne pas que le poète, qui prit tout et confisqua tout dans André Chénier, ait fait oublier le journaliste et le prosateur. M. Oscar de Vallée lui-même, qui ne veut pas qu’on les oublie et qui a plus mesuré son admiration à la moralité révoltée, intrépide et fière de Chénier, qu’à la supériorité intellectuelle de l’écrivain, n’a pu s’empêcher de revenir au poète et de finir son livre par des vers plus beaux que toutes les proses du monde, et qui enterrent le prosateur dans la tombe du poète, à mille pieds dans les rayons de cette tombe, faite avec des rayons !

II

Ce sont ces rayons qui aveuglent. L’auteur de l’André Chénier et les Jacobins n’est pas le seul qui ait gardé dans les yeux l’éblouissement de la poésie de Chénier et qui ait involontairement reporté cette lueur sur sa prose. Sa prose, dans mes sensations à moi, ne brille ni ne brûle tant que cela… Quand on la lit, et je viens de la lire, on est même frappé des qualités entièrement opposées à celles de cette poésie dont elle est la sœur, et qui, colorée et toujours chaude, a fini, sous la pression d’un temps maudit, par s’embraser comme les feux du Styx pour les scélérats que le poète, exaspéré de cette poésie terrible, y plongea. Quand il écrit en prose et qu’il est journaliste, le terrible d’André Chénier est froid. Son génie a besoin du vers. C’est le trépied d’où il s’élance ; mais quand il ne l’a plus sous les pieds, la Sybille divinisée s’éteint dans une langue dont nous ne goûtons plus la flamme. Belle pourtant encore en beaucoup de parties, mais quelquefois incorrecte, cette langue est forte, large et acérée comme l’épée romaine. Seulement, M. Oscar de Vallée voit trop généralement dans cette langue la langue de Tacite. Elle n’y est pas, et le Juvénal et l’Archiloque qui flambent dans les vers de Chénier n’y flambent plus !

Quoi qu’elle soit, du reste, elle a pourtant cet avantage, qu’elle doit garder, qu’elle est la première langue qu’en France le journalisme ait parlée, et ce n’est pas un bégayement ! Avant Chénier, ou plutôt avant la Révolution française, le journalisme politique, à proprement parler, n’existait pas. Grâce à Fréron et à Grimm, l’un dans son Année littéraire, l’autre dans sa Correspondance, le journalisme était né en littérature ; mais pour qu’il devînt le journalisme politique, le journalisme tel que le conçoit et l’a réalisé l’esprit moderne, il fallait que la Révolution éclatât. André Chénier fut un des premiers qui le révélèrent à la France. Seulement, il ne fut pas le seul. Les journalistes jaillirent du sol volcanisé par la Révolution. Ils furent comme la semaille des dents de ce nouveau dragon de Cadmus… Il y eut, dans des camps d’opinions différentes : Suleau, Loustalot, Camille Desmoulins, Mallet-Dupan, Rivarol, Champcenetz, Mirabeau lui-même qui s’en mêla, et Mirabeau Tonneau, son frère, et, parmi eux, le plus noblement désintéressé des partis qui souillaient tout alors, le plus pur, le plus probe et le plus sublimement énergique, André Chénier, qui mourut pour l’avoir été… Tels furent les premiers clairons de cette légion de trompettes qui sonnèrent la diane de la Révolution, et qui continueront, je le crains bien, de sonner l’anarchie, jusqu’à la trompette, qui les fera taire enfin, du jugement dernier !

Car voilà, pour moi, la seule tache d’ombre que je trouve à la gloire, pure comme la lumière, d’André Chénier ! Il eut sa minute de révolutionnaire. Comme Louis XVI, qui n’était pas un poète, mais qui avait en lui la Bonté, la Bonté tout aussi illusionnante que la Poésie ; comme Lafayette, ce grand candide, qui ne vit pas que la Révolution et le Jacobinisme n’étaient qu’un même monstre et qu’il n’y avait pas à se mettre entre eux comme les Sabines entre les Romains et les Sabins, dans le beau tableau de David, André Chénier eut, lui, parce qu’il était poète, l’illusion de la Révolution française, et il se grisa de son imbécile espérance… Seulement, son erreur fut courte, et elle fut expiée bien avant qu’il la payât de sa tête ! Il retourna bien vite, ce révolutionnaire des premiers jours de la Révolution, qui en avait salué l’aurore, il retourna bien vite contre l’exécrable Jacobinisme le clairon d’or qu’il avait embouché en l’honneur de la Révolution, et qui, sous ses lèvres indignées et vengeresses, se changea en clairon d’airain. Oui ! cette âme charmante d’André Chénier, qui avait en elle toutes les causes d’erreur qu’ont les poètes, dut naturellement se faire prendre à cet Idéal impossible de liberté et d’égalité qui, soixante ans après Chénier, égara aussi Lamartine. Lamartine, plus grand poète que Chénier et plus coupable, car il avait vécu davantage et il s’était frotté aux expériences de la vie, qui n’apprennent donc rien à personne ! André, lui, n’avait pas trente ans. Pour ces âmes poétiques et généreuses de Chénier et de Lamartine, la Révolution, c’était la Vérité et la Justice prises toutes les deux au ciel par la terre. Vision sublime, que la réalité du Jacobinisme fit disparaître aux yeux du somnambule d’imagination qu’était Chénier en le tirant brutalement de son rêve, tandis que ce grand songeur de Lamartine ne fut jamais tiré du sien !

III

En cela, Chénier fut supérieur à Lamartine, qui resta toujours ce qu’il était… l’auteur de cette Histoire des Girondins qui est un crime, — le crime de les avoir vantés, après les leurs ! André Chénier n’alla pas jusqu’à eux. Dans un temps où le flot furieux des partis ne permettait plus à personne de rester dans sa liberté et dans sa conscience, André Chénier resta dans la force de sa raison, et, ne vous y trompez pas ! c’est la force de sa raison qui le distingue même comme écrivain et comme polémiste, ce poète ! Quand il parle la langue de ce journalisme que tout le monde parlait alors et quand il en avait une plus belle qu’il pouvait parler seul, ce fut la langue de la raison qu’il se mit à préférer et qu’il parla. Transformation étonnante dans un homme aussi poète, il fit surtout du journalisme avec la puissance de la raison éclairée, honnête, impersonnelle et éternelle ! Le poète qui, jusque-là, n’avait chanté que l’amour, l’amitié, tous ses sentiments personnels, et qui forçait son génie à tenir archaïquement dans des vers que par le contour, la grâce et la perfection grecque, on pouvait croire du pays de sa mère, devint un prosateur à la phrase carrée du xviie  siècle, balancée dans le mouvement, continu et contenu, de l’orateur. À cela près de quelques négligences de style, comme des entrailles qui se manifestent, etc., — qui trahissent le journaliste sur la brèche qui ne tire pas toujours juste par l’expression, — c’est un écrivain du xviie  siècle à faire croire qu’il en est un. J’ai cherché en vain l’épithète, l’épithète révélatrice des grands, poètes et qui rapproche d’eux les grands prosateurs, je ne l’ai pas trouvée dans ce style grave qui ne nous entraîne que par sa pression d’ensemble, véritablement formidable. Elle n’y est point, elle n’y envoie pas son dard transperçant de lumière ! Mais ce style, qui roule comme un fleuve, semble n’en avoir pas besoin. Il est peut-être, dans sa simplicité forte, plus moralement qu’intellectuellement beau, mais il est beau encore, et je conçois que M. Oscar de Vallée l’ait si éloquemment admiré.

Il l’a admiré avec un enthousiasme, un abandon, un frémissement de sympathie et presque une tendresse, qu’il est bien capable de nous faire partager. M. de Vallée ne fait aucune réserve. Il se donne à plein cœur à Chénier. Il a toutes sortes de raisons pour l’adorer. Il n’y a pas que la haine des Jacobins qui le lui grandisse, il y a aussi des idées qui le firent, de poète, journaliste. Comme Chénier, M. Oscar de Vallée doit croire aux deux temps dans la Révolution française, dont l’un est arrivé, et dont l’autre était, dit-on toujours, possible. Il doit croire à ce qui abuse encore aujourd’hui, à cette heure, tant de bons esprits : aux cahiers des notables, cette barre de papier par-dessus laquelle la pouliche vicieuse et méchante de la Révolution a sauté ; aux actes impuissants de la Constituante ; enfin, à ces fameux principes de 89, qui n’étaient pas des principes, et que, par conséquent, on n’a pu violer, puisqu’ils n’étaient pas des principes !… Tout cela a dû nécessairement ajouter à l’admiration morale et littéraire que M. Oscar de Vallée montre pour Chénier. Aussi l’a-t-il donné pour le premier journaliste de son temps, où cependant il y avait Camille Desmoulins, latin dans sa prose comme André Chénier était grec dans ses vers, et Rivarol l’éblouissant, qui fut plus qu’un journaliste, puisqu’il a laissé un magnifique livre d’histoire. — Et peut-être le regarde-t-il comme le premier aussi des temps qui ont suivi le temps de Chénier, et qui ont produit, par exemple, des journalistes de la volée de Chateaubriand, de Bonald, de Lamennais, et de celui-là qui s’est tu trop tôt sous la maladie et dont le silence que nous entendons après sa voix fit un silence si grand3

IV

Je dis peut-être… car M. de Vallée ne l’a pas écrit expressément dans son livre, et il a même laissé entrevoir la raison qui l’a empêché de l’écrire. Tout en admirant André Chénier, il a signalé, avec la justesse d’un homme qui voit le faible de ce qu’il aime et qui en convient pour s’en affliger, la raison qui doit séparer André Chénier, dans l’estime des hommes, des grands journalistes que je viens plus haut de citer, et qui, comme lui, ne furent pas au xixe  siècle que des journalistes éclatants. Cette raison, entrevue par M. Oscar de Vallée, c’est ce qui manquait absolument de christianisme à Chénier, à ce Grec de païenne imagination, muet aux choses chrétiennes. Le grand esprit du Christianisme, qui rend plus grands les plus grands esprits, André Chénier ne s’en doutait pas. André Chénier, le tendre Chénier, le pur et juste Chénier, qui devint l’héroïque et intrépide Chénier, ne fut pas plus chrétien que tout son siècle. Au xixe  siècle, Chateaubriand, Lamennais, Bonald et Louis Veuillot, qu’il faut nommer après eux, eurent du christianisme dans leur génie, et le Christianisme tient tant de place dans les choses humaines qu’il est impossible à des hommes qui se mêlent aux choses de ce monde de s’en passer sans se diminuer, quand ils sont les combattants de tous les jours dans la bataille des idées, en attendant celle des hommes ! Certes, Chénier n’eût pas été plus intrépide contre les bourreaux de la France, qui devinrent les siens, quand il aurait été chrétien. Mais il eût été plus sublime encore dans son intrépidité, et son génie y aurait gagné des accents qui auraient encore plus puissamment remué les âmes !

Quelque grandeur qu’on ait en soi, on gagne toujours quelque chose à être chrétien… Le Christianisme ajoute au génie comme il ajoute à la vertu, et M. Oscar de Vallée, qui doit être religieux, a regretté pour son Chénier et pour sa gloire qu’il ne le fût pas. Demandez-vous ce qu’est Charlotte Corday elle-même, la femme la plus héroïque d’un siècle incrédule, en comparaison de la moindre martyre chrétienne qui va à l’échafaud et à la mort, une croix à la main ! Demandez-vous ce que serait Jeanne d’Arc, dont le Christianisme a fait une inspirée et une Sainte, sans le Christianisme, qui lui a mis son auréole ? Elle ne serait guères qu’une Jeanne Hachette, tout au plus ! Si André Chénier, ce jeune poète mort sur l’échafaud, au lieu de regarder du côté des hommes avant de mourir, en leur montrant du doigt la tête dans laquelle il y avait quelque chose qu’ils allaient couper, avait regardé du côté du ciel, il y aurait autour de cette tête de martyr une autre auréole. Il n’y a que celle de ses vers !

Car c’est à ses vers qu’il faut revenir, et, je l’ai signalé déjà, M. Oscar de Vallée y est revenu lui-même à la fin de son livre, malgré le sujet de ce livre, entrepris pour exalter en André Chénier un talent qui n’était plus celui des vers. Lui, M. Oscar de Vallée, qui, par amour pour André Chénier, s’est donné la peine de repêcher, au courant du siècle qui les emporta, des pages dont le destin était de passer comme le siècle, M. Oscar de Vallée, qui a voulu concentrer sur ses pages, qui ont assurément leur éloquence, l’attention du lecteur comme la sienne, n’a pu éviter le fascinant regard qu’ont les poètes, même après leur mort, et qui empêche de voir en eux autre chose qu’eux ! Et ceci n’est point particulier à Chénier, du reste. C’est une loi. Le génie du poète, quand réellement il existe, est si extraordinairement beau, qu’on ne voit plus rien à côté : tout s’y fond et tout s’y efface… et la gloire, bête presque toujours, ne l’est point quand elle ne voit que le poète dans le poète ! Ce sont ses jours d’esprit, à la gloire… Je m’en vais même, ici, dire une chose qui fera trembler les moralistes, si elle ne les révolte pas, Est-ce parce que les vertus, le courage, l’héroïsme sont plus communs que le génie, que le génie les fait oublier ?… Cervantès perd son bras à Lépante ; qui se soucie de ce bras-là ?… Lord Byron, pour ne pas pleurer sa jeunesse perdue, veut délivrer la Grèce ; mais qu’est-ce que la Grèce, et l’eût-il délivrée, en comparaison du génie poétique qui a conquis l’admiration des hommes à lord Byron ?… Les pages en prose d’André Chénier citées par M. Oscar de Vallée, qui s’enchante de les citer, seront donc, je crois, citées en vain. Elles n’ajouteront rien à l’opinion du monde, et il n’y aura que des curieux, des lettrés et des exceptionnels, qui chercheront le journaliste, cette aiguille dans une botte… de gloire, et qui se préoccuperont de le trouver dans l’homme qui fit déroger sa poésie à n’être, un instant, que cela !… Ce ne fut qu’un instant, en effet ; car le poète, toujours vivace, avant d’être immortel, comprimé par la volonté d’être un prosateur et d’ajouter cette flèche de l’arbalète humaine à son carquois d’Apollon, a été, ressort divin ! plus fort qu’elle, comme l’instinct est plus fort que la réflexion. Le poète reparut après le journaliste. Il reparut pour mourir et pour chanter, du fond de sa prison, ce dernier chant du cygne assassiné, qui a été le plus magnifique cri d’aigle qui ait jamais été poussé, de cette force-là, parmi les hommes !

M. Oscar de Vallée a clos son volume par ces ïambes incomparables et immortels, qui ont fondé en France la poésie iambique et qui sont bien autrement beaux que ceux d’Auguste Barbier, qui sont déjà si beaux et qu’ils ont inspirés ! Puisque Chénier n’est pas chrétien et qu’il y a une poésie religieuse supérieure à tout dans les Harmonies religieuses de Lamartine, cette poésie des Iambes n’est donc que la seconde des poésies, — la poésie humaine ; — mais elle est incontestablement la première des poésies humaines. M. de Vallée ne l’a pas découverte comme le journalisme de Chénier. Il n’est pas allé la chercher si loin. Elle vibre dans tous les esprits, depuis qu’elle a été pour la première fois entendue, cette poésie faite de colère, d’ironie, de mépris et de tout ce qui peut tenir de passions, d’imprécations et de toute-puissance dans cet infini d’une âme d’homme ! Et puisque son livre était aussi sur les Jacobins, M. de Vallée a très bien fait de la citer. Elle seule est au niveau de la scélératesse qui l’a inspirée et contre laquelle, comme le tonnerre de Dieu, elle a éclaté. Sans les Jacobins, nous ne l’aurions pas ! Madame de Staël, qui admirait Byron comme M. Oscar de Vallée admire Chénier, disait du Farewell qu’elle aurait voulu être aussi malheureuse que lady Byron, pour l’avoir inspiré. Dirons-nous comme elle ? Cette poésie de Chénier paye-t-elle à la France la douleur et la honte d’avoir eu les Jacobins pour maîtres ? Si nous ne l’avions pas, nous qui adorons le génie, la voudrions-nous au même prix ?… Cette trombe impure et sanglante des Jacobins a passé. La splendide poésie est restée.

Seulement, la trombe hideuse reviendra, et pas plus dans l’avenir que dans le passé, cette poésie de Chénier ne l’empêchera de nous passer sur le corps !