(1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I
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(1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Avant-propos

Aujourd’hui, la physiologie expérimentale est entraînée dans un mouvement de développement qui, sans contredit, n’a jamais été aussi considérable ni aussi rapide à aucune autre époque de son histoire. Dans tous les pays, de tous côtés, les travailleurs sont à l’œuvre, et chaque jour l’expérimentation apporte quelque fait nouveau ou quelque découverte importante, soit pour la solution de questions de détail, encore incertaines, soit pour l’établissement de principes généraux, d’autant plus nécessaires que les résultats particuliers se multiplient davantage.

On comprend qu’aux époques de transition les traités dogmatiques soient difficiles, parce qu’un ouvrage est déjà vieux avant d’être achevé, et qu’une doctrine court risque d’être renversée avant d’avoir été entièrement formulée. Dans un certain nombre d’années, lorsque cette sorte de fermentation scientifique aura subi son évolution, et que le temps aura mûri les résultats de l’expérimentation, on pourra seulement réunir les conquêtes modernes de la science et les relier par les principes ou les lois qui découleront de leur rapprochement.

Mais, en attendant, il m’a paru utile de montrer ce mouvement de la physiologie aux personnes qui s’intéressent à cette belle science, afin qu’elles puissent se rendre compte de la tendance de ses progrès, tant par la méthode suivant laquelle elle procède, que par la nature des idées nouvelles qui surgissent et se trouvent en lutte avec les idées anciennes qui disparaissent. C’est cette considération qui m’a déterminé à publier ces leçons, qui ne sont que le début d’une série de cours que j’ai l’intention de faire paraître.

Je n’ai pas à m’expliquer sur le point de vue qui règne dans ce livre ; on trouvera des éclaircissements suffisants à ce sujet dans la première leçon, qui sert en quelque sorte de préface à ce volume. Je désire seulement avertir le lecteur que j’ai voulu conserver ici la forme qu’entraîne l’exposition de travaux de recherches qui sont en voie de se faire. Ces leçons ont été recueillies et rédigées sous mes yeux par un de mes amis et de mes élèves, M. Henri Lefèvre, licencié, ès sciences naturelles, qui était constamment parmi mes assistants, soit dans le laboratoire, quand j’instituais mes expériences, soit dans l’amphithéâtre, quand j’en exposais les résultats au public. On a de la sorte la simple narration de ce qui se passe dans l’intérieur du laboratoire et de l’amphithéâtre d’un physiologiste qui travaille et discute la science.

Une telle manière de faire a des avantages qui me paraissent très réels. Le premier bénéfice qu’on en tirera sera de voir les expériences physiologiques telles qu’elles sont, avec leurs complications et les difficultés que l’on a quelquefois à surmonter pour en triompher. Un autre avantage que je crois aussi très important, c’est qu’en voyant les recherches expérimentales se dérouler, passer d’abord à l’état d’ébauche, et puis se perfectionner successivement, l’esprit souvent discerne, dans ces notions naissantes et fécondes, diverses questions qui peuvent être pour lui la source d’investigations nouvelles, ce qui a rarement lieu, quand on lui présente des résultats complets de travaux parfaitement achevés.

Maintenant je ne dissimule pas qu’un livre ainsi conçu puisse donner plus facilement prise à la critique stérile de ces parasites scientifiques qui, impuissants à rien créer par eux-mêmes, s’accrochent ordinairement aux découvertes des autres, pour les attaquer et chercher ainsi l’occasion de faire parler d’eux. On comprend que cette considération ne mérite pas même de me préoccuper, si j’ai atteint mon but, et si ces leçons peuvent être utiles aux hommes qui cherchent dans les travaux d’autrui ce qu’il y a de bon pour s’en inspirer, et faire faire à la science de nouveaux progrès.

Claude Bernard

Leçons de physiologie appliquée à la médecine

Première leçon

23 décembre 1854.

SOMMAIRE : Nature spéciale de l’enseignement du Collège de France comparé à l’enseignement des Facultés. — De l’investigation physiologique. — Des faits et des théories en physiologie. — Des découvertes prévues et imprévues. — De la critique expérimentale. Des faits contradictoires. — De la complexité des phénomènes physiologiques et des difficultés attachées à leur étude. — Applications des sciences physico-chimiques à la physiologie. — Applications de la physiologie à la médecine.

Messieurs,

L’illustre professeur qui occupe cette chaire, M. Magendie, que j’ai l’honneur de suppléer en ce moment, a plusieurs fois fixé devant vous1 la nature de l’enseignement que vous venez chercher ici. Permettez-moi de revenir en quelques mots sur ce sujet, afin que nous puissions mieux comprendre, et atteindre d’une manière plus sûre le but que nous poursuivrons dans le cours de ces leçons.

Tout le monde sait que l’enseignement du Collège de France est d’une autre nature que celui des facultés, qu’il répond à d’autres besoins, qu’il s’adresse à un autre public, que sa manière de procéder est essentiellement différente.

Ici le professeur, toujours placé au point de vue de l’exploration, doit considérer la science, non dans ce qu’elle a d’acquis et d’établi, mais dans les lacunes qu’elle présente, pour tâcher de les combler par des recherches nouvelles. C’est donc aux questions les plus ardues et les plus obscures qu’il s’attaque de préférence, devant un auditoire déjà préparé à les aborder par des études antérieures.

Dans les Facultés, au contraire, le professeur, placé au point de vue dogmatique, se propose de réunir, dans un exposé synthétique, l’ensemble des notions positives que possède la science, en les rattachant au moyen de ces liens que l’on nomme des théories, destinées à dissimuler autant que possible les points obscurs et controversés qui troubleraient sans profit l’esprit de l’élève qui débute.

Ainsi, ces deux genres d’enseignement sont, pour ainsi dire, opposés dos à dos. Le professeur de faculté voit la science dans son passé ; elle est pour lui comme parfaite dans le présent ; il la vulgarise en exposant dogmatiquement son état actuel. Le professeur du Collège de France, au contraire, doit avoir les yeux tournés vers l’inconnu, vers l’avenir.

Loin d’être achevée, la science de la vie se présentera donc à nous avec ses imperfections ; nous nous préoccuperons sans cesse, non de ce qui est fait, mais de ce qui reste à faire ; et cette direction progressive est d’autant plus importante, vous le comprenez sans, peine, que la science dont nous nous occupons ici est plus éloignée de son entier développement.

Il était nécessaire, Messieurs, de bien fixer notre point de vue pour comprendre l’espèce de liberté dans notre exposition, de variété dans le choix de nos sujets que comporte cet enseignement, où aucun programme ne saurait être rigoureusement suivi, contrairement aux cours des Facultés, nécessairement encadrées dans un programme recommencé périodiquement et ne dépassant pas le niveau des connaissances acquises. On peut changer ici de sujet tous les ans, tous les semestres ; et même, dans le cours d’un semestre, notre plan pourra se trouver modifié, si, tombant sur un filon de recherches intéressantes, il y a profit pour la science à le poursuivre sans délai.

En un mot, nous choisissons nos études sous la seule condition de faire des efforts incessants pour concourir aux progrès de la physiologie et de la médecine, en cherchant à réaliser ces progrès sur tous les points où il nous est permis de les atteindre, et par tous les moyens qui sont en notre pouvoir.

Or, Messieurs, ces moyens se rapportent à deux directions :

Dans la première, on institue des recherches nouvelles, sources de découvertes. C’est l’investigation ou l’invention.

Dans la seconde, on exerce un jugement sévère sur les faits obtenus, de manière à en éloigner les causes d’erreurs, et à leur donner une valeur et une signification précises dans la science. C’est ce que j’appellerai la critique expérimentale.

Relativement à l’investigation, les philosophes ont beaucoup disserté sur l’art d’interroger la nature et d’y faire des découvertes.

Les uns, avec J. de Maistre, ont soutenu qu’il n’y avait en cela aucune règle à suivre, que celui qui faisait des découvertes possédait quelque chose d’instinctif, un quid proprium, et que le hasard se chargeait du reste.

Quelques esprits, allant plus loin, ont même fait de l’ignorance une condition favorable.

D’autres philosophes, avec Bacon, annoncent qu’il y a des méthodes sûres pour arriver à réaliser les progrès de la science, et en ont théoriquement tracé les règles. Toute l’application qu’ils en ont faite serait loin d’avoir prouvé leur efficacité. C’est pourquoi, au lieu de vous donner des principes abstraits sur l’art d’instituer des recherches et de faire des découvertes, je préfère joindre l’exemple au précepte, et vous montrer, dans le cours de ces leçons, par la pratique expérimentale des choses, comment doit procéder l’esprit d’investigation pour arriver à la solution des problèmes physiologiques.

Je n’entrerai donc pas dans l’exposition ni dans la discussion des opinions philosophiques précédentes, ce qui nous éloignerait entièrement de notre sujet. Je dirai seulement d’une manière générale qu’on ne réussira dans les recherches physiologiques qu’à la condition d’avoir le sentiment exact de la complexité et de la mobilité des phénomènes de la vie, et d’être bien fixé sur l’importance relative qu’on doit accorder, en physiologie, aux faits et aux théories ; en se servant, du reste, des moyens logiques ordinaires en vertu desquels on procède et l’on juge dans toute autre science. Je vous demanderai la permission de donner quelques explications à ce sujet.

On a raison d’admettre que l’esprit de l’homme ne s’exerce que sur deux ordres de notions : les unes subjectives ou abstraites, les autres objectives ou concrètes. Mais il faut aussi reconnaître que jamais un seul de ces ordres de notions ne peut exister isolément en nous ; de telle sorte que l’un appelle toujours l’autre à sa suite, et qu’en vertu de cette tendance qui nous est naturelle, nous donnons constamment des formes objectives aux notions idéales ou subjectives que nous possédons tous, et que, d’autre part, nous subjectivons, c’est-à-dire que nous élevons toujours à l’état de théorie abstraite l’ensemble des notions objectives qui nous sont transmises par les sens.

En physiologie et en médecine, nous n’avons affaire qu’à des réalités objectives, et nous sommes en plein dans ce qu’on appelle les sciences d’observation et d’expérimentation, parce que l’observation et l’expérimentation peuvent seules établir les réalités ou les faits sur lesquels ces sciences se fondent. Mais comme je le disais tout à l’heure, ces faits, une fois établis, ne restent jamais isolés dans notre esprit ; nous les comparons, nous les rapprochons, et nous y mêlons immédiatement des notions subjectives en formulant sur eux des lois ou des théories qui ne sont que des représentations abstraites que nous nous faisons, relativement aux causes ou au mécanisme de ces faits ou de ces phénomènes. Telle est, en effet, la marche inévitable que l’homme suit dans l’étude de toutes ces sciences : 1° Établir les faits ou les phénomènes par l’observation et l’expérimentation jusqu’à ce qu’il ait épuisé ce que ces moyens peuvent lui fournir ; 2° s’élever par induction de ces faits ou phénomènes à leurs rapports généraux qu’il appelle des lois ; 3° enfin partir de ces lois pour aller, par un raisonnement logique de déduction, à la recherche d’autres faits particuliers qui puissent à leur tour être compris dans la loi générale.

Rapprocher les faits pour en tirer des lois, c’est la méthode suivant laquelle toute science se constitue ; de même que le procédé logique qui consiste à partir de ces lois formulées pour y faire rentrer les recherches nouvelles, est le seul moyen que cette science possède pour avancer réellement. Seulement, ce qu’il faut ne pas perdre de vue, c’est que les faits bien observés sont eux seuls les réalités invariables, indestructibles, tandis que les interprétations que nous appelons des lois et des théories ne sont que des abstractions ou des manières de voir en rapport avec l’étendue de nos connaissances, et conséquemment susceptibles de varier à mesure que nos connaissances se multiplieront, s’étendront davantage en présentant d’autres faces à cette même interprétation.

Lorsque les phénomènes, ainsi que cela a lieu dans certaines parties des sciences physico-chimiques, surpassent, dans des conditions simples et faciles à apprécier, les lois que l’on trouve se rapprochent beaucoup plus de la réalité, sans toutefois que l’on soit jamais autorisé à les considérer comme la représentant complètement ; le raisonnement peut alors s’appuyer sur ces lois assez sûrement pour conduire par voie de déduction logique à la connaissance de faits nouveaux. Mais quand il s’agit des sciences biologiques où les phénomènes sont très difficiles à observer et à expérimenter, à cause de leur complication et du grand nombre des éléments qui les constituent, les lois sont alors beaucoup plus difficiles à établir, et elles sont toujours très loin de représenter la réalité.

Ce dernier cas est celui des lois que nous posons en physiologie et en médecine, où leur multiplicité même atteste leur imperfection.

Cependant c’est toujours exclusivement sur ces abstractions et sur ces lois, bonnes ou mauvaises, que nous basons notre raisonnement pour déduire des résultats nouveaux qui doivent ensuite, comme dans toutes les sciences d’observation, être vérifiés par l’expérience.

On concevra facilement que la conclusion à laquelle nous arriverons par le raisonnement sera d’autant plus incertaine que la loi sur laquelle nous l’avons établie sera elle-même moins sûre ; et, à ce sujet, on peut dire que si, dans les sciences purement physiques, l’expérience vient le plus ordinairement confirmer ce qu’indiquait le calcul de la théorie, en physiologie on voit, dans l’état actuel de cette science, presque toujours le contraire arriver, c’est-à-dire, le raisonnement et l’expérience se trouver le plus souvent en désaccord.

Malgré le peu de valeur réelle que nous devions reconnaître dans ce que nous appelons des lois aujourd’hui en physiologie, il faut cependant nous en servir, car dans une science quelconque il est impossible de passer d’un fait connu à un fait encore inconnu, sans l’intermédiaire d’une idée abstraite ou d’une théorie.

Mais, en physiologie, ainsi que nous l’avons déjà dit, les conditions des phénomènes sont si compliquées, et souvent même si mal établies, que nous devons, à cause des difficultés inhérentes à l’expérimentation et l’observation, nous tenir toujours en garde contre les lois que nous formulons, et n’avoir dès lors qu’une confiance très médiocre dans les résultats qu’elles peuvent nous faire prévoir. En un mot, nous devons prendre, pour le moment, ces théories beaucoup plus comme des moyens capables de remuer le terrain de la physiologie en provoquant des expérimentations nouvelles que comme des guides sur lesquels le raisonnement puisse s’appuyer avec certitude.

Il résultera de là que, pour réussir dans l’investigation physiologique, il ne suffira pas, comme dans des sciences plus avancées, d’avoir seulement en vue de vérifier le résultat que la théorie indique, mais il faudra en même temps avoir l’esprit et les yeux attentifs à tous les phénomènes qui pourront naître intercurremment, qu’ils soient en faveur de la théorie ou contre elle.

En se plaçant à ce point de vue, vous comprenez, Messieurs, qu’on pourra faire dans nos sciences deux espèces de découvertes :

Les unes prévues par le raisonnement ou indiquées par la théorie ; elles se réalisent d’autant mieux que les sciences sont plus avancées, que les phénomènes sont plus simples et les lois mieux établies, et c’est dans les sciences physiques qu’on les rencontre le plus souvent.

Les autres, imprévues, sont des découvertes qui surgissent inopinément dans l’expérimentation, non plus comme corollaires de la théorie, et propres à la confirmer, mais toujours en dehors d’elle, et par conséquent lui étant contraires.

Ces découvertes imprévues doivent être d’autant plus rares que les sciences sont mieux constituées, et d’autant plus fréquentes que les sciences sont moins avancées. En physiologie, tout expérimentateur pourra en faire, pourvu qu’il soit bien pénétré de cette idée, que les théories sont tellement défectueuses dans cette science, qu’il y a, dans l’état actuel des choses, autant de probabilités pour découvrir des faits qui les renversent, qu’il y en a pour en trouver qui les appuient.

S’il nous a été donné de faire en physiologie quelques-unes de ces découvertes imprévues, nous croyons le devoir à ce que nous nous sommes toujours placé dans cette disposition d’esprit qui n’accorde aux théories physiologiques qu’une valeur essentiellement relative et entièrement subjective, tout en appréciant leur importance pour diriger les investigations et solliciter l’expérimentateur à voir des phénomènes qu’il n’aurait pas vus sans cela, quoique ceux-ci fussent d’ailleurs d’une évidence extrême. Tout le monde s’étonne alors de les avoir, pendant si longtemps, laissés passer inaperçus, ce qui justifie le mot d’un illustre physicien de nos jours2, que « rien n’est plus clair que ce qu’on a trouvé hier, et rien n’est plus difficile à voir que ce qu’on trouvera demain. »

Je désire, Messieurs, mettre un exemple sous vos yeux, pour mieux fixer vos idées sur ce que nous venons de dire, et pour attirer votre attention sur cette sorte d’utilité que peut avoir quelquefois une théorie, même mauvaise, pour faire découvrir un fait qu’on avait depuis longtemps sous les yeux sans le voir.

Voici un lapin sur lequel nous mettons à nu et nous coupons le filet nerveux du sympathique qui unit du côté gauche le ganglion cervical supérieur avec le ganglion cervical inférieur. Nous répétons là une expérience que Pourfour du Petit a faite en 1727, et qu’un grand nombre d’expérimentateurs ont reproduite depuis lui, en observant tout le résultat le plus saillant qui avait été annoncé, savoir, un rétrécissement de la pupille que nous pouvons constater ici, et sur lequel on fit ensuite beaucoup d’hypothèses. On supposa, par exemple, que le nerf moteur oculaire commun donnait le mouvement aux muscles constricteurs pupillaires, et le grand sympathique aux dilatateurs, etc. Tous les ans, dans mes cours, je faisais cette expérience, dans laquelle je vérifiais comme tout le monde les phénomènes relatifs à cette théorie des mouvements de la pupille, mais sans rien y voir autre chose ; lorsqu’il y a trois ans environ, rassemblant les observations que possède la science sur les effets de la section des nerfs dans les différentes parties du corps, et sur l’influence que cette section exerce sur la chaleur de ces mêmes parties, je trouvai des faits en apparence contradictoires consignés par les expérimentateurs, les uns annonçant qu’après la section des nerfs, il y a abaissement de température, les autres disant que cet abaissement n’existait pas. Étant bien pénétré de cette pensée qu’il ne pouvait pas y avoir contradiction dans ces faits bien observés ; et que cette diversité des résultats dépendait des conditions particulières à l’expérimentation, je résolus de les rechercher. Je partis pour cela d’une loi ou d’une idée, si vous voulez, généralement admise, à savoir, que le grand sympathique est un nerf qui suit les artères, et se rend aux organes glandulaires, pour servir surtout à l’accomplissement des phénomènes chimiques que l’on regarde comme la source de la chaleur animale. Admettant cette théorie comme vraie, le raisonnement logique fut de conclure que le refroidissement dans les organes dont les nerfs avaient été coupés tenait à ce que les filets du nerf sympathique avaient été détruits, et à ce que, par suite, les phénomènes chimiques, source de la chaleur, se trouvaient diminués ou anéantis. Restait à instituer l’expérience pour vérifier les données de la théorie. Il s’agissait de couper isolément un filet du nerf sympathique afin d’examiner si cette opération amènerait un abaissement de la température des parties. J’ai choisi le lapin, chez lequel cette expérience est parfaitement réalisable au cou, parce que le grand sympathique y est séparé du pneumogastrique ; il est d’ailleurs admis que ce filet du grand sympathique, sur lequel nous avons agi, prend naissance dans la moelle épinière et monte le long du cou pour se distribuer vers la tête.

D’après les prévisions de la théorie, la section du nerf sympathique à gauche, chez notre lapin, a dû paralyser les actes chimiques qui se passent dans les capillaires de la tête, et la température devra se trouver abaissée dans la moitié de la tête correspondant au côté où ce nerf a été coupé. Or l’expérience est faite depuis environ un quart d’heure ; constatons ce qui s’est passé sous le rapport de la modification de température. Nous touchons avec la main les deux côtés de la face et les deux oreilles du lapin, et nous jugeons avec la plus grande évidence, par la simple sensation, que, loin d’être abaissée, la température s’est au contraire considérablement accrue à gauche, du côté où nous avons coupé le nerf sympathique. En plongeant un thermomètre dans l’oreille gauche, nous y trouvons quatre degrés de plus que dans l’oreille droite, Vous-même pouvez sentir à la main cette différence de température, tant elle est évidente et considérable. L’observation m’a appris, du reste, que cet excès de température peut durer plusieurs semaines après la section du nerf sympathique. Voilà, Messieurs, ce que j’appelle une découverte imprévue, c’est-à-dire un résultat d’expérience qui, au lieu de confirmer la théorie qui a provoqué à sa recherche, se trouve au contraire complétement en désaccord ou en opposition avec elle. Le phénomène que nous avons découvert est on ne peut plus facile à voir, et il était cependant passé inaperçu sous les yeux de beaucoup d’observateurs éminents, ainsi que sous les nôtres pendant longtemps.

Si la théorie n’a pas été confirmée, néanmoins c’est elle qui, en dirigeant l’esprit dans un certain sens, a conduit à la découverte du fait nouveau. C’est ainsi que nous comprenons l’importance purement directrice et provisoire des théories. Nous devons les prendre comme des instruments intellectuels, prêts à les abandonner et à les sacrifier à la plus petite vérité, et la science ne peut qu’y gagner. Ici, par exemple, rien n’est perdu pour la physiologie. Ce qu’a découvert Pourfour du Petit persiste toujours ; il y a seulement un autre résultat qui est acquis en plus. Quant à la théorie du nerf grand sympathique, elle changera et se modifiera sans doute ; mais peu nous importe. Nous sacrifierons des hypothèses et des théories tant qu’il en faudra, pourvu que nous découvrions des faits nouveaux qui seront, ainsi que nous l’avons déjà dit, les seules réalités indestructibles sur lesquelles la science positive doit se fonder et s’élever peu à peu.

Si nous faisons si bon marché de nos théories et de nos lois, c’est que nous avons conscience de leur imperfection. Mais il y a des esprits qui, saisis à juste titre d’admiration pour la simplicité et la généralité des lois qui régissent les sciences astronomiques et quelques parties des sciences physico-chimiques, voient, dans l’application sûre de ces théories à la découverte des faits nouveaux, l’idéal de la puissance intellectuelle de l’homme sur la nature. Ces esprits se trouvent comme humiliés quand, en physiologie, ils se voient arrêtés à chaque pas dans leur essor imaginaire par la réalité matérielle, par ce qu’on appelle le fait brutal. Alors, il peut se faire qu’au lieu de se résigner et de procéder ainsi que nous le recommandions, ces physiologistes aient l’illusion de croire que leurs théories vaudront mieux que celles des autres. On les voit alors tordant et mutilant les faits pour les faire entrer dans leurs vues, éliminant ceux qui leur sont contraires, arriver à construire des systèmes que leur talent peut faire briller d’un éclat plus ou moins vif, mais dont la vérité finit toujours par faire justice. Aujourd’hui, en physiologie, cette tendance systématique est des plus malheureuses pour la science, qu’elle retarde ; et quant aux hommes dont je parle, il ne saurait faire en ce cas preuve d’une supériorité d’esprit généralisateur ; ils prouvent uniquement qu’ils n’ont pas le sentiment de la nature de la science qu’ils cultivent, ni la conscience de l’état dans lequel elle se trouve. Il faut bien être convaincu, en effet, que dans ces problèmes si complexes de la vie, les esprits, même les plus vastes, ne peuvent pas faire l’impossible, et faire que des phénomènes complexes soient simples, et que des lois ou théories mauvaises soient bonnes. Les généralisateurs ne manquent pas, mais les grandes généralisations sont encore impossibles en physiologie. L’expérimentateur, guidé par cette lueur provisoire des théories actuelles, doit se considérer comme un aveugle, et n’avancer qu’avec circonspection, en donnant toujours la main à l’expérience qui, seule, peut l’empêcher de tomber dans l’erreur et de s’égarer. Sans doute, il faut avoir foi dans l’avenir et croire à un temps meilleur, où la science physiologique, mieux constituée, permettra à la généralisation un plus libre essor ; mais c’est à la préparation de cet avenir qu’il faut travailler, et nous sommes intimement convaincu qu’il n’y a pas aujourd’hui de moyens plus efficaces d’accélérer les progrès de la physiologie que d’y faire des découvertes. Ce sera, ainsi que nous l’avons dit, le but unique de nos efforts dans cet enseignement.

Maintenant, Messieurs, nous arrivons à ce que nous appelons la critique expérimentale. Elle a un rôle très important à remplir, car elle établit les faits dans leur signification et dans leurs conditions d’existence. Elle dirige donc l’expérimentation en déterminant les circonstances dans lesquelles elle doit être instituée. Avant tout, il importe que les faits soient bien fixés, car souvent les débats portent sur des questions de ce genre, les uns soutenant qu’une chose est, les autres qu’elle n’est pas. Relativement à ces contradictions si fréquentes en médecine et en physiologie, il y a un premier principe dont il ne faut jamais se départir, c’est qu’on ne saurait admettre que, dans des conditions identiques, des phénomènes puissent se passer différemment ; ce serait absurde, cela équivaudrait à admettre des effets sans cause. Les mots exception, idiosyncrasie, etc., ne sont donc pas des réalités scientifiques ; ces expressions, à l’aide desquelles nous couvrons notre ignorance, prouvent tout simplement que nous ne connaissons pas toutes les données qui entrent dans la production du phénomène. Mais nous n’en sommes pas moins forcés scientifiquement de reconnaître que ces différences, que nous ne pouvons expliquer, ont leurs causes appréciables, qui resteront comme des desiderata tant qu’elles n’auront pas été trouvées.

Ceci revient à dire, en d’autres termes, que les faits ne se contredisent jamais. Permettez-moi encore, Messieurs, de vous citer un exemple pris parmi les faits les plus simples, afin que vous soyez bien convaincus de cette vérité.

Nous prenons un lapin, de la vessie duquel nous extrayons de l’urine. Celle-ci est trouble, alcaline, fait effervescence quand on y ajoute un acide, elle contient fort peu d’urée. Nous avons examiné les urines de cinq ou six autres lapins, et nous les avons trouvées toutes douées des mêmes caractères physiques et chimiques ; ce qui est bien d’accord avec ce que l’on admet généralement, que l’urine des herbivores est toujours alcaline, et ne contient que peu d’urée et beaucoup de carbonates, tandis que l’urine des carnivores est acide, contient beaucoup d’urée et pas de carbonates, etc. Mais voici un autre lapin de même taille, de la vessie duquel nous extrayons également l’urine ; nous la trouvons cette fois claire, limpide, acide, contenant beaucoup d’urée et ne faisant aucunement effervescence par les acides. Est-ce un fait exceptionnel chez ce lapin, qui, ainsi que vous le voyez, offrirait des urines analogues à celles des carnivores ? Il y a huit ans que je fis pour la première fois cette observation, que les urines peuvent parfois se montrer acides chez les lapins et chez les chevaux. Me conformant alors aux principes que je vous ai signalés plus haut, je ne pensai pas que ce fût là une exception, c’est-à-dire un fait n’ayant pas sa raison d’être. J’étais convaincu, au contraire, qu’il y avait une circonstance particulière qui devait expliquer la différence du phénomène, et je cherchai à apprécier cette circonstance. J’arrivai bientôt à trouver que cela dépendait de l’état d’abstinence où se trouvaient les animaux herbivores, et que chez tous les lapins, ainsi que chez les chevaux à jeun, les urines sont toujours acides et chargées d’urée, comme cela se voit chez les carnivores. Cette détermination de la condition du phénomène n’a pas détruit le fait que les urines des herbivores sont généralement alcalines, mais on a su de plus qu’il fallait considérer les animaux herbivores à jeun comme des carnivores se nourrissant de leur propre substance, qui est le sang. Nous pourrions vous citer encore beaucoup d’exemples analogues, pour vous prouver que la circonstance la plus légère suffit quelquefois pour changer les apparences d’un phénomène, et lui donner l’aspect d’un fait contradictoire. Mais les cas de ce genre s’offriront très souvent à nous dans le cours de ces leçons, et nous ne manquerons pas d’attirer votre attention sur eux chaque fois que l’occasion s’en présentera.

Tout ceci prouve, Messieurs, qu’il faut redoubler de soin dans les expériences physiologiques, justement à cause de la complexité des phénomènes.

Et à ce propos, permettez-moi de vous dire que la plupart de ceux qui font des explorations sur les êtres vivants ne paraissent pas assez se douter de la complication des phénomènes qu’ils veulent observer, ni du soin et de l’exactitude toute particulière qu’il faut apporter dans de semblables recherches. Le physicien et le chimiste s’entourent des précautions les plus minutieuses, des instruments les plus précis pour éviter, autant que possible, les chances d’erreur, et pour déterminer avec une scrupuleuse exactitude les conditions dans lesquelles ils opèrent. Ils n’abordent leurs recherches délicates, mais relativement bien plus simples que celles de la physiologie, qu’après de longs exercices préalables dans leurs laboratoires. N’a-t-on pas dès lors lieu de s’étonner de la légèreté avec laquelle on traite souvent les questions vitales, cependant bien plus difficiles en ce qu’elles renferment non seulement des conditions physiques et chimiques à élucider, mais qu’elles exigent en outre des études anatomiques et physiologiques profondes ? L’assurance des ignorants ainsi que la confiance avec laquelle certaines personnes se croient, sans études préalables, aptes à faire de la physiologie, amènent dans notre science une foule d’expériences mal faites qui sont le germe de discussions interminables. Toutes ces choses fâcheuses ont du reste le même point de départ commun, l’oubli des conditions indispensables à remplir pour aborder la science de la vie.

D’autres fois, par suite d’une erreur qui résulte encore d’un défaut du sentiment exact de la nature du terrain vital, on apportera dans les recherches physiologiques une espèce de précision beaucoup plus spécieuse que réelle ; on appliquera le calcul mathématique à des phénomènes où la complication des données ne comporte nullement l’emploi de pareils procédés ; on tentera d’arriver à des résultats absolus dans des sujets qui n’admettent que des approximations relatives, ou dans lesquels les déterminations qualitatives sont beaucoup plus importantes que les déterminations quantitatives.

Vous savez, Messieurs, que la physique et la chimie sont d’un secours absolument indispensable dans l’étude des phénomènes de la vie ; c’est là une vérité tellement banale aujourd’hui, que je me serais dispensé de vous l’énoncer, si je n’avais voulu vous prévenir que ces sciences peuvent aussi devenir la source de grandes erreurs quand elles sont mal appliquées. Or, je crois qu’on appliquera mal la physique ou la chimie à la physiologie toutes les fois que les études physiques ou chimiques d’un phénomène précéderont son étude physiologique. On commence alors par où l’on devrait finir, et l’on s’expose ainsi à expliquer les actes vitaux, non tels qu’ils sont, mais tels qu’ils pourraient exister théoriquement, d’après les données physico-chimiques pures.

Dans chaque science, le point de vue propre à cette science doit prévaloir et subordonner les autres. En physiologie, le point de vue physiologique doit dominer. La première chose à faire dans l’étude d’une fonction, c’est donc d’étudier le phénomène dans l’organisme vivant, en imaginant et instituant toutes les expériences nécessaires pour l’analyser dans chacun de ses éléments. On appellera ensuite à son secours l’anatomie, la physique, la chimie, etc., qui pourront alors élucider dans des mesures diverses, selon la nature de la fonction, les phénomènes dont on aura déterminé d’abord les conditions physiologiques ou vitales. Souvent, en effet, nous aurons occasion de vous prouver qu’il se passe, pendant la vie, des phénomènes physiques et chimiques qu’il aurait été absolument impossible de prévoir par les faits physiques ou chimiques connus, parce qu’ils n’ont leurs analogues nulle part en dehors de l’organisme vivant. Enfin je me résumerai en disant que toujours les conditions des problèmes vitaux doivent être posées par la physiologie, les sciences physico-chimiques intervenant seulement après pour les expliquer.

Le temps ne nous permet pas d’entrer dans les détails, et je ne puis ici que vous signaler quelques-uns des divers genres d’erreurs sur lesquels portera notre critique, qui sera toujours expérimentale. Les discussions scolastiques ne sont plus de notre époque, au moins en physiologie. Une expérience mal faite et donnant des résultats défectueux ne saurait être éclairée que par une expérience mieux instituée ; il faut, en un mot, une critique expérimentale pour juger des faits d’expérience.

Enfin, Messieurs, après vous avoir exposé la nature de l’enseignement du Collège de France et les méthodes que nous suivons dans les investigations physiologiques, il nous resterait à examiner comme dernière question le but final que nous nous proposons, c’est-à-dire les applications de la physiologie à la pathologie.

L’utilité de ces applications est hors de contestation pour la plupart des médecins célèbres qui sont aujourd’hui à la tête de la science, et qui considèrent à juste titre la physiologie comme la base de toute médecine scientifique. Cependant, comme toute vérité a ses contradicteurs, vous en tendrez peut-être répéter encore aujourd’hui par d’autres médecins que la physiologie ne peut être d’aucune utilité en médecine, que c’est dans les études médicales une science de luxe dont on pourrait parfaitement se passer, parce qu’il n’y a entre les phénomènes de la santé et ceux de la maladie aucun lien nécessaire, et que ces derniers constituent un domaine complétement séparé, dans lequel agissent d’autres forces et des propriétés toutes nouvelles.

Quels que soient les arguments par lesquels certaines personnes cherchent à établir cette proposition, ils ne sauraient tenir contre le fait général qu’aux diverses époques de la médecine, toute explication pathologique et toute thérapeutique ont toujours été basées en quelque sorte sur les opinions physiologiques existantes. On a instinctivement senti la relation intime qui existe entre les actes normaux et les phénomènes morbides, au point de manifester constamment la tendance de faire découler les seconds des premiers.

Nous pourrions prendre des exemples dans le passé pour vous montrer l’heureuse influence qu’ont toujours exercée, sur la pathologie et la médecine, les découvertes physiologiques sérieuses et bien établies : nous préférons puiser ces preuves dans des faits qui datent d’hier, et que nous ferons passer sous vos yeux.

Nous désirons donc, Messieurs, aborder et examiner avec vous cette question des applications de la physiologie à la pathologie. Mais, ainsi que vous le voyez, ce n’est pas seulement par quelques raisonnements et comme en passant que nous voulons la traiter ici ; nous voulons développer les faits qui seront les éléments de votre jugement.

Nous espérons ainsi vous faire partager notre conviction que la physiologie est intimement liée aux progrès à venir de la médecine, et qu’elle en constitue la base scientifique. C’est toujours dans l’état sain que doit être cherchée l’explication du symptôme pathologique, car tout phénomène morbide a sa racine dans un trouble de l’état physiologique. C’est d’après ce principe que nous procéderons, et si l’analyse pathologique ne peut pas encore, dans l’état actuel de la science, être portée sous cette forme dans les facultés de médecine, il faut que l’enseignement conserve ce caractère scientifique au Collège de France. Les mots de médecine expérimentale, que M. Magendie a choisis depuis plusieurs années pour titre de ce cours, ont pour but de consacrer cette union indissoluble de la physiologie expérimentale et de la pathologie que nous ne devrons mais perdre de vue.

Deuxième leçon

26 décembre 1854.

SOMMAIRE : Union nécessaire de la physiologie et de la pathologie. — Application des découvertes physiologiques récentes à la pathologie. — Études physiologiques sur le diabète à propos des découvertes sur les fonctions du foie. — Aperçu historique sur les théories du diabète. — Toutes ces théories reposent sur un principe physiologique faux, à savoir, qu’il ne se formerait pas de sucre dans l’organisme animal. — Il existe une fonction animale qui produit du sucre, et dont le diabète n’est qu’un état pathologique. — Caractères chimiques des matières sucrées animales et végétales. — Sucres de la première et de la deuxième espèce. — Réactifs propres à distinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liquides animaux. — Alcalis caustiques, réactif cupropotassique, etc. — Fermentation, polarisation. — Moyens propres à enlever la coloration et les matières albuminoïdes aux liquides animaux qui renferment du sucre.

Messieurs,

Nous avons dit, dans la dernière séance, que l’on n’était point autorisé scientifiquement à regarder la physiologie et la pathologie comme deux domaines distincts où se passent des phénomènes de nature essentiellement différente. Si dans l’application il existe encore une infinité de faits morbides dont nous ne pouvons physiologiquement nous rendre compte, cela indique seulement qu’il reste encore beaucoup à faire dans la physiologie elle-même, mais cela ne saurait en aucune façon prouver que les symptômes pathologiques, au lieu d’être les manifestations de troubles physiologiques, soient le résultat de forces ou propriétés nouvelles créées par l’état pathologique, et sur lesquels la physiologie ne pourra jamais répandre aucune lumière. L’histoire montre, au contraire, que dans tous les temps les doctrines médicales ont été en rapport avec les idées physiologiques, et qu’à chaque progrès accompli dans la science de la vie à l’état normal a correspondu un progrès équivalent dans la pathologie.

Nous trouverions à toutes les époques de la médecine un grand nombre d’exemples pour appuyer cette proposition, mais nous préférons choisir parmi les découvertes nouvelles, et parmi celles faites dans cette chaire. Nous verrons comment des résultats physiologiques annoncés il y a à peine trois ou quatre ans sur les fonctions du foie, du pancréas, du grand sympathique, etc., ont déjà trouvé leur application en suscitant des observations pathologiques nouvelles, ou en éclairant des symptômes morbides dont l’explication était jusqu’alors restée obscure. Cette espèce de revue rétrospective nous permettra d’ailleurs d’ajouter des faits nouveaux que nous avons vus depuis la publication de ces découvertes, et de relever en même temps des observations ou des expériences défectueuses qui se sont produites à cette occasion, ainsi que cela arrive presque constamment dans tout sujet nouveau livré à l’appréciation des savants qui s’occupent de physiologie et de médecine, c’est-à-dire des sciences dans lesquelles l’expérimentation et l’observation sont des plus difficiles.

Études physiologiques sur le diabète.

Nous parlerons d’abord du diabète et de la théorie toute nouvelle qu’il faut se faire de cette maladie depuis les découvertes sur les fonctions du foie.

Les anciens considéraient comme diabétique tout individu qui émettait une grande quantité d’urines, et qui en même temps maigrissait, et présentait le plus souvent un appétit extraordinaire et une soif ardente. On ignorait encore la présence du sucre dans les urines, et l’on plaçait souvent cette affection dans la classe des phtisies, qui comprenait toutes les maladies dans lesquelles l’amaigrissement était considérable.

C’est Willis qui, le premier, vers 1674, reconnut que les urines de diabétiques présentaient une saveur douce, sucrée, mais ce ne fut qu’en 1778 que Cowley isola le principe sucré du diabétique.

À partir de Willis, on divisa la maladie caractérisée toujours par les symptômes précédemment indiqués en deux classes, suivant que les urines étaient ou non sucrées. On eut alors le diabète sucré et le diabète non sucré.

Aujourd’hui, tout en reconnaissant l’exactitude des phénomènes généraux indiqués par les anciens, on attache une importance prédominante aux caractères qualitatifs des urines, et l’on a l’esprit immédiatement dirigé vers l’affection diabétique quand on trouve une personne dont les urines sont sucrées. Nous verrons plus tard, en analysant physiologiquement les phénomènes du diabète, si ce symptôme unique est suffisant pour caractériser la maladie. Willis n’avait du reste fait aucune théorie sur la présence du sucre dans les urines.

Vers la fin du dix-huitième siècle, d’après les opinions physiologiques du temps, on pensait que le suc gastrique changeait de nature suivant les substances qu’il avait à digérer, qu’il était alcalin dans l’alimentation animale, et devenait acide dans l’alimentation végétale, etc. Sous l’influence de ces idées, Rollo, vers 1797, considéra le diabète comme dû à un vice de la digestion, à un dérangement qui avait son siège dans l’estomac, résultant d’une altération particulière des sucs gastriques qui auraient acquis une prétendue propriété morbide de changer en sucre les matières végétales ingérées. Cette théorie le conduisit naturellement à supprimer les végétaux dans les aliments de ses malades, qu’il soumettait à un régime exclusivement animal et graisseux.

En 1803, Nicolas et Gueudeville publièrent des recherches et des expériences sur le diabète qu’ils nommèrent la phtisurie sucrée. Selon ces auteurs, le siège de cette affection était dans l’intestin. Le chyle, par suite d’une altération des sucs intestinaux, au lieu de se former comme à l’ordinaire, se confectionnait sans azote, et dès lors, au lieu de se trouver constitué par des matières animalisées, il était formé par un principe moins bien élaboré, qui était la matière sucrée impropre à entretenir complétement la nutrition. La thérapeutique de ces auteurs, d’accord avec leur théorie, consistait à donner de l’azote ; ils soumettaient, comme Rollo, leurs malades à une diète animale, et leur administraient en outre de l’ammoniaque et des phosphates.

Mais on ignorait encore quelle était l’espèce de sucre qui existe dans l’urine des diabétiques, lorsqu’en 1815 M. Chevreul vint démontrer que ce sucre était chimiquement analogue à celui qui résultait de la transformation de la fécule. Quelques années plus tard, vers 1825, Tiedemann et Gmelin firent voir que dans la digestion de la fécule il se formait normalement du sucre dans l’intestin. On ne pouvait donc plus, dès cette époque, regarder l’existence de cette substance dans le canal intestinal comme provenant d’une altération des fonctions digestives.

Toutefois, en 1838, M. Bouchardat admettait que le sucre se formait anormalement par la digestion des fécules dans l’estomac sous l’influence d’une diastase spéciale aux diabétiques, pensant qu’à l’état physiologique cette matière devait être changée en acide lactique. Plus tard, le même auteur admit que la formation du sucre était un résultat normal de la digestion des fécules, mais que chez les diabétiques seulement cette substance était surtout absorbée dans l’estomac, et s’en allait par les vasa breviora en suivant un système de circulation assez peu connu. Mais nous devons ajouter que M. Bouchardat lui-même, dans son dernier travail publié en 18523, a avoué qu’il ne tenait en aucune façon à ses théories, et qu’il attachait uniquement de l’importance à son mode de traitement, qui consiste, comme moyen principal, à supprimer dans l’alimentation des malades toute espèce de matière féculente et sucrée.

Mais peu à peu, la formation du sucre dans l’intestin par la digestion normale des féculents était non seulement établie et généralement admise, mais M. Magendie, et avec lui d’autres observateurs, avaient prouvé que le sucre passe physiologiquement dans le sang pendant l’absorption digestive des féculents. Il n’y avait donc plus moyen de considérer la maladie qui nous occupe comme une altération des fonctions digestives, et force fut alors de faire d’autres théories sur ce sujet.

M. Mialhe, en 18444, plaça le siège du diabète dans le sang, en même temps qu’il émit une explication fondée sur un fait chimique vulgaire. Nous verrons en effet bientôt que le sucre de diabète peut se détruire en présence d’un alcali. Dès lors, dit M. Mialhe, si le sucre introduit normalement dans l’organisme par l’acte de la digestion du sucre ou des féculents ne trouve pas dans le sang l’alcalinité convenable pour le brûler au contact de l’air, il s’acccumulera dans le sang et sera éliminé par les reins. D’où l’indication thérapeutique, pour cet auteur, de donner des alcalis aux malades.

Mais, vous le voyez, Messieurs, ces théories sur le diabète, soit qu’elles considèrent le sucre comme une production normale de la digestion, soit qu’elles regardent cette substance comme anormalement produite dans l’intestin ou l’estomac, reposent toutes sur la croyance que la matière sucrée qui se trouve dans l’organisme provient exclusivement et toujours de l’alimentation féculente ou végétale. C’est là précisément un point de départ qui est physiologiquement faux.

Nous, avons prouvé que la matière sucrée n’est pas un principe accidentel de l’organisme, qu’elle se rencontre constamment dans l’économie, et s’y trouve formée par une fonction toute spéciale, quelle que soit, du reste, la nature de l’alimentation. Cette fonction glycogénique, ou productrice de sucre, que nous avons récemment établie, existe dans l’homme et chez tous les animaux. Nous devons actuellement vous faire son histoire ; ensuite nous examinerons l’état diabétique, qui n’est, suivant nous, qu’une déviation de cette fonction physiologique des plus importantes. Il est d’autant plus nécessaire de bien établir notre base physiologique, que toujours, ainsi que vous venez de le voir, il y a eu la liaison la plus intime entre la thérapeutique proposée pour le diabète et les idées physiologiques qu’on s’était faites de cette maladie. Ceci prouve combien il est important que les idées physiologiques qu’on a, soient aussi saines que possible.

Mais avant d’établir expérimentalement devant vous la réalité de cette fonction nouvelle, permettez-moi, Messieurs, de nous arrêter quelques instants sur le sucre qui sera si souvent en cause dans nos expériences. Il importe que vous connaissiez les divers réactifs ou les moyens les plus ordinaires dont nous ferons usage pour constater la présence de cette matière dans les différents liquides ou tissus animaux. Cela nous permettra ensuite d’aller plus vite dans notre exposition, et d’être mieux compris.

On distingue plusieurs sortes de matières sucrées d’origines variées qui ont entre elles des caractères communs et des différences spécifiques de plusieurs ordres.

Les sucres fournis par le règne végétal sont : les sucres de canne, de betterave, d’érable, etc. ; les sucres de fruits, de fécule ou d’amidon, etc.

Les sucres appartenant au règne animal sont : les sucres de lait, le sucre normal produit par le foie, le sucre de l’œuf, celui de l’allantoïde, etc.

Tous ces sucres, quelle que soit leur origine, se divisent ensuite en deux espèces, suivant la manière dont ils se comportent en présence des acides et en présence des alcalis.

Les sucres dits de la première espèce sont ceux sur lesquels les alcalis n’ont aucune action, tandis que les acides les transforment en sucres intervertis ou sucres de la seconde espèce. Ce sont : les sucres de canne, de betterave, d’érable, etc.

Les sucres dits de la seconde espèce, qui comprennent le sucre de fécule ou glucose, les sucres des fruits, le sucre de diabète, le sucre de lait ou lactose, le sucre normal du foie, celui de l’œuf, de l’allantoïde, etc., se distinguent par des caractères opposés, c’est-à-dire que les acides étendus n’agissent aucunement sur eux, tandis que les alcalis caustiques, tels que la potasse, la soude, la chaux, etc., les détruisent en les changeant en des acides bruns particuliers avec une rapidité d’autant plus grande que les alcalis sont plus concentrés et la température plus élevée.

Je vais vous rendre témoins de ces caractères différentiels des sucres par l’expérience. Je prends dans un tube de verre bouché par un bout un peu d’une dissolution de sucre de betteraves parfaitement pur, j’y ajoute une dissolution concentrée de potasse caustique à la chaux, je chauffe et vous voyez ce mélange bouillir. Il ne se produit aucune modification dans le liquide, qui reste parfaitement transparent et incolore, ce qui n’aurait pas lieu si le sucre n’était pas pur et contenait du sucre de la seconde espèce. L’alcali caustique n’a pas coloré la liqueur ni détruit le sucre, car on s’assurerait, en séparant le principe sucré de la potasse, qu’il a conservé les caractères primitifs.

Je mets dans un autre tube un peu d’une dissolution de sucre de fécule, j’y ajoute la même solution de potasse caustique, et je fais bouillir ; vous voyez la liqueur se colorer en jaune, et prendre successivement une teinte brune de plus en plus foncée. Cette réaction fut indiquée en 18425 par M. Chevalier, qui s’en servit pour reconnaître la richesse des cassonades et la falsification du sucre de canne par le sucre de fécule.

Maintenant, pour constater l’action des acides, je prends dans un troisième tube un peu de notre première dissolution de sucre de betterave ; je la chauffe, après y avoir ajouté quelques traces d’acide sulfurique ; vous voyez la liqueur bouillir. Bien qu’à la première vue il semble n’y avoir aucune modification dans le mélange, qui reste limpide et transparent, il s’y est fait cependant une transformation importante ; car, après avoir saturé l’acide sulfurique par la craie et avoir filtré, si j’ajoute de la dissolution de potasse dans cette liqueur et si je fais bouillir de nouveau, vous voyez le liquide devenir jaune, puis brun, absolument comme pour le sucre de deuxième espèce.

Ceci vous prouve que, sous l’influence de l’ébullition avec l’acide, le sucre de betterave appartenant à la première espèce s’est changé en sucre de la seconde espèce, et a offert alors la réaction qui lui est propre en présence de la potasse.

Lorsqu’on fait agir ainsi un alcali sur un sucre de la seconde espèce, le sucre s’oxyde en s’emparant de l’oxygène de l’air, et se transforme en partie en un acide brun étudié par M. Peligot, qui lui a donné le nom d’acide mélassique.

Si, au lieu de prendre du sucre de raisin ou du sucre de fécule, nous prenons du sucre de diabète, et que nous le chauffions avec un alcali, nous obtiendrons exactement les mêmes phénomènes ; la liqueur deviendra jaune, puis brune, et ce sucre se détruira comme les sucres de la seconde espèce, en se transformant en matière acide brune. C’est de cette réaction que M. Mialhe est parti pour établir sa théorie, en assimilant faussement ce qui se passe au contact du liquide sanguin faiblement alcalin, avec les réactions que nous venons de vous montrer, et dans lesquelles nous faisons intervenir, pour détruire le sucre, l’ébullition et la potasse caustique.

Toutes les réactions précédemment citées apparaîtront avec des caractères un peu différents, mais d’une manière encore plus évidente, si, au lieu d’employer la potasse caustique, seule, nous y ajoutons un sel de cuivre.

Mais il importe de rappeler les conditions dans lesquelles peut se faire un pareil mélange. Si vous mêliez un sel de cuivre à acide minéral avec un alcali comme la potasse, il n’y aurait pas dissolution, le métal serait précipité à l’état d’oxyde.

Si, au contraire, vous avez soin de mettre dans la liqueur une matière organique quelconque acide ou neutre, la dissolution du sel métallique par l’alcali pourra avoir lieu.

Trommer avait vu qu’en ajoutant dans l’urine de diabétique sucrée du sulfate de cuivre et de la potasse, il se produisait par l’ébullition une réduction du sel métallique et une précipitation de l’oxyde de cuivre. M. Becquerel a trouvé que cette réduction ne s’opère qu’avec les sucres de la seconde espèce, et qu’elle n’a pas lieu avec les sucres de la première espèce.

Sur ces données, M. Barreswil a composé un liquide dans lequel le sel de cuivre se trouve tenu en dissolution dans la potasse par un acide organique, l’acide tartrique. Voici la manière de préparer ce réactif. On dissout à chaud 50 grammes de crème de tartre et 40 grammes de carbonate de soude dans un tiers de litre d’eau. On ajoute ensuite à cette dissolution 30 grammes de sulfate de cuivre réduit en poudre ; après avoir fait bouillir le mélange, on le laisse refroidir et l’on y ajoute 40 grammes de potasse préalablement dissoute dans un quart de litre d’eau. Enfin on étend toute la masse avec assez d’eau pour en faire un litre.

Fehling a donné, après M. Barreswil, un réactif de même nature composé ainsi qu’il suit. On dissout 40 grammes de sulfate de cuivre cristallisé dans 160 grammes d’eau. On mélange avec cette dissolution une autre solution concentrée de 160 grammes de tartrate de potasse et 560 grammes d’une lessive de soude dont le poids spécifique est de 1,12 ; et l’on ajoute une quantité d’eau suffisante pour que le volume total atteigne un litre à la température de +15 degrés.

On pourrait encore préparer le réactif de sucre par un procédé plus simple, seulement un peu moins économique ; il suffirait, en effet, de prendre du tartrate de cuivre et de le dissoudre simplement dans de la potasse. Quoi qu’il en soit, vous voyez ici le liquide préparé par la formule de M. Barreswil : c’est un liquide d’un beau bleu parfaitement transparent, que nous désignerons désormais sous le nom de réactif cupropotassique ; car c’est en effet un sel double de potasse et de cuivre. Nous allons l’essayer avec les différents sucres, afin de vous montrer qu’il n’y a réduction du sel de cuivre qu’en présence des sucres qui sont altérables par les alcalis.

Je mélange, à parties à peu près égales, ce réactif avec une dissolution de sucre de canne bien pur ; je fais bouillir. Vous pressentez déjà qu’il ne se produira rien, et vous voyez, en effet, le liquide rester parfaitement transparent et la couleur bleue n’a pas varié.

J’ajoute, au contraire, le réactif à une dissolution de sucre de fécule, je fais bouillir ; vous voyez la liqueur se colorer, perdre sa transparence, passer par différentes nuances de jaunes, et laisser déposer un précipité rouge qui est du protoxyde de cuivre.

Il en est de même si j’opère avec les sucres de fruits, de lait, de fécule, ou avec cette urine provenant d’un diabétique, en un mot, avec tous les sucres de deuxième espèce.

Vous comprenez qu’au moyen de telles épreuves, il soit possible de suivre dans l’économie les diverses transformations du sucre de canne, et de distinguer les deux espèces de sucres. Quand on essaye par le tartrate cupropotassique un liquide supposé sucré, deux choses peuvent arriver : ou bien le sel de cuivre est réduit et le liquide change de coloration ; ou bien, au contraire, le liquide reste bleu sans offrir de réduction. Dans le premier cas, on conclut à la présence du glucose, et dans le second, on peut affirmer que le mélange essayé ne renferme pas de glucose ni aucun sucre de la deuxième espèce. Mais il pourrait se faire qu’il contint du sucre de canne ou tout autre sucre de la première espèce. Pour le savoir, il faudra préalablement faire bouillir le liquide présumé sucré, après l’avoir acidulé très légèrement avec quelques traces d’un acide énergique, d’acide sulfurique, par exemple, pour transformer en glucose le sucre de canne qui pourrait s’y trouver. Après cette opération on neutralise le liquide et on l’essaye de nouveau par le tartrate de cuivre. Si à cette deuxième épreuve il n’y a pas de réduction, on en conclura qu’il n’y avait pas de principe sucré, ni à l’état de sucre de deuxième espèce, ni à l’état de sucre de la première espèce. Si, au contraire, il y a réduction, il faudra admettre que le sucre existait à l’état de sucre de la première espèce puisqu’il n’a opéré la réduction du sel de cuivre qu’après avoir été transformé en sucre de la deuxième espèce par l’action de l’acide sulfurique. Enfin, si l’on avait affaire à un mélange des deux sucres, on commencerait par détruire le sucre de la deuxième espèce par l’ébullition avec le lait de chaux, puis, saturant le liquide refroidi avec de l’acide sulfurique en léger excès, on filtrera pour se débarrasser du sulfate de chaux ; ensuite on fera bouillir de nouveau la liqueur rendue acide pour transformer le sucre de la première espèce en sucre de la seconde, qui réagira à une dernière épreuve avec le liquide cupro-potassique.

Que s’est-il passé dans cette réaction du liquide cupro-potassique sur les sucres de la deuxième espèce ? On l’explique en disant que le sucre de raisin, de fécule ou de diabète, etc., chauffé en présence de la potasse, s’est oxydé ; mais qu’au lieu d’emprunter l’oxygène à l’air, il l’a pris au deutoxyde de cuivre, qui s’est trouvé réduit à l’état de protoxyde insoluble dans l’acide tartrique, et s’est montré alors dans la liqueur sous la forme d’un précipité rouge quand il est anhydre, et d’un précipité jaune quand il est hydraté.

Le réactif cupro-potassique a la propriété d’être extrêmement sensible au point de faire reconnaître par sa précipitation les plus petites traces de matières sucrées ; car il suffit, d’après M. Barreswil, qu’un grain de raisin mûr ait été broyé dans un litre d’eau pour qu’on puisse constater que cette eau a acquis la propriété de réduire le sel de cuivre.

Quand on fait la réaction, on peut avoir tantôt un mélange trop riche en cuivre pour la quantité de sucre, tantôt un liquide trop chargé de sucre pour la quantité de réactif qu’on emploie. Ces deux circonstances deviennent la source d’une foule de variétés dans l’aspect de la réaction dont il est bon d’être prévenu. Quand le liquide sucré est très pauvre et que la proportion du réactif est au contraire trop considérable, comme cela a lieu dans ce tube, il n’y a qu’une portion du cuivre réduit par l’ébullition, et en même temps qu’il se précipite de l’oxyde, vous voyez le mélange rester encore bleu, parce que la petite quantité de cuivre réduit est dans un rapport direct avec la quantité de sucre contenu dans le mélange. Si, au contraire, nous prenons un liquide sucré très riche et une très faible proportion du réactif, nous aurons non seulement par l’ébullition la réduction de tout le cuivre, mais de plus vous voyez la liqueur se colorer en brun et l’oxyde de cuivre se redissoudre, parce que l’excès du sucre a réagi avec la potasse qui se trouve elle-même en excès dans le même liquide. Nous avons ici, comme vous le voyez, la réaction du cuivre mêlée à la réaction de la potasse pure. Vous pouvez maintenant supposer tous les intermédiaires possibles entre ces deux extrêmes, et toutes les variétés de coloration verte, jaune, rouge, etc., qui peuvent en résulter. Ceci prouve que la coloration en elle-même n’a pas une très grande valeur, mais que c’est la réduction de l’oxyde métallique qui est le caractère important.

Nous venons de dire que la quantité d’oxyde réduit était toujours en rapport avec la quantité de sucre contenu dans le mélange. M. Barreswil s’est fondé sur ce caractère pour doser au moyen du réactif cupropotassique titré les quantités de sucre qu’on peut rencontrer dans différents liquides ; nous aurons occasion de nous servir de ce procédé plus tard.

Maintenant, Messieurs, quel est le degré de certitude que présentent les réactifs potassique et cupro-potassique, et quelle confiance devons-nous leur accorder ?

Vous devez toujours considérer ces réactifs comme extrêmement utiles, parce qu’ils sont très faciles à employer, et qu’ils donnent des indications très précieuses, mais vous ne devez pas vous en contenter. Leur caractère absolu n’est qu’un caractère négatif, c’est-à-dire que l’on peut affirmer que toute liqueur qui ne produit pas avec eux les réactions indiquées ne contient aucun des sucres de la deuxième espèce. Mais quand cette réaction existe, on n’est pas absolument certain qu’elle soit due à du sucre, car la glycérine, le tanin, la cellulose (coton), l’acide urique, le chloroforme, peuvent la produire à divers degrés ; il faut donc alors s’en référer à d’autres moyens.

En outre, vous ne devez pas oublier une autre cause d’erreurs assez fréquente, c’est que dans le liquide cupro-potassique préparé depuis un certain temps, la potasse a pu passer à l’état de carbonate de potasse, probablement par une modification à l’air de l’acide tartrique, et que dans ce cas le liquide peut précipiter de lui-même sous l’influence de la chaleur sans pour cela qu’il y ait du sucre dans les liquides essayés. Il est donc toujours bon de faire cette épreuve avant d’employer le réactif, et, s’il est un peu ancien, il faudra lui ajouter un peu de potasse caustique fraîche pour lui rendre ses propriétés.

On connaît encore d’autres réactifs empiriques propres à déceler la présence du sucre et basés sur des réactions analogues. Tels sont l’étoffe blanche de laine trempée dans le bichlorure d’étain, proposée par M. Maumené, et le chromate de potasse, auquel on ajoute un acide. Nous ne nous arrêterons pas à ces réactifs, parce qu’ils n’ont pas d’avantage sur ceux qui précèdent.

Cependant nous dirons quelques mots du chromate de potasse, qui pourra nous être utile pour reconnaître l’alcool quand nous aurons de trop faibles quantités de cette substance pour pouvoir en obtenir par la distillation.

Ce réactif, dont les proportions ont été déterminées ainsi par M. Lecomte, se prépare en ajoutant à 100 grammes d’acide sulfurique concentré 0,25 gr. de chromate de potasse, de manière que l’acide chromique mis en liberté puisse facilement réagir.

La liqueur est limpide et d’une couleur jaune brunâtre ; quand on ajoute environ un volume égal de ce réactif à un liquide renfermant de l’alcool, de manière à colorer nettement le mélange, il y a échauffement ; aussitôt la réaction se manifeste, et le liquide devient d’un beau vert-émeraude, tout en restant transparent.

Cette réaction est une oxydation également commune au sucre, à la dextrine, à la gomme et à l’alcool ; toutes ces substances ne sauraient conséquemment être distinguées par ce réactif. Mais dans le liquide où nous rechercherons l’alcool, le sucre aura été éliminé par la fermentation, ce que nous pourrons du reste vérifier en employant le tartrate cupro-potassique. Quant à la dextrine, nous pourrons la reconnaître par l’iode ; la gomme ne se rencontrera pas dans les circonstances où nous opérerons. Du reste, en nous servant de charbon animal pour décolorer le liquide supposé alcoolique, nous précipiterons la dextrine, la gomme et toutes les matières albumineuses, tandis que l’alcool passera avec le liquide filtré. Il est utile d’ajouter encore que l’acide urique, l’urée et l’albumine peuvent réduire ce réactif. On pourrait employer, au lieu de l’acide sulfurique, l’acide chlorhydrique.

Dans tous les cas, il sera toujours préférable d’agir sur des liquides distillés qui se trouveront conséquemment débarrassés des substances fixes ci-dessus indiquées.

Nous devons mentionner maintenant des caractères beaucoup plus rigoureux pour constater la présence du sucre dans les liquides ou tissus organiques.

Indépendamment de l’extraction de la matière sucrée et de son analyse élémentaires, qui ne sont pas toujours praticables quand on a du sucre à reconnaître, on trouve un caractère d’une certitude absolue dans la fermentation au contact de la levure de bière, qui produit le dédoublement du sucre en alcool et en acide carbonique.

Voici (fig. 1) un petit appareil assez simple que nous employons le plus ordinairement pour opérer cette fermentation, surtout quand nous avons peu de liquide sucré à notre disposition. Il consiste à prendre, comme vous le voyez ici, un tube T de 1 centimètre à 1 centimètre et demi de diamètre, fermé à la lampe par l’une de ses extrémités B. On le remplit compléter ment du liquide supposé sucré dans lequel on ajoute de la levure de bière. On le bouche ensuite à sa partie supérieure par un bouchon C percé d’un trou dans lequel s’introduit à frottement un tube EE′, assez mince, ouvert aux deux bouts, et que l’on enfonce jusqu’au fond du premier tube. On expose l’appareil à une douce chaleur. De cette façon, si une fermentation s’établit, le gaz emplit la partie supérieure du premier tube, chasse le liquide par le petit tube ER, sans pouvoir s’échapper. À la fin de l’opération, on peut constater si le gaz qui s’est formé est de l’acide carbonique, et si le liquide qui s’est échappé et celui qui reste encore dans le premier tube contiennent de l’alcool.

 

Fig. 1

 

La propriété de fermenter caractérise la matière sucrée, car on définit le sucre une substance donnant lieu à la fermentation alcoolique. Tous les sucres ne fermentent pas avec la même rapidité ; le sucre de fruits et le sucre normal du foie fermentent plus vite que les sucres de fécules, de canne et de betterave. Le sucre de lait est celui qui fermente le plus difficilement, et seulement après quelques jours de contact avec la levure de bière.

Il importe toujours de se servir de la levure de bière purifiée, ou bien de contrôler son résultat par une même expérience comparative, qui consiste à mettre de la même levure avec de l’eau seule dans les mêmes conditions de température.

Quand la fermentation est terminée, on constate les caractères de l’acide carbonique recueilli, et l’on distille le liquide pour en séparer l’alcool. S’il y en avait de très faibles proportions, on pourrait agir sur le liquide avec le chromate de potasse et l’acide sulfurique, ainsi qu’il a été dit plus haut.

Un autre procédé pour reconnaître si une matière sucrée existe dans un liquide consiste à examiner l’action de ce liquide sur la lumière polarisée. Cette méthode d’analyse optique des liquides, qui a été entièrement créée par M. Biot, donne les caractères d’une délicatesse extrême, car l’action de la lumière polarisée peut faire connaître, par exemple, des différences de composition dans des sucres où l’on n’en distingue aucune par l’analyse chimique ; tous les sucres de la seconde espèce sur lesquels agissent les alcalis ne sont pas identiques au polarimètre ou au saccharimètre, car les sucres de fruits dévient à gauche le plan de polarisation, tandis que le sucre de fécule et celui de diabète le dévient à droite. Les sucres de la première espèce dévient tout le plan de polarisation à gauche.

Toutes ces réactions sont très nettes quand on emploie des solutions du sucre dans de l’eau pure ; mais lorsqu’on a à agir sur des liquides animaux, il faut préalablement avoir le soin de les débarrasser des matières colorantes et albumineuses. On peut employer différents moyens pour arriver à ce résultat. D’abord on peut traiter la liqueur par un excès d’acétate de plomb et filtrer, puis se débarrasser de l’excès de plomb par l’hydrogène sulfuré, par l’acide sulfurique, par un sulfate soluble, ou enfin par le carbonate de soude. On sépare par une seconde filtration le sulfure de plomb, le sulfate ou le carbonate précipité, puis on soumet la liqueur à l’essai.

Si l’on a affaire à du sang ou à quelques liquides très albumineux, il conviendra de les coaguler par la chaleur. Si le sang est frais, il suffira même d’y ajouter une fois ou deux son poids d’eau acidulée avec un peu d’acide acétique, et de filtrer pour obtenir un liquide limpide et incolore. Mais si le sang est ancien, ou si, à cause de la petite quantité de sucre dont il est chargé, on ne veut pas y ajouter d’eau, on aura un très bon résultat en ajoutant au sang, comme nous le faisons ici, environ son poids de sulfate de soude cristallisé. En faisant bouillir ce mélange, toutes les matières albumineuses sont crispées, et le liquide chargé de sulfate de soude qui se sépare entraîne tout le sucre. L’excès de sulfate de soude resté dans le liquide ne nuit aucunement aux réactions avec le liquide cupro-potassique ni avec la potasse.

Mais j’ai trouvé que le charbon animal est un moyen plus simple pour enlever les matières colorantes et organiques. Voici une urine diabétique, et par conséquent sucrée, qui a été apportée de la Charité, du service de M. Rayer ; nous y ajoutons du sang, de telle sorte que les réactions avec la potasse et le liquide cupro-potassique seraient difficiles à voir et l’épreuve optique impossible. Je fais une bouillie assez épaisse avec le noir animal et cette urine sanguinolente ; je jette sur un filtre, et le liquide passe parfaitement limpide, entraînant la matière sucrée, qui, comme vous pouvez en juger, présente avec le liquide cupro-potassique la réaction caractéristique, très nette, tandis que toute l’albumine, la matière colorante du sang, l’acide urique, etc., ont été retenus complétement sur le filtre avec le charbon animal.

Je ne sache pas qu’on ait signalé encore cette action particulière du charbon animal pour précipiter les matières albuminoïdes, mais elle est des plus remarquables. Ainsi du sang pur peut être complétement débarrassé de son albumine et de sa matière colorante ; du lait peut également être totalement privé de sa caséine et de sa matière grasse par le noir animal ; il en est ainsi de beaucoup d’autres liquides animaux.

Il faut employer une quantité de charbon en rapport avec la quantité de matière animale contenue dans le liquide que l’on veut purifier. Si, par exemple, on ajoute au sang la moitié ou les deux tiers de son poids d’eau, il suffit d’y ajouter du charbon de manière à obtenir une bouillie épaisse que l’on jette sur le filtre, et le liquide qui passe est incolore et débarrassé de toutes les matières albuminoïdes. Mais si le sang est pur, il faudra non seulement faire une pâte très épaisse avec le charbon, mais il faudra en outrer la battre dans un mortier et y incorporer encore de nouvelles quantités de charbon, jusqu’à ce que la masse ait, pour ainsi dire, cessé d’être humide et qu’elle soit redevenue pulvérulente. Alors, si l’on ajoute de l’eau à ce charbon, toute la matière sucrée est dissoute et passe dans un liquide parfaitement limpide.

Les matières fixées par le charbon, telles que l’albumine, la matière colorante du sang, la caséine, l’acide urique, etc., paraissaient réellement combinées avec le charbon et l’on ne peut plus les en séparer par le lavage, même à l’eau tiède. Le sucre, au contraire, qui était dans les liquides animaux, quelle que soit son espèce, n’a été aucunement retenu par le charbon, et il coule avec le liquide qui filtre ; on peut même, par des lavages successifs, obtenir toute la quantité du sucre dont le charbon était imprégné, sans craindre, ainsi que nous venons de le dire, d’entraîner des matières étrangères redissoutes.

Je recommande donc le charbon animal comme un moyen très expéditif et indispensable quand on veut essayer quelque liquide animal au réactif cupro-potassique. Quand on voudra, par exemple, dans une clinique, faire cet essai, il suffira d’ajouter un peu de noir animal à l’urine, on jettera sur un filtre, et l’on recueillera le liquide limpide qu’on essayera alors au réactif. Si l’on obtient la réduction caractéristique, on sera beaucoup plus certain d’avoir affaire à du sucre de la deuxième espèce, parce que le charbon a aussi la propriété de retenir l’acide urique, la dextrine, le chloroforme, la cellulose pouvant réduire le réactif cupro-potassique. À l’aide du charbon animal, on peut même extraire le sucre dans des parties animales semi-solides ou réduites à l’état de bouillie, ainsi que nous aurons occasion de vous le montrer dans des expériences physiologiques que nous répéterons devant vous.

Nous aurions encore à nous occuper des caractères de certaines matières très voisines des sucres, telles que l’amidon, la dextrine, la gomme, mais ces substances ne se rencontrent jamais à cet état dans l’organisme ; elles pourraient seulement se trouver dans le canal intestinal, comme intermédiaires de la transformation de l’amidon en glucose. Nous aurons, du reste, à exposer ailleurs les phases de ces transformations, et, à ce propos, nous indiquerons à quels caractères ces substances se reconnaissent.

Tels étaient, Messieurs, les principaux moyens que je désirais vous indiquer sur la manière de rechercher et de constater le sucre dans les liquides et organes animaux avant d’entrer dans l’examen de la fonction qui produit cette matière dans l’organisme animal, et dont nous commencerons l’histoire dans la séance prochaine.

Dans les expériences très nombreuses que nous répéterons devant vous, nous aurons souvent occasion de mettre en pratique les procédés que nous ne vous avons indiqués ici que d’une manière abrégée, nous réservant d’ajouter les détails que nous aurions omis ici à propos du cas même auquel ils s’appliquent.

Troisième leçon

30 décembre 1854.

SOMMAIRE : La production du sucre est un phénomène appartenant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la matière sucrée. — Le foie est chargé de cette fonction glycogénique, qui jusqu’alors était restée inconnue. — Le foie de l’homme et des animaux renferme toujours de fortes proportions de sucre à l’état physiologique. — Observation chez l’homme, expériences sur les animaux dans toute l’échelle zoologique. — Quantité de sucre contenu dans le foie, — Nature de ce sucre ; son analogie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu’on rencontre dans le foie est sécrété dans cet organe ; il ne vient pas de l’alimentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant et après le foie chez un carnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières sucrées, le second en renferme en grande proportion.

Messieurs,

J’ai à vous prouver aujourd’hui que la production du sucre est un fait commun au règne animal et au règne végétal. J’ai à vous apprendre ensuite quel est, dans les animaux, l’organe qui accomplit cette fonction glycogénique.

On avait cru, jusque dans ces derniers temps, que le règne végétal était seul capable de produire du sucre, et que les principes immédiats en général qui se rencontrent dans le règne animal étaient formés exclusivement par les végétaux, où les animaux ne faisaient que les puiser pour se les assimiler directement ; que les uns produisaient ce que les autres ne faisaient que détruire. Sans aucun doute il existe entre le règne végétal et le règne animal une sorte de relation nécessaire, mais cependant, comme la vie est plus élevée chez les animaux, comme les phénomènes y sont plus complexes, il est naturel de penser que ce qui se passe dans le végétal peut avoir lieu dans des êtres présentant une vitalité supérieure.

Quoi qu’il en soit, quand on trouvait du sucre dans un animal, on croyait que cette matière était constamment d’origine végétale et avait été introduite par l’alimentation. On admettait que la quantité de sucre qui existait dans un animal devait varier en raison même de la nature de son alimentation ; que l’on devait en trouver chez les herbivores, qui prennent en abondance des matières féculentes aisément transformables en sucre, mais qu’on ne pouvait pas s’attendre à en rencontrer chez les carnassiers, nourris seulement de substances azotées ou graisseuses, qui ne peuvent pas, dans l’intestin, se transformer en sucre par les procédés digestifs connus.

L’expérience a démontré qu’il n’en est pas ainsi : le sucre existe normalement dans le sang chez tous les animaux herbivores ou carnivores, et les quantités de sucre qu’on rencontre dans les uns et les autres sont sensiblement égales. Cela tient, Messieurs, à ce qu’il y a une fonction qui produit chez tous ces animaux de la matière sucrée, indépendamment de l’espèce de nourriture à laquelle ils sont soumis.

On a lieu de s’étonner qu’une action organique d’une telle importance, et si facile à voir, n’ait pas été découverte plus tôt. Cela peut tenir à plusieurs causes. D’abord quand on cherche à pénétrer les phénomènes de la vie, on a toujours l’habitude de se tenir à un point de vue ou anatomique, ou chimique, ou physique, et l’on ne se place pas assez au point de vue du phénomène vital, qu’il faut cependant surtout considérer quand on veut faire de la physiologie.

L’anatomie, en effet, peut permettre d’expliquer, au moyen de la structure d’un organe, le mécanisme d’une fonction, mais elle ne saurait en aucune façon la faire découvrir. On a étudié avec le plus grand soin la structure des cellules et des vaisseaux du foie, sans soupçonner même l’existence de cette fonction glycogénique. La chimie elle-même ne dirige pas ses réactifs sur des substances dont elle ignore l’existence. C’est ce qui est arrivé pour le foie, qu’on a analysé bien souvent, sans avoir aperçu cependant qu’il contenait des quantités énormes de sucre.

Ni l’anatomie ni la chimie ne suffisent donc pour résoudre une question physiologique ; il faut surtout l’expérimentation sur les animaux qui, permettant de suivre dans un être vivant le mécanisme d’une fonction, conduit à la découverte de phénomènes qu’elle seule peut mettre en lumière, et que rien n’aurait pu faire prévoir.

Mais il est temps d’aborder les caractères de la fonction qui nous occupe.

Il y a dans l’homme et dans tous les animaux un organe qui produit le sucre, c’est le foie ; et comme tous les organes qui sécrètent sont imprégnés du produit de leur sécrétion, comme le rein est imprégné d’urine, le testicule de liqueur spermatique, le pancréas de suc pancréatique, les glandes salivaires de leurs diverses salives, le foie lui-même est imprégné de sucre, et il est le seul organe du corps qui, à l’état normal, présente ce caractère. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre le tissu du foie d’un animal quelconque, récemment tué, de le broyer, de le faire cuire avec un peu d’eau, et de rechercher dans le liquide de la décoction la présence du sucre par les moyens ordinaires.

Nous allons faire l’expérience devant vous. Voici un foie de bœuf frais récemment apporté de l’abattoir, on en prend un morceau, on le broie, après quoi on le fait bouillir avec un peu d’eau ; puis on jette le tout sur un filtre ; il passe un liquide opalin légèrement jaunâtre, que l’on décolore par le noir animal et que l’on filtre de nouveau. Le liquide passe alors parfaitement incolore ; nous en mettons dans un tube bouché par un bout, nous y ajoutons une quantité égale de réactif cupro-potassique, nous chauffons le mélange à la lampe à esprit-de-vin. Vous voyez se former le précipité abondant de protoxyde de cuivre qui est un signe de la présence du sucre de la deuxième espèce ; nous faisons bouillir le même liquide avec de la potasse caustique, et nous avons une coloration jaune-brune.

Mais nous avons dit que ces réactions n’entraînent pas avec elles une certitude aussi absolue que la fermentation alcoolique. Pour achever de vous convaincre que cette réaction est bien due à la matière sucrée, nous plaçons une autre portion de cette même décoction de foie dans le petit appareil à fermentation que je vous ai décrit dans la dernière séance, nous l’exposons à une chaleur de 40 degrés environ, et vous allez voir dans quelques instants la fermentation s’opérer.

On devrait employer dans ces expériences de la levure de bière lavée, afin de la débarrasser des traces de sucre et de fécule qu’elle pourrait contenir. La levure que l’on achète chez les boulangers contient toujours de la fécule, ce qui n’a pas d’inconvénients quand cette levure est fraîche, mais au bout de quelques jours, si la fécule se changeait en sucre, il pourrait peut-être se développer une fermentation. Pour éviter toutes chances d’erreur, nous faisons une expérience comparative en ajoutant de la même levure de bière avec de l’eau pure, dans un autre tube semblable que nous plaçons dans les mêmes conditions de température que le premier.

En attendant que cette expérience soit achevée, on va faire bouillir et traiter par le réactif cupro-potassique les décoctions de la rate, du rein, du pancréas, du poumon, des muscles, du cerveau, tous organes provenant du bœuf, c’est-à-dire du même animal dont nous avons trouvé le foie très sucré. Vous voyez qu’aucun de ces tissus ne présente les réactions caractéristiques que nous avons obtenues avec le parenchyme hépatique, c’est-à-dire que leur décoction ne donne lieu ni à la fermentation avec la levure de bière, ni à la coloration par la potasse, ni à la réduction du liquide cupro-potassique. Or, si ce dernier caractère, ainsi que nous l’avons dit, n’a pas une valeur absolue pour indiquer la présence du sucre, en revanche, il fournit un caractère négatif excessivement certain, c’est-à-dire que l’absence de réduction du réactif prouve absolument l’absence de matière sucrée. Nous pouvons donc conclure hardiment qu’aucun organe du corps, si ce n’est le foie, ne renferme du sucre à l’état physiologique.

Vous pouvez voir maintenant ce que je vous annonçais tout à l’heure : parmi tous les liquides que nous avons mis avec de la levure depuis trente minutes environ, celui qui résulte de la décoction du foie est le seule où la fermentation se soit produit, et déjà le tube est rempli en grande partie par un gaz qui est de l’acide carbonique, ainsi que nous allons vous le démontrer. Pour cela nous débouchons ce tube sous le mercure, et nous y introduisons un petit fragment de potasse ; en l’agitant, vous voyez peu à peu le mercure monter et le gaz disparaître, parce que l’acide carbonique est absorbé par la potasse.

On distille ensuite environ le tiers du liquide qui a fermenté, on y ajoute un peu de chaux, on place le mélange dans un tube que l’on chauffe à la lampe ; au moment de l’ébullition, en tenant une allumette enflammée à l’orifice du tube, on aperçoit une petite flamme bleuâtre qui descend dans le tube et est due à la combustion d’une faible quantité d’alcool. Quand la fermentation est complétement terminée, on peut se servir du réactif au chromate de potasse, d’après la manière que nous avons indiquée dans la deuxième leçon.

Nous n’avons fait l’expérience que sur un petit fragment du foie ; si nous avions opéré sur le foie entier, nous eussions obtenu des quantités assez considérables d’alcool. Voici, dans ce flacon, environ 3 grammes d’alcool résultant de la fermentation d’un foie de bœuf. Il a été distillé sur la chaux, et il est concentré de manière à brûler comme vous le voyez ; mais il a toujours conservé une odeur animale particulière.

Maintenant, si nous voulions savoir combien il y a de sucre dans ce foie de bœuf, il faudrait le doser.

Pour cela, nous allons employer devant vous le procédé indiqué par M. Barreswil, qui consiste à calculer la quantité de sucre d’après la réduction et la décoloration d’une quantité déterminée d’un réactif cupropotassique titré.

Nous avons fait écrire sur le tableau la composition de quelques-uns de ces réactifs ainsi que la quantité de sucre à laquelle ils correspondent.

Réactif de M. Barreswil :

Crème de tartre 50 grammes
Carbonate de soude 40
Sulfate de cuivre 30
Potasse à la chaux. 40
Eau quantité suffisante pour que le tout fasse un litre

 

100 centimètres cubes de ce réactif sont exactement décolorés par 1 gramme de glucose.

Réactif de Fehling :

Sulfate de cuivre 40 grammes
Solution concentrée de tartrate de potasse 160
Lessive de soude ayant un poids spécifique = 1,12 560
Eau quantité suffisante pour que le tout fasse un litre à + 15°

 

10 centimètres cubes de cette liqueur sont précipités complétement par 11,5 centimètres cubes d’une dissolution contenant 5 pour 100 de glucose.

Nous employons ici un liquide dont la richesse est un peu différente. Voici sa composition :

Bicarbonate de potasse (crème de tartre) 150 grammes
Carbonate de soude cristallisé 150
Potasse à la chaux 100
Sulfate de cuivre 50
Eau quantité suffisante pour que le tout fasse un litre

 

10 centimètres cubes de ce réactif sont décolorés par 0,05 de sucre de diabète. Voici le sucre qui a été extrait des urines de diabète et qui nous a servi à titrer notre réactif. Il est blanc et très pur ; nous le devons à l’obligeance de M. Quevenne, pharmacien en chef de l’hôpital de la Charité.

L’exemple que nous mettons sous vos yeux vous fera comprendre mieux que toutes les descriptions la manière dont on s’y prend pour doser le sucre dans le foie.

Nous avons là un foie de bœuf dont le poids total est de 5 kilos 300 ; on a pesé 20 grammes de son tissu frais, qui ont été broyés, dans un mortier, et l’on a fait une décoction qui a été jetée dans une éprouvette graduée, en y ajoutant l’eau qui avait servi à laver à diverses reprises les vases, pour ne rien perdre. Après le refroidissement, nous lisons actuellement sur l’éprouvette le nombre de centimètres cubes que présente son contenu : ce nombre est de 169 centimètres cubes, représentant le volume du tissu du foie et du liquide qui l’accompagne. Alors nous jetons le tout sur un filtre, et recueillons, pour le doser, le liquide qui passe légèrement opalin. Mais dans les 169 centimètres cubes de liquide, il faut tenir compte du volume du tissu du foie mêlé au liquide : c’est pourquoi nous ramasserons avec soin, et sans en perdre, le tissu hépatique resté sur le filtre, nous le ferons sécher dans une étuve à 100 degrés, et, après la dessiccation complète, nous en évaluerons le volume en le jetant dans l’eau mesurée d’un vase gradué. Un grand nombre d’expériences faites à ce sujet nous ont appris que nous trouverions que ce tissu provenant de 20 grammes de foie frais déplace 4 centimètres cubes d’eau. Il faut donc soustraire 4 centimètres cubes des 169 centimètres cubes que nous avions tout à l’heure, ce qui réduit à 165 centimètres cubes la quantité réelle de liquide sucré pour 20 grammes de tissu frais du foie.

Afin de reconnaître la richesse en sucre de cette décoction hépatique, nous mesurons très exactement 10 centimètres cubes de notre réactif cupro-potassique, préalablement titré à 0,05 gr. pour 10 centimètres cubes (ou 5 grammes pour 100), c’est-à-dire que, pour réduire et décolorer 10 centimètres cubes du réactif, il faut une quantité de liquide renfermant 0,05 gr. de sucre. Les 10 centimètres cubes du réactif titré, que nous avons étendus à volume égal, à peu près, avec une dissolution récente de potasse à la chaux, pour rendre la précipitation de l’oxyde cuivrique plus facile, sont placés dans un petit ballon, sur un feu doux, et lorsque l’ébullition commence à se manifester, nous y ajoutons directement, ainsi que vous le voyez, avec précaution et vers la fin, goutte à goutte, avec une burette graduée, la décoction du foie. Nous agitons le liquide à mesure, en allant lentement pour laisser la précipitation s’opérer, en regardant avec soin pour ne pas dépasser les limites de la décoloration du liquide cupro-potassique.

Or, dans cette expérience, il nous faut 23 centimètres cubes de la décoction du foie, pour réduire et décolorer complètement les 10 centimètres cubes du liquide titré. Pour calculer maintenant le dosage du sucre dans le foie, nous avons donc les éléments suivants :

1° Poids du foie 5, 3 kilos
2° Liquide total de décoction 165 cent. cub.
3° Quantité de tissu de foie analysé 20 gr.
4° Quantité de liquide de décoction hépatique employée pour réduire et décolorer 10 cent. cubes du réactif 23 cent. cub.
5° Quantité de sucre qui, d’après le titre du réactif, correspond à la décoloration de 10 cent. cube 0,05 gr.

 

Pour savoir combien il y a de sucre dans les 165 centimètres cubes de décoction hépatique, nous avons la proportion suivante :

 

Ainsi les 165 centimètres cubes de la décoction sucrée provenant des 20 grammes de foie analysés contiennent donc 0,358 gr. de sucre.

Si nous voulons avoir la quantité de sucre pour 100 grammes de tissu du foie, nous ferons la proportion :

 

Ainsi, 100 grammes de tissu du foie frais contiennent 1,790 gr. de sucre.

Enfin la quantité de sucre pour la totalité du foie résulte de la proportion suivante :

 

Le foie entier contient donc 41,870 gr. de sucre.

Il importe surtout, pour ces dosages, d’avoir un réactif cupro-potassique récemment préparé et exactement titré. Il faut en outre faire l’opération assez vite, et s’arrêter aussitôt que la décoloration complète du réactif est obtenue, sans attendre davantage. En effet, si l’on continue à faire bouillir le liquide cupro-potassique, ou si on le laisse se refroidir, on le voit au bout de quelques instants reprendre une teinte bleue qui va en augmentant avec le temps. Quand on en est prévenu, cette particularité, due à la réoxydation d’un peu de protoxyde de cuivre dissous sans doute à la faveur de l’acide tartrique, ne peut pas nuire à l’exactitude de l’analyse, pourvu que l’on arrête l’expérience juste au moment où la décoloration est obtenue.

Nous pourrions vous parler d’autres moyens de dosage, mais j’aime mieux y revenir plus tard, si nous le trouvons nécessaire. Je me hâte de poursuivre la partie vraiment physiologique de notre sujet.

La présence du sucre dans le foie, à l’exclusion des autres organes du corps, ainsi que nous venons de vous le démontrer chez le bœuf, est un fait général dans la série animale, que nous avons constaté depuis l’homme jusqu’aux invertébrés. Nous allons vous rapporter quelques-uns des résultats que nous avons obtenus à ce sujet, vous renvoyant pour le détail des expériences au Mémoire que nous avons publié6.

Les expériences faites chez l’homme, pour correspondre physiologiquement à celles faites sur les animaux, devraient être instituées sur des individus surpris par la mort en état de santé.

Nous avons fait cinq observations sur des suppliciés.

Sur ces cinq observations, deux ont eu lieu dans la période digestive, et les trois autres chez des individus à jeun depuis la veille ; néanmoins tous les foies contenaient du sucre.

Le tableau suivant donne les résultats des recherches que nous avons faites pendant les années 1850 et 1851, à l’École pratique, sur des cadavres de suppliciés, grâce à l’obligeance de M. le docteur Gosselin, alors chef des travaux anatomiques.

 

 

Une sixième observation a été faite sur le foie d’un homme de trente ans, mort subitement d’un coup de fusil. Cet individu, au moment où il fut tué, était assis à boire chez un marchand de vin. À l’autopsie, qui fut faite judiciairement deux jours après par M. Ambroise Tardieu, on ne trouva dans l’estomac que du vin avec très peu d’aliments. Le foie était dans un état de putréfaction commençante ; cependant il contenait encore du sucre dans les parties les moins altérées ; il pesait 1,575 kilo. La quantité du sucre pour 100 de tissu du foie choisi dans les portions les plus saines était 1,10 gr., le sucre calculé pour la totalité du foie 17,10 gr.

Il est bien entendu que, dans toutes les expériences précédentes sur les hommes, on a fait les mêmes épreuves sur les autres organes, et qu’aucun tissu que celui du foie ne renfermait de sucre, ni qu’aucun liquide contenu dans les réservoirs ordinaires, ni l’urine, ni le sperme, ni la bile extraite de la vésicule aussitôt après la mort ne renfermait de matière sucrée.

J’ai poursuivi cette présence du sucre dans le foie, dans la série animale, et j’ai pris, autant qu’il m’a été possible, des exemples dans chaque ordre. Il vous suffira, pour juger de la généralité de la fonction glycogénique dans le règne animal, de jeter les yeux sur la liste suivante, que j’ai fait écrire sur le tableau.

Le sucre a été constaté dans le foie.

 

Parmi les MAMMIFÈRES :

1° Dans les Quadrumanes : sur un Singe cynocéphale (grand Papion).

2° Dans les Carnassiers : sur le Chien, le Chat, le Hérisson, la Taupe, la Chauve-souris.

3° Dans les Rongeurs : sur l’Écureuil, le Cobaye, le Lapin, le Lièvre, le Surmulot.

4° Dans les Ruminants : sur la Chèvre, le Mouton, le Bœuf.

5° Dans les Pachydermes : sur le Cheval, le Porc.

Parmi les OISEAUX :

1° Dans les Rapaces : sur la Crécerelle, la Chouette, l’Effraie.

2° Dans les Passereaux : sur le Moineau, l’Hirondelle de cheminée, le Freux, l’Alouette des champs.

3° Dans les Gallinacés : sur le Pigeon domestique, le Coq, le Dindon, la Perdrix.

4° Dans les Échassiers : chez la Bécassine.

5° Dans les Palmipèdes : chez le Canard, l’Oie, le Goéland à manteau noir, la Mouette à pieds bleus.

Parmi les REPTILES :

1° Dans les Chéloniens : chez la Tortue terrestre et la Tortue aquatique.

2° Dans les Sauriens : chez le Lézard gris des murailles et chez le Lézard vert.

3° Dans les Ophidiens : sur la Couleuvre à collier, chez la Vipère commune et sur l’Orvet.

4° Dans les Batraciens : sur la Grenouille verte, grise, chez le Crapaud brun et sur la Salamandre aquatique.

Parmi les POISSONS OSSEUX :

1° Dans les Acanthoptérygiens : sur le Bar commun et chez le Thon commun.

2° Dans les Malacoptérygiens abdominaux : chez le Gardon, l’Ablette, la Carpe, le Chevaine ou Meunier, le Barbeau, la Truite commune.

3° Dans les Malacoptérygiens subbranchiens : sur la Morue, le Turbot.

4° Dans les Malacoptérygiens apodes : sur l’Anguille, le Congre.

Parmi les POISSONS CARTILAGINEUX :

1° Dans les Sturioniens : sur les Esturgeons ordinaires.

2° Dans les Sélaciens : sur la Roussette ou Chien de mer, et la Raie bouclée.

Parmi les MOLLUSQUES GASTÉROPODES :

Sur la Limnée des étangs, le grand Escargot, la Limace rouge et la limace des caves.

Parmi les MOLLUSQUES ACÉPHALES LAMELLIBRANCHES :

Chez l’Huître vulgaire, la Moule commune, l’Anodonte des cygnes, la Moule des peintres.

Chez les Articulés.

 

J’ai pu seulement démontrer la présence du sucre dans le foie de quelques Crustacés décapodes, tels que l’Écrevisse commune, le Homard.

Nous avons toujours constaté la présence du sucre par les caractères que nous avons indiqués, la réduction du réactif cupro-potassique et la fermentation alcoolique.

Ainsi voici des tubes contenant de l’alcool provenant du foie de certains de ces animaux. Nous avons dans ce tube de l’alcool provenant d’un foie d’homme ; dans cet autre tube, de l’alcool extrait d’un foie de chien nourri pendant huit mois à la viande. Dans ce quatrième tube nous avons de l’alcool qui résulte de la fermentation du sucre contenu dans des foies de canard.

Enfin, nous avons encore ici de l’alcool provenant du foie de poisson, d’un énorme bar. Quoique ces alcools aient été distillés sur de la chaux ou sur de la potasse, ils ont généralement une odeur animale sui generis. L’alcool de poisson a surtout une odeur fort désagréable.

Il résulte donc de tout ce qui précède que la présence du sucre dans le foie est un fait général existant dans toute la série animale, et que la fonction qui produit cette substance appartient à toutes les espèces, quelle que soit leur place dans la série.

La proportion du sucre dans le foie à l’état physiologique varie peu ; elle ne dépasse généralement pas 4 grammes pour 100 du tissu du foie frais. La moyenne serait encore 1/2 à 2 grammes pour 100, chez les mammifères et chez les oiseaux.

Dans la classe des Reptiles et des Poissons, la proportion est un peu moindre, de même que chez les Mollusques.

Maintenant, Messieurs, nous arrivons à nous demander quelle est la nature du sucre contenu dans le foie de l’homme et des animaux. D’après les réactions que nous avons mises en usage pour déceler la matière sucrée contenue dans le foie, vous avez pu voir que ce sucre ayant les propriétés de brunir sous l’influence de la potasse, de réduire le tartrate cupro-potassique, de fermenter sous l’influence de la levure de bière, devait appartenir aux sucres de la seconde espèce, et était analogue au sucre de diabète. L’examen au polarisateur établit de même cette similitude en ce que le sucre du foie dévie à droite le rayon lumineux comme le sucre de diabète. Voici comment cette dernière expérience a été faite.

Un foie de bœuf récemment apporté de l’abattoir fut coupé en morceaux très minces. On exprima ensuite, dans un petit sac de crin, le tissu du foie préalablement chauffé à feu nu dans un vase, pour en contracter légèrement la surface extérieure, ce qui facilite beaucoup l’expression du tissu. On obtint de cette façon un jus hépatique rougeâtre sanguinolent qui était sucré autant que possible, puisqu’on n’y avait pas ajouté d’eau. On fit ensuite coaguler au bain-marie toutes les matières albumineuses, et l’on filtra. Le liquide qui résulta de ces opérations était brun jaunâtre, opalin et comme laiteux. Il était impossible, dans cet état, de le soumettre à l’appareil de polarisation. C’est pourquoi il fallut le décolorer et le clarifier, en y ajoutant une quantité suffisante de noir animal neutre, bien lavé et en portant le mélange à l’ébullition au bain-marie pendant quelques instants ; par la filtration, on eut alors un liquide incolore et parfaitement limpide.

Quelquefois, cependant, il existe dans le foie une sorte de matière opalescente, qui ne peut pas être complètement enlevée par le charbon animal. Il faut alors traiter le liquide par quelques gouttes de sous-acétate de plomb ; après quoi on filtre et l’on sépare l’excès de plomb par l’hydrogène sulfuré. C’est dans cette dernière partie de l’opération que l’hydrogène sulfuré, en formant le sulfure de plomb, entraîne complétement la matière opaline, et permet d’obtenir, après une dernière filtration, un liquide hépatique parfaitement transparent et incolore, très propre à permettre alors l’examen de ses caractères optiques. Mais j’ai reconnu, depuis ces premières recherches, qu’on pouvait, dans tous les cas, se passer de sous-acétate de plomb. Le charbon animal suffit toujours ; seulement il faut l’ajouter en très grande proportion.

C’est avec des liqueurs préparées de cette façon que M. Biot a bien voulu constater, au moyen de son appareil, la présence du principe sucré dans le foie, et sa propriété de dévier à droite la lumière polarisée.

Parmi plusieurs expériences qui ont été faites, je ne vous en citerai qu’une qui offre un intérêt tout particulier, parce qu’elle a été suivie d’une contre-épreuve qui démontre que dans le liquide hépatique, ainsi que nous l’avions préparé, il n’existait pas de substances capables d’induire en erreur, relativement à la présence ou à la quantité de sucre.

Dans cette expérience, le charbon animal seul avait suffi pour clarifier complétement le liquide hépatique qui, à l’examen optique, offrit les résultats suivants :

Le liquide observé dans un tube de 515, 35 mm a donné une rotation très manifeste à droite se mesurant par une déviation de 9,5° ce qui, évalué approximativement, représente 52,316 gr. de sucre par litre de liquide, en supposant le sucre identique avec celui de diabète.

Après ce premier examen, on ajouta de la levure de bière au liquide hépatique, et on le plaça à une température convenable pour opérer la fermentation. Le lendemain elle était achevée, et le liquide filtré fut soumis de nouveau à l’appareil de polarisation dans un tube de 508,85 mm. Cette fois il ne manifesta plus aucune trace de pouvoir rotatoire qui fût sensible, même à la plaque à deux rotations.

Nous devons donc nécessairement conclure de cette dernière partie de l’expérience que la déviation de +0,5°, qui avait été trouvée dans le premier examen du liquide, était due tout entière à la présence du sucre, puisque, après avoir fait disparaître le sucre par la fermentation, la déviation a été complétement nulle. Cette contre-épreuve ajoute, ainsi que vous le voyez, une grande rigueur à l’expérience, parce que sans cela on aurait pu objecter que certains principes organiques provenant de la bile pouvaient se trouver là et intervenir pour une part quelconque dans les phénomènes de rotation observés. Cette objection n’est plus possible.

Tel est l’examen que nous avons fait il y a deux ans ; mais nous avons aujourd’hui obtenu à froid avec le charbon animal et la pulpe du foie frais un liquide sucré bien clair. On a pour cela gratté avec un couteau le tissu du foie de façon à en obtenir une pulpe demi-fluide et très divisée, puis ensuite on a broyé cette pulpe avec une grande quantité de charbon animal, de manière que toute l’humidité fût absorbée et que le mélange fût redevenu pulvérulent, comme vous le voyez ici. C’est alors qu’on a ajouté de l’eau au mélange pour dissoudre le sucre. On a jeté sur un filtre et l’on a recueilli le liquide filtré parfaitement transparent, incolore et sucré. On a mélangé ce liquide de première filtration avec une autre portion du mélange de charbon et de foie de façon à charger de nouveau la première dissolution d’une nouvelle quantité de sucre, et ainsi de suite, on a répété jusqu’à quatre fois l’opération pour avoir une liqueur toujours de plus en plus chargée de sucre. On a eu un liquide très clair et incolore qui a pu facilement être soumis au polarimètre. Nous avons obtenu toujours le même résultat, c’est-à-dire déviation de la lumière polarisée à droite.

Ainsi, de tout cela, il résulte clairement que le sucre qui existe dans le foie est de la même nature que celui que les diabétiques rendent dans leurs urines.

Mais ce n’est pas assez, Messieurs, de vous avoir montré qu’il y a du sucre dans le foie et qu’il est analogue au sucre de diabète ; je n’ai encore résolu qu’un des points de la question. Il faut examiner maintenant d’où vient ce sucre. Bien que les observations que je vous ai citées, dans lesquelles on a rencontré le sucre chez des carnassiers en même proportion que chez les herbivores, soient déjà une preuve que le sucre se forme où on le trouve, je veux vous démontrer maintenant, par des expériences directement appropriées à ce but, que le sucre ne provient pas de l’alimentation. C’est donc la question d’origine que nous devons nécessairement nous poser et résoudre devant vous, parce que le sucre étant une substance qui entre dans l’alimentation des animaux, on est obligé de se demander si c’est là la source unique du sucre que l’on rencontre dans l’économie.

Nous avons donc à démontrer que, indépendamment des substances sucrées ou féculentes fournies par l’alimentation, il y a du sucre qui se produit dans l’individu vivant.

Le moyen le plus simple qui se présente à l’esprit, c’est de supprimer les féculents et les matières sucrées dans l’alimentation, et de voir si néanmoins le sucre persiste dans l’économie. Nous avons fait ces expériences sur un grand nombre d’animaux ; nous avons choisi des chiens, et on les a nourris, au Collège de France, exclusivement avec de la viande, pendant six et même huit mois ; au bout de ce temps, les animaux ont été sacrifiés, et l’on a trouvé dans leur foie 1,90 gr. pour 100, c’est-à-dire au moins la même proportion que sur des chiens nourris par l’alimentation mixte.

Des oiseaux, de proie, des Chouettes, prises dans leurs nids et nourries exclusivement avec du cœur de bœuf cru pendant trois mois, ont été tuées, et leur foie contenait toujours, seul entre tous les autres tissus du corps, du sucre en quantité normale (l,50 gr. pour 100).

Ces expériences prouvent donc que le sucre persiste malgré l’impossibilité d’introduction de matières féculentes ou sucrées.

Il serait absurde de supposer que le sucre ait pu provenir d’une alimentation antérieure, et se localiser dans le foie. D’ailleurs, nous verrons plus loin que le sucre se détruit très rapidement, et qu’au bout de vingt-quatre heures par exemple, si l’on arrête sa production, il n’en reste plus de traces. Comment faire une pareille supposition chez les oiseaux de proie nourris pendant toute leur vie de matières exclusivement musculaires ?

Mais la principale démonstration se tire de l’examen du sang avant et après le foie. Un animal qui ne mange ni sucre ni fécule n’en a pas dans le sang de la veine porte venant des intestins, tandis qu’on en trouve des quantités considérables dans le sang qui sort du foie.

Cette expérience est trop importante pour que nous ne la répétions pas devant vous. Vous aurez ainsi la preuve expérimentale d’un point qu’il faut fixer d’abord dans votre esprit avant d’aller plus loin.

Voici un chien que nous avons laissé à jeun pendant trente-six heures, et auquel on a fait prendre, il y a trois heures environ, un repas copieux, composé exclusivement de tête de mouton cuite. L’animal est maintenant en pleine digestion. C’est à cette époque et dans ces conditions qu’il faut le prendre, parce qu’au-delà de ce temps, l’expérience réussirait moins bien, par des raisons que nous expliquerons plus tard.

Je vais le sacrifier par la section du bulbe rachidien, qui est un procédé plus expéditif, et plus expérimental que la strangulation ou l’assommement. Le procédé est extrêmement rapide. De la main gauche, je saisis fortement le nez de l’animal, et je fléchis le museau en bas, de manière à le rapprocher du cou, afin de faire saillir la bosse occipitale externe par cette flexion de la tête, et rendre aussi grand que possible l’écartement occipito-atloïdien. Alors, avec l’indicateur de la main droite, armée d’un perforateur aplati (fig. 2), je sens la bosse occipitale externe, et, à 1 ou 2 centimètres en arrière, je plonge l’instrument acéré, rapidement et obliquement en avant, suivant une ligne dirigée vers le nez de l’animal. Je pénètre ainsi d’emblée dans le crâne, en traversant les parties molles de la nuque, et en passant entre l’occipital et l’atlas. Je fais, avec la pointe de l’instrument, un mouvement à droite et à gauche pour dilacérer le bulbe rachidien, et l’animal est mort.

 

Fig. 2.

 

La vie a donc été surprise et arrêtée dans un état pleinement normal.

Je pratique alors une incision au-dessous du rebord des fausses côtes, à droite de l’appendice xiphoïde. Par cette incision étroite, pénétrant dans l’abdomen, j’introduis le doigt de la main gauche, et, en suivant la face intérieure du foie jusqu’au niveau de l’hiatus de Winslow, pour saisir le paquet des vaisseaux et nerfs biliaires entre le foie et le duodénum. Dans ce paquet se trouve la veine porte, que je pourrais isoler d’avec le conduit cholédoque, mais il est plus simple de lier tout en masse. Pour cela, pendant que je soutiens avec l’index de la main gauche, en forme de crochet, le paquet des nerfs et des vaisseaux hépatiques, je passe au-dessous une forte ligature, à l’aide d’une aiguille de Cooper tenue de la main droite, après quoi un aide serre énergiquement cette ligature.

Le sang qui va au foie se trouve donc ainsi arrêté dans la veine porte et ses ramifications, en même temps qu’il ne peut plus refluer des parties supérieures ; ainsi que cela aurait lieu sans cette précaution, lorsque j’ouvrirai largement le ventre et surtout la poitrine, circonstance qui pourrait ramener dans la veine porte, par reflux, une certaine quantité de sang contenant du sucre provenant alors du foie.

J’ouvre maintenant largement l’abdomen ; vous voyez ici les intestins noirs par la stase du sang qui résulte de la ligature de la veine porte ; les vaisseaux chylifères gorgés de chyle, puisque l’animal est en digestion, se détachent en blanc sur la teinte brune de l’intestin. Je passe aussitôt une ligature autour de la veine cave inférieure, immédiatement au-dessus de l’insertion des veines rénales. Puis ouvrant le diaphragme en avant et du côté de l’appendice xiphoïde, je saisis avec les doigts la partie de la veine cave inférieure située dans le thorax, et j’en fais la ligature entre le foie et le cœur.

Ceci fait, je recueille, par une première incision, le sang de la veine porte, et vous voyez aussitôt les intestins blanchir à mesure que ce sang s’écoule.

Je recueille ensuite le sang des veines hépatiques en ouvrant la veine cave inférieure qui est cernée, comme nous l’avons dit, entre deux ligatures, au point d’abouchement des veines hépatiques.

Nous obtenons donc ainsi le sang qui arrive au foie et le sang qui en sort. Nous traitons ces deux sangs de la même manière : en ajoutant une quantité égale d’eau, puis du charbon animal, nous faisons bouillir et nous jetons sur un filtre pour en extraire la partie liquide décolorée, puis nous essayons ce qui filtre, par le tartrate cupro-potassique, et vous voyez que le sang des veines sus-hépatiques précipite fortement notre réactif, tandis que le sang de la veine porte n’y fait apparaître aucune précipitation.

Il n’existe donc aucune trace de réduction dans le sang de la veine porte avant son entrée dans le foie, et par conséquent aucune trace de sucre, puisque nous savons quelle réactif cupro-potassique donne un caractère négatif absolu. Il y a toujours, au contraire, une réduction abondante dans le sang provenant des veines sus-hépatiques, et de plus, en ajoutant de la levure de bière, nous allons avoir une fermentation.

De ces deux réactions comparatives, nous devons donc conclure que le sucre se forme dans le foie, puisqu’il n’y en a pas dans le sang avant cet organe, et qu’on en trouve de grandes quantités dans le sang après. Nous ajoutons de la levure à ces deux dissolutions, et vous verrez le sang des veines hépatiques seul fermenter.

Enfin, Messieurs, voulons-nous nous assurer que les matières que digérait cet animal ne contiennent elles-mêmes aucune trace de sucre, il nous suffit d’en prendre une certaine quantité et de les jeter sur un filtre avec un peu d’eau. C’est ce qu’on a fait, et nous essayons au réactif cupro-potassique ce qui résulte de la filtration des liquides de l’estomac et de l’intestin grêle. Avec aucun de ces liquides nous n’obtenons réduction ; par conséquent il n’y a pas de sucre dans le canal intestinal, et nous comprenons facilement dès lors qu’il n’y en ait pas dans le sang de la veine porte, et cependant, je le répète encore, il y en a de très grandes quantités dans le sang qui sort du foie.

En résumé, Messieurs, nous avons établi aujourd’hui qu’il existe du sucre chez tous les animaux, et en second lieu, que ce sucre se forme dans l’organisme, et que c’est dans le foie que cette fonction, indépendante de la nature de l’alimentation, doit être localisée. Dans la prochaine leçon, nous étudierons le mécanisme de cette fonction, nous rechercherons les éléments du sang aux dépens desquels le sucre peut être formé, et quelles sont les circonstances physiologiques qui président à sa formation, circonstances importantes à déterminer pour arriver finalement à l’analyse pathologique que nous avons toujours en vue.

Quatrième leçon

6 janvier 1855.

SOMMAIRE : L’expérience force à conclure que le sucre se forme dans le foie. — Réfutation d’une prétendue localisation de la matière sucrée. — Le sucre existe dans le foie avant toute espèce d’alimentation. — La fonction glycogénique ne commence qu’à une certaine période de la vie intra-utérine. — Le sucre ne saurait se conserver longtemps dans le foie ; cette matière disparaît bientôt quand on empêche le foie d’en produire. — La quantité de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l’alimentation. — Il y a deux sécrétion à dans le foie, la sécrétion biliaire et la sécrétion du sucre. — Ces deux sécrétions ne sont pas synchroniques ; elles semblent être indépendantes l’une de l’autre. — L’anatomie comparée paraît appuyer cette vue. Chez les Limaces, les deux sécrétions sont successives. — Chez les Articulés., les éléments anatomiques sécréteurs semblent distincts. Chez les Mammifères, les éléments anatomiques sont confondus et mélangés. — Idée générale de la structure du foie chez les Mammifères.

Messieurs,

Dans la dernière séance, nous ayons établi ce fait fondamental dans l’histoire du diabète, que le sucre qui se trouve normalement dans le foie de l’homme, et de tous les animaux s’y forme sur place, et ne peut pas être considéré comme le résultat de l’alimentation.

Vous avez vu que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, tandis que le sang qui en sort en présente des quantités considérables.

Chez un animal carnivore, cette expérience réussit constamment et avec des résultats invariables, pourvu qu’on ait soin de s’entourer des précautions que nous avons indiquées et d’empêcher le mélange des divers liquides sanguins, en liant la veine porte avant d’ouvrir largement le thorax et l’abdomen.

 

Fig. 3. D, duodénum et masse intestinale ; P, pancréas ; r, rate ; e, estomac ; f, rectum ; R, rein droit ; B, vésicule biliaire ; ch, conduit cystique ; FF, foie ; F, lobe du foie échancré pour montrer la distribution de la veine porte qui porte le sang dans le foie, et de la veine hépatique qui le ramène ; VP, veine porte contenant du sang non sucré ; Vh, veine hépatique contenant du sang très sucré ; d, diaphragme ; VC, veine cave ; C, cœur.

 

La fig. 3 représente la topographie anatomique excessivement simple de cette production du sucre dans le foie chez un chien qui avait été mis à jeun pendant vingt-quatre heures, mais qui, au moment de sa mort, était depuis trois heures en digestion de viande. Les lettres D, P, r, e indiquent l’ensemble des organes digestifs, savoir : le duodénum et la masse intestinale D, le pancréas, P, la rate r et l’estomac e. Le contenu de l’estomac et de l’intestin consiste en fragments de tête de mouton cuits que l’animal avait mangés, on n’y trouve pas les moindres traces de matière sucrée. — Il n’est pas étonnant que le sang pris dans les rameaux V′, P′, et le tronc V, P, de la veine porte, venant des organes digestifs, ne renferme pas de sucre. Ce sang, circulant dans une direction ascendante, pénètre dans le foie par deux branches principales ; il ne contient à ce moment aucune trace de sucre. Mais il n’en est plus de même quand le sang de la veine porte, après s’être répandu dans tout le foie à l’aide des divisions et subdivisions, traverse les capillaires, et est repris par les veines hépatiques Vh, Vh ; alors le sang est chargé de sucre, de sorte que l’on a, en VP, un sang dépourvu de sucre, et en Vh, le même sang surchargé de sucre qui alors se déverse dans la veine cave inférieure et remonte vers le cœur où il se mélange avec le sang veineux de toutes les parties du corps.

Cette expérience suffirait à elle seule pour faire admettre, comme conclusion naturelle et nécessaire des faits, que le sucre se produit dans le foie. Cependant nous avons accumulé des preuves de toute espèce autour de cette proposition, et nous vous avons fait voir que le tissu hépatique était constamment sucré, et qu’il était le seul des tissus du corps qui offrît ce caractère.

Cette découverte de la production du sucre dans le foie doit changer nécessairement les idées que l’on s’était faites jusqu’ici sur la nature du diabète, fondées sur la croyance que le sucre qui se rencontre dans l’organisme provient exclusivement de l’alimentation. Cette opinion ne peut plus être soutenue aujourd’hui, depuis que nous avons établi que la matière sucrée se renouvelle constamment dans l’organisme aux dépens des éléments du sang et indépendamment de la nature de l’alimentation. Or, cette fonction glycogénique se trouvant localisée dans le foie, c’est dans cet organe, on le comprend, que nous devons chercher à placer maintenant-le siège de la maladie.

La présence du sucre dans le foie d’animaux actuellement, et même depuis longtemps soumis à un régime dépourvu de matières féculentes ou sucrées, était un fait trop évident et trop facile à constater, ainsi que vous l’avez vu, pour qu’on pût songer à le contredire, mais les théories anciennes ne se résignent pas à disparaître sans avoir épuisé tous leurs moyens de salut. Si le sucre de foie ne provient pas de digestions récentes, a-t-on dit, ne peut-il pas résulter de matières féculentes ou sucrées contenues dans une alimentation antérieure, et qui seraient restées fixées dans le foie, organe, comme on le sait, essentiellement propre à ces sortes de localisations, et ayant la propriété de retenir très longtemps dans son tissu certaines matières minérales ? Quand, en effet, on administre à des animaux certaines préparations métalliques de cuivre, de mercure, d’arsenic, ces métaux se retrouvent en certaine proportion dans le foie, et souvent au bout d’un temps très long. Il en est de même chez les malades qui ont été soumis à une médication cuivreuse, mercurielle ou arsenicale ; ils gardent pendant fort longtemps dans le tissu hépatique des quantités plus ou moins considérables de ces substances. C’est d’après la connaissance de cette propriété du foie pour retenir ces substances minérales, qu’on a voulu induire qu’il aurait aussi celle de garder le sucre pendant un temps plus ou moins considérable, et que les chiens, par exemple, que l’on soumet à l’expérience, ont dû, à une certaine époque, manger du pain, lequel s’est transformé en sucre dans l’intestin et s’est localisé dans le foie, où nous le retrouvons ensuite.

Il est facile, Messieurs, de répondre à ces objections nullement physiologiques faites exclusivement pour sauvegarder certaines idées théoriques ; elles vont tomber d’elles-mêmes devant les faits suivants que nous allons exposer en continuant l’histoire de la fonction glycogénique du foie.

Et d’abord le sucre existe dans le foie avant toute espèce d’alimentation, lorsque les animaux sont encore dans la période de la vie fœtale.

Vous pouvez constater que des petits poulets pris dans leur coquille présentent du sucre dans leur foie.

Nous avons fait la même observation sur des crécerelles et des chouettes, prises également au sortir de leur coquille, nourries exclusivement de viande, et dont le foie contenait de 1 à 1,50 pour 100 de sucre. Dans ces expériences, il est évidemment impossible d’attribuer à l’alimentation l’origine du sucre dans le foie.

Il en est de même chez les Mammifères. Ainsi vous voyez sur cette table des fœtus de veau à différentes époques de leur développement intra-utérin, et qui arrivent tout frais des abattoirs de Paris ; nous allons vous convaincre que leur foie est également sucré.

On prend un morceau de foie de ce fœtus qui peut avoir de quatre à cinq mois, et dont la longueur est de 60 centimètres. On broie ce tissu hépatique dans un mortier, comme nous le faisons ordinairement, avec une suffisante quantité de noir animal, pour retenir toutes les matières colorantes et albuminoïdes. On y ajoute ensuite de l’eau pour dissoudre la matière sucrée, on jette le tout sur un nitre ; le liquide, comme vous voyez, passe parfaitement limpide. Nous mettons dans un tube parties égales de liquide filtré avec notre réactif cupro-potassique, nous faisons bouillir, et vous voyez les changements de coloration et la précipitation de l’oxyde de cuivre indiquer la présence du sucre. La fermentation avec la levure de bière achèvera la démonstration positive de la présence du sucre ; on obtiendra de l’acide carbonique et de l’alcool.

Mais dans ce cas tout spécial d’un Mammifère herbivore, on pourrait dire, peut-être, que le sucre qui est dans le foie du fœtus vient de la mère, à l’aide des communications utéro-placentaires.

Eh bien ! Messieurs, cette nouvelle objection va disparaître devant un fait nouveau prouvant bien que la production du sucre dans le foie est une véritable fonction, qui ne prend naissance qu’à une certaine époque de la vie intra-utérine. Je viens de vous montrer un fœtus de quatre à cinq mois, dont le foie présentait du sucre ; en voici un autre qui a environ deux mois, et est encore contenu dans une des cornes de l’utérus. Nous divisons les membranes qui l’enveloppent, nous faisons écouler la grande quantité de liquide qui l’entoure, et nous extrayons ce fœtus, en l’essuyant avec soin ; nous séparons son foie avec précaution, sans ouvrir les estomacs que vous voyez ici, et qui, comme cela a lieu toujours, sont remplis d’un liquide légèrement jaune et filant. On prend, comme dans l’expérience précédente, un morceau du foie de ce fœtus, on le traite de la même manière, après quoi on soumet le liquide obtenu au même réactif cupro-potassique, qui reste parfaitement bleu et ne présente aucune trace de précipité. La fermentation avec la levure de bière n’a pas lieu non plus. Par conséquent, nous sommes bien certains qu’il n’existe pas de matière sucrée dans le foie de ce fœtus.

L’absence de sucre dans le foie des fétus jeunes est un des faits les plus importants à constater pour l’histoire de la fonction glycogénique, car cela prouve qu’originairement la matière sucrée n’existe pas dans le foie, et que ce n’est, pour les veaux, que vers le quatrième ou le cinquième mois de la vie intra-utérine que cette matière apparaît dans le tissu hépatique. Ainsi se trouve indiqué le moment de la naissance de la fonction glycogénique. En effet, nous avons fait un grand nombre d’expériences sur des veaux de tout âge qu’on, rencontre en grande abondance dans les abattoirs de Paris, et nous nous sommes assuré que ce n’est qu’à une certaine époque de développement, vers quatre ou cinq mois, que le sucre apparaît dans le foie, d’abord en petite quantité, puis la proportion augmente peu à peu jusqu’au terme de la vie intra-utérine. Chez les fœtus humains, où la gestation est de la même durée que pour les veaux, le même fait a lieu, à savoir, que primitivement le foie est dépourvu de matière sucrée et que cette matière y apparaît, autant que j’ai pu en juger par deux observations, vers le quatrième ou le cinquième mois. Sur des lapins, des chèvres, des moutons, des cochons d’Inde, nous avons constaté encore l’absence de sucre dans les premiers temps de la vie fœtale, et son apparition ensuite à une époque variable en rapport avec les différences de la durée de la gestation. Toutes ces observations concordent pour indiquer que la fonction glycogénique prend naissance pendant la vie intra-utérine et que la matière sucrée augmente à mesure que l’animal approche de la naissance.

Voici, relativement à cette proportion, des expériences faites sur des fœtus d’espèces différentes.

Vous voyez, ainsi que nous l’avons dit, que la proportion du sucre va croissant avec l’âge du fœtus.

Mais, du reste, Messieurs, tout ceci n’est qu’une sorte de digression sur des questions sur lesquelles nous reviendrons plus tard, et dont nous parlons ici seulement en passant, parce que nous avons sous la main des sujets d’expériences qui vous permettent de vous parler de l’origine de la matière sucrée dans le foie, tout en vous démontrant l’impossibilité d’aller chercher dans la mère l’origine de la matière sucrée qu’on prétendrait être venue se localiser dans le foie.

Nous avons encore bien d’autres manières de démontrer que le sucre de foie ne résulte pas d’une localisation des matières sucrées provenant de l’alimentation, et nous ne devons pas craindre de les accumuler, parce que chacune d’elles présente la question physiologique sous un jour nouveau.

Je vous disais tout à l’heure que certaines substances minérales jouissaient de la propriété de se localiser dans le foie et d’y rester presque indéfiniment, de sorte que des mois et même des années après l’emploi de ces substances, on pouvait encore en trouver des traces dans le tissu hépatique.

Mais il ne saurait en être de même pour le sucre de foie, le plus altérable et le plus fermentescible de tous, et qui, à ce titre, ne pouvant rester longtemps dans l’organisme, ne saurait être comparé en aucune façon avec les substances minérales. Loin de séjourner, le sucre se détruit et se renouvelle sans cesse, et ce qui prouve qu’il y a bien une fonction pour le former, c’est qu’on peut le faire disparaître en produisant un trouble dans l’organisme, en faisant, par exemple, mourir lentement un animal, de façon à laisser se consommer peu à peu la quantité de matière sucrée formée dans le foie, tout en l’empêchant d’en produire de nouvelle. On démontre ainsi que le sucre n’existé que quand l’animal est dans l’état physiologique, et que la fonction qui le produit peut s’interrompre et s’anéantir comme toutes les autres.

Voici par exemple un lapin auquel nous avons coupé hier soir les deux nerfs pneumogastriques. L’animal est mort ce matin, c’est-à-dire environ quinze heures après l’opération. Au moment où nous lui avons coupé ses deux pneumogastriques, il se portait parfaitement bien, et il y avait du sucre dans son foie, comme cela a lieu constamment. En coupant ces nerfs, nous avons arrêté dans cet organe la production du sucre, et entre le moment de l’opération et la mort de l’animal, la quantité de sucre qui avait été antérieurement formée a eu le temps de se détruire. Nous ne devons plus en trouver la moindre trace, bien que l’animal fût en pleine digestion de matières végétales au moment de la section des nerfs. C’est même une circonstance défavorable pour le succès de l’expérience, puisque ces substances ont pu apporter une quantité plus considérable de sucre ajoutée à celle qui se forme normalement. Nous ouvrons l’abdomen de ce lapin, nous prenons un morceau de son foie, nous le traitons par les procédés précédemment indiqués, et vous voyez que, par l’ébullition du liquide provenant du traitement, avec le réactif cupro-potassique, il n’y a ni décoloration ni précipité.

Le sucre a donc disparu, parce que, sous l’influence d’une modification imprimée à la fonction glycogénique, il a cessé de se former.

Pendant les maladies graves et surtout aiguës, lorsque les fonctions nutritives sont profondément troublées, la fonction du foie elle-même s’arrête, et il ne se produit plus de sucre, aussi n’en trouve-t-on jamais sur les cadavres apportés dans les amphithéâtres et qui ont succombé à des maladies graves. Cependant, nous devons dire que, si la mort a été assez rapide pour que les facultés nutritives n’aient été suspendues que peu de temps, il reste encore du sucre dans le foie. C’est ainsi que nous en avons trouvé chez quelques phtisiques, morts à la suite d’une courte agonie, et chez les diabétiques emportés presque subitement par des engorgements pulmonaires. J’en ai également rencontré chez des individus morts en quelques heures, à la suite d’un empoisonnement par l’arsenic. Il y aurait une étude intéressante à faire pour rechercher s’il existe des maladies qui respectent plus spécialement cette formation du sucre dans le foie. Ce serait même une manière de reconnaître si un individu ou un animal ont succombé à la suite d’une longue maladie, ou sont morts subitement. Dans le premier cas, on ne trouvera plus de sucre dans le foie, tandis qu’il y en aura toujours dans le second, comme cela arrive chez les animaux de boucherie qui ont été tués dans un état de santé parfaite. Le goût sucré d’ailleurs d’un foie provenant d’un animal sain ou malade suffit pour établir une différence dans sa composition sucrée.

Ainsi, non seulement le sucre hépatique ne provient pas d’une alimentation antérieure, dont la matière sucrée aurait été depuis plus ou moins longtemps retenue dans le foie comme les substances minérales auxquelles il est impossible de l’assimiler ; mais nous allons vous faire voir que la quantité de sucre ne dépend pas de la nature actuelle de l’alimentation, car la quantité de sucre que l’on rencontre dans le tissu hépatique ne varie pas sensiblement, soit qu’on soumette un animal à une alimentation exclusivement animale, soit qu’on y introduise des substances féculentes, soit même qu’il ne mange que des substances féculentes seules. Cela ressortira clairement des expériences suivantes, qui, pour être plus comparables, ont été faites sur des animaux de même espèce, sur des chiens, dans les conditions normales de santé.

 

Tous ces animaux ont été sacrifiés, autant que possible, à la même période digestive. Vous voyez donc que, à l’état physiologique, l’addition des matières sucrées et féculentes n’a pas sensiblement modifié la quantité de sucre contenue dans le tissu du foie, car les différences observées uniquement dans les fractions ne sont à l’avantage d’aucune espèce d’alimentation. Il n’y a donc pas de rapport direct entre la nature des aliments et la quantité de sucre contenue dans le foie. La production de cette substance est une fonction indépendante de ces circonstances extérieures dont nous devons cependant établir les conditions physiologiques pour interpréter les variations qu’elles peuvent apporter à l’état pathologique, et les effets qui peuvent en résulter.

Pour comprendre cette fonction hépatique et nous rendre compte de la manière dont elle peut s’effectuer, revenons à notre expérience fondamentale, dans laquelle nous avons montré que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, tandis qu’on en trouve toujours dans le sang qui en sort. La fonction glycogénique se trouve donc-ainsi limitée dans le tissu du foie, et nous sommes conduits à chercher le mécanisme de cette fonction dans les modifications que le sang subit dans les capillaires en se mettant en contact avec le tissu élémentaire ou les cellules hépatiques.

Le foie est un organe glandulaire considérable qui ; chez tous les vertébrés, forme une sorte de barrière entre le système circulatoire digestif et le système circulatoire général. La veine porte charrie dans le foie une quantité considérable de sang qui, à chaque période digestive, y arrive chargé des matériaux nutritifs rendus solubles par la digestion. C’est alors, sous l’influence du tissu hépatique animé par le système nerveux, que les éléments de ce sang éprouvent des métamorphoses en vertu desquelles ils servent, d’une part, à la production du sucre qui est emporté par les veines hépatiques, et d’autre part à la formation de la bile qui est excrétée par les voies biliaires.

Le système afférent est donc formé par la veine porte, et le système efférent par les veines sus-hépatiques. Il y a en outre des vaisseaux lymphatiques et l’artère hépatique, mais celle-ci est considérée comme n’ayant aucune influence sur les fonctions de l’organe, parce que la sécrétion de la bile n’éprouve, par suite de la ligature, que très peu de modifications : nous verrons plus tard s’il en est de même pour le sucre. Toutefois l’artère hépatique contribue à la nutrition propre du foie.

Il faut maintenant, pour comprendre la fonction que nous voulons étudier, c’est-à-dire la formation du sucre qui a lieu aux dépens des éléments du sang qui entre dans le foie, que nous nous fassions une idée claire de l’arrangement anatomique des éléments du tissu hépatique et de la manière dont ils peuvent agir pour donner lieu à une matière sucrée.

Vous verrez bientôt, Messieurs, que cette fonction en vertu de laquelle le sang se modifie dans le foie, constitue une véritable sécrétion, analogue à toutes les autres sécrétions de l’économie, à celle de la bile, par exemple, de sorte qu’il résulte de là que le foie n’est pas un organe simple, mais un organe à fonctions multiples, puisqu’il sécrète d’une part du sucre, de l’autre de la bile.

On ne connaissait jusqu’à présent que cette dernière sécrétion. Mais il paraissait étrange qu’un organe si volumineux, qui apparaît de si bonne heure dans le fœtus, qui semble si indispensable à la vie de l’animal, puisqu’on le rencontre depuis les Invertébrés jusqu’à l’homme, n’eût d’autre fonction que de sécréter une petite quantité de liquide biliaire évidemment peu en rapport avec son volume. Et encore certains physiologistes refusaient-ils à ce liquide toute participation efficace dans l’acte de la digestion, si bien que la glande la plus volumineuse de l’économie, et certainement l’une des plus constantes dans toute la série animale, se trouvait réduite à un rôle presque nul. Il n’y a plus de doute aujourd’hui, depuis que nous l’avons établi, que l’on ignorait une des plus importantes fonctions du foie, celle par laquelle il concourt d’une manière puissante à la vie de nutrition au moyen de la production du sucre.

Actuellement, Messieurs, il s’agit pour nous, s’il est possible, d’étudier séparément ces deux sécrétions, de voir si chacune d’elles se localise ou non dans des éléments anatomiques distincts, et de chercher, par l’observation expérimentale aussi bien que par l’anatomie comparée, à éclaircir ce point difficile de l’organisme vivant.

On s’est fait pendant longtemps une très fausse idée de ce qu’est un organe sécréteur. On pensait que toute sécrétion devait être versée sur une surface interne ou externe, et que tout organe sécrétoire devait nécessairement être pourvu d’un conduit excréteur destiné à porter au dehors les produits de la sécrétion.

L’histoire du foie établit maintenant d’une manière très nette qu’il y a des sécrétions internes, c’est-à-dire des sécrétions dont le produit, au lieu d’être déversé à l’extérieur est transmis directement dans le sang. En effet, dans l’état physiologique on ne trouve jamais le sucre hépatique en dehors du système circulatoire. Quant à la bile, elle n’en présente jamais les moindres traces.

Voici donc une glande qui donne naissance à deux produits : le sucre qui entre dans le sang, et la bile qui est rejetée au dehors. Quelle relation y a-t-il entre ces deux sécrétions ? Sont-ce deux phénomènes concomitants, en rapport l’un avec l’autre, ou n’ont-ils ensemble aucune liaison ? Peut-on admettre, par exemple, que les matières albuminoïdes du sang, en arrivant au contact des cellules hépatiques, se dédoublent en deux produits, l’un hydrocarboné qui serait le sucre, l’autre azoté qui serait la bile ? S’il en était ainsi, ces deux productions devraient se faire simultanément, mais l’expérience semblerait indiquer que le sucre ne se forme pas au même moment que la bile, et qu’il y a, en quelque sorte, alternance entre ces deux formations, de telle façon que l’une semble s’arrêter au moment de la plus grande intensité de l’autre.

Et d’abord, quand on veut suivre sur un animal le phénomène de la sécrétion biliaire, il faut pratiquer une fistule comme nous allons faire sur le chien que vous voyez ici, et pour cela on opère de la manière suivante :

L’animal, à jeun depuis vingt-quatre heures, est placé sur le dos : nous faisons une incision de 7 à 8 centimètres sur le côté droit de l’appendice xiphoïde, sur le bord interne du muscle droit, nous divisions successivement la peau et les muscles, et nous arrivons dans la cavité du péritoine. Nous plongeons le doigt indicateur de la main gauche dans la plaie, et nous allons à la face inférieure du foie accrocher avec le doigt recourbé l’extrémité supérieure du duodénum, que nous amenons dans la plaie : maintenant sur la face droite de l’intestin, entre cet organe et le pancréas, nous cherchons le conduit cholédoque qui est contenu dans un paquet commun avec la veine porte, l’artère et les nerfs hépatiques. Nous apercevons le canal cholédoque superficiellement placé dans le point où il vient s’insérer obliquement dans l’intestin, à 3 centimètres environ au-dessous du pylore ; nous reconnaissons ce conduit à son aspect nacré. Nous l’isolons en passant au-dessous de lui une sonde cannelée sur une longueur de 1 centimètre à 1 centimètre 1/2, puis nous plaçons autour de lui deux ligatures, l’une sur le conduit au moment où il pénètre dans la paroi de l’intestin, l’autre aussi haut que possible du côté du foie, et nous réséquons toute la partie du conduit comprise entre ces deux fils. Cette dernière ligature, placée du côté du foie, a pour but d’empêcher l’écoulement ultérieur de la bile ; l’autre, celle du côté de l’intestin, pourrait paraître sans utilité : cependant elle sert à empêcher l’écoulement du sang qui résulterait de la division d’une petite artériole qui accompagne ordinairement ce conduit.

Ce premier temps étant achevé, nous abandonnons l’intestin, qui revient à sa position naturelle, et nous coupons les fils des ligatures ; puis, avec l’index de la main gauche introduit de nouveau dans la plaie, nous allons chercher la vésicule distendue par la bile, et, quand nous sentons sa fluctuation particulière, nous la saisissons par son fond avec une pince à pansement introduite avec la main droite, et nous l’attirons vers la plaie. Nous introduisons dans son fond un trocart présentant à l’extrémité de sa canule des rainures transversales, sur lequel nous fixons une forte ligature portée au-dessous des mors de la pince à pansement qui maintiennent toujours la vésicule attirée vers la plaie.

Maintenant nous tirons le mandrin du trocart, et nous évacuons au dehors la bile contenue dans la vésicule ; nous recousons la plaie en réunissant d’abord les muscles, et ensuite la peau, en assujettissant la canule du trocart dans l’angle supérieur de la plaie. Nous attirons en même temps la vésicule du fiel vers les parois de l’abdomen ; un aide la maintient dans cette position en nouant sur un petit morceau de bois les fils qui ont servi à fixer la vésicule sur la canule du trocart, et cela afin qu’il se forme des adhérences entre les parois de l’abdomen et la vésicule. Maintenant l’expérience est terminée.

Au bout de trois ou quatre jours, les adhérences seront établies, les fils tomberont, et nous aurons une fistule permanente.

L’animal survit en général à cette opération. On comprend maintenant que la bile ne peut plus être versée dans l’intestin et qu’elle s’échappera de la vésicule au fur et à mesure qu’elle se produira. La vésicule, n’étant plus alors distendue par l’accumulation de la sécrétion biliaire dans l’intervalle des digestions, revient peu à peu sur elle-même ; elle se transforme en une espèce de canal excréteur qui s’ouvre au dehors par la plaie que l’on a pratiquée et qui reste fistuleuse sur ce point. Voici alors ce qu’on observe quand on fait manger l’animal. Au moment de l’ingestion des aliments et pendant tout le temps que dure la digestion, la bile n’est sécrétée qu’en très petite quantité. Ce n’est qu’environ sept heures après le repas, c’est-à-dire quand le travail digestif est complétement achevé, qu’on voit la bile couler en très grande abondance par la fistule. Si l’animal n’avait pas eu la vésicule ouverte, cette bile, au lieu de couler dans l’intestin, se serait accumulée dans la vésicule, et s’y serait mise en réserve pour la digestion suivante, et ce n’est qu’alors qu’elle aurait été évacuée dans l’intestin. Ainsi, la bile qui arrive dans le duodénum au moment de la digestion n’est pas sécrétée au moment même ; elle a été formée antérieurement et mise en réserve dans la vésicule.

Chez les animaux qui n’ont pas de vésicule, chez le cheval, par exemple, le canal cholédoque est pourvu d’un sphincter très résistant à son ouverture duodénale ; le canal cholédoque se dilate pendant l’accumulation de la bile, et fait alors l’office de réservoir.

Ces faits avaient déjà été constatés par divers observateurs, et l’on savait très bien que, quand on fait jeûner les animaux, on trouve constamment chez eux la vésicule distendue par la bile.

Nous verrons plus tard que le sucre, au contraire, se montre en plus forte proportion environ trois ou quatre heures après l’ingestion des aliments, c’est-à-dire au moment où la digestion intestinale est en pleine activité.

Mais cette indépendance des deux sécrétions du foie, celle de la bile et celle du sucre, apparaît d’une manière bien plus nette quand on suit les phénomènes de la digestion chez les animaux des classes inférieures, chez des Mollusques par exemple. Nous avons fait de nombreuses expériences sur des limaces grises (Limax flava), prises dans les regards des conduits d’eau du Collège de France, et se nourrissant presque-exclusivement de cloportes et de larves, par conséquent de matières animales. Nous avons constamment trouvé du sucre dans leur foie.

Nous avons de plus suivi, chez ces animaux, l’ordre de succession des phénomènes digestifs. Voici le résultat de nos observations :

Quand on examine l’estomac et les intestins des limaces grises qui sont à jeun depuis longtemps, on y constate la présence d’une certaine quantité de bile très brune, ne renfermant aucune trace de matière sucrée. Si alors ces animaux viennent à introduire dans leur estomac des substances alimentaires, il se fait une sécrétion de suc gastrique acide qui se mélange avec les aliments, dans lesquels on ne constate pas encore les réactions caractéristiques du sucre. Ce n’est qu’au moment où la digestion intestinale s’effectue, et lorsque les aliments sont à peu près complètement descendus de l’estomac dans l’intestin, qu’un liquide sucré et incolore arrive dans la cavité stomacale par le conduit cholédoque inséré, près du pylore, vers l’extrémité inférieure de l’estomac. À mesure que l’absorption intestinale devient plus active et plus complète, la sécrétion de ce liquide sucré dans le foie devient plus abondante, de telle sorte que bientôt l’estomac s’en trouve rempli et distendu. La sécrétion du fluide sucré et son déversement dans l’estomac succèdent, comme on le voit, à la digestion stomacale proprement dite, et coïncident avec la période de l’absorption intestinale. Le liquide remplit alors le conduit cholédoque, qui communique largement avec l’estomac, et il se trouve refoulé par la distension de l’estomac jusque dans le foie lui-même, qui subit alors une sorte de dilatation générale très remarquable et très visible.

Bientôt la plénitude de l’estomac, du canal cholédoque et du foie diminue, par suite de l’absorption de ce liquide. Cette absorption paraît se faire spécialement dans l’estomac, où la sécrétion sucrée s’accumule sans qu’il semble en passer des quantités notables dans l’intestin.

Lorsque l’absorption de ce liquide sucré incolore est à peu près terminée, on voit apparaître une autre sécrétion provenant également du foie, mais offrant des propriétés et des caractères tout à fait analogues à ceux du fluide biliaire. En effet, au moment de cette deuxième sécrétion, le liquide qui coule par le conduit cholédoque devient graduellement de moins en moins sucré et de plus en plus coloré, au point de n’être plus, vers la fin de la digestion, qu’un liquide biliaire pur, dépourvu de sucre, et ressemblant à celui que nous avons signalé dans le canal intestinal des limaces à jeun. Alors la turgescence du foie a disparu et son volume diminué. Cette bile noire, sécrétée en dernier lieu, ne paraît pas être absorbée sensiblement ; elle séjourne dans l’intestin, et on l’y retrouve encore plus ou moins épaissie et avec sa couleur brune, à l’époque de la digestion suivante, qui donne lieu de nouveau à la série des phénomènes que je viens de vous indiquer sommairement.

Ainsi, Messieurs, chez les limaces, il y a deux sécrétions hépatiques distinctes, celle du sucre-et celle de la bile. Leur production et leur déversement dans l’estomac constituent deux phénomènes successifs. Il y a donc là une séparation physiologique des deux fonctions du foie. Mais les organes formateurs de chacune d’elles restent encore confondus dans le même tissu.

C’est chez les Articulés, et en particulier chez les Insectes, que la distinction anatomique des deux portions du foie, l’une destinée à la production de la bile, l’autre servant à la sécrétion du sucre, semble se trouver naturellement instituée de la manière la plus nette.

Dans tous les Insectes, soit ailés, soit à l’état de larves (à l’exception des pucerons et des kermès), on trouve, à la terminaison du ventricule chylifique ou estomac, un plus ou moins grand nombre de vaisseaux presque toujours simples, fort déliés, capillaires, lisses ou boursouflés, variqueux, tantôt très longs et reployés au milieu des viscères., tantôt courts, mais alors plus multipliés. Ces appendices tubulaires, terminés en cœcums, sont, d’après M. Léon Dufour, des conduits biliaires, ou les représentants du foie chez les Insectes. Suivant cet auteur, ces tubes renferment un liquide vert, ou jaune, ou brun, ou violet, ou blanc, ou incolore, d’une saveur amère comme la bile.

Bien que les fonctions de ces organes aient été plus ou moins contestées par divers zoologistes, ce qu’il y a de certain, c’est que nous nous sommes assuré qu’ils ne représentent pas l’élément sucré du foie, car, en ayant réuni un certain nombre et les ayant fait bouillir avec du liquide cupro-potassique, il ne s’est manifesté aucune trace de réduction dans le liquide, à l’œil nu ni même au microscope.

Mais indépendamment de ces organes, on rencontre, dans les parois mêmes de l’intestin des Insectes, des cellules parfaitement analogues aux cellules du foie des Vertébrés, et si l’on prend le liquide qui humecte les parois intestinales, et qu’on le traite par le liquide cypro-potassique, on trouve qu’il le réduit. Il y aurait donc chez les Mollusques une séparation physiologique bien évidente des deux fonctions du foie, comme il y aurait chez les insectes une distinction anatomique entre ses éléments.

Chez l’homme et les Vertébrés, ces deux fonctions sont également physiologiquement distinctes, ainsi que je vous l’ai dit, mais la question anatomique qui consiste à localiser chacune d’elles dans des éléments spéciaux est beaucoup plus obscure, et l’on ne peut guère faire encore à ce sujet que des hypothèses plus ou moins plausibles, motivées sur la structure particulière de l’organe et la distribution de ses cellules et de ses vaisseaux, hypothèses qui peuvent seulement guider dans les recherches que l’on fera à ce sujet, pour les juger en définitive par des expériences directes.

Les parties anatomiques constitutives du foie sont, chez l’homme et les animaux vertébrés, des cellules groupées les unes à côté des autres, de manière à constituer par leur masse un lobule parfaitement visible chez certains animaux, tels que chez le cochon, et moins évident chez d’autres, et chez l’homme en particulier. Dans le centre de cette agglomération de cellules ou de ce lobule, prend naissance la veine hépatique ; à sa périphérie se distribuent les ramifications de la veine porte ainsi que les conduits biliaires. Ces derniers, par une disposition exceptionnelle, se terminent librement à la périphérie des lobules, sans que l’on puisse établir exactement le genre de rapport qui existe entre eux et les cellules hépatiques.

Avant qu’on connût la formation du sucre dans le foie, on avait cherché à mettre en harmonie sa structure anatomique uniquement avec la sécrétion et l’excrétion de la bile. Kölliker admettait que la bile commence d’abord à être sécrétée dans le centre du lobule qui contient le plus de sang, et qu’elle était ensuite amenée à sa périphérie vers l’embouchure des conduits biliaires, en passant successivement par une sorte d’endosmose de cellules en cellules.

Si l’on voulait émettre une hypothèse analogue, relativement à la formation du sucre, il faudrait faire marcher ce produit d’une manière inverse à la bile, c’est-à-dire de la périphérie vers le centre du lobule hépatique, pour pouvoir ainsi rester d’accord avec le fait anatomique qui montre le conduit excréteur de la matière sucrée, la veine hépatique, placée au centre du lobule. Il resterait ensuite à déterminer comment les nerfs interviennent pour faire marcher ces deux sécrétions en sens inverse.

Toutes ces questions, qui touchent aux phénomènes les plus intimes de la fonction glycogénique, seront examinées dans un autre lieu. Pour aujourd’hui, il nous suffit d’avoir montré que le foie est un organe complexe dans lequel nous reconnaissons déjà deux actes physiologiques et dans lequel il s’en accomplit encore d’autres sans doute que nous ignorons.

Cinquième leçon

9 janvier 1855.

SOMMAIRE : Il y a deux sécrétions dans le foie, l’une externe, celle de la bile ; l’autre interne, celle du sucre. — Le sucre est un produit de sécrétion et non d’excrétion. — Il ne sort pas du sang à l’état physiologique, et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. — Expériences contradictoires à ce sujet, causes d’erreurs. — Distribution de la matière sucrée dans l’organisme par le foie. — Dans l’abstinence le sang n’est sucré que du foie au poumon ; pendant la digestion, le sucre passe dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou excrétion. — Ce sont les oscillations de la fonction sécrétoire du sucre qui sont proportionnelles à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces oscillations physiologiques se retrouvent chez les diabétiques. — Schème représentant ces oscillations à l’état normal et pathologique. — Expériences sur le sang pris dans différents vaisseaux, chez des chiens à jeun et en digestion, pour prouver cette oscillation de la fonction glycogénique. — Le sang qui arrive par la veine cave inférieure, dans le cœur droit est toujours sucré ; cathétérisme du cœur droit.

Messieurs,

Il doit être maintenant bien établi pour vous qu’il y a dans le foie deux fonctions de la nature des sécrétions. L’une, sécrétion externe, produit la bile qui s’écoule au dehors ; l’autre, sécrétion interne, forme le sucre qui entre immédiatement dans le sang de la circulation générale. Nous avons dit aussi que ces deux substances, la bile et le sucre, ne paraissaient pas être le résultat d’un même dédoublement chimique, de matières contenues dans le sang amené par la veine porte, parce que les formations biliaire et sucrée n’ont pas lieu au même moment ; et des observations d’anatomie et de physiologie comparées nous ont porté à conclure qu’il devait y avoir dans le foie des animaux vertébrés, comme dans celui des Insectes, où cette séparation semble nettement établie, des cellules organiques distinctes pour la sécrétion de chacun de ces produits, la bile et le sucre.

Comme toutes les sécrétions, celle du sucre ne présente pas une marche uniforme ; elle oscille constamment entre certaines limites dans l’état physiologique ; elle varie suivant les excitations reçues, soit de l’extérieur, soit de l’intérieur, et nous savons qu’il en est de même de toutes les autres sécrétions, salivaire, gastrique, biliaire, pancréatique, lacrymale, etc., qui n’ont point une intensité constante, qui peuvent même cesser complètement pendant un certain temps, comme la sécrétion gastrique et pancréatique pendant l’abstinence, pour reprendre ensuite leurs cours dans d’autres moments. Nous aurons donc à étudier cette marche de la fonction glycogénique en rapport avec les diverses influences qui peuvent s’exercer sur elle, à déterminer dans quels cas elle augmente et dans quels cas elle diminue, pour arriver ensuite à montrer comment, sous certaines conditions morbides, elle peut s’exagérer pour donner naissance à la maladie diabétique que nous avons toujours en vue.

Mais auparavant, nous croyons devoir nous occuper du produit sécrété, le sucre, pour chercher ce qu’il devient dans l’organisme, et quel rôle il a à y remplir. Et ce sera là une nouvelle preuve que nous avons réellement affaire à un produit de sécrétion dont le caractère est d’être formé par une glande, d’avoir un usage dans l’accomplissement d’un acte vital et de ne jamais sortir au dehors sans avoir été préalablement modifié, dédoublé, décomposé par l’exercice même de sa fonction. Le sucre, en effet, en tant que produit de sécrétion, ne sort jamais de l’économie en nature dans l’état physiologique. Il n’apparaît ni dans les sécrétions ni dans les excrétions. Voici de la salive que nous avons recueillie sur ce chien qui vient d’être sacrifié, elle ne renferme pas de traces de matière sucrée ; nous prenons actuellement l’urine dans la vessie chez ce même animal, nous n’y trouvons pas de sucre. La bile elle-même qui sort du foie rempli de sucre n’en contient jamais. Voici, par exemple, de la bile que nous venons d’extraire de l’animal auquel nous avons fait une fistule biliaire et que nous vous avons déjà montré dans la dernière séance. Nous la décolorons par les moyens ordinaires, nous la traitons par notre réactif cupro-potassique ; vous voyez qu’elle ne le réduit pas.

Cependant certains observateurs ont prétendu que la bile contenait du sucre. Voilà donc une assertion contradictoire à l’expérience que nous venons de faire devant vous. Mais nous vous avons déjà dit que deux faits bien observés ne sauraient se contredire, que leur antagonisme ne pouvait jamais être qu’apparent, et que, pour les ramener tous deux à leur véritable valeur, il suffisait d’une analyse plus exacte des conditions dans lesquelles on les avait observés.

En effet, Messieurs, si sur un animal tué en état de santé, vous examinez la bile contenue dans la vésicule aussitôt après la mort, vous n’y trouverez pas de sucre, pas plus que dans la bile prise sur notre chien vivant portant une fistule biliaire. Mais si l’on y recherche le sucre un ou deux jours après sa mort, lorsque la bile est restée dans la vésicule en contact avec le tissu du foie, déjà même le lendemain de la mort de l’animal on y trouvera du sucre en quantité notable. Que s’est-il passé là ? Il y a tout simplement eu endosmose du sucre du tissu du foie dans la vésicule de la bile. Et c’est là un fait facile à comprendre, parce que le sucre est une des substances dont le pouvoir endosmotique est considérable et qui passe le plus aisément à travers les membranes.

 

Fig. 4.

 

Ainsi que le représente la figure 4, on peut reproduire ce phénomène en prenant, sur un animal récemment mis à mort, la vésicule du fiel B remplie de bile, et en la plongeant dans du sang ou un autre liquide sucré après avoir lié son col sur un tube de verre et avoir fait ainsi une sorte d’endosmomètre. On constate bientôt après le contact qu’il y a eu endosmose : le sucre est passé le premier dans la bile, et le liquide est monté jusqu’en C dans le tube de verre ; réciproquement la bile passe ensuite au dehors et colore le liquide environnant A. Il est intéressant de remarquer que ce phénomène n’a lieu qu’après la mort. Pendant la vie, il y a des conditions qui, ainsi que nous le verrons plus tard, empêchent de semblables effets de se produire à travers les membranes.

Vous voyez donc, Messieurs, par ce simple fait, combien il importe, pour répéter des expériences physiologiques, de se placer toujours exactement dans des conditions identiques, et combien la circonstance la plus minime en apparence peut influer sur la certitude des résultats. Les observations sur les phénomènes vitaux peuvent être aussi concordantes que les expériences les mieux établies que nous présentent la physique et la chimie, mais sous la condition d’être répétées dans les mêmes circonstances. Nous aurons encore bien d’autres occasions de vous faire la même remarque.

Ainsi aucune sécrétion ne contient du sucre à l’état physiologique, ni la bile, ni la salive, ni l’urine, ni les larmes. La substance sucrée reste dans l’organisme, il faut dès lors qu’elle serve à quelque chose. Et comme, d’un autre côté, elle ne se trouve pas dans le sang de la plupart des vaisseaux en proportion égale, bien qu’il s’en produise des quantités assez considérables, il faut qu’elle se détruise quelque part. Nous connaissons son lieu d’origine qui est le foie, nous devons chercher maintenant le point où elle disparaît, de façon à comprendre l’ensemble du phénomène en le tenant, pour ainsi dire, par les deux bouts, avant d’étudier les variations intermédiaires. Puisqu’il se forme incessamment du sucre, et que, d’un autre côté, il n’en sort point au dehors, il faut bien que, dans l’état physiologique, il y ait un équilibre parfait entre la formation et la destruction. Car si cet équilibre était un instant rompu, si la sécrétion prédominait par exemple sur la destruction, ce qui peut avoir lieu de plusieurs manières, l’organisme, rapidement saturé de matières sucrées, s’en débarrasserait par les voies d’excrétion naturelles, phénomène que nous avons dit constituer le diabète.

Étudions donc d’abord la marche du sucre, à partir de son point d’origine.

Sécrété par les cellules du foie, le sucre passe avec le sang des capillaires dans les veines sus-hépatiques, et de là dans la veine cave inférieure. C’est au point d’abouchement dans ce dernier vaisseau que le sang est le plus sucré. Là, il se mélange avec le sang qui arrive des parties inférieures du corps, et est conduit dans l’oreillette droite, où le sucre subit une nouvelle, dilution par suite de son mélange avec le sang veineux provenant de la veine cave supérieure. De l’oreillette droite, le sang passe dans le ventricule, qui l’envoie au poumon. Dans tout le trajet du foie au poumon, le sang est constamment sucré, mais dans des proportions très inégales et d’autant plus faibles qu’il s’éloigne davantage de son point de départ. Arrivé au poumon, le sucre, mis au contact de l’air et mêlé à toute la masse du sang, peut quelquefois disparaître complètement.

Ces deux organes, le foie et le poumon, semblent donc être alors, vis-à-vis de la matière sucrée, dans un rapport exactement inverse. Chez un animal à jeun, par exemple, le sang qui arrive au foie ne contient aucune trace de sucre, le sang qui en sort en présente des quantités considérables. Inversement, le sang qui arrive au poumon contient du sucre, et celui qui en sort n’en présente plus de traces. Le sucre, dans cet état physiologique, reste entre le foie et le poumon profondément caché, et ne se montre pas à l’extérieur. C’est ce qui fait qu’on a été si longtemps à découvrir l’existence et la formation fonctionnelle de cette matière dans l’animal. L’analyse du sang tiré des veines superficielles, et qu’on a répétée mille fois, ne pouvait donc le déceler dans ces conditions.

Cependant quand on entre plus profondément dans l’analyse du phénomène de la distribution du sucre, et qu’on étudie, d’une manière plus spéciale, les circonstances dans lesquelles il s’opère, on s’aperçoit qu’il faut apporter une restriction dans l’expression de ce fait général que le sucre ne se trouve jamais qu’entre le foie et le poumon.

Quand on prend un animal, carnassier par exemple, à jeun, ou dans l’intervalle qui sépare deux digestions, on trouve, en général, ce que nous avons dit tout à l’heure, c’est-à-dire jamais de sucre en deçà du foie, ni au-delà du poumon. Le sucre se produit dans le premier de ces organes, et il disparaît dans le second. Mais il y a des instants, bien que toujours physiologiques, où les choses ne se passent pas complétement ainsi.

Vous savez que toute sécrétion peut augmenter dans certains moments, suivant la quantité de sang qui arrive, ou suivant une excitation plus forte du système nerveux. Le foie est soumis également à ces mêmes influences, sa sécrétion continuelle dans l’état physiologique devient beaucoup plus considérable pendant les digestions ; la production de sucre s’augmente dans ces moments, pour s’abaisser dans les intervalles digestifs.

Entre les repas, la quantité de sucre qui sort du foie est telle, que le sang des veines sus-hépatiques en présente environ en nombre rond une proportion de 1 pour 100, mais quand le sang arrive dans l’oreillette droite, mélangé avec tout le reste du sang veineux du corps, la proportion du sucre est venue beaucoup plus faible.

C’est dans cet état de dilution que le sucre arrive au poumon, et dans ces conditions, il y est complétement détruit, c’est-à-dire qu’il disparaît aux réactifs qui le décelaient avant.

Mais au moment de la digestion, le foie, qui se trouve placé entre le système circulatoire intestinal et le système circulatoire général, au lieu de ne recevoir que le sang provenant des artères mésentériques, reçoit, en outre, toutes les matières solubles absorbées par les capillaires de la veine porte, c’est-à-dire, en définitive, une quantité de sang bien plus considérable, double et même triple chez certains animaux qui ont l’intestin très long comme les herbivores, de ce qu’elle est, lorsque le même individu est à jeun.

Le foie, comme une espèce d’éponge, se gorge de sang et devient à ce moment beaucoup plus volumineux, il s’y opère une espèce de congestion physiologique. La circulation, très lente dans l’état ordinaire, est singulièrement activée, et le flot de sang qui arrive alors dans cet organe déplace probablement la plus grande partie du sucre qui s’y était déjà formé, pour le lancer dans la circulation générale. Chez les diabétiques, je ne serais pas éloigné de croire que cette apparition si rapide du sucre dans les urines au moment de la digestion ne fût due, en grande partie, à un déplacement de cette espèce, et que, d’un autre côté, le sucre qu’ils peuvent prendre ne passât dans les urines que par suite d’une suractivité de la circulation hépatique, qui permettrait son expulsion immédiate du foie. Mais nous reviendrons sur ces questions que nous ne faisons qu’indiquer en passant.

Indépendamment de ce surcroit d’activité causé par un afflux plus considérable de sang, le foie est encore stimulé par le système nerveux, sous l’influence des excitations naturelles apportées par la digestion des matières alimentaires.

Quoi qu’il en soit, cette augmentation de la sécrétion du sucre dans le foie se fait, à l’état physiologique, d’une manière successive et graduée. Dès le début de l’absorption digestive, lorsque la veine porte commence à charrier une plus grande proportion de sang dans le foie, la fonction glycogénique, qui semblait sommeiller pendant que l’animal était à jeun, se réveille. Peu à peu l’activité fonctionnelle s’accroît, à mesure que la quantité de sang, qui traverse le tissu hépatique, devient elle-même plus considérable, et c’est environ quatre ou cinq heures après le début de la digestion intestinale, que cette production du sucre dans le foie est parvenue à son summum d’intensité. Après ce temps, la digestion venant à cesser, l’absorption intestinale se ralentit, et la formation de sucre dans le foie diminue, pour reprendre de nouveau sa suractivité au premier repas, et pour continuer à décroître d’une manière graduelle à mesure que le sang s’use et diminue dans l’organisme, si l’animal est laissé à l’abstinence.

Il existe donc une espèce d’oscillation physiologique dans la fonction productrice du sucre, qui fait que cette fonction, bien que continue, éprouve une sur-activité intermittente à chaque période digestive.

Si, par des expériences que nous vous avons déjà mentionnées, il est prouvé que la nature de l’alimentation n’exerce pas d’influence sur la production du sucre dans le foie, nous devons reconnaître maintenant que la période de la digestion en exerce, au contraire, une très évidente.

Cette exubérance de matière sucrée qui se produit ainsi dans l’organisme, au moment de la digestion, amène à sa suite d’autres phénomènes très importants, et sur lesquels il est nécessaire d’insister.

Lorsqu’un certain nombre d’heures se sont écoulées depuis le dernier repas, et que l’animal est dans cet-état qu’on appelle à jeun, la formation du sucre est calmée et arrivée à ce point qu’il existe un rapport équilibré entre la production et la destruction du sucre, c’est-à-dire que la matière sucrée, expulsée par les veines hépatiques dans la circulation, étant alors peu considérable, disparaît à peu près en entier aussitôt après le mélange du sang hépatique avec le sang des veines caves dans le cœur droit, et à son entrée dans les poumons. J’ai constaté, par un grand nombre d’expériences, qu’à ce moment le sucre se rencontre dans le tissu hépatique et dans les vaisseaux qui vont du foie au poumon, mais pas au-delà. Il n’y en a pas sensiblement dans le sang des artères, ou dans les veines du système général, ni dans celui de la veine porte. C’est pour cette raison que, dans les expériences que nous avons faites devant vous, pour vous montrer que chez un chien on ne trouve pas de sucre dans le sang qui arrive au foie, nous avons eu bien soin de prendre l’animal à jeun ou à une époque assez éloignée de son dernier repas. Lorsque la digestion commence, la quantité de sucre augmente graduellement, ainsi que nous venons de le dire, dans le foie et dans les veines sus-hépatiques ; cependant, durant les deux ou trois premières heures qui suivent l’ingestion alimentaire, malgré, l’accroissement de la sécrétion sucrée, tout le sucre peut encore être détruit avant d’arriver au système artériel ; c’est après ce laps de temps seulement que la production sucrée, dépassant les limites de la destruction, amène l’excès momentané de cette substance dans l’organisme. De telle sorte que la quantité de sucre dans les veines sus-hépatiques, qui n’était à jeun que 1 pour 100, pourra devenir 1 1/2 et même 2 pour 100 au moment de la pleine digestion.

Au point de vue de la circulation, les mêmes choses se passent : le sang chargé de ce sucre arrive comme à l’ordinaire dans le cœur et de là dans le poumon. Mais le sang pulmonaire, qui ne peut faire disparaître qu’une certaine proportion du sucre, laissera passer le reste avec le sang artériel, dans lequel vous pourrez alors en retrouver.

À cette période de la digestion, on rencontre du sucre dans tous les vaisseaux du corps, artériels et veineux ; on en trouve même dans les artères rénales, mais en proportion trop peu considérable pour qu’il en passe dans les urines. Cependant nous verrons que, dans certaines circonstances physiologiques, cette quantité de sucre peut être exagérée au point qu’il en sorte par les urines sans que l’animal soit pour cela diabétique.

Quoi qu’il en soit, dans les circonstances ordinaires de la digestion, cette espèce de débordement sucré se manifeste également avec les alimentations animales ou féculentes, et il dure environ trois à quatre heures. Ce n’est que six ou sept heures après le repas que l’excès du sucre dans le sang commence à disparaître, et que l’équilibre entre sa production et sa destruction tend à se rétablir comme avant la digestion.

Nous avons dit qu’il était important de connaître les conditions de cette oscillation physiologique de la formation du sucre dans le foie. C’est, en effet, pour ne pas les avoir connues, que Schmidt a cru donner des résultats opposés aux miens, et a dit qu’il n’admettait pas la production du sucre dans le foie, parce qu’il avait trouvé du sucre dans les veines superficielles du corps et dans la veine porte. Vous comprenez donc maintenant pourquoi le sang qui entre dans le foie est complètement dépourvu de sucre, quand on a soin, comme nous l’avons déjà dit, de ne pas faire l’expérience au-delà de deux heures et demie à trois heures après le repas. Si l’on attendait plus tard, l’excès de sucre se serait répandu dans tout le sang, et alors on en trouverait dans la veine porte ; ce sucre ne viendrait pas des intestins, mais bien des artères mésentériques. Tous ces exemples sont une preuve à l’appui de la recommandation que je vous ai déjà faite, et que je ne saurais trop répéter à cause de son importance : à savoir que, pour ne pas s’exposer à des erreurs ou à de fausses interprétations, il faut toujours, dans des recherches de ce genre, faire marcher de concert la chimie avec la physiologie, et tâcher surtout d’instituer les recherches chimiques d’après des études physiologiques bien faites. Nous voyons, en effet, qu’où la chimie seule trouve des résultats contradictoires, la physiologie les explique en montrant la filiation des phénomènes. En effet, qu’il y ait du sucre dans les veines superficielles, dans les artères, ou qu’il n’y en ait pas, la physiologie nous apprend que c’est toujours le foie qui est son point de départ, et que c’est toujours à cet organe qu’il faut remonter pour trouver l’origine de la matière sucrée. Ces diverses circonstances seront très importantes à considérer plus tard, quand nous parlerons de la destruction du sucre dans l’organisme animal.

Il y a cependant un liquide de l’économie dans lequel le sucre passe toujours, lors même qu’il arrive dans la circulation générale en très petite quantité. Ce liquide est le fluide céphalo-rachidien. J’y ai trouvé du sucre d’une manière constante, soit à jeun, soit en digestion, chez les chiens, les chats et les lapins examinés dans les conditions ordinaires de santé : cela tient à ce que, pendant l’intervalle d’un repas à l’autre, le sucre n’a pas le temps de se détruire dans le liquide céphalorachidien, avant qu’il en soit apporté une nouvelle quantité par la digestion suivante. Il paraîtra sans doute singulier et intéressant de voir les centres nerveux baignés dans un liquide qui reste constamment sucré. Ce fait s’accorde avec une remarque déjà faite par M. Magendie, que le fluide céphalo-rachidien est un des liquides dans lesquels passent le plus facilement les substances introduites dans le sang. Le sucre est donc en quelque sorte normal dans le liquide céphalo-rachidien.

Cependant, il ne faudrait pas en conclure que le sucre est une de ses parties constituantes. En effet, si l’on soumet l’animal à l’abstinence, de façon à empêcher pendant quelque temps ce débordement de sucre qui apporte cette substance depuis le foie jusque dans le liquide céphalo-rachidien, on voit qu’au bout de quelque temps ce dernier n’en contient plus, parce que celui qui y était s’est détruit, et qu’il n’en est pas revenu. Ainsi, quel que soit le point de l’économie dans lequel on constate la présence du sucre, il a toujours son origine dans le foie, le seul organe du corps qui ait la propriété d’en fabriquer.

Dans le cas où nous trouvons du sucre répandu dans tout l’organisme, il est toujours réparti de telle sorte que sa proportion la plus considérable se trouve dans le foie ; puis dans la veine cave inférieure, puis dans l’oreille droite, etc. Quand ensuite la digestion se ralentit, le sucre diminue peu à peu, et au bout de quelques heures tout rentre dans l’état physiologique signalé plus haut.

Cette espèce d’oscillation que présente la fonction glycogénique est très importante à connaître, car, dans l’état pathologique, nous retrouvons exactement ses mêmes phases, avec les exagérations que comporte la maladie.

Différents observateurs, M. Rayer, en France, M. Traube, en Allemagne, ont remarqué qu’il y a des diabétiques qui ne rendent du sucre dans leur urine qu’au moment de la digestion, et que, dans l’intervalle de leurs repas, leurs urines ne sont plus sucrées. Ce phénomène peut-se rattacher, d’une manière toute naturelle, au fait physiologique que je viens de vous signaler : Il n’y a ici rien d’essentiellement différent entre l’état normal et le symptôme pathologique, sauf l’intensité du phénomène causé par une déviation de l’activité vitale. Si nous voulions représenter graphiquement les divers phénomènes physiologiques d’oscillation glycogéniques que je viens de vous indiquer en y rattachant les oscillations analogues qui se rencontrent dans le diabète, voici comment nous pourrions y parvenir.

 

Sur la ligne horizontale XY, nous comptons les durées à partir du point O, considéré comme le milieu de l’intervalle entre deux repas, quatre heures avant une nouvelle ingestion d’aliments.

Sur la ligne OZ, ou sur des parallèles à cette ligne, nous prenons des longueurs proportionnelles aux diverses quantités de sucre qui se rencontrent dans l’organisme aux époques correspondantes que nous considérons.

Supposons d’abord l’état normal, quatre heures avant un repas : la longueur O n représente la quantité de sucre qui sort alors du foie, et qui reste la même jusqu’au moment où l’animal commence un nouveau repas, c’est-à-dire en n’ ; à partir de ce moment, les quantités de sucre formées par le foie sont de plus en plus grandes, et représentées par des lignes qui vont en croissant jusqu’en N, où la digestion a acquis son summum d’activité, et où la quantité de sucre émise par le foie est la plus grande possible ; à partir de ce moment, la digestion se ralentissant progressivement, les quantités de sucre vont en diminuant, et sont représentées par des lignes de plus en plus courtes jusqu’en n″, où les choses sont revenues au même état qu’elles étaient en n, et restent dans cet état jusqu’en n‴, où commence une nouvelle digestion, pour suivre la même phase que nous avons décrite à partir de n’. Si maintenant nous relions ensemble tous ces points, nous aurons une ligne ondulée n n’ N n″ n‴ N′, qui représentera à peu près les oscillations de la fonction glycogénique aux diverses périodes de l’état normal. Tant que cette ligne ne sera pas très éloignée de la droite n n′ n″ n‴, ligne du minimum, la production du sucre ne dépassant pas la destruction, on n’en trouve pas dans le système circulatoire général ; mais quand la ligne s’approche de e b, ligne du maximum, la production devenant supérieure à la destruction, le sucre se généralise dans toute l’économie, mais cependant il n’apparaît pas dans les urines.

La limite de la quantité de sucre qui peut se trouver dans l’organisme, sans cependant passer au dehors, est déterminée par la droite e b.

Maintenant en quoi différera l’état diabétique de l’état normal ? Il différera en ce que le point de départ sera plus élevé. La quantité de sucre correspondant à la même époque sera plus considérable que dans l’état normal.

La courbe, au lieu de partir de n, partira par exemple de M situé au niveau de la droite e b, ou de M’situé au niveau de a d ; elle sera parallèle à la courbe normale, et en reproduira toutes les ondulations, mais en se tenant toujours à une plus grande distance de la ligne XY ; alors deux cas se présentent. Si la courbe représentant un état diabétique part d’un point au-dessus de M, limite maximum de la quantité de sucre qui peut exister dans l’organisme sans paraître au dehors, tant que la courbe ne dépassera pas la ligne e b, on ne trouvera pas de sucre dans les urines ; mais cette substance apparaîtra au moment de la digestion, et le diabète sera représenté en durée et en intensité par les portions de courbe m′ m″, etc. Le diabète sera alors discontinu, intermittent et correspondant seulement aux périodes digestives. Les urines seront tantôt normales, tantôt sucrées, et la courbe M m′ M m″ M passera alternativement au-dessus et au-dessous de e b.

Si, au contraire, la quantité de sucre sécrétée par l’individu malade est plus grande que le maximum de l’état normal, de façon à correspondre à la longueur O M′, la courbe, tout en restant toujours parallèle aux courbes précédentes, et en suivant encore leurs sinuosités, restera constamment au-dessus de e b ; les urines seront constamment sucrées et le diabète continu.

Il est bien entendu, Messieurs, que nous vous représentons ici des cas types d’une simplicité purement idéale, afin de vous faire comprendre la liaison de ces phénomènes normaux et pathologiques. Entre les images que nous vous en donnons, vous pouvez concevoir tous les intermédiaires possibles. Mais la marche de toute fonction vitale ne saurait jamais être indiquée complétement par des lignes aussi simples que celles que nous avons figurées ici, car indépendamment des grandes oscillations dont nous donnons la direction générale, en creusant plus profondément le phénomène, on trouverait des oscillations de deuxième et troisième ordre que nous aurons à examiner ultérieurement.

Enfin, Messieurs, cette marche du sucre à travers l’organisme, ces oscillations physiologiques de sa sécrétion sous l’influence de la digestion, et dans l’intervalle des digestions, sa diffusion limitée dans un cas, généralisée dans l’autre, sont des faits trop importants pour que nous n’ayons pas à cœur de les reproduire devant vous, et de les fixer dans votre esprit au moyen des expériences qui ont servi à les établir.

Voici deux chiens, l’un à jeun, chez lequel, par conséquent, tout le sucre sorti du foie est détruit avant d’avoir traversé le poumon ; l’autre en pleine digestion, chez lequel la matière sucrée est répandue dans tout l’organisme ; nous allons faire sur eux une série d’expériences comparatives, qui ne sauraient vous laisser aucun doute sur les phénomènes que je vous ai annoncés.

Nous prenons le premier animal, c’est-à-dire celui qui est à jeun, et nous allons puiser du sang dans différentes parties du corps pour vous montrer qu’il n’y a de sucre qu’entre le foie et le poumon. Pour cela nous prendrons du sang dans le cœur droit d’abord. L’animal étant couché sur le flanc gauche, nous faisons une incision longue de 5 à 6 centimètres sur le côté droit du cou, et immédiatement au-dessous de la peau nous trouvons la veine jugulaire externe bien plus volumineuse que l’interne chez les animaux, à cause de la prédominance de la face.

Nous isolons cette veine des parties voisines au moyen d’une sonde cannelée, et nous plaçons sur elle une ligature du côté de la tête, puis, saisissant la veine entre le pouce et l’index de la main gauche, nous y faisons une incision avec des ciseaux. Par l’orifice que nous venons de pratiquer, nous allons chercher du sang dans le cœur droit en pratiquant une sorte de cathétérisme cardiaque. Nous nous servons pour cela d’une sonde en métal (fig. 6), légèrement courbée vers son extrémité ; elle est munie d’un robinet R, et offre une ouverture à son bout effilé ; les bords de cette ouverture sont soigneusement arrondis pour ne pas couper ou déchirer les vaisseaux.

Nous introduisons cette sonde, avec son robinet fermé dans la veine jugulaire, nous l’enfonçons à une profondeur variable suivant la taille de l’animal ; ici, pour ce chien de taille moyenne, nous l’enfonçons à 20 centimètres. Nous tournons d’abord la concavité de l’instrument en avant, puis vers le sternum, c’est-à-dire en dedans. Nous arrivons ainsi assez facilement dans l’oreillette droite, ce que nous sentons aux mouvements imprimés à la sonde et au jet saccadé du sang qui s’en écoule, synchroniquement avec les battements du cœur. Alors, avec une seringue, dont la canule est ajustée dans le bout évasé E de la sonde, nous aspirons une certaine quantité de sang du cœur droit de l’animal. Nous retirons ensuite la sonde et nous lions le bout cardiaque de la veine jugulaire.

Cela fait, nous cherchons l’artère carotide du même côté, nous l’isolons du nerf vague, puis nous plaçons une ligature ; au-dessous de celle-ci nous pratiquons une ouverture pour extraire une certaine quantité de sang, et nous lions du côté du cœur.

Puis, reprenant le bout périphérique de la veine jugulaire, nous délions la ligature et nous laissons couler une certaine quantité de sang.

Nous avons donc ainsi :

1° du sang venant du cœur droit, c’est-à-dire du sang provenant de la veine cave inférieure et des veines sus-hépatiques, qui s’est mélangé dans le cœur avec le sang arrivant de la veine cave supérieure ;

2° Du sang artériel venant de passer à travers le poumon ;

3° Du sang veineux descendant des capillaires de la tête.

Nous traitons ces trois sangs absolument de la même manière, en y ajoutant une certaine quantité de sulfate de soude cristallisé, solide, et en chauffant dans des capsules de porcelaine. Sous l’influence de la chaleur, le sang se coagule, les matières albuminoïdes sont crispées et ratatinées, et un liquide entièrement décoloré s’en sépare.

Nous prenons ces liquides et nous les faisons bouillir avec le réactif cupro-potassique. Vous voyez que le sang provenant du cœur précipite très nettement le sel de cuivre, tandis qu’il n’y a ni décoloration ni réduction avec le sang artériel, ni avec le sang veineux provenant des parties périphériques du corps. Le sucre qui se trouvait dans le cœur droit, et qui provenait du foie, n’a donc pas traversé le poumon, puisqu’on ne le trouve pas dans le sang après cet organe. Il n’est pas non plus dans le système veineux général.

Maintenant nous prenons l’autre chien auquel on a fait faire, il y a cinq ou six heures, environ, un repas copieux, mais composé exclusivement de matières animales (tête de mouton cuite). Nous opérons de même que sur le premier ; nous prenons d’abord le sang du cœur, puis le sang de l’artère carotide et enfin le sang de la veine jugulaire qui revient de la tête. Nous traitons ces trois sortes de sang de la même manière que nous avons traité ceux du premier animal, en ajoutant à chacun d’eux à peu près leur poids de sulfate de soude, et en chauffant le mélange dans des capsules de porcelaine. Nous recueillons les liquides très incolores qui se séparent des parties solides contractées et coagulées, nous y ajoutons dans les tubes où nous les versons parties égales du réactif cupro-potassique, nous faisons bouillir ce mélange, et vous voyez dans tous des changements de coloration et la formation de précipités qui vous indiquent la présence du sucre. Vous remarquez cependant que le précipité formé est bien plus considérable dans le liquide provenant du sang du cœur de cet animal, que dans les liquides provenant du sang artériel ou du sang veineux de la circulation générale ; il est plus considérable aussi que dans le liquide provenant du sang du cœur du premier chien à jeun.

Ces deux expériences comparatives vous prouvent, Messieurs, qu’il y a eu, au moment de la digestion, une plus grande proportion de sucre formé dans le foie, qu’une partie de ce sucre a été détruite sans doute, mais qu’il en est passé dans le système artériel, et de là dans le système veineux général une certaine quantité que nous y retrouvons. Cependant ce sucre, bien que généralisé dans tout l’organisme, ne s’est pas montré dans les sécrétions, car voici de la salive du même chien et son urine qui ne donnent aucun signe de la présence de la matière sucrée avec le réactif cupro-potassique.

Sixième leçon

13 janvier 1855.

SOMMAIRE : La destruction comme la production du sucre est un fait commun au règne végétal comme au règne animal. — Circonstances qui peuvent modifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépatique. — Kystes. — Cancers. — Foie gras. — Influences agissant sur la fonction glycogénique. — Influence de l’abstinence. — Cas des animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés-comme des animaux à jeun. — Influence de l’alimentation. — Influence de l’alimentation graisseuse. — Influence de l’alimentation azotée. — Influence de l’alimentation féculente et sucrée.

Messieurs,

Pour arriver à tracer l’histoire physiologique du diabète, il faut continuer l’histoire de la formation du sucre dans l’économie animale.

Nous connaissons actuellement deux phénomènes que nous ne devons jamais perdre de vue ; savoir, d’une part, la production, d’autre part, la destruction de la matière sucrée, qui se rencontrent simultanément dans tous les organismes vivants animaux et végétaux et sont solidairement unies l’une à l’autre.

Au milieu du monde extérieur, certains êtres vivants ont pu paraître, au point de vue philosophique, faits pour créer les substances destinées à l’alimentation des autres. Mais au point de vue physiologique chaque individu travaille pour soi et vit comme il peut aux dépens de ce qui l’entoure. Si les animaux utilisent pour leur nourriture le sucre qu’ils trouvent dans les végétaux, on ne peut pas dire que ce soit là la cause finale physiologique de cette substance, car, de même que l’animal, le végétal produit du sucre pour sa propre consommation, et il le détruit dans les périodes successives de son existence. Si l’on suit, par exemple, la série des phénomènes vitaux dans une betterave, on voit que, pendant la première année, la plante accumule dans sa racine les matières sucrées qui s’y trouvent alors en grande abondance ; mais si on la laisse se développer l’année suivante, à mesure que la tige va s’élever et que les bourgeons se formeront pour produire des fleurs et des fruits, on verra le sucre monter de la racine dans la tige, s’y changer de sucre de la première espèce en sucre de la seconde espèce, enfin disparaître peu à peu ; et à l’époque de la maturité des graines, la matière sucrée aura disparu dans toute la plante. Le sucre accumulé la première année aura été détruit dans la seconde pour servir au développement complet du végétal.

On rencontre donc dans les végétaux les deux phases de production et de destruction du sucre, sous quelque forme que cette matière se présente. On voit ainsi que dans ces deux règnes les phénomènes se ressemblent en ce qu’il y a production et destruction de la matière sucrée.

Nous verrons plus tard, en nous occupant plus spécialement de ces deux questions, qu’il y a bien d’autres rapprochements à faire entre les deux règnes des êtres vivants au point de vue des actes nutritifs.

Nous avons actuellement à analyser les conditions diverses dans lesquelles se passent ces phénomènes de production et de destruction du sucre, afin d’y chercher les éléments de la maladie diabétique dont nous poursuivons toujours le mécanisme dans ces recherches.

Aujourd’hui nous allons étudier toutes les circonstances qui peuvent influencer la production de la matière sucrée dans l’organisme animal.

Ces circonstances sont de trois ordres.

En premier lieu, les modifications que peut subir l’élément glandulaire du foie.

Secondement, les modifications que peut présenter la circulation de l’organe, soit au point de vue chimique de la composition du sang qui le traverse, soit au point de vue des conditions mécaniques de circulation.

Troisièmement, enfin, l’influence du système nerveux sur cette sécrétion.

On a encore très peu de données sur l’influence que les altérations de la cellule hépatique peuvent avoir sur la production du sucre. Je n’ai, jusqu’à présent, pu suivre la production du sucre que dans quelques-unes des altérations du foie, et en particulier dans la maladie à laquelle on donne le nom de foie gras 7, et que l’on peut produire artificiellement sur des oies et des canards en les soumettant à une certaine nourriture.

Il était intéressant de savoir quelle pouvait être, dans ces cas de modifications du tissu hépatique, l’influence exercée sur la production du sucre.

Vous savez que les cellules du foie contiennent dans leur intérieur des gouttelettes de graisse à l’état normal. Par suite de la maladie qu’on communique aux canards ou aux oies atteints de foie gras, ces gouttelettes deviennent d’une grosseur considérable et finissent même quelquefois par remplir complétement la cellule hépatique.

Dans ces cellules si chargées de graisse, il semblerait que la production du sucre dût avoir diminué.

Cependant il n’en est point ainsi, car, dans l’analyse que j’ai faite d’un foie gras de canard, j’ai trouvé 1,40 pour 100 de sucre dans le tissu du foie. Le foie d’un canard ordinaire ne m’a présenté que 1,27 pour 100 de matière sucrée.

On observe assez souvent sur les animaux de boucherie un épaississement assez considérable des conduits biliaires, ce que les bouchers appellent des foies nerveux. Il se forme là du tissu fibro-plastique en quantité plus ou moins grande qui atrophie nécessairement les cellules voisines. Aux environs de cette altération, qui du reste est toujours purement locale, la proportion de sucre est nécessairement moindre que dans les endroits où les conduits ont leur épaisseur normale ; mais les fonctions des autres portions du foie n’en sont nullement empêchées, et il n’y aurait que dans le cas où ces indurations occuperaient tout l’organe que, celui-ci alors ne fonctionnant plus, la mort de l’animal devrait s’ensuivre.

D’autres altérations locales du foie, des kystes, des hydatides, des tumeurs de diverses natures, n’ont d’autre effet que de diminuer la masse de la substance fonctionnante du foie ; car à côté de ces lésions on trouve des parties saines présentant du sucre dans les proportions ordinaires. C’est ce que j’ai pu constater chez des moutons, par exemple, chez lesquels ces sortes d’altérations sont excessivement fréquentes, comme on le sait.

Le cancer lui-même, tant qu’il n’a pas envahi tout le tissu de l’organe, n’a qu’une action purement locale ; c’est ainsi que je l’ai constaté sur un surmulet, qui avait la moitié du foie envahi par un cancer encéphaloïde : les parties restées saines fonctionnaient comme d’habitude et étaient parfaitement sucrées.

Il est difficile d’établir une relation entre les altérations morbides du foie et la disparition de la matière sucrée dans cet organe chez l’homme, parce que, comme on ne peut les observer qu’après la mort, l’agonie, qui l’a précédée dans la plupart des cas, suffit pour faire disparaître le sucre.

Nous arrivons à la question de l’influence que peut avoir la composition du sang. Cette influence est d’autant plus importante à considérer que le foie est traversé sans cesse par le sang de la veine porte, et que ses éléments sont nécessairement variables par suite de toutes les substances très diverses, suivant la nature de l’alimentation, qui sont absorbées dans le tube digestif. C’est surtout là que nous pourrons constater ces différences dans la composition du sang, car nous verrons que le fluide, pris dans le système circulatoire général, varie beaucoup moins non seulement entre deux individus de même ordre, mais entre des individus d’ordre différent, entre les carnassiers et les herbivores, par exemple.

Quelle est donc l’influence que ces substances de nature si diverse, introduites dans l’alimentation et la veine porte, peuvent avoir sur la formation du sucre ?

Ceci, comme vous le voyez, touche de très près à la question du diabète. Depuis Rollo, tous les médecins ont l’esprit fixé sur l’alimentation qui convient dans cette maladie. M. Bouchardat8 proscrit l’usage des féculents et des matières sucrées. Des faits dont j’ai été témoin dans la pratique de M. Rayer prouvent évidemment l’utilité d’une alimentation azotée.

En effet, quoique nous ayons établi qu’il y a dans l’organisme une fonction qui produit du sucre indépendamment de la nature de l’alimentation, et que conséquemment cette matière ne saurait provenir exclusivement du dehors, cela n’empêche pas qu’il puisse aussi y avoir une origine extérieure pour la matière sucrée dont nous avons à faire la part. Nous allons pour cette raison examiner l’influence de la nature des diverses substances absorbées dans les voies digestives. Ces substances se ramènent à trois ordres, quelle que soit la variété de l’alimentation, savoir : les matières graisseuses absorbées à l’état de division extrême, les matières albuminoïdes et féculentes absorbées à l’état de dissolution.

Mais avant d’étudier le rôle de ces diverses substances dans la production du sucre, c’est-à-dire l’influence des alimentations de diverse nature, il importe de savoir quels sont, au point de vue de la fonction glycogénique, les effets d’une alimentation nulle, c’est-à-dire d’une abstinence complète. Nous aurons ainsi un point de comparaison qui nous servira à isoler le phénomène sur lequel doit porter l’expérimentation.

Voici comment nous avons institué l’expérience. Nous avons choisi quatre chiens de même âge et à peu près de même taille : le premier ne recevait que de l’eau pure, le deuxième de l’eau plus de la graisse, le troisième de l’eau plus de la gélatine, le quatrième de l’eau plus de la fécule. Pour apprécier le rôle appartenant à chaque substance alimentaire, nous n’avons eu en quelque sorte qu’à soustraire par la pensée, de chacun des trois derniers chiens, le chien à l’eau pure, et la différence était nécessairement due à la substance surajoutée à l’eau.

Nous vous avons déjà dit qu’après la privation des aliments, la production du sucre dans le foie continue à avoir lieu uniquement aux dépens des matériaux du sang. Mais les oscillations physiologiques qui se manifestent dans l’état normal, où les digestions se succèdent à des intervalles plus ou moins éloignés, cessent nécessairement d’avoir lieu pendant l’abstinence. La sécrétion sucrée décroît alors progressivement, à mesure que le liquide sanguin diminue de quantité, car il ne se répare plus avec les substances que lui fournissait la digestion, et, néanmoins, les sécrétions liquides et gazeuses, par les glandes salivaires, les reins et le poumon, se produisent encore pendant un certain temps. La sécrétion du sucre par le foie persiste aussi comme les autres, mais elle va en diminuant, et finit par disparaître complètement trois à quatre jours environ avant la mort de l’animal soumis à une diète absolue.

Il ne faudrait pas croire que cette diminution et cette disparition du sucre dans le foie, sous l’influence de la privation d’aliments, dépendent simplement de ce que l’animal use et détruit progressivement la quantité de matière sucrée qu’il avait formée pendant sa dernière digestion. Nous vous avons déjà dit, et nous aurons encore plus d’une fois l’occasion de vous montrer qu’il faut à peine quelques heures à un animal pour consommer toute la quantité de sucre qu’il a dans le foie, de sorte que, s’il ne s’en formait plus, dès le lendemain déjà, après vingt-quatre heures de jeûne, le tissu hépatique en serait dépourvu. Mais il n’en est point ainsi, parce que, dans l’abstinence, il se refait encore du sucre aux dépens du sang qui traverse incessamment le foie. Seulement, à mesure que ce sang s’use et s’appauvrit, par suite de l’absence de nourriture, la sécrétion sucrée du foie diminue d’énergie, et finit, avant les dernières périodes de l’abstinence, par s’éteindre comme les autres fonctions.

Pendant les premiers jours de l’abstinence, la sécrétion sucrée se maintient encore assez considérable ; car sur un chien à jeun depuis trente-six heures, j’ai trouvé encore une proportion de 1,255 de sucre pour 100 du tissu du foie ; et sur un autre chien à jeun depuis quatre jours, il y avait 0,93 pour 100. Dans les jours suivants, la quantité de sucre formé va en diminuant plus rapidement pour ne cesser toutefois d’une manière complète que lorsque l’animal, après avoir perdu les quatre dixièmes de son poids, est désormais voué à une mort inévitable. Sur des chiens, des lapins ou des cochons d’Inde morts d’inanition, je n’ai jamais rencontré de sucre dans le tissu du foie ; mais sur deux chiens adultes, à l’abstinence complète, l’un depuis quinze jours, l’autre depuis douze jours (ce dernier buvait de l’eau), j’ai trouvé encore très évidemment du sucre dans le foie. Chez les chiens, la production du sucre ne s’arrête guère, ainsi que nous l’avons dit, que trois jours environ avant la mort ; seulement, quand on approche de cette période de l’inanition, la quantité de sucre hépatique est excessivement faible ; et pour faire la recherche du sucre dans le foie à ce moment, on devra avoir soin de ne pas sacrifier les animaux par hémorrhagies, mais bien par la section du bulbe rachidien, comme nous le faisons habituellement, parce que dans le premier genre de mort, le sang non sucré des organes abdominaux voisins, qui traverse le tissu hépatique pour s’écouler au dehors, lave en quelque sorte l’organe, et lui emporte la petite quantité de sucre qu’il contenait, de sorte qu’on pourrait, dans ces cas, attribuer à l’abstinence l’absence du sucre dans le foie.

Du reste, le temps nécessaire pour que la production du sucre dans le foie s’éteigne sous l’influence de l’abstinence est variable suivant l’âge et la taille des animaux, leur classe, leur espèce, et la faculté de résister plus ou moins longtemps à l’inanition. Parmi les Vertébrés, les oiseaux sont les animaux chez lesquels, dans des circonstances égales, la privation de nourriture éteint le plus rapidement la production du sucre dans le foie. Ainsi, au bout de trente-six ou de quarante-huit heures d’abstinence, chez les petits oiseaux, tels que les moineaux, le foie est déjà complétement dépourvu de matière sucrée. Après les oiseaux viennent les mammifères, surtout quand ils sont jeunes. J’ai expérimenté à ce point de vue sur des rats, des chiens, des chats et des chevaux. Chez les rats et les lapins, il suffit de quatre à huit jours ; chez les chiens, les chats et les chevaux, il faut douze à vingt jours, pour que le sucre disparaisse complètement dans le foie. Ce laps de temps peut devenir moindre, si pendant l’abstinence on fait prendre de l’exercice aux animaux, ou bien il peut être plus considérable, si, dans les mêmes circonstances, on condamne les animaux au repos, en même temps qu’on leur fournit de l’eau à boire. Les reptiles et les poissons se distinguent des animaux à sang chaud par une résistance beaucoup plus considérable aux effets de l’abstinence et par une disparition plus lente du sucre dans le foie. C’est ainsi que des crapauds, des couleuvres et des carpes présentaient encore, cinq à six semaines après leur dernier repas, du sucre d’une manière très évidente dans le tissu du foie. Du reste, l’augmentation de la température ambiante active d’une manière évidente cette disparition du sucre hépatique en accélérant sans doute les phénomènes nutritifs. L’abaissement de température agit d’une manière inverse.

En même temps que le sucre disparaît, on voit d’autres fonctions se modifier. La respiration, par exemple, qui est dans un rapport si intime avec la destruction du sucre, se ralentit.

Il y a cependant un cas d’abstinence apparente qu’il est intéressant de considérer ici : c’est celui des animaux hibernants, des marmottes, par exemple, qui s’endorment aux approches de l’hiver et restent dans cet état, sans manger, pendant un temps considérable. Il était curieux d’observer les phénomènes de la nutrition chez ces animaux pendant leur sommeil, et en particulier la sécrétion si importante du sucre. M. le professeur Valentin, de Berne, a fait à ce sujet des expériences très intéressantes dont je vous indiquerai en passant les résultats principaux.

Les phénomènes de l’hibernation chez les marmottes s’annoncent cinq ou six jours avant le sommeil réel par une perte complète d’appétit. L’animal refuse tous les aliments qu’on lui présente. La marmotte mâle qu’observa M. Valentin pesait 2 livres 1/3, et n’avait pas mangé depuis quelques jours lorsqu’elle s’endormit. Son premier sommeil dura vingt-cinq jours, au bout desquels elle se réveilla pendant quelques instants, puis se rendormit le jour suivant, et resta onze jours dans un état complet d’hibernation. Elle se réveilla ensuite de nouveau, rendit de l’urine et des selles pour la première fois depuis le commencement de son sommeil, et le lendemain elle se rendormit encore pendant trois jours. La marmotte fut alors tuée par asphyxie. Elle n’avait donc pas mangé depuis environ trente-neuf jours, et l’animal n’avait perdu que 3 onces de son poids. À l’autopsie, on trouva que son foie donnait une décoction claire et neutre, réduisant énergiquement le liquide cupro-potassique, brunissant par la potasse, fermentant très bien par la levure de bière et faisant tourner à droite le plan de polarisation. Par le dosage, on trouva que cette décoction hépatique contenait 2,87 pour 100 de sucre, c’est-à-dire qu’il y en avait autant que chez d’autres rongeurs à l’état normal. Quand on ouvrit l’estomac, on y trouva une matière neutre d’un blanc grisâtre qui existe habituellement pendant le sommeil hibernal de ces animaux.

Voici donc, Messieurs, un fait extraordinaire : d’une part, une quantité considérable de sucre dans le foie ; d’autre part, une privation de nourriture qui dure trente-neuf jours. Ceci ne ressemble en rien à ce qui a lieu chez un animal non hibernant. Si l’on cherche à quoi cela peut tenir, on n’a pour s’en rendre compte que la présence de cette matière jaunâtre qui se trouve sécrétée dans l’estomac, et qui, sans doute, est réabsorbée par la veine porte pour servir à la formation du sucre. Pendant l’hibernation, toutes les fonctions sont, du reste, excessivement ralenties, et la perte par conséquent beaucoup moins considérable que chez les animaux à jeun. Les animaux qui n’hibernent pas ont, au contraire, pendant l’abstinence, l’estomac parfaitement vide. On ne peut donc pas comparer un animal à hibernation complète, comme la marmotte, à un animal à jeun, ni même à un animal dont l’hibernation est incomplète et qui se réveille de temps en temps pour manger, comme les loirs et certains rongeurs et insectivores. Ces derniers animaux peuvent mourir de faim et rentrer dans le cas ordinaire des animaux à jeun ; ils ne se rendorment plus et meurent réellement d’inanition : c’est ce qui est arrivé sur un jeune hérisson qu’avait observé Valentin, qui mourut au bout de deux mois, ne présentant que des phénomènes d’un sommeil incomplet, et dont le foie n’offrit plus à l’autopsie aucune trace de sucre.

Dans la marmotte qui a fait le sujet de l’expérience citée plus haut, il est question d’une sorte de diffusion de la matière sucrée dans l’organisme ; car on constata qu’outre le tissu du foie, il y avait encore des traces de sucre dans la bile, dans le diaphragme, dans la capsule surrénale droite et dans l’estomac. Cette diffusion n’est pas physiologique et doit être considérée comme purement cadavérique, car, ainsi que nous l’avons démontré ailleurs, après la mort il se produit une endosmose de la matière sucrée dans la bile et dans les organes qui environnent le foie. C’est ainsi seulement qu’on peut comprendre que le diaphragme ait été sucré, de même que la capsule droite, la plus rapprochée du foie, tandis que la gauche, en étant plus éloignée, ne présentait pas de traces de sucre.

Nous venons de voir le rôle de l’abstinence sur la production du sucre ; nous avons distingué le cas des animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme animaux à jeun. Nous avons maintenant à examiner les rôles de chaque alimentation en particulier.

Voyons d’abord l’influence de l’alimentation graisseuse. Rollo recommandait de donner de la graisse aux diabétiques. M. Thenard et Dupuytren leur faisaient manger du lard ; il importe donc d’examiner l’action spéciale de cette alimentation.

Nous avons nourri des chiens avec du lard et avec de l’axonge, et nous avons trouvé ce fait très curieux, que sous l’influence de cette alimentation, le sucre diminuait dans le foie absolument de la même manière que si l’animal avait été mis à l’abstinence absolue.

1° Un chien de taille moyenne fut nourri pendant trois jours avec du lard non salé, cru et complétement privé de parties musculaires. Chaque jour l’animal mangea bien, et même avec appétit, 125 grammes de cette substance grasse coupée en morceaux ; le troisième jour, le chien fut sacrifié par la section du bulbe rachidien, trois heures après son dernier repas, c’est-à-dire au moment où la digestion était en pleine activité et la production glycogénique à son summum. Le foie, qui donnait une décoction jaunâtre et limpide, contenait 0,88 de sucre pour 100 du tissu.

2° Un autre chien robuste, de taille moyenne, soumis à l’abstinence absolue pendant huit jours, fut nourri pendant les six jours qui suivirent avec de la graisse de porc (saindoux) fondue et tiède, dont on lui injectait chaque jour dans l’estomac, au moyen de la sonde œsophagienne, 90 centimètres cubes, et aussitôt après, sans retirer la sonde, 180 grammes d’eau ordinaire. L’animal fut tué au bout de ce temps.

À l’autopsie, la quantité de sucre dans le tissu hépatique n’était que de 0,57 pour 100.

L’alimentation avec la graisse a donné sur ces deux chiens ce résultat identique, savoir : la diminution du sucre dans le tissu du foie. La graisse était cependant parfaitement absorbée et digérée, seulement elle ne servait à rien pour la production du sucre. Car nous avons constaté que, sous le rapport de la quantité de sucre qu’il contient, le foie des animaux soumis à la diète graisseuse est tout à fait comparable à celui des animaux complétement privés d’aliments.

Il y a ici une remarque à faire au sujet de la particularité d’absorption que présente la matière grasse.

C’est à travers le foie, placé comme une espèce de filtre organique entre le système circulatoire général et l’intestin, que passent la plupart des substances introduites dans le tube digestif et dissoutes par les sucs intestinaux.

Or, quelle que soit la diversité des aliments, leurs principes fondamentaux sont seulement, comme nous l’avons dit, de trois espèces, savoir : les matières azotées ou albuminoïdes, les matières féculentes ou sucrées, et les matières grasses. De ces trois ordres de substances, les dernières seules ne passent pas par le foie, et sont presque exclusivement absorbées par les chylifères, pour arriver directement au poumon, en suivant le canal thoracique qui les verse dans la circulation veineuse générale.

On peut donc, au point de vue de leur absorption, diviser les matières alimentaires en deux classes : 1° celles qui traversent le foie en sortant de l’intestin ; 2° celles qui, charriées par les chylifères, sont portées directement dans le poumon.

C’est ainsi que les choses se passent chez tous les mammifères. Chez les oiseaux, les reptiles et les poissons, où il n’y a pas de vaisseaux chylifères proprement dits, il y a un autre mécanisme d’absorption de la graisse, ainsi que nous le verrons plus tard.

Le passage de la graisse à travers un système de vaisseaux différents de ceux de la veine porte est non seulement un fait physiologique, mais il est en rapport avec la structure de l’organe hépatique ; car, si l’on pousse une injection de graisse dans la veine porte, elle ne passe que très difficilement dans les veines sus-hépatiques, elle se fixe dans le tissu du foie. Les analyses de Lehmann viennent encore confirmer ces faits. Ce chimiste a trouvé que le sang qui arrive dans le foie contient, quoique en faible quantité, de la matière grasse, mais que le sang qui en sort en présente beaucoup moins. Le sang de la veine porte renferme en moyenne, sur des chevaux, 0,04 gr. de graisse, et le sang des veines hépatiques seulement 0,0005 gr. Cette impossibilité où se trouve la graisse de traverser le foie est en rapport avec l’inutilité de cette substance pour former le sucre ; son action à cet égard peut donc être considérée comme nulle. Le régime conseillé par Rollo équivalait donc à l’abstinence, et l’on ne doit pas s’étonner qu’il ait obtenu d’heureux résultats avec sa méthode, puisque la formation du sucre est nécessairement diminuée par suite de l’alimentation graisseuse, qui n’exerce aucune action sur le foie.

Nous arrivons maintenant à l’alimentation azotée.

Voici les expériences que nous avons faites à ce sujet.

1° Un chien adulte et de petite taille, pesant 4,91 kilos, fut d’abord soumis à une abstinence absolue pendant quatre jours, afin de laisser les intestins se débarrasser des anciens aliments. (Depuis huit jours, du reste, le chien ne mangeait que de la viande.) Pendant les six jours qui suivirent, on lui ingéra, chaque jour, dans l’estomac, 370 grammes d’eau ordinaire tiède, contenant en dissolution 20 grammes de gélatine dite alimentaire. Une heure après son dernier repas, on sacrifia l’animal par strangulation.

À l’autopsie, faite avec beaucoup de précautions, j’ai constaté que la décoction du foie, jaunâtre et légèrement louche, renfermait beaucoup de sucre. Le dosage en donna 1,33 pour 100 du tissu hépatique.

2° Un autre animal, une chienne, de taille moyenne, fut nourrie, pendant trois jours exclusivement, avec des matières gélatineuses, consistant en pieds de mouton, dont on avait enlevé les os, et qu’on avait fait bouillir avec de l’eau pour en séparer la plus grande partie de la graisse, qui venait surnager à la surface du liquide refroidi. Chaque jour, l’animal mangeait quatre pieds de mouton avec la gelée qui les entourait. Après trois jours de ce régime, et trois heures après son dernier repas, l’animal fut sacrifié par la section du bulbe rachidien. Je constatai que le tissu de son foie renfermait 1,65 pour 100 de sucre. La décoction hépatique était jaunâtre et légèrement opaline.

L’action de la gélatine, que j’ai choisie pour mes expériences comme étant la substance azotée la plus facile à se procurer à l’état de pureté, est donc des plus remarquables. Sous son influence, le sucre s’est maintenu dans sa proportion à peu près normale, malgré une abstinence de quatre jours dans le premier cas. Les chiffres 1,33 et 1,65 pour 100 sont des chiffres normaux pour le chien, et qui ne diffèrent pas de ceux qu’on obtient à la suite d’une alimentation mixte. La singularité de ce résultat a dû me faire redoubler de précautions pour le bien constater, et dans ces deux cas j’ai retiré du tissu du foie, par la fermentation avec la levure de bière, de l’acide carbonique et de l’alcool, qui ne m’ont laissé aucun doute à ce sujet, soit qualitativement, soit au point de vue quantitatif. C’est donc l’élément azoté qui a servi à faire du sucre : l’expérience chimique a, du reste, confirmé ces données physiologiques. Lehmann a constaté que le sang de la veine porte, en traversant le foie, perd une certaine quantité de ses principes azotés, et que la fibrine y diminue notablement.

Le sucre se forme donc, non pas aux dépens de la matière grasse, mais aux dépens de la matière azotée, chez les carnivores au moins qui ne se nourrissent que de substances albuminoïdes, et ce sucre est le résultat de l’action physiologique du foie sur ces principes qui sont dédoublés de manière que leur oxygène, hydrogène, carbone, se groupent pour former du sucre, tandis que leur azote entre dans d’autres combinaisons, et probablement dans la constitution des matières azotées de la bile. On ne saurait, en effet, trouver une autre origine à cette matière sucrée, qui ne peut pas être produite dans l’intestin par les phénomènes digestifs. L’expérience nous a, en effet, montré que, pendant l’alimentation au moyen de ces substances albumineuses, l’intestin et le sang de la veine porte ne renferment jamais de matière sucrée d’aucune espèce. Ni la gélatine ni la viande ne produisent de matière sucrée dans le tube intestinal par les procédés digestifs connus.

On sait que Schœrer a signalé dans la chair musculaire la présence d’une matière qu’il appelle inosite, et qui présente la formule chimique du sucre, G12H12O12. M. Bouchardat, pour soutenir encore que la matière sucrée vient du dehors, invoque la présence de l’inosite dans la chair, pour expliquer la présence du sucre dans le foie des carnivores ; mais cette explication ne saurait être prouvée, car, si l’inosite a la formule chimique du sucre, la substance n’a pas les caractères du sucre du foie. Elle ne fermente pas, elle n’est altérée ni par les alcalis ni par les acides, et ne réduit pas les sels de cuivre. Du reste, la proportion extrêmement minime de cette matière, qu’on tire des muscles, en rapport avec la grande quantité du sucre du foie, suffit pour détruire la moindre idée de relation entre ces deux substances.

Arrivons, enfin, au rôle de l’alimentation féculente, qui a un intérêt tout particulier, en raison du soin que prennent tous les médecins d’écarter toute trace de fécule et de sucre du régime de leurs malades affectés de diabète.

Nous avons procédé dans nos expériences sur ces substances comme pour les autres. Tous nos animaux ont été mis à jeun, sauf la quantité de fécule ou de sucre que nous leur faisions absorber chaque jour.

Un premier chien adulte, et de petite taille, fut soumis d’abord à une abstinence complète pendant quatre jours ; puis pendant les six jours qui suivirent, on ingéra, chaque jour dans son estomac, 270 grammes d’eau ordinaire légèrement tiède, contenant en suspension 20 grammes de fécule incomplétement hydratée. On sacrifia l’animal par strangulation, une heure après la dernière injection de fécule.

À l’autopsie, très soigneusement faite, il y avait beaucoup de sucre dans le tissu hépatique ; le dosage en donna 1,25 pour 200. Chez ce chien, la décoction hépatique était opaline, et blanchâtre comme du lait, ce qui dépend d’une matière émulsive sur laquelle nous reviendrons bientôt.

Un deuxième chien, de taille moyenne, reçut pendant trois jours une pâtée composée de pommes de terre broyées avec de l’amidon, du sucre et un peu d’eau. Le chien n’aimait pas beaucoup ce mélange ; cependant, les deux derniers jours, il le mangea bien. Le troisième jour, et trois heures après son dernier repas, il fut sacrifié par la section du bulbe. À l’autopsie, je constatai que le foie était très sucré ; le dosage donna 1,88 pour 100 du tissu. La décoction était très opaline et laiteuse, comme dans l’expérience précédente.

Dans cette alimentation, la matière féculente a été transformée en matière sucrée dans l’intestin, sous l’influence du suc pancréatique. Nous voyons, en effet, ici, le canal intestinal d’un chien que nous avons nourri avec de la fécule hydratée, et qui a été sacrifié ce matin, une heure après l’ingestion de la fécule dans l’œsophage à l’aide d’une sonde. Nous ouvrons l’estomac, nous y trouvons une bouillie grisâtre, que nous jetons sur un filtre. Le liquide, qui passe parfaitement limpide, est acide, et prend une coloration bleue très intense par l’addition d’une goutte de teinture d’iode, ce qui indique la présence de l’amidon.

Si nous faisons bouillir ce liquide avec le tartrate de cuivre et de potasse, il n’y a aucune espèce de réduction ; par conséquent absence de matière sucrée dans l’estomac.

Dans la partie inférieure du duodénum, nous trouvons une matière visqueuse jaunâtre, colorée par la bile ; nous y ajoutons un peu d’eau et nous jetons le tout sur un filtre. Le liquide transparent qui passe est neutre ou très légèrement alcalin, et ne donne aucune coloration, comme vous le voyez, par la teinture d’iode : ce qui indique la disparition de l’amidon. Mais, par le tartrate cupro-potassique, nous obtenons un précipité très abondant d’oxyde de cuivre : ce qui indique l’apparition du sucre par la transformation de la fécule en cette substance.

Ainsi, en définitive, l’animal absorbe du sucre de fécule qui s’est produit dans l’intestin, et qui passe dans le sang de la veine porte, où l’on peut le rencontrer dans ces circonstances.

Si, au lieu d’ingérer de la fécule, nous avions donné du sucre soluble et directement absorbable, il aurait pu passer dans le sang de la veine porte, et arriver au foie sans aucune modification : c’est ce que j’ai constaté sur des chevaux à qui j’avais fait prendre de très grandes quantités de sucre de canne. J’ai retrouvé ce sucre en partie à cet état dans le sang de la veine porte.

J’ai également observé qu’au contact du suc pancréatique, le sucre de lait, qui est très peu fermentescible, acquiert la propriété de fermenter facilement.

Mais, Messieurs, dans ces expériences sur l’alimentation féculente ou sucrée, nous devions naturellement nous attendre à trouver une plus grande proportion du sucre dans le foie ; au lieu de cela, nous avons trouvé qu’il n’y en a pas une plus grande quantité après l’ingestion de ces substances dans l’intestin. Les chiffres 1,25 et 1,88 pour 100 ne diffèrent pas, en réalité, de ceux indiqués pour la gélatine et de ceux que nous avons trouvés ailleurs pour des alimentations mixtes.

Mais il y a cependant une différence, et c’est un point qui pourrait passer inaperçu, si je n’y insistais pas d’une manière toute particulière, en vous en rendant témoins par deux expériences comparatives et bien nettes : c’est le fait que la décoction du tissu hépatique d’un animal nourri avec des matières exclusivement féculentes et sucrées présente toujours une apparence émulsive et laiteuse.

Ainsi, voici deux chiens, l’un que nous avons nourri pendant trois jours exclusivement avec de la chair musculaire de mouton cuit, l’autre que nous avons soumis pendant le même temps à une alimentation exclusivement féculente. Ils ont été tués ce matin l’un et l’autre par la section du bulbe rachidien. L’appareil digestif a été mis à nu : nous prenons un morceau du foie de chacun de ces animaux, et nous le faisons bouillir avec de l’eau ordinaire. Voici maintenant les deux liquides de décoction, ils réduisent tous deux également le réactif cupro-potassique ; mais vous voyez que, tandis que le premier, celui de l’animal nourri de matières azotées est à peu près limpide ou au moins très légèrement opalin, l’autre, celui de l’animal nourri avec de la fécule, a, au contraire, tout à fait une apparence laiteuse et émulsive qui fait penser à une matière particulière qui existe en plus dans ce liquide.

Nous avons constaté déjà que chez ce dernier chien il y a de l’amidon dans l’estomac et du sucre dans l’intestin. Si nous ouvrons actuellement l’estomac et l’intestin de l’autre animal, nous trouvons dans l’estomac une matière grisâtre dans laquelle on reconnaît des fragments de tête de mouton cuite. Nous jetons le tout sur un filtre, et le liquide limpide et acide qui passe ne contient ni sucre ni fécule. L’addition de la teinture d’iode et l’ébullition avec le liquide cupro-potassique ne produisent aucun résultat. La matière recueillie à la fin du duodénum, étendue d’un peu d’eau, est jetée sur un filtre ; le liquide généralement jaunâtre qui filtre, et d’une réaction très légèrement acide, ne donne lieu avec les mêmes réactifs à aucun des caractères de la matière sucrée ; il n’y a donc dans l’intestin ni fécule ni principe sucré de deuxième espèce. Il n’y a pas non plus du sucre de la première espèce, car, en faisant bouillir avec un acide et traitant ensuite par la potasse, on n’obtient pas la réaction du glucose.

Ainsi que vous le voyez, l’alimentation féculente, apportant cependant au foie du sucre venu de l’extérieur, n’en donne pas davantage dans le tissu de cet organe, mais elle y fait apparaître une matière nouvelle restant en suspension dans la décoction.

J’insiste sur ce fait parce qu’il faut bien savoir que, dans l’état physiologique, l’ingestion de matières féculentes ou sucrées n’augmente pas la quantité de sucre dans le foie et par suite dans l’économie. Cette source extérieure n’apporte aucun changement dans la sécrétion intérieure du sucre ; elle ne saurait donc être aucunement considérée, ainsi que nous verrons, comme son auxiliaire.

Il n’en est pas ainsi dans le diabète où, dès qu’on donne des substances sucrées ou féculentes, il apparaît immédiatement dans l’économie et par suite dans les urines une plus grande quantité de sucre.

À l’état physiologique, on doit considérer le foie comme étant un organe destiné pour ainsi dire à établir un certain équilibre dans la constitution du sang.

En effet, si vous examinez le sang des animaux dont l’alimentation est si différente, les uns se nourrissent de matières animales, les autres de matières végétales, et, si vous analysez leur sang dans le cœur, par exemple, vous trouverez chez tous une composition à peu près identique de ce liquide vivant. Ces matières alimentaires n’entrent donc pas dans l’organisme, dans l’état ni dans les proportions où elles se trouvent quand elles sont dans l’intestin, elles subissent de la part du foie, placé comme un laboratoire vital, entre le canal intestinal et le fluide circulatoire général, une profonde élaboration dans laquelle se maintient un certain équilibre nécessaire pour établir la composition semblable du sang qui est et doit être doué des mêmes propriétés chez tous les animaux, puisqu’il sert à entretenir des phénomènes fonctionnels identiques. C’est à l’examen de ce mécanisme, qui est un des points les plus importants de la physiologie du foie au point de vue du diabète, que nous consacrerons la prochaine séance.

Septième leçon

16 janvier 1855.

SOMMAIRE : Le sucre provenant de l’alimentation ne passe pas à cet état dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières féculentes et sucrées. — Il les transforme en une substance émulsive particulière. — Expériences comparatives. — Preuves diverses. — Sang chyleux. — Urines laiteuses. — Application au diabète. — Rôle de la circulation dans la production du sucre. — Phénomènes mécaniques. Cas d’apparition accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phénomène. — Critique de quelques expériences.

Messieurs,

Nous sommes arrivés à un des points les plus délicats de la fonction glycogénique. Nous savons que le foie produit du sucre indépendamment de la nature de l’alimentation. Nous savons, d’autre part, que c’est aux dépens des matières albuminoïdes, que ce sucre se forme ; car les aliments féculents ou sucrés n’augmentent pas la quantité de sucre dans le tissu hépatique, et la matière sucrée se produit constamment chez les animaux exclusivement nourris de substances azotées, en aussi grande quantité que chez les herbivores. Mais il se présente alors une question : que devient le sucre qui est ingéré par l’alimentation ? Il y en a d’absorbé, c’est incontestable, car on en rencontre dans le sang de la veine porte. Mais cependant on n’en trouve pas plus au-delà du foie que dans une nourriture purement azotée ; c’est encore là un fait expérimental démontré.

Comment se comporte ce sucre vis-à-vis du foie ? La fonction glycogénique de cet organe n’est-elle destinée qu’à suppléer au défaut de la matière sucrée, quand les aliments n’en fournissent pas ? et doit-elle cesser, quand il en vient du dehors une quantité suffisante ?

Tels sont les problèmes qui se dressent devant nous, et que nous avons à aborder.

Eh bien, Messieurs, la fonction glycogénique du foie est constante, quelle que soit la nature de l’alimentation. Quand l’animal mange exclusivement des matières albuminoïdes, la proportion de sucre contenue dans son foie, comme nous l’avons vu dans la dernière séance, est de 1,35 à 1,65 pour 100 ; quand il se nourrit de matières féculentes ou sucrées, il s’en trouve encore des quantités sensiblement égales, de 1,50 à 1,88 pour 100. Le sucre venu du dehors ne s’ajoute pas comme tel au sucre hépatique, mais il est changé dans le foie en une autre matière, ainsi que je vous l’ai fait pressentir dans la dernière leçon. Je remets encore sous vos yeux les deux liquides qui résultent, l’un de la décoction du foie d’un chien nourri exclusivement de matières albuminoïdes, vous voyez que le liquide est parfaitement limpide ; l’autre de la décoction du foie d’un chien nourri avec une bouillie de fécule, et qui est, au contraire, trouble, opalin, ayant une apparence laiteuse. Les deux chiens ont été sacrifiés en pleine digestion, et ces deux liquides contiennent également du sucre. Ce n’est donc pas à ce dernier point de vue qu’ils diffèrent, mais seulement par la matière émulsive tenue en suspension dans le second, et qui n’existe pas dans le premier. Les matières féculentes, entrées comme sucre dans la veine porte et arrivées à cet état dans le foie, sont donc détruites par cet organe et changées en une autre matière qui a toute l’apparence d’une substance graisseuse émulsionnée par une matière protéique spéciale.

Nous avons dit que le sucre, introduit dans le tube intestinal, n’augmente pas la quantité de cette matière contenue dans le foie, mais qu’il s’y détruit et détermine l’apparition d’une autre substance émulsive. C’est de cette disparition du sucre alimentaire, que je veux actuellement vous rendre témoins, au moyen de deux expériences comparatives qui vous prouveront que du sucre en solution concentrée (60 part. de sucre pour 100 d’eau), ingéré dans le canal digestif et absorbé par la veine porte, n’entre pas dans la circulation générale, n’apparaît pas dans les urines, et se trouve, par conséquent, arrêté et détruit dans le foie, jusqu’auprès duquel on peut le suivre, tandis que dans la même dissolution concentrée le sucre, introduit dans l’organisme par toute autre voie, par l’absorption sous-cutanée, par exemple, entre dans la circulation générale, et est éliminé en partie au moins par les urines.

Pour cette expérience nous prenons deux lapins, en digestion. Au reste, ces animaux, même à jeun, ainsi que vous le savez, ont toujours des aliments dans l’estomac ; ce qui n’empêchera pas le sucre de descendre dans l’intestin. Nous extrayons leurs urines assez facilement, en pressant dans le petit bassin sur la vessie avec le pouce, immédiatement au-dessous de la symphyse pubienne. Vous voyez que ces urines sont troubles, alcalines, comme celles de tous les herbivores en digestion, et qu’en outre, elles ne contiennent pas de sucre, puisqu’en les faisant bouillir avec le réactif cupro-potassique, après les avoir traitées par le charbon animal, elles ne donnent lieu à aucun précipité.

Nous introduisons chez un de ces lapins une sonde de gomme élastique dans l’estomac, en ayant soin d’éviter la trachée, et longeant pour cela avec précaution le bord dorsal du pharynx et de l’œsophage. Nous sommes parvenu dans l’estomac et nous ingérons par cette sonde, et à l’aide d’une seringue, 32 centimètres cubes d’une dissolution sucrée contenant 60 grammes pour 100 de sucre de fécule ; nous avons ajouté une certaine quantité de prussiate jaune à cette dissolution.

Nous prenons maintenant l’autre lapin, et, à l’aide d’une canule acérée, taillée en biseau, comme un trocart (fig. 13), nous lui injectons, dans le tissu cellulaire sous-cutané, 16 centimètres cubes seulement de la même dissolution de sucre et de prussiate jaune de potasse, afin de rendre l’expérience plus concluante. Vous voyez le liquide entrer très facilement sous la peau, à raison de la laxité du tissu cellulaire des lapins. Une semblable injection réussirait plus difficilement chez des chiens, où le tissu cellulaire est beaucoup plus dense.

Nous pouvons constater que cette dissolution contient bien, d’une part, du sucre de fécule, dont la présence se manifeste par la réduction du tartrate cupropotassique, et, d’autre part, du prussiate de potasse, car, si nous y versons une goutte de perchlorure de fer, nous avons une coloration bleue intense, qui indique la formation du bleu de Prusse, et, par conséquent, l’existence du prussiate jaune dans le liquide. Je vous dirai dans un instant le but de cette addition de prussiate jaune de potasse.

Nous laissons maintenant nos lapins en repos ; l’absorption va se faire, et voici les phénomènes qui vont se passer et les résultats que nous constaterons à la fin de cette séance :

Les animaux ont reçu tous deux une dissolution de sucre et de prussiate jaune, l’un dans l’estomac, l’autre sous la peau. Quand nous examinerons, dans une heure, leurs urines, nous verrons que l’urine du premier lapin ne contiendra pas la moindre trace de sucre, tandis que l’urine du second en offrira des quantités considérables. Mais on pourrait peut-être objecter que, si le sucre n’apparaît pas encore dans les urines de l’animal chez lequel cette substance a été ingérée dans l’estomac, cela dépend d’une différence dans la rapidité avec laquelle l’absorption a lieu dans les différents points de l’organisme, et l’on sait, en effet, que l’absorption sous-cutanée est plus rapide que l’absorption intestinale.

C’est en vue de cette objection et pour y répondre de façon à ne laisser aucun doute dans votre esprit, que nous avons eu soin d’ajouter à la dissolution sucrée du prussiate de potasse. Cette substance, à la dose où nous l’introduisons, traverse l’organisme sans y apporter aucun trouble. Or, vous verrez que les urines de l’animal chez lequel l’injection a été faite dans l’estomac ne contiendront pas de sucre, tandis que celles de l’animal chez lequel l’injection a été faite sous la peau en présenteront des quantités notables ; cependant les urines des deux lapins offriront la même réaction au perchlorure de fer, parce qu’il se trouvera dans l’une et l’autre du prussiate jaune. Ceci prouvera que l’absorption s’est effectuée aussi bien dans l’intestin que sous la peau, mais que dans le premier cas la dissolution a abandonné un de ses éléments, le sucre, en traversant le foie, ce qui n’a pas lieu dans le deuxième cas.

Nous aurions encore pu faire l’expérience de la manière suivante : Après avoir pratiqué une petite plaie à l’abdomen d’un lapin, nous aurions pu injecter 2 à 3 centimètres cubes de cette même dissolution dans un des rameaux de la veine porte ; et en découvrant sur un autre lapin la veine jugulaire, injecter dans ce vaisseau la même quantité de la même dissolution qui serait ainsi arrivée au cœur sans avoir passé par le foie. Il est clair que, dans ce mode d’opérer, on ne pourrait pas invoquer aucune différence d’absorption, puisque dans les deux cas nous introduisons les substances directement dans le sang. Néanmoins nous aurions obtenu exactement le même résultat, c’est-à-dire que chez le lapin injecté par la veine jugulaire le sucre aurait passé dans les urines avec le prussiate de potasse, et avec une très grande rapidité, tandis que chez le lapin injecté par la veine porte le prussiate de potasse seul aurait passé dans les urines, où l’on ne retrouverait pas la moindre trace de sucre.

Il ne reste donc pas de doute sur ce fait que les matières sucrées arrivant par la veine porte ne traversent pas le foie, mais qu’elles occasionnent dans cet organe la production de cette matière nouvelle qui donne au liquide cette apparence blanchâtre, et qui paraît être une matière grasse unie avec une substance protéique.

Du reste, nous serons confirmés dans cette génération de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées alimentaires, par les faits connus dans l’engraissement des bestiaux, nous trouverons là une expérimentation faite sur une plus vaste échelle. Vous savez tous que les animaux engraissent surtout par l’effet d’une alimentation où prédomine la fécule ; que les oies et les canards, dont on rend artificiellement le foie gras, sont nourris jusqu’à l’engorgement avec une pâtée de maïs ou d’autre fécule ; que la graisse formée par un animal n’est nullement en proportion avec la quantité de graisse en nature qu’il prend ; que, tout au contraire, les animaux qui ne mangent que de la graisse, loin d’engraisser, maigrissent rapidement.

D’après tout cela, Messieurs, nous voyons donc grandir sous nos yeux le rôle et l’importance du foie, dont les fonctions avaient été si longtemps méconnues. Désormais ce n’est plus seulement la sécrétion biliaire que nous aurons à envisager dans cet organe, nous y trouverons en outre deux fonctions distinctes d’une importance capitale et qui sont la production du sucre aux dépens des matières albuminoïdes, et la production de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées de l’alimentation.

Il faut donc bien comprendre que la proportion très peu variable de sucre qui se trouve dans le foie et dans le sang n’est jamais, à l’état physiologique, complétée par les matières sucrées de l’alimentation venant s’ajouter purement et simplement au sucre hépatique ; ce sucre devrait alors être formé par le foie en proportion moindre, de manière à établir une sorte de balancement entre la quantité de sucre que le foie reçoit de l’intestin et celle qu’il forme dans son propre tissu, et ce balancement pourrait même aller jusqu’à anéantir la formation du sucre si l’extérieur en donnait assez. À ce point de vue, le foie ne serait plus qu’une espèce de source sucrée d’occasion pour suppléer à l’insuffisance de celle qui proviendrait de l’alimentation. Mais il n’en est point ainsi. Quelle que soit la nature de l’alimentation, le foie fabrique toujours la même quantité de sucre, et c’est ce sucre seulement qui apparaît dans le sang sortant par les veines hépatiques.

Des compensations de la nature de celles que nous venons d’indiquer, et telles que pourraient les rêver les partisans des causes finales, ne se voient pas ordinairement dans la nature. Les organes de nutrition, sans conscience de leur rôle, exécutent leurs fonctions propres, quand ils en ont les éléments nécessaires, et qu’ils y sont sollicités par une cause excitante ; mais on ne saurait placer là aucune intelligence spéciale à l’organe. Ce n’est point parce qu’il reconnait les aliments que l’estomac sécrète le suc gastrique ; c’est en raison seulement d’un phénomène d’excitation qu’il reçoit, car nous savons que cette sécrétion s’opère, quand on ingère à un animal des corps qu’il ne saurait s’assimiler, tels que des petits cailloux, par exemple. Le foie de même produit à l’état physiologique du sucre sous l’influence de toute excitation nerveuse ou sanguine, sans s’inquiéter de savoir s’il lui arrive ou non dans l’organisme du sucre par une autre voie.

Nous devons ajouter encore que le sucre arrivant du dehors, à l’état de sucre de canne ou de betterave, de sucre de fruits ou de fécule, de sucre de lait, etc., n’a point les mêmes caractères physiologiques que le sucre produit par le foie ; il est bien moins fermentescible ; bien moins destructible, et ne serait point apte aux usages que nous aurons à vous indiquer plus tard.

En résumé, la fonction du foie n’est point une fonction supplémentaire, variable suivant la quantité de matière sucrée introduite par l’alimentation ; elle est, au contraire, essentiellement fixe, tant que le sang et les matières albuminoïdes, aux dépens desquelles elle se fait exclusivement, lui sont fournies en quantité suffisante.

Quant au sucre qui arrive du dehors par l’alimentation, il se change dans le foie en une matière laiteuse, qui passe ensuite dans le sang, accompagne le sucre, et se manifeste également, en communiquant au sang un aspect blanchâtre dit chyleux. Vous voyez ici du sang qui a été retiré de la veine jugulaire sur un lapin nourri exclusivement avec des carottes et des féculents, au moment où l’animal était en pleine digestion. Ce sang s’est coagulé, et le sérum qui s’est séparé est comme vous voyez, blanchâtre, et a un aspect laiteux. On dit alors que le sang est chyleux. On avait cru longtemps que cette apparence était nécessairement due à la matière grasse que l’on faisait prendre à un animal avec ses aliments, mais ce phénomène se produit chez des animaux qui ne prennent que des féculents exempts de matières grasses, comme de la fécule de pomme de terre, par exemple, et c’est alors dans le foie que cette substance laiteuse se développe.

Je tiens de M. Persoz, qui s’est occupé scientifiquement de l’engraissement des oies, que, si l’on découvre un vaisseau chez un de ces animaux soumis au régime féculent d’engraissement pour obtenir le foie gras, le sang, qu’on voit circuler, n’est pas rouge, comme dans l’état normal, mais blanchâtre, offrant une teinte rosée et ayant l’apparence d’un sang mêlé à du chyle. C’est surtout au moment de la digestion que ce phénomène a sa plus grande intensité.

Tous ces faits concourent donc, comme vous le voyez, Messieurs, à établir que le sucre, résultant de la digestion des féculents, se change dans le foie en matière chyleuse. Si, maintenant, nous cherchons dans les faits pathologiques, nous pourrons en trouver peut-être qui sont en rapport avec cette nouvelle fonction du foie.

Il y a une maladie dont un des caractères principaux se tire des urines qui sont dites chyleuses, parce qu’elles sont blanchâtres absolument comme si on les avait mélangées avec du lait, qu’elles contiennent en effet des matières grasses émulsionnées. Cette maladie, qui est rare dans nos climats, se rencontre plus fréquemment dans les pays chauds. M. Rayer en a décrit plusieurs cas, et j’ai vu plusieurs fois de ces urines dans le laboratoire de ce médecin célèbre.

Je dis donc qu’il serait possible peut-être de rapprocher ce cas de la présence de la matière chyleuse dans les urines de la fonction nouvelle que je viens de vous signaler dans le foie ; de même que nous rattachons le diabète à la fonction glycogénique de ce même organe. Ce serait là un argument de plus à ajouter à cette proposition que nous avons énoncée bien souvent, à savoir, que les phénomènes morbides ont toujours leurs représentants dans les phénomènes normaux.

D’un autre côté, quand nous analyserons les symptômes du diabète, nous verrons que cette faculté du foie, de changer normalement le sucre en matière lactescente, paraît manquer complétement dans cette maladie, car aussitôt qu’on donne aux diabétiques du sucre dans l’intestin, cette matière apparaît dans les urines ; si alors cette matière grasse, résultant de la destruction du sucre alimentaire dans le foie, ne se fait pas, on conçoit que ces malades maigrissent avec rapidité, ainsi que l’ont constaté tous les observateurs, évitant de donner des féculents qui font augmenter le symptôme principal de cette affection.

Relativement aux caractères chimiques de cette matière chyleuse, voici ce que nous avons constaté :

On prend ici la décoction d’un foie de chien nourri depuis deux jours avec une pâtée de fécule et de pain. Cette décoction filtrée est très trouble et comme laiteuse. M. Leconte a traité une partie de ce liquide en y ajoutant de l’alcool mêlé de 1/5 d’éther, jusqu’à ce qu’il se séparât une matière caséeuse, qui est insoluble dans l’acide acétique cristallisable ; on jette sur un filtre qui laisse passer un liquide limpide et très sucré. La matière caséeuse reste sur le filtre ; on dessèche au bain-marie, on reprend par l’éther et, en laissant évaporer, on obtient une petite quantité de matière grasse.

Il semblerait donc que la matière grasse est intimement unie à la matière caséeuse qui la dissimule, car on ne peut pas séparer directement cette graisse par les moyens ordinaires. Dans les foies de chiens, ou d’animaux qui n’ont pas été nourris avec une alimentation fortement sucrée ou féculente, on n’obtient que de faibles proportions de cette substance caséeuse susceptible de céder de la matière grasse.

Nous n’entrerons pas dans de plus grands détails relativement aux caractères chimiques de cette substance nouvelle, qui naît dans le foie, sous l’influence de l’alimentation sucrée ou féculente. Nous ne faisons ici que l’indiquer comme sujet d’étude à reprendre plus tard, car nous ne devons pas perdre de vue notre sujet principal d’étude, l’histoire physiologique du diabète, auquel il nous faut actuellement revenir.

Après avoir étudié la part que les différentes substances contenues dans le sang prennent à la production du sucre dans le foie, nous allons chercher à apprécier l’influence qu’exercent sur l’accomplissement de cette fonction les conditions mécaniques de rapidité ou de ralentissement de la circulation du fluide sanguin à travers le foie.

Il ne faudrait pas croire que tout le sang qui traverse un organe soit épuisé de la matière sur laquelle cet organe opère pour accomplir sa fonction. Il n’y en a jamais qu’une partie d’employée ; le reste passe sans avoir éprouvé d’altération. Il y a donc dans le foie, comme dans tous les organes, une circulation mécanique, qui s’accomplit avec la rapidité de la circulation générale, et une circulation chimique beaucoup plus lente pour le travail d’élaboration auquel elle est destinée. Il en est ainsi de tous les organes glandulaires, du poumon, des glandes salivaires, du pancréas, de la rate, etc.

C’est de cette partie mécanique de la circulation du foie que nous allons vous dire quelques mots.

Quand on fait l’anatomie du foie, on trouve des groupes de cellules, qu’on nomme un lobule (fig. 7). Du centre de ce lobule part la veine sus-hépatique VH, et autour de cet amas de cellules environné par la capsule de Glisson arrive la veine porte VP, qui circonscrit en quelque sorte le lobule. On voit ainsi que le sang qui est amené par la veine porte à la périphérie du lobule doit, pour parvenir dans la veine hépatique, circuler à travers toute la série de cellules hépatiques intermédiaires. Durant ce trajet, le sang est en contact avec les cellules hépatiques, à travers des parois vasculaires très minces qui ne sont pas distinctes et ne circonscrivent en quelque sorte que des lacunes vasculaires.

 

Fig. 7. — VH, veine hépatique prenant naissance au milieu du lobule hépatique. — VP, VP, YP, terminaison de la veine porte autour du lobule hépatique qui se trouve circonscrit par ces divisions vasculaires. De ces divisions de la veine porte part un système de vaisseaux capillaires intermédiaire entre la veine porte et la veine hépatique. C’est dans les mailles de ce réseau capillaire que se trouvent situées les cellules hépatiques C, qui se trouvent immédiatement en contact avec le sang qui circule de la veine porte à la veine hépatique, c’est-à-dire de la périphérie du lobule hépatique à son centre. — B B B, terminaison des conduits biliaires, ou plutôt origine de ces canaux autour des lobules hépatiques ; ils accompagnent les divisions périphériques de la veine porte.

 

C’est là que se passent les phénomènes chimiques donnant naissance aux métamorphoses d’où résulte le sucre et les diverses autres matières nouvelles qui se forment dans le foie aux dépens des principes que contient le sang. C’est encore dans ce même lobule que se produit la bile qui est recueillie par les canaux biliaires B, B, B, distribués à la périphérie du lobule hépatique, en accompagnant la veine porte, sans qu’on ait pu encore déterminer exactement quels rapports anatomiques ces conduits biliaires contractent avec les cellules hépatiques. La plupart des anatomistes pensent qu’ils se terminent par des orifices béants au milieu des espaces intercellulaires du lobule. M. le docteur Hanfield Jones pense que ces conduits biliaires se terminent en culs-de-sac, de sorte que la bile serait sécrétée par leurs parois, et non par les cellules hépatiques.

 

Fig. 8. Cellules du foie du lapin à jeun et en digestion de fécule.
A, cellules du foie d’un lapin en digestion de carottes et pain ; les cellules, très granuleuses intérieurement, sont très arrondies et comme gonflées, présentant des contours pâles ; elles sont comme noyées au milieu de granulations moléculaires D qui les entourent, et sont animées d’un mouvement brownien très actif. — 0, noyaux de cellules isolés.
B, cellules du foie de lapin à jeun depuis trente-six heures ; ces cellules sont de forme assez irrégulière, comme aplaties avec des bords très nets, et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — 0, noyaux de cellules isolés.

 

Or, quand on examine au microscope le foie d’un animal en digestion de substances féculentes, on voit dans les cellules hépatiques une infinité de petits globules de graisse ; autour de ces cellules sont répandues des myriades de petites molécules, qui offrent également l’aspect de la matière graisseuse, et qui sont animées d’un mouvement brownien excessivement rapide. (Fig. 8 A ; fig. 9 B.) On observe particulièrement ces faits chez un animal soumis à l’alimentation féculente, et ce phénomène de production de la matière émulsive est déterminé durant le passage du sang de la veine porte à travers les cellules glandulaires du foie.

 

Fig. 9. Cellules du foie du chien à jeun et en digestion de féculents.
A, cellules du foie d’un chien à jeun ; ces cellules offrent des bords très nets et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — C, cellules hépatiques. 0, noyau de cellules isolé. B, cellules du foie d’un chien en digestion de pain et fécule ; les cellules C sont très granuleuses à l’intérieur, et entourées de granulations moléculaires D, douées du mouvement brownien. — 0, noyau de cellules isolé.

 

C’est la circulation chimique qui s’opère ainsi que nous l’avons dit (Fig. 7). Mais à côté de cette circulation très lente, il s’en fait une autre : on voit des rameaux de la veine porte, qui, au lieu de s’enfoncer dans le lobule du foie, le circonscrivent, et viennent s’anastomoser avec les veines hépatiques. C’est donc là une voie collatérale, par laquelle une partie du sang de la veine porte s’écoule sans avoir traversé les cellules du foie, pour arriver directement dans la grande circulation.

 

Fig. 10. Portion d’un foie de cheval vu par sa face inférieure pour montrer une nouvelle espèce de communications vasculaires directes qui existent entre la veine porte hépatique et la veine cave inférieure, au moment de sa pénétration dans le foie. — YP, tronc de la veine porte hépatique. — VC, tronc de la veine cave inférieure, s’élargissant et présentant une structure musculaire très prononcée dans toute sa portion hépatique. — A, branche de la veine porte hépatique se détachant de son tronc et allant se ramifier sur la face externe de la veine cave inférieure, à la manière des vasa vasorum, mais offrant cette singulière disposition que la plupart des rameaux, au lieu de se terminer en capillaires, pénètrent brusquement en a, a, a, a dans la cavité de la veine cave inférieure, s’insinuant entre les fibres musculaires qui constituent sa paroi, et établissant ainsi une communication entre le sang de la veine cave inférieure et celui de la veine porte hépatique.

 

Or, ce système accessoire, qui est très peu visible chez l’homme, acquiert son summum de développement chez le cheval et chez certains animaux coureurs où les communications à plein canal entre la veine porte et les veines hépatiques deviennent excessivement larges, et permettent au sang venu de l’intestin de passer facilement dans la veine cave inférieure.

On voit, même chez le cheval (Fig. 10), des vaisseaux qui se détachent de la veine porte VP, à son entrée dans le foie, pour se porter vers le tronc de la veine cave VC, dans les parois de laquelle pénètrent un certain nombre de branches terminales a, a′, a″, qui versent directement le sang dans la veine cave sans qu’il ait passé par aucun système capillaire. Quand on examine la surface interne de la veine cave (Fig. 11), on y voit des orifices b, b′, bien nettement circonscrits, qui ne sont autre chose que les orifices de ces communications directes entre la veine porte et la veine cave. Il n’y a pas de valvules dans ces vaisseaux. Il existe également de ces mêmes communications directes dans le foie, entre les vaisseaux de la veine porte et les veines hépatiques. On peut vérifier la réalité des communications que nous venons de signaler, au moyen des injections qui, sur un cheval ou sur un chien, passent avec la plus grande facilité de la veine porte dans la veine cave ; ce qui offre beaucoup plus de difficulté chez l’homme.

On conçoit, en effet, l’importance de telles communications entre la veine porte et la veine cave, de même qu’avec les veines hépatiques qui ne sont qu’une dépendance de la veine porte.

Chacun sait que, sous l’influence d’un mouvement violent, la circulation est très accélérée, le sang parcourt plus vite et plus souvent, dans un temps donné, le système vasculaire. S’il n’y avait pas entre le système porte et le système veineux général ces larges communications à travers le foie, il en résulterait un engorgement de cet organe, comme cela a lieu chez l’homme et chez certains animaux non habitués à la course, où, sous l’influence d’une marche rapide, le sang, s’accumulant dans le foie, reflue dans la veine porte et dans la rate ; ce qui produirait, suivant certains auteurs, le point de côté.

 

Fig. 11. Portion d’une veine cave inférieure de cheval (grandeur naturelle) vue par sa face intérieure, pour montrer les orifices d’abouchement des vaisseaux anastomotiques de la veine porte. — a, a, a, a, ouverture de section des vaisseaux anastomotiques provenant de la veine porte, et se ramifiant à la surface externe de la veine cave inférieure. On aperçoit par transparence leur mode de distribution (la pièce est sèche et injectée, elle appartient à un cheval dont le foie était malade, et par suite ces vaisseaux anastomotiques se trouvent excessivement développés). — b, b, b, b, orifices de communication de dimensions variables, par lesquels les vaisseaux anastomotiques de la veine porte hépatique s’abouchent dans la veine cave inférieure en écartant les fibres musculaires et en continuant leur tunique avec la membrane qui tapisse la face interne de la veine cave.

 

Il y a donc dans le foie une circulation chimique lente et une circulation mécanique rapide ; au moyen de cette dernière une certaine quantité de sang échappe aux transformations que lui ferait subir un contact prolongé avec l’élément glandulaire. De là résulte que, pour les matières albuminoïdes, par exemple, il n’y en a qu’une certaine quantité qui soit changée en sucre, et que, quant à la matière sucrée qui arrive avec le sang de la veine porte, il y en a toujours également une certaine portion qui n’est pas transformée en cette matière émulsive spéciale.

La proportion de sucre qui, dans les circonstances ordinaires, passe par le foie sans être modifiée, est trop peu considérable pour apparaître dans les urines, parce que les matières alimentaires féculentes ne donnent pas lieu à l’absorption de matière sucrée en aussi grande abondance qu’on serait peut-être porté à le croire.

Néanmoins, il y a des cas, où, sous l’influence de conditions particulières, le sucre peut accidentellement apparaître dans les urines, sans pour cela constituer une maladie. Ce n’est alors qu’un phénomène passager, qui se manifeste, par exemple, quand, étant à jeun depuis un certain temps, on vient à prendre une grande quantité de sucre. L’absorption intestinale se faisant alors avec une extrême rapidité, une grande quantité de sucre arrive en masse dans le foie ; la circulation mécanique l’emporte de beaucoup sur la circulation chimique, le sucre est versé dans le système général dans des proportions plus grandes que ne le comporte l’état normal, et il passe alors dans les urines où son apparition passagère peut être constatée pendant un certain temps. Il est clair que l’on ne peut pas considérer cela comme un cas de diabète, ni caractériser la maladie par ce seul symptôme.

M. Biot a cité déjà ce passage du sucre chez des gens d’ailleurs bien portants. Mais pour le reproduire à volonté, il suffit de se rappeler dans quelles conditions particulières l’absorption intestinale devenant très rapide, la circulation hépatique se trouve exagérée, ainsi que nous vous l’exposerons bientôt. Du reste, ce phénomène n’est pas spécial pour le sucre, il a lieu pour toutes les substances que, dans les mêmes circonstances, on ingère en quantités considérables. Je me rappelle qu’un jour, un homme bien portant du reste, mais étant à jeun, avala un assez grand nombre d’œufs crus. Quelques heures après, on constata que les urines étaient devenues très albumineuses, et elles ne reprirent qu’au bout d’un certain temps leurs qualités normales.

Donc il n’est pas indifférent, lorsqu’on ingère une matière naturellement modifiée dans le foie, de l’introduire dans l’état d’abstinence ou dans l’état de digestion.

Il n’est pas indifférent non plus de prendre une dissolution plus ou moins saturée. Si l’on emploie une dissolution de sucre peu concentrée, 5 pour 100, par exemple, on ne verra jamais le sucre passer dans les urines, même chez l’animal en abstinence, parce que la quantité qui arrivera dans la circulation générale sera nécessairement très faible et n’apparaîtra pas dans les urines. Seulement cette rapidité d’absorption, même pendant l’abstinence, pourra être diminuée par la présence de matières dans l’intestin ; et il y a, sous ce rapport, une différence à établir entre les chiens dont l’estomac est parfaitement vide, tandis que chez les lapins, il y a encore des aliments même après une abstinence de plusieurs jours.

Toutes ces circonstances, en apparence accessoires, sont donc très importantes à considérer, quand on veut faire des expériences précises. En 1853, M. le docteur J. de Becker a publié, dans le Ve volume du Journal de zoologie scientifique de Siebold et Kölliker, un grand nombre d’expériences relatives à l’absorption du sucre dans l’intestin. Ces expériences ont été faites avec un très grand soin, les quantités de sucre dosées très exactement, et l’on a dressé des tables statistiques avec une attention toute particulière. Néanmoins l’auteur a obtenu des résultats variables, quoiqu’il eût fait tous ses efforts pour se mettre dans des conditions identiques ; seulement il a pris une précision en dehors des conditions physiologiques de l’organisme. Car, en recherchant ces conditions, les variations des résultats obtenus s’expliquent très simplement : c’est ainsi, par exemple, qu’à la page 133, deux lapins ont reçu dans l’estomac, la même quantité d’une solution concentrée et dosée de sucre, et cependant on n’a trouvé le sucre dans les urines que chez un seul animal.

L’auteur constate les deux résultats sans rechercher autrement d’où provient la différence, et cependant cette différence s’explique par les circonstances signalées, car il constate que chez le lapin, où le sucre a passé dans l’urine, celle-ci était claire et acide, ce qui est le caractère de l’abstinence sur les lapins.

Vous voyez donc, Messieurs, que la précision des calculs n’apporterait avec elle qu’une rigueur spécieuse si l’on n’avait soin de diriger son attention sur les conditions physiologiques variables des fonctions qu’on examine.

M. J. de Becker a produit aussi un phénomène purement physique, au lieu d’un phénomène physiologique. Il a injecté, par exemple, une solution concentrée de sucre dans une anse d’intestin, et au bout de quelque temps, il a constaté dans l’urine le passage de la matière sucrée. Il n’y a pas eu là, comme dans le cas où la matière sucrée introduite dans l’estomac peut circuler librement, une absorption physiologique par les vaisseaux veineux, qui transportent le sucre au cœur avec le sang, pour qu’il soit ramené ensuite jusqu’au rein par l’aorte et par l’artère rénale. Il y a eu dans ce cas simplement des phénomènes endosmotiques qui se sont passés entre les parois de l’intestin et les parois de la vessie, à cause de la concentration considérable des liquides, et l’on doit reconnaître là un phénomène tout à fait différent de celui qui s’observerait chez un animal vivant dont l’intestin n’aurait point été lié. Ce qui prouve que c’est bien un phénomène purement physique et qui n’a rien de vital, c’est que nous pouvons le reproduire avec les mêmes résultats chez un animal mort. Voici un lapin, mort depuis hier, dans l’intestin grêle duquel nous avons injecté, il y a trois heures, une dissolution sucrée, contenant 60 grammes de sucre sur 100 grammes d’eau et 2 grammes de prussiate de potasse. Nous allons maintenant retirer l’urine restée dans la vessie de ce lapin. Elle contient, ainsi que vous le voyez, du sucre, puisqu’elle réduit avec le tartrate cupro-potassique et du prussiate jaune, puisqu’elle donne du bleu de Prusse avec le perchlorure de fer.

Telles sont donc, Messieurs, les erreurs auxquelles on peut être exposé, quand on n’a pas le soin de s’attacher avant tout à connaître exactement les conditions physiologiques des phénomènes vitaux. C’est là que se trouve la véritable précision de la physiologie. Tous les moyens de précision, basés en dehors de ces considérations, sont purement illusoires, et il est à regretter que très souvent on ait à constater de ces tentatives d’exactitude prétendue mathématique qui pèchent par l’oubli des conditions qui devraient leur servir de base.

Maintenant, Messieurs, en terminant la séance, constatons les résultats que nous avons annoncés au commencement.

Voici d’abord le lapin, auquel nous avons injecté notre dissolution de sucre et de prussiate sous la peau. Nous prenons de ses urines, elles sont toujours troubles ; j’en prends une portion, à laquelle j’ajoute du perchlorure de fer, et la formation du bleu de Prusse indique que le prussiate de potasse y a passé. Maintenant, je traite l’autre portion par le tartrate cupro-potassique ; il est réduit abondamment, comme vous voyez. Donc, le sucre, dans ce lapin, a passé dans les urines comme le prussiate.

Si nous extrayons de même de l’urine de l’autre lapin, elle est trouble comme l’autre.

Le perchlorure de fer y forme du bleu de Prusse ; donc le prussiate a passé. Examinons au réactif cupro-potassique ; il n’y a aucune réduction. Donc, le prussiate seul a passé dans les urines de ce lapin. Le sucre a été détruit dans ce dernier cas parce qu’il a dû traverser le foie. Voici donc la vérification des résultats que nous avions annoncés au commencement de cette séance.

Huitième leçon

20 janvier 1855

SOMMAIRE : Conditions anatomiques qui favorisent la circulation dans le foie. — Structure comparée de la veine porte et des veines hépatiques. — Mécanisme de la circulation hépatique. — Influence des maladies sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l’état diabétique. — Influence de la température sur la sécrétion du sucre. — Influence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de la chaleur. — Age et sexe. — Lactation.

Messieurs,

Nous savons que dans certaines conditions physiologiques la sécrétion glycogénique subit des oscillations dans lesquelles elle est tour à tour augmentée et diminuée.

L’activité de la circulation dans le foie est une des conditions qui peuvent augmenter la sécrétion du sucre, et cette activité elle-même peut être déterminée principalement par deux ordres de causes purement mécaniques, dont les unes sont extérieures au foie et les autres intérieures à cet organe, et agissent en vertu de sa constitution anatomique.

Le sang qui arrive par la veine porte est soumis d’abord à la pression à peu près constante qui lui est transmise par le sang des artères mésentériques, et, en outre, il est poussé vers le foie par la pression des parois abdominales. Si l’on vient à ouvrir le ventre, la pression est insuffisante pour faire circuler le sang vers le foie, et si l’on ouvre alors le thorax, il y a même reflux du sang de cet organe, qui se mélange avec le sang de la veine porte, à cause de l’absence de valvules dans ce système veineux. Mais les conditions de circulation que nous venons de signaler, quoique assez énergiques, ne suffiraient certainement pas pour pousser le sang à travers le foie jusqu’au cœur/s’il n’y avait pas dans cet organe lui-même des dispositions particulières pour empêcher son engorgement d’avoir lieu.

Je vous ai déjà indiqué, dans la dernière séance, comment il fallait distinguer deux circulations dans l’organe hépatique, l’une purement chimique, destinée à l’accomplissement des phénomènes de sécrétion ; l’autre, mécanique, destinée à faciliter le renouvellement du sang dont l’excès peut arriver dans les veines hépatiques par des canaux spéciaux qui entourent les lobules du foie, sans traverser les cellules hépatiques. C’est là une première condition qui empêche dans certains moments, comme pendant la digestion, et pendant la course, où la circulation est très accélérée, le foie de se trouver engorgé.

Indépendamment de cette circulation collatérale de dégorgement, il y a dans le foie une disposition particulière dans la structure même des veines hépatiques, qui supplée à l’insuffisance d’impulsions du sang qui arrive dans ces vaisseaux, soit qu’il ait traversé des cellules pour accomplir les phénomènes chimiques, soit qu’il ait passé par les communications directes qui existent entre la veine porte et les veines hépatiques.

 

Fig. 12. Foie d’homme disséqué suivant le trajet des vaisseaux pour montrer la disposition respective des rameaux de la veine porte et de ceux des veines hépatiques, ainsi que leur rapport avec le tissu du foie. — VP, tronc de la veine porte coupée au moment de son entrée dans le foie ; on voit la portion qui se distribue dans le lobe gauche. — VP′, VP′, rameaux de la veine porte qui sont entourés de la capsule de Glisson et n’adhèrent pas intimement au tissu hépatique. Les branches de l’artère hépatique pénètrent dans le foie avec la veine porte et la suivent dans sa distribution. — VH, YH, veines hépatiques ; leur paroi adhère au tissu du foie qui les entoure.

 

Le foie, comme vous le savez, possède deux ordres de veines, la veine porte, formant le système afférent, et les veines hépatiques, formant le système efférent.

Quand on examine une coupe du foie, vous savez aussi qu’il est facile de distinguer, à première vue, auquel de ces deux ordres de veines appartiennent les orifices vasculaires qui s’offrent aux yeux. Les ramifications de la veine porte, entourées par la capsule de Glisson, n’adhèrent pas à la substance hépatique, dont elles sont séparées par une couche de tissu cellulaire dans lequel rampent les branches de l’artère hépatique, les conduits biliaires ainsi que les nerfs ; il en résulte que, quand on vient à couper ces veines, elles se rétractent de manière que le rapprochement de leurs parois obstrue lu lumière du vaisseau.

Les veines hépatiques VH, VH (Fig. 12) et leurs ramifications ne sont point entourées par une gaine spéciale, elles sont directement en contact et adhérentes, par leur face externe, avec le tissu même du foie, de sorte qu’au lieu de se rétracter après la section, elles restent béantes. En outre, tandis que la veine porte VP arrive à peu près au centre du foie pour envoyer dans tous les sens des rameaux qui s’irradient à la manière des rayons d’un cercle, les veines hépatiques partent, au contraire, toutes d’un point de la circonférence de l’organe et envoient leurs rameaux dans le foie, à la manière des branches d’un éventail dont le lieu de convergence se trouve sur la veine cave inférieure VC, Les branches forment deux plans principaux, l’un supérieur, l’autre inférieur, entre lesquels se trouve le système porte.

Or à cette disposition spéciale des veines hépatiques par rapport au tissu du foie correspond un rôle physiologique particulier résultant de la structure intime de ces vaisseaux. Les veines hépatiques dépendent de la veine cave inférieure ; celle-ci, dans toute la portion qui est logée dans le foie, offre une structure musculaire extrêmement prononcée. Son calibre est plus considérable, sa paroi acquiert en ce point une couche charnue très épaisse. Les fibres musculaires sont surtout longitudinales, et elles forment des faisceaux rougeâtres, placés parallèlement les uns aux autres. Avant d’entrer dans le foie et après en être sorties, les parois de la veine cave sont beaucoup plus minces et offrent une structure tout à fait différente.

On voit quelquefois la veine cave présenter des battements en ce point.

Ce système musculaire est également propre aux veines hépatiques. Là, comme dans la veine cave, les fibres sont longitudinalement disposées et constituent de petits faisceaux rougeâtres parallèles, très apparents. Les fibres musculaires, examinées au microscope, sont composées de fibres lisses, non striées, analogues à celles du cœur et de l’intestin.

C’est surtout chez le cheval que cette structure musculaire est le plus évidente, elle existe aussi chez l’homme, le mouton, le chien, le lapin, etc., mais à un degré moins prononcé. Il est remarquable que c’est chez les chevaux coureurs que j’ai toujours trouvé cet appareil à son summum de développement.

Les fibres, en se contractant, raccourcissent la longueur du vaisseau, rapprochent les uns des autres les éléments du tissu hépatique auxquels elles sont intimement unies. Les veines hépatiques distribuant leurs rameaux et leurs ramuscules dans toutes les parties du foie, on conçoit que, quand elles viennent à se raccourcir, il en résulte une compression générale de tout l’organe.

On comprend maintenant comment peut se faire la circulation sous l’influence de ce système de vaisseaux susceptibles de se contracter. Le sang conduit par la veine porte se répand autour d’un lobule hépatique, et après avoir traversé les cellules ou les communications capillaires directes, il arrive enfin à la veine hépatique, qui occupe le centre de ces lobules, où il stagnerait, parce que la faible impulsion qui l’a amené jusque-là serait impuissante à le conduire plus loin. Mais les veines hépatiques, se raccourcissant, expriment, pour ainsi dire, le foie, à la manière d’une éponge, et le sang, trouvant du côté de la veine cave un débouché plus facile, est chassé dans ce vaisseau qui le conduit au cœur.

Nous verrons qu’il y a des cas où l’activité de ce système peut être exagérée ou ralentie de manière à produire des troubles relatifs à l’affection diabétique.

Après avoir résumé toutes les conditions mécaniques et chimiques de la circulation du foie, nous devrions passer à l’influence du système nerveux, mais nous avons encore quelques considérations à vous présenter sur des actions extérieures du milieu ambiant. Ce sont les influences que peuvent exercer sur la fonction du foie soit les différentes maladies aiguës, soit le sexe et l’âge, etc.

Relativement aux maladies graves, aiguës ou chroniques, leur influence est extrêmement remarquable, en ce qu’elle détruit très rapidement les fonctions du foie et en particulier celle de la formation du sucre. Aussi, Messieurs, toutes les fois que vous examinerez le tissu hépatique des cadavres amenés dans les amphithéâtres, et morts pour la plupart après un séjour plus ou moins long dans les hôpitaux, vous n’y trouverez pas ordinairement de sucre.

Voici, par exemple, un foie d’homme, apporté ce matin du pavillon de l’École pratique, et pris au hasard ; nous pouvons dire d’avance, avec beaucoup de probabilité, qu’il ne contient pas de sucre ; d’ailleurs, pour vous en convaincre, nous allons le soumettre à nos procédés ordinaires d’analyse. On en coupe un morceau, on le broie et on le fait bouillir avec un peu d’eau. Si nous prenons maintenant le liquide et la décoction, et que nous le traitions par le tartrate cupro-potassique, vous voyez qu’il ne le réduit pas, et par conséquent qu’il ne contient pas de sucre. Aussi, quand nous avons voulu savoir si la fonction dont nous nous occupons existait chez l’homme, avons-nous dû prendre des foies d’individus morts en état de santé, des foies de suppliciés, par exemple, ou d’individus morts subitement par accident.

Si l’on rend un animal malade, on fera disparaître, et au bout de très peu de temps, le sucre dans son foie. Voici un chien auquel on a ouvert hier le canal rachidien et fait la section de quelques racines nerveuses de la moelle épinière, opération douloureuse et qui exige qu’on pratique des pertes de substance assez graves. L’animal vient d’être tué par la section du bulbe et, quoiqu’il soit malade depuis vingt-quatre heures à peine, voici le liquide résultant de la décoction de son foie, qui, ainsi que vous le voyez, ne réduit pas le tartrate cupro-potassique.

Ainsi, Messieurs, sous l’influence d’un état morbide, mais particulièrement sous l’influence d’un état fébrile aigu, le sucre n’est plus sécrété par le foie, et l’on n’en retrouve plus dans son tissu. C’est là, comme vous le sentez bien, un fait très important, et qui doit éclairer la pathologie générale au point de vue des phénomènes de nutrition qui ont lieu pendant la maladie.

Dans le cas particulier qui nous occupe, lorsqu’un individu diabétique est pris d’une maladie aiguë ou chronique, les choses se passent de même : le sucre n’est plus sécrété du tout, ou bien sa sécrétion diminue considérablement, et le sucre disparaît des urines, à tel point qu’on pourrait croire le malade guéri de sa première affection ; mais c’est tout simplement le symptôme qui a disparu, parce que la fonction du foie s’est arrêtée comme beaucoup d’autres fonctions. Le sucre reparaîtra sitôt que l’affection intercurrente aura disparu.

M. Rayer a insisté sur ce fait que, si un diabétique est pris d’une maladie aiguë, d’une pneumonie ou d’une variole, par exemple, il cesse de rendre du sucre dans les urines pendant tout le temps que la maladie suit ses périodes, puis, quand elle a disparu, le diabète revient comme auparavant.

J’ai observé moi-même un cas très curieux chez une femme diabétique qui avait en même temps une altération chronique des intestins. De temps en temps les phénomènes de cette dernière affection passaient à l’état aigu, la malade avait des coliques et de la diarrhée. Aussitôt que ces symptômes apparaissaient, le sucre cessait de se montrer dans les urines, mais y revenait dès que l’affection intestinale se calmait. Je vis cinq ou six fois se reproduire ces alternatives.

On a donc pu croire souvent que des diabétiques étaient guéris par cela qu’ils contractaient une autre maladie intercurrente. Très souvent dans la dernière période du diabète, quand les individus commencent à devenir phtisiques, et quand les fonctions digestives s’altèrent, on voit le sucre disparaître des urines. Cela indique alors que le malade n’a plus longtemps à vivre.

On ne trouve, en effet, de sucre dans le foie des diabétiques que quand ceux-ci sont morts rapidement ou par suite d’accident.

L’état de maladie aiguë est donc incompatible avec le diabète. Cette affection, en effet, ne se rencontre, en général, que chez des individus dans lesquels les fonctions nutritives, les fonctions digestives surtout, ont une grande énergie. Quand, dans nos expériences, nous voudrons rendre des animaux diabétiques, ainsi que nous vous le ferons voir bientôt, nous aurons soin de les prendre aussi vigoureux que possible, car nous n’obtiendrions pas de résultats aussi nets sur des animaux faibles et maladifs.

En résumé, vous voyez donc que, soit chez les individus non diabétiques, soit chez les diabétiques eux-mêmes, une maladie aiguë fait disparaître le sucre du foie, et quand la mort arrive à la suite de ces affections, le tissu hépatique ne présente plus trace de matière sucrée.

La mort emporte souvent avec elle par conséquent un certain nombre des caractères physiologiques qu’on retrouve dans les organes pris sur des individus morts dans un état de santé ; elle a pour effet, en particulier, d’enlever ou de modifier les caractères de la chimie vitale. On ne peut pas toujours par conséquent conclure, de l’examen d’un organe pris chez un individu mort de maladie, à ses propriétés dans leur exercice normal pendant la vie. Les expériences doivent donc être instituées sur l’être vivant et en état de santé pour être concluantes.

Quant à la présence du sucre, il est clair que, dans le plus grand nombre des cas où on l’eût recherchée sur l’homme, il était impossible qu’elle fût constatée. Et pour le dire en passant, car nous devons insister sur cette notion pour montrer que la physiologie déduite de l’anatomie du cadavre est tout à fait insuffisante, ce n’est pas seulement au point de vue chimique que la mort apporte des modifications dans les organes, mais encore au point de vue purement anatomique ; elle produit des déformations dans les tissus organiques, elle fait disparaître les éléments anatomiques d’une foule de muqueuses, celles de l’intestin, celles de l’utérus, par exemple, qu’on n’a bien connues qu’en les étudiant sur des individus pris en état de santé et au moment où les organes fonctionnaient suivant leur mode normal.

Nous arrivons maintenant à considérer l’influence des conditions de température extérieure, de chaleur ou de froid sur les fonctions du foie.

Quand on expose un animal au froid, le sucre disparaît dans son foie. Pour faire cette expérience, on prend de préférence des petits animaux qui, en raison de leur faible masse, sont plus faciles à refroidir, comme le lapin ou le cochon d’Inde, par exemple. Si donc on entoure un cochon d’Inde de neige ou de glace, ou si on lui maintient le ventre appuyé sur un corps très bon conducteur, comme le mercure, voici ce qui arrive : l’animal se refroidit peu à peu et d’autant plus vite qu’il est plus petit, surtout s’il est mouillé. Sa température, prise dans le rectum, qui est dans les conditions normales de 380 cent. environ, descend successivement à 30, 25, 20 et même 18 degrés. Il ne faut pas plus d’une heure et demie à deux heures pour produire cet abaissement quand l’animal n’est pas mouillé. Une fois arrivé vers 18 ou 20 degrés, l’animal est devenu insensible dans les extrémités, a perdu la faculté de se réchauffer spontanément, ainsi que l’a déjà vu M. Magendie, et, si on l’abandonne à lui-même dans un milieu qui n’a pas plus de 18 à 20 degrés, sa température continuera à baisser et il ne tardera pas à mourir. Mais si, au contraire, on le sèche, si on le réchauffe peu à peu, il se rétablira graduellement, reprendra sa chaleur primitive et pourra vivre.

Si l’on examine comment s’est comportée pendant ce temps la fonction glycogénique, on trouve que, à mesure que la température s’abaisse, le sucre diminue dans le foie, et quand le thermomètre n’indique plus que 18 à 20 degrés, on n’en trouve plus du tout, de sorte qu’en deux heures tout le sucre du foie peut avoir disparu. La production de la matière sucrée ne recommence que quand l’animal a repris sa température initiale de 38 degrés, ce qui arrive seulement au bout de trois ou quatre heures, où il a recouvré sa chaleur, sa sensibilité, sa vivacité et son appétit habituels.

Du reste, le temps nécessaire pour faire disparaître et revenir le sucre dans le foie peut aussi éprouver quelques variations qui dépendent de la grosseur des animaux et de l’état de digestion ou d’abstinence dans lequel ils se trouvent, quand on les soumet à l’expérience, ainsi que de la rapidité avec laquelle la mort survient. Nous allons, pour mieux préciser ces faits dans votre esprit, vous indiquer quelques-uns des résultats que nous avons obtenus.

Première expérience. — Un petit cochon d’Inde a été plongé dans de l’eau glacée pendant dix minutes, la tête en dehors ; après quoi on l’en retire et on l’abandonne à lui-même ; il meurt environ dix minutes après. On en fait l’ouverture, et l’on constate que l’animal est en pleine digestion, et que son foie renferme beaucoup de sucre.

On voit, par cette première expérience, qu’il ne suffit pas que l’animal meure par le froid, mais qu’il faut, en outre, que cette action dure un certain temps pour faire disparaître le sucre qui existe dans le foie à l’état normal avant le refroidissement. Il est facile de comprendre qu’il doive en être ainsi, car, si l’action du froid, portée sur la peau, retentit sur le foie pour le paralyser en quelque sorte, et arrêter la production du sucre, le froid ne peut pas faire disparaître par cela même le sucre qui y était préalablement formé. Il faut donc qu’il s’écoule un certain temps entre le commencement de l’application du froid et la mort de l’animal, temps qui devra être d’autant plus long, que la quantité de sucre existant dans le foie sera plus considérable. Ce temps devra être conséquemment plus long chez un animal en digestion que chez un animal à jeun.

Deuxième expérience. — Un petit cochon d’Inde, de la même portée que le précédent, et dans les mêmes conditions d’alimentation, a été mouillé, par simple immersion, à deux ou trois reprises différentes, dans l’eau froide, de manière à faire baisser successivement sa température, sans lui donner le temps de se réchauffer dans l’intervalle des immersions. L’animal s’est refroidi assez lentement, et est mort au bout de deux heures ; alors on a examiné son foie, qui ne contenait plus que des traces excessivement faibles de sucre.

Troisième expérience. — Un cochon d’Inde, adulte, dans l’intervalle de deux digestions, a été placé au-dessus d’une cuve à mercure, et maintenu en contact avec le mercure, à l’aide d’une petite planchette, à travers laquelle il pouvait passer la tête. La température ambiante était de 8 degrés. La température de l’animal était primitivement de 38 degrés 1 /2, elle était, au bout d’une heure un quart, arrivée à 12 degrés 1/2. On retira alors l’animal, qu’on abandonna à lui-même à la température ambiante, et il mourut en se refroidissant de plus en plus. Un quart d’heure après, c’est-à-dire une heure et demie après le commencement de l’expérience, le foie de l’animal ne contenait pas de traces de sucre.

Quatrième expérience. — Un autre cochon d’Inde, dans les mêmes conditions d’alimentation, a été placé sur le mercure, comme le précédent. Au bout d’une heure, sa température était descendue à 25 degrés ; au bout de cinq quarts d’heure à 22 1/2 ; au bout d’une heure et demie à 20 degrés. Alors on le retira et on le réchauffa graduellement. Au bout de cinq quarts d’heure, l’animal était revenu, quoique grelottant encore, et la température de son rectum était de 35 degrés. Le lendemain, l’animal était parfaitement rétabli, et son foie contenait beaucoup de sucre.

Dans les expériences précédentes, que nous choisissons au milieu d’un grand nombre d’autres que nous avons faites, le refroidissement de l’animal est accompagné de la disparition du sucre dans le foie, disparition qui est complète lorsque l’action du froid a été prolongée suffisamment.

En même temps il se produit une influence sur la respiration ; celle-ci diminue de fréquence, à mesure que la température de l’animal décroît, et elle augmente, à mesure que la chaleur propre de l’animal se relève. Nous allons, du reste, vous rendre témoins de toutes ces particularités en répétant l’expérience devant vous.

Nous avons ici trois cochons d’Inde de la même portée, pesant chacun environ 180 à 200 grammes ; nous les avons choisis exprès de petite taille, afin que le refroidissement soit plus facile ; car, s’ils étaient plus gros, la neige non fondante ne suffirait pas pour les refroidir. Ils sont à jeun depuis hier soir.

Nous avons sacrifié un de ces animaux, et nous avons placé les deux autres, sans les mouiller, dans de la neige non fondante, de sorte qu’ils reçoivent actuellement l’impression du froid sans humidité ; on a eu soin de leur laisser une ouverture pour qu’ils puissent respirer. Ces animaux ont été mis en expérience à dix heures et demie. Leur température initiale, prise dans le rectum, était de 38 degrés. A onze heures trois quarts, c’est-à-dire après une heure un quart de refroidissement, les animaux commencent à s’engourdir ; on les retire, ils ne présentent plus que 19 degrés ; ils sont couchés sur le flanc, insensibles et comme paralysés. Leur respiration est faible et rare ; alors on en abandonne un à lui-même à la température ambiante de 12 à 13 degrés, et l’autre cochon d’Inde est réchauffé auprès du poêle. Depuis ce temps, l’animal, qu’on avait abandonné à lui-même, et que vous voyez sur la table, a continué à se refroidir et est mort, il y a environ un quart d’heure, tandis que l’autre est revenu, quoiqu’il soit encore grelottant ; sa température, qui était à 19 degrés, est maintenant à 30 degrés environ.

Nous avons donc ici trois animaux pris dans les mêmes conditions, dont l’un a été tué sans avoir été soumis à l’expérience, pour nous servir de terme de comparaison, et dont les deux autres ont été soumis à l’action du froid jusqu’à ce que leur température se soit abaissée à 19 degrés, avec cette différence, que l’un de ces animaux a été abandonné à lui-même, et est mort en se refroidissant successivement. Examinons ce qu’est devenue la fonction glycogénique dans les trois cas.

D’abord, elle existait quand les animaux ont été soumis à l’expérience, puisque celui que nous avons sacrifié à ce moment présente, ainsi que vous le voyez, du sucre dans son foie, dont la décoction précipite abondamment le tartrate cupro-potassique.

Examinons maintenant le foie de l’animal mort par le froid en 1 heure 1/2. On fait cuire son foie de la même manière, on le soumet au même réactif ; vous voyez qu’il n’y a pas de précipité, et, par conséquent, qu’il n’y a pas de traces de matière sucrée dans le foie de cet animal ; vous avez ainsi la preuve la plus nette que le sucre a disparu par le froid dans le temps de l’expérience.

Quant au troisième animal, que vous voyez revenir par suite du réchauffement, le sucre n’a pas encore reparu dans son foie, parce que si, comme nous l’avons dit, l’action du froid, dès qu’elle commence, enraye la production glycogénique, cette fonction ne doit reprendre son cours que lorsque cette action réfrigérante a complétement cessé ; or cet animal, bien que déjà revenu, n’est pas encore dans l’état normal. Sa température prise dans le rectum n’est que de 30 degrés, il est encore grelottant ; mais, dans quelques heures, quand cet animal aura repris sa chaleur normale, que sa vivacité sera revenue, on trouvera du sucre dans son foie.

En voyant ainsi disparaître le sucre en deux ou trois heures et le voyant reparaître si rapidement, on ne connaît bien là les caractères d’une fonction qu’on peut déprimer jusqu’à l’anéantir et ramener à son type normal, en la rétablissant dans les conditions ordinaires de son accomplissement. Cette expérience suffirait, si cela était nécessaire maintenant pour détruire complétement l’objection qui voudrait que le sucre résultât d’alimentations antérieures et se localisât dans le foie sans que cet organe dût lui-même le former.

Nous verrons plus tard que cette influence du froid sur le foie se propage par une sorte d’action réflexe du système nerveux, transmise par les nerfs de la peau. Signalons ici que la peau de l’animal, devenant insensible par le froid, ne peut plus réagir convenablement.

Quand, au lieu d’agir avec le froid, on soumet un animal à la chaleur, on produit des phénomènes un peu différents. Si l’on met un cochon d’Inde ou un lapin dans une étuve d’air chaud dont la température ne soit pas de beaucoup supérieure à celle de l’animal, de 45 degrés par exemple, on voit que les fonctions du foie paraissent exaltées, et en particulier la formation de la bile ; celle du sucre ne paraît pas autant augmentée. Mais cette surexcitation a ses limites, et si l’on pousse la température à 50 ou 60 degrés, l’excitation générale fait place à un effet opposé ; le sucre disparaît, et l’animal meurt au bout d’une heure à une heure et demie, sans en présenter la moindre trace dans le tissu hépatique.

Il faut noter encore que sous l’influence de la chaleur les respirations sont accélérées, tandis que le contraire a lieu avec le froid, et cependant, avec ces deux états opposés de la respiration, le sucre disparaît dans le foie.

Il existe encore une autre manière d’arrêter la fonction glycogénique du foie en agissant sur la peau. C’est en enduisant la peau des animaux avec certains vernis, tels que le caoutchouc liquide ou simplement de l’huile. Dans ces cas, les animaux meurent en se refroidissant, et j’ai constaté souvent que la fonction glycogénique disparaît radicalement, et qu’après ce genre de mort, qui est assez rapide chez les petits animaux, tels que les cochons d’Inde et les lapins, la substance du foie ne contient absolument aucune trace de matière sucrée.

Quant à l’influence de l’âge et du sexe, nous n’en dirons que quelques mots :

J’ai fait autrefois quelques expériences pour rechercher quelle pourrait être l’influence de l’âge dans la production du sucre, je n’ai pas obtenu de résultats bien concluants. Du reste, cette question, pour être traitée, devrait nécessairement être instituée sur une très grande échelle et reposer sur un nombre considérable de faits.

Les expériences que j’ai faites également sur des animaux de tout sexe, quoique très nombreuses, ne peuvent pas servir pour établir s’il y a ou non une différence dans la quantité de sucre produit chez les mâles ou les femelles, parce qu’elles n’ont point été faites à ce point de vue. Chez les femelles, l’état de gestation et de lactation ne semble pas modifier sensiblement la formation du sucre dans le foie. Sur des vaches et des lapines à l’état de lactation et qui sécrétaient par conséquent du sucre de lait, j’ai bien souvent cherché, mais en vain, la présence du lactose dans le foie. D’où il faudrait admettre que cette dernière espèce de sucre se sécrète dans la mamelle, organe chargé de produire du sucre dans le cas spécial de son fonctionnement ; car, tandis que le foie forme du glucose dans toute l’échelle animale, depuis avant la naissance jusqu’à la mort, la mamelle n’existe que dans les mammifères, et ne fonctionne que dans une période déterminée de la vie. Il faut encore ajouter que le sucre du foie est le plus fermentescible, tandis que le lactose est le moins fermentescible des sucres animaux, ce qui est du reste en harmonie avec les usages différents de chacune de ces matières sucrées. Il y a toutefois un rapprochement que l’on peut faire entre la formation du sucre qui a lieu dans le foie et celle qui se fait dans la mamelle, c’est que ces deux formations sont également indépendantes de l’alimentation ; j’ai bien souvent constaté que le sucre de lait persistait dans le lait des chiennes, malgré l’alimentation exclusive avec de la viande complétement privée de matière sucrée.

L’époque du rut ne m’a pas paru non plus exercer une influence évidente sur la fonction glycogénique du foie.

Telles sont, en général, Messieurs, les conditions extérieures principales sur lesquelles nous avons désiré en finissant fixer votre attention. Actuellement nous devons entrer plus profondément dans la glycogénie et étudier les changements du sang qui coexistent avec l’exercice de cette fonction dans le foie. Nous commencerons cet examen dans la prochaine séance.

Neuvième lecon

23 janvier 1855.

SOMMAIRE : Examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques. — Globules. — Sérum et caillot. — Eau et matières solides. Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. — Fibrine. — Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modifications. — Température plus élevée du sang qui sort du foie. — Expériences thermométriques à ce sujet. — Distribution de la chaleur dans l’organisme. — Théories anciennes de la calorification. — Examen d’expériences sur la température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites dans les conditions physiologiques. — Procédés opératoires. — Instruments employés. — Résultats de ces expériences : le sang du ventricule droit plus chaud que le sang du ventricule gauche.

Messieurs,

Nous avons examiné les différentes fonctions organiques de nature chimique qui se passent dans le foie et les conditions dans lesquelles elles se produisent. Vous avez vu que le foie doit être considéré comme un véritable laboratoire vital qui change profondément toutes les substances qui lui sont apportées par le sang. Il importe, avant de quitter ce sujet, que vous soyez bien fixés sur les modifications que le sang éprouve en traversant le foie ; c’est pourquoi je vais faire rapidement passer sous vos yeux les résultats d’analyses qui ont été instituées à ce point de vue. Tous ces résultats, obtenus sur des chevaux, sont dus à Lehmann qui a étudié comparativement le sang dans la veine porte avant son entrée dans le foie, et le sang après sa sortie dans les veines hépatiques. Nous passerons successivement en revue les modifications qu’éprouvent les divers éléments du sang :

1° Globules rouges. — Quand on examine le sang après sa sortie du foie, on trouve que les globules sont notablement plus petits que dans la veine porte. Dans cette veine, ils ont environ de 0,0058 à 0,0060 m. de millimètre, tandis que, dans les veines hépatiques, leur diamètre n’est plus que de 0,0042 à 0,0045 m. en moyenne. À quoi tient cette différence ? Probablement à ce que dans les veines hépatiques les globules se trouvent baignés dans un sang sucré ; on sait que dans ces cas les globules du sang se crispent et se ratatinent. Ce serait donc là un phénomène en quelque sorte purement physique et auquel il n’y aurait pas lieu jusqu’à présent d’attribuer une importance quelconque.

Sérum et caillot. Au point de vue de la proportion du sérum et du caillot dans les deux sangs, voici les résultats obtenus par Lehmann dans six observations, et résumés dans le tableau suivant :

 

Comme résultat général de ce tableau, vous voyez que toujours le sang de la veine porte contient plus de sérum que le sang des veines hépatiques, et que, par conséquent, le caillot du sang des veines hépatiques est plus considérable que le caillot du sang de la veine porte ; mais vous voyez aussi que dans la veine porte les quantités de sérum varient du simple au double entre les quatre premières expériences et les deux dernières. Il est évident que cette différence doit tenir à des conditions diverses dans lesquelles se trouvaient les animaux soumis à l’expérience. En effet, elles correspondent à des périodes digestives particulières : les quatre premières expériences ont été faites cinq heures après un repas ; les deux dernières au bout de dix heures.

Eau et matières solides. — Sur 100 parties de sang, l’analyse a donné, dans les mêmes observations, les résultats consignés dans le tableau suivant :

Les observations que nous avons faites au sujet des résultats précédents sur le sérum et le caillot s’appliquent évidemment à ceux-ci. On devait s’attendre, en conséquence, à voir le sang de la veine porte, que nous avons déjà trouvé plus riche en sérum, contenir plus d’eau que celui des veines hépatiques, et moins de matières solides.

Au point de vue des matières solides que présentent le sérum et le caillot de chacun de ces deux sangs, voici les résultats-que Lehmann a obtenus :

 

Ici les chiffres ne présentent pas de grandes différences, mais on aperçoit toujours ce même fait, à savoir, que le sang des veines hépatiques, aussi bien dans le sérum que dans le caillot, présente une plus grande proportion d’éléments solides que le sang de la veine porte.

Mais les matières qui nous intéressent le plus sont la graisse, la fibrine, l’albumine et le sucre.

Quant à la graisse, Lehmann a trouvé, sur trois observations, les résultats suivants : pour 100 parties du résidu sec du sang, il y avait :

 

Vous voyez que la graisse est déjà en très faibles proportions dans le sang de la veine porte, et qu’elle diminue encore dans le sang des veines hépatiques.

Nous savons déjà que chez les mammifères cette substance suit une autre voie pour se rendre dans le système circulatoire général ; mais que devient alors cette graisse, dont la plus grande partie disparaît dans le foie ? Entrerait-elle dans la constitution des acides de la bile ? Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de la matière émulsive se rapprochant des matières grasses, dont nous avons constaté la production dans le foie sous l’influence d’une alimentation sucrée : cette substance, à cause de ses caractères spéciaux, n’a pas été signalée dans les analyses de Lehmann.

Fibrine. — L’action du foie sur ce principe immédiat est extrêmement remarquable, et l’analyse chimique est parfaitement d’accord avec nos expériences physiologiques à ce sujet. La fibrine disparaît complètement dans le foie. On n’en trouve plus trace dans le sang des veines hépatiques.

Sur 1000 parties du liquide entier de sang (moins les globules), il y avait en fibrine :

 

Si l’on bat le sang sorti du foie avec des verges, il ne s’y attache aucun filament. Cependant, il se coagule. La coagulation, qu’on avait jusqu’alors attribuée à la fibrine qu’on extrait par le battage, ne saurait donc lui être exclusivement rapportée.

Nous verrons, du reste, que, d’après des expériences sur le grand sympathique, nous sommes autorisés à émettre cette opinion que la matière coagulable n’est pas la fibrine, au moins suivant la définition que l’on donne ordinairement de cette substance.

Albumine. — Les expériences de Lehmann montrent que l’albumine se trouve dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines sus-hépatiques, mais dans des proportions différentes.

Sur 1000 parties de sang (moins les globules), il y avait en albumine :

 

Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’un tiers environ de l’albumine ait disparu en traversant le foie, ainsi que le montre le tableau précédent.

Enfin, indépendamment de ces substances, il y a le sucre, qu’on ne trouve jamais dans le sang de la veine porte, quand on prend un animal à jeun depuis un certain temps, ou nourri exclusivement de matières azotées ; le sucre existe toujours, au contraire, en notables proportions dans le sang des veines hépatiques. Chez le cheval, par exemple, pour faire suite aux mêmes analyses précédentes, Lehmann a trouvé 0,055 gr. pour 100 dans le sang qui entre dans le foie, et 0,792 gr. dans le sang des veines hépatiques.

Ces résultats d’analyses faites au point de vue chimique avec beaucoup de soin, quoiqu’elles n’aient pas été répétées encore dans toutes les conditions physiologiques où cela serait nécessaire, suffisent pour montrer combien est grande l’action que le foie exerce sur les substances qui le traversent, et combien il modifie et élabore les divers matériaux du sang.

Mais toutes ces transformations de matières, toutes ces créations de principes immédiats, toutes les sécrétions qui s’accomplissent dans cet organe, ne sauraient s’effectuer sans être accompagnées des phénomènes physiques de développement de chaleur auxquels donnent lieu toutes les actions chimiques.

L’élévation de la température est aussi un produit vital, qui a son rôle dans l’organisme, et dont la source a besoin d’être cherchée et connue. Quoique nous ne voulions pas faire ici l’histoire de la chaleur animale, cependant, comme on a toujours relié les phénomènes de calorification avec la production des phénomènes chimiques, nous sommes obligés d’étudier cette question dans le foie.

Toutes les modifications, dont nous avons précédemment tracé le tableau, doivent donc entraîner, comme conséquence, une élévation de température que le sang éprouvera en traversant le foie. Le sang qui sort du foie est, en effet, plus chaud que le sang qui y entre, et l’expérience ne laisse aucun doute à ce sujet. Pour constater ce fait, nous avons opéré de la manière suivante sur les chiens :

On fait une grande incision oblique dans le flanc droit, immédiatement au-devant de la masse des muscles sacro-lombaires, et remontant aussi haut que possible dans l’angle de la dernière fausse côte. On arrive ainsi sur le rein droit, immédiatement au-dessus du foie, et un peu au-dessous des veines rénales. On introduit le thermomètre dans la veine cave, en appliquant convenablement des ligatures pour empêcher l’écoulement du sang. En même temps, à l’aide d’une aiguille de Cooper, on passe un fil au-dessous de la veine cave, immédiatement au-dessus des veines rénales ; alors le thermomètre étant introduit, on dirige sa cuvette en haut et à gauche, jusqu’à ce qu’elle se trouve placée à peu près en face des veines hépatiques. Alors on serre sur la tige du thermomètre des fils passés au-dessous de la veine cave, de façon à empêcher le sang de cette veine de remonter.

Puis, toujours par la même plaie faite à l’abdomen, on saisit le tronc principal de la veine porte avant son entrée dans le foie, en ayant soin préalablement aussi de passer des fils sous cette veine, de manière à empêcher le sang de s’écouler après qu’on aura placé le thermomètre. Dans ces expériences, on alterne l’observation de façon à agir tantôt en commençant par la veine porte et finissant par la veine cave, et vice versa. On achève enfin, pour avoir un terme de comparaison complet, en prenant la température dans l’aorte en pénétrant par l’aorte ventrale, sur laquelle on a préalablement placé des ligatures.

Voici les résultats qu’a donnés une expérience que nous venons de faire sur la température du sang des veines hépatiques comparée à celle des autres vaisseaux :

Le chien sur lequel nous avons opéré est de forte taille et en digestion. On peut voir que le sang qui sort du foie est de 0,40° plus chaud que le sang qui entre par la veine porte, et de 0,60° plus chaud que le sang de l’aorte. La température du sang avant le foie est de 39°, 40 ; après le foie, elle est de 39,80°, et cette température est la plus élevée du corps de l’animal. Le point le plus chaud de tout l’organisme se trouve donc dans la veine cave à l’endroit où débouchent les veines hépatiques.

C’est là un des faits les plus intéressants, et si nous en poursuivons les conséquences, nous allons voir combien vont se modifier les idées qu’on se faisait d’après les anciennes théories chimiques sur la répartition de la chaleur dans le corps d’un animal.

Le sang qui sort du foie avec sa température sera d’autant plus chaud qu’il sera plus près de sa source, et il perdra de sa chaleur à mesure qu’il s’en éloignera d’après les lois physiques qui régissent la déperdition de la chaleur. Sorti des veines hépatiques, il est conduit par la veine cave inférieure dans le cœur droit, où il se mélange avec le sang moins chaud venant des parties supérieures ; de là il se rend au poumon, qu’il traverse, puis revient au cœur gauche, qui l’envoie dans les artères de la grande circulation. Or, le sang arrivé dans le cœur gauche est plus éloigné du foie que le sang du cœur droit ; de plus, il s’est mis en contact avec l’air froid introduit par la respiration. Il doit donc être moins chaud que ce dernier s’il est vrai que le foie est une des principales sources de la chaleur. Nous arrivons donc à penser d’après cela que le sang des cavités droites du cœur doit être plus chaud que celui des cavités gauches, contrairement à la théorie généralement admise et d’après laquelle le sang artériel serait plus chaud que le sang veineux. Mais en physiologie surtout, ce sont les faits qui doivent juger les théories, et jamais le contraire ne doit avoir lieu.

D’après la théorie chimique de Lavoisier, on croyait que la respiration était une combustion pulmonaire, accompagnée du dégagement de chaleur qui suit toujours la combinaison de l’oxygène et du carbone ; cette explication parut d’abord parfaitement fondée, parce que, d’une part, on absorbait de l’oxygène, et que, de l’autre, on rejetait de l’acide carbonique absolument comme une lampe qui brûle dans l’air.

Plus tard, l’explication fut changée, lorsqu’on découvrit que cette combustion ne se faisait pas dans le poumon, où n’avait lieu qu’un simple échange entre l’acide carbonique contenu dans le sang et l’oxygène de l’atmosphère, de sorte que la respiration pulmonaire n’était qu’un simple déplacement de ces deux gaz l’un par l’autre. Bien qu’on n’admît plus alors que ce fût dans le poumon que se faisait cette combinaison entre l’oxygène et le carbone, on avait cependant conservé des expériences qui semblaient établir que le sang artériel est plus chaud que le sang veineux. Mais ces expériences sont défectueuses, non pas au point de vue de l’observation, car les observateurs ne se sont pas trompés sur ce qu’ils ont vu, seulement ils sont tombés souvent dans l’inconvénient de ne pas se placer dans des conditions vraiment physiologiques.

Mais nous vous avons souvent dit, Messieurs, qu’une expérience ne se critique pas par des raisonnements ; elle se juge par des faits mieux analysés, et nous nous hâtons d’y arriver.

Quand on a observé autrefois que le sang artériel du cœur gauche était plus chaud que le sang veineux du cœur droit, on a souvent opéré sur des animaux récemment morts. On se servait soit de deux thermomètres placés simultanément dans les deux ventricules, ce qui est déjà une cause d’erreur, car jamais deux instruments ne sont exactement d’accord, soit, ce qui valait mieux, d’un seul thermomètre mis successivement dans les cavités droite et gauche du cœur. On a généralement observé dans ces conditions que le ventricule gauche avait une température plus élevée que le ventricule droit.

Mais il est facile de démontrer que, dans ce cas, où le sang ne circule plus dans le cœur, cette différence tient à un refroidissement plus facile dans le cœur droit que dans le cœur gauche. En effet, si l’on enlève complètement le cœur à un animal, qu’on le remplisse d’eau après avoir lié ses diverses ouvertures, qu’on place deux thermomètres bien réglés dans chacun de ses ventricules, qu’on mette le tout dans un bain à 40 degrés, on voit la température dans le cœur s’équilibrer avec celle de l’eau qui l’entoure. Si l’on vient alors à retirer du bain le cœur muni de ses deux thermomètres, et qu’on le laisse se refroidir à l’air, on s’aperçoit que le thermomètre placé dans le ventricule droit s’abaisse plus rapidement que celui qui est placé dans le ventricule gauche. Voilà donc une expérience purement physique qui donne les mêmes résultats qu’une expérience qu’on avait crue physiologique.

Vous voyez ici un cœur débarrassé de ses vaisseaux ; on a introduit un thermomètre dans chacun de ses ventricules préalablement remplis d’eau. On a placé l’appareil ainsi disposé dans un bain à une température de 40 degrés environ. Au bout d’un quart d’heure, les deux thermomètres placés dans le cœur ont marqué sensiblement la même température qu’un autre thermomètre placé dans le bain.

On observe alors, le cœur étant sorti du bain, la marche comparative aux thermomètres placés dans les ventricules, et l’on obtient les résultats suivants :

D’autres expérimentateurs, Legallois et Collard de Martigny, M. Magendie surtout, et plus récemment M. G. Liebig, avaient déjà dit que le sang du ventricule gauche leur avait paru moins chaud que celui du ventricule droit. Mais on ne s’expliquait pas comment le sang artériel, qui, dans tout le reste du corps, est plus chaud que le sang veineux, devenait moins chaud au contraire que ce dernier dans le cœur. Ce qui se passe dans le foie nous rendra compte maintenant de cette particularité.

Pour arriver à la réalisation de nos expériences sur la température comparée du sang dans les deux cœurs, nous nous sommes placés dans des conditions aussi voisines que possible de l’état physiologique, en prenant la température dans le cœur sur le vivant pendant que le sang continuait à circuler. Mais tous les animaux ne se prêtent pas également bien à ces expériences. Il est presque impossible d’introduire un thermomètre dans le cœur d’un chien, par exemple, à cause de la situation profonde du tronc brachio-céphalique ; on produit des désordres très graves qui nuisent à la certitude des résultats. Chez la chèvre et le mouton, au contraire, on peut assez facilement introduire par la veine jugulaire droite et le tronc artériel brachio-céphalique un thermomètre dans l’une et l’autre cavité du cœur. Voici comment nous opérions sur des moutons : l’animal étant couché sur le dos, et tenu la tête fortement renversée en arrière, on pratique sur la ligne médiane du cou une incision longitudinale, longue de 10 à 12 centimètres ; on écarte les muscles, on arrache le thymus, et l’on a sous les yeux la trachée qui a été mise à nu, la veine jugulaire droite qu’on isole jusqu’au bas du cou, ainsi que le tronc brachio-céphalique artériel en passant deux fils sous chacun de ces vaisseaux. Alors on prend la température avec le thermomètre, qu’on commence à introduire soit par l’artère, soit par la veine. Pour agir sur le tronc brachio-céphalique artériel, on commence par faire une ligature au lieu d’origine des deux carotides, avec un fil ciré à plusieurs doubles pour éviter de couper le vaisseau. Puis alors on passe le doigt de la main gauche sous le tronc, on y fait une incision en même temps qu’on empêche l’issue du sang, soit en prenant l’artère, soit en soulevant l’autre fil resté libre. Avec la main droite on place la cuvette du thermomètre dans l’ouverture de l’artère, et l’on pousse l’instrument en le dirigeant un peu de gauche à droite, et d’arrière en avant jusque dans le ventricule ; il peut arriver quelquefois qu’on soit arrêté par les valvules sigmoïdes, alors on retire l’instrument pour le replonger, soit qu’on parvienne à éviter ces valvules, soit à les rompre, comme c’est le cas le plus ordinaire. On s’aperçoit que l’on est dans le cœur lorsque le thermomètre transmet les battements du ventricule dans lequel il se trouve.

Quand on veut pénétrer dans la veine cave, on y place d’abord une ligature pour empêcher le sang de la tête de redescendre, ensuite on fait une incision au-dessous de cette ligature, en ayant soin de comprimer la veine pour empêcher l’entrée de l’air dans le cœur. Le thermomètre est introduit dans la veine et on le pousse jusque dans le cœur, en le dirigeant un peu de droite à gauche et d’arrière en avant. Si l’on n’avait pas le soin de diriger l’instrument comme nous venons de le dire, il serait conduit en bas dans la veine cave inférieure, au-dessous du cœur. On sent également qu’on est dans cet organe lorsque la tige du thermomètre est agitée par les battements cardiaques.

On comprend que pour des déterminations aussi délicates, car bien qu’il y ait une différence de température, cette différence ne saurait être considérable, puisque la cloison intermédiaire est très mince, et que d’ailleurs, en arrivant au cœur, le sang venu du foie s’est déjà refroidi par son mélange avec le sang du reste du corps ; on comprend, dis-je, qu’il faille s’entourer de précautions minutieuses et d’instruments à la fois très sensibles et d’une grande précision. Dans toute recherche thermométrique, il importe de se servir du même instrument, qui est toujours comparable à lui-même, tandis que deux instruments différents, quelque bien faits qu’ils soient pour marcher d’accord, ne vont jamais parfaitement ensemble, et indiquent presque toujours des différences, quoique placés dans des conditions identiques. Dans ces expériences nous étions assisté de M. Walferdin, dont la compétence sur toutes les questions de détermination de température est si bien établie, et dont les instruments ont acquis une si grande précision. Le thermomètre qui nous a servi était un thermomètre métastatique de M. Walferdin, dont l’échelle arbitraire a été ensuite ramenée à l’échelle du thermomètre à graduation centésimale. On trouvera résumés dans le tableau suivant les résultats des expériences faites sur les moutons. Elles montrent que la différence de température, bien qu’elle soit constante, est, comme nous le disions, peu considérable ; en effet, elle ne dépasse pas 2 à 3 dixièmes de degré ; mais, nous le répétons, l’excès de température est ordinairement à l’avantage du ventricule droit.

 

Observations faites sur des moutons avec le thermomètre métastatique à mercure de M. Walferdin.

Dixième leçon

27 janvier 1855.

SOMMAIRE : Destruction du sucre dans l’organisme. — Destructibilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce sujet. — Limites de la destructibilité du glucose dans l’organisme. — Résultats d’expériences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — Influence de la combinaison du sucre avec le sel marin. — Résultats d’expériences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne pénètre qu’en petites quantités à la fois dans l’organisme. — Réflexions sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans les urines à la suite des injections.

Messieurs,

Nous arrivons maintenant à un autre chapitre de l’histoire du sucre. Jusqu’ici nous vous avons entretenu de sa production et des diverses influences qui agissent sur elle. Nous aurions encore à vous parler de l’action du système nerveux sur cette fonction, mais nous nous réservons de l’étudier plus tard, à propos des diabètes artificiels.

Nous devons actuellement examiner les phénomènes de destruction du sucre dans l’organisme. Car, comme nous l’avons déjà dit, le sucre, à l’état normal, n’est pas expulsé au dehors, il reste dans le sang pour y remplir certains usages dont nous vous parlerons bientôt, et sur lesquels nous avons à vous annoncer des faits entièrement nouveaux qui sont de nature, je crois, à jeter une vive lumière sur les phénomènes chimiques qui se passent dans l’organisme, dans leurs rapports avec les actes purement vitaux.

Pour le moment, nous allons donc rechercher les conditions physiologiques de la disparition du sucre dans l’animal. Cette étude est d’autant plus importante que les théories du diabète roulent toujours sur ces deux faits nécessairement connexes, production ou destruction du sucre, soit qu’on suppose la production exagérée, soit que l’on considère l’amoindrissement de la destruction. Le sucre qui apparaît dans les urines peut résulter en effet ou de ce qu’il se forme en trop grande quantité pour être complètement détruit, ou de ce que se produisant comme d’habitude, la faculté que l’organisme a de le détruire est devenue insuffisante. Il faut donc bien fixer les idées sur ces deux points pour apprécier la valeur des théories basées sur l’une ou sur l’autre des deux phases de la même fonction.

Dans l’état physiologique le sucre, incessamment sécrété dans le foie, n’apparaît jamais dans aucune des excrétions naturelles, il est donc détruit dans l’organisme ; mais, indépendamment de cette quantité normale qui disparaît à mesure qu’elle se forme, l’individu vivant peut encore en détruire un peu plus ; de sorte qu’à l’état sain la puissance de destruction est toujours supérieure à la formation glycogénique.

Si l’on ajoute du sucre dans le sang d’un animal, jusqu’à une certaine limite, ce sucre pourra être complètement détruit et n’apparaîtra point au dehors.

Mais il faut ici distinguer ce qui se passe suivant qu’on a affaire aux différentes, espèces de sucres.

Les sucres de première espèce, les sucres de canne et de betterave, ne sont jamais détruits, ils sont constamment éliminés par les urines quand on les injecte directement dans le sang ; car vous savez que, mis dans l’intestin, ces mêmes sucres sont, en partie au moins, transformés en sucres de deuxième espèce. Ces derniers, au contraire, injectés dans le sang, peuvent y être détruits en certaines proportions.

Nous allons vous montrer expérimentalement ce fait en injectant dans le sang de ces deux lapins, qui sont de même taille et dans les mêmes conditions, à l’un, une certaine quantité d’un sucre de la première espèce, à l’autre la même quantité d’un sucre de deuxième espèce.

Nous découvrons ici la veine jugulaire droite en faisant une incision dans la région moyenne du cou, suivant une ligne étendue, depuis l’angle de la mâchoire inférieure jusqu’au creux sterno-coracoïdien qui sépare l’extrémité supérieure du sternum de l’épaule. Nous apercevons la veine immédiatement sous la peau, et nous la dénudons et passons au-dessous d’elle une double ligature. On serre en haut une de ces ligatures qui intercepte la circulation dans la veine, puis, au-dessous de cette ligature, nous incisons la veine qui est revenue sur elle-même, en se vidant de son sang. Alors nous introduisons par cette ouverture la canule d’une seringue contenant 15 grammes d’eau, tenant en dissolution 0,5 gr. de sucre de canne ou sucre de la première espèce. On pousse l’injection très lentement, et c’est un précepte général pour toutes les injections faites sur les animaux vivants. Vous voyez que pendant cette opération l’animal n’est pas troublé, sa respiration reste normale sans s’accélérer, ce qui n’aurait pas lieu si nous injections trop rapidement. Enfin, nous poussons l’injection jusqu’à la fin de la seringue, parce que nous avons eu soin de chasser tout l’air de l’instrument. Si l’on n’avait pas pris cette précaution, il faudrait se garder d’injecter les dernières parties du liquide qui pourraient contenir de l’air et causer la mort de l’animal.

L’injection étant faite, nous plaçons la deuxième ligature sur la veine, nous coupons les fils et nous mettons notre animal en liberté. Nous avons pris l’urine avant l’opération ; nous en reprendrons encore dans une demi-heure environ, et nous devrons y retrouver du sucre que nous venons d’injecter sans qu’il ait subi aucune modification et étant encore à l’état de sucre de canne.

Nous faisons de la même manière sur l’autre lapin, et dans la veine jugulaire, l’injection de 15 grammes d’eau contenant 0,5 gr. de sucre de fécule, c’est-à-dire du sucre de la seconde espèce. L’animal n’éprouve aucun inconvénient de cette injection ; nous avons pris son urine avant, nous en reprendrons dans une demi-heure, et nous ne devrons pas rencontrer les moindres traces du sucre que nous venons de lui injecter, parce qu’il aura été détruit dans l’organisme, ce qui vous prouvera que les sucres de la première espèce ne sont pas détruits, tandis que ceux de la deuxième espèce le sont.

Maintenant, parmi ces derniers, il y en a qui sont plus destructibles les uns que les autres, et, si on les range d’après leur ordre de destructibilité croissante, on aura la série suivante :

1 ° Sucre de lait ;

2° Sucre de fécule ou glucose ;

3° Sucre de diabète ;

4° Sucre du foie.

Les sucres de canne ou de betterave (sucres de la première espèce) ne se détruisent pas sensiblement dans le sang, ainsi que nous l’avons dit.

Du reste, nous avons rassemblé dans le tableau suivant quelques résultats, parmi beaucoup d’expériences que nous avons faites sur cette propriété des sucres. Seulement, au lieu d’injecter la solution sucrée directement dans le sang, comme vous nous l’avez vu faire tout à l’heure, nous avons toujours poussé cette injection dans le tissu cellulaire sous-cutané, en choisissant pour cette expérience les lapins, chez lesquels ce tissu est très lâche et se laisse infiltrer facilement par une certaine quantité de liquide. Par cette méthode, le sucre n’entre pas aussi vite dans la circulation, il s’absorbe peu à peu dans le tissu cellulaire, de manière qu’il ne s’en trouve jamais à la fois qu’une faible quantité dans l’organisme. Cette injection sous-cutanée se fait, comme vous le savez déjà, au moyen d’une seringue (Fig. 13) dont la tige du piston P est graduée de manière à mesurer la quantité de liquide qu’on injecte.

 

Fig. 13

 

La canule S de la seringue est piquante, ce qui permet de percer directement la peau et de pousser l’injection en même temps. L’extrémité de la canule est acérée en forme de trocart, et l’ouverture S placée latéralement.

Voici les résultats que nous avons obtenus à la suite des injections sous-cutanées des différents sucres.

On peut voir, d’après les chiffres de ce tableau, que sur des lapins, dans les mêmes conditions de digestion, aucun des sucres de deuxième espèce n’est apparu dans les urines, tandis que le sucre de canne seul s’y est montré bien qu’ayant été injecté comparativement à une plus faible dose.

On voit aussi que le sucre de foie est celui dont on peut injecter les plus grandes quantités sans qu’on le retrouve dans les urines. On se demandera naturellement ici comment nous préparons ces dissolutions du sucre du foie. Son extraction directe présente les plus grandes difficultés à cause du grand nombre de sels et particulièrement de chlorures existant dans le foie d’où résultent des mélasses qui empêchent la séparation de la matière sucrée et, par conséquent, la possibilité de faire de cette façon des dissolutions titrées. Mais nous sommes parvenus au même résultat en prenant du foie et broyant sa pulpe avec du noir animal, en très fortes proportions, ainsi que nous l’avons indiqué dans la deuxième leçon, et en faisant passer les dissolutions sur des parties nouvelles, jusqu’à ce qu’elles soient arrivées au degré de concentration que nous voulons, ce que nous constatons par le dosage au moyen du liquide cupro-potassique. Ce sont ces dissolutions que nous injectons sous la peau.

Il résulte encore de tout ce qui précède que les sucres qui sont destructibles ont cependant leurs limites de destructibilité, qui ne sauraient être dépassées sans que, immédiatement, l’excès de cette substance apparaisse dans les urines. Il était important de fixer cette limite d’une manière précise, au moins pour un des sucres, afin que nous pussions, d’après ce point de départ, faire des études sur les modifications que subit là destructibilité du sucre suivant la taille des animaux, et les diverses circonstances physiologiques, dans lesquelles ils se trouvent.

Nous avons choisi pour cela le sucre de fécule, qu’il est le plus facile de se procurer, et nous avons fixé les limites de sa destructibilité d’une manière aussi précise que possible dans les tableaux suivants que nous avons fait mettre sous vos yeux pour abréger le détail des expériences.

On voit par les expériences consignées dans ce tableau, et qui, pour être comparables, ont été faites sur des animaux de même âge, de même poids, autant que possible dans les mêmes conditions d’alimentation et pendant la digestion, que toutes les fois qu’on injecte plus de 1 gramme de glucose dissous dans 25 centimètres cubes d’eau, il en passe dans les urines où il apparaît d’autant plus vite que la liqueur est plus concentrée. Ainsi, pour 25 centimètres cubes d’une liqueur dont la proportion de sucre était de 100 pour 100, l’apparition a eu lieu au bout d’un quart d’heure, tandis que, lorsque la proportion n’était que de 6 pour 100, le sucre n’apparaissait qu’au bout de deux heures.

C’est environ 1 gramme de sucre qui doit être considéré comme la dose limite de la destruction de cette substance chez des lapins pesant de 1000 à 1200 grammes. Cette limite variera nécessairement avec la taille des animaux ; c’est ainsi que dans le tableau précédent nous voyons qu’un lapin de 2050 grammes avait moins de sucre dans les urines que d’autres lapins plus petits. Il est bien certain que pour un chien ou pour un cheval, la limite de destruction serait tout à fait différente, seulement nous n’avons pas fait d’expériences assez nombreuses pour savoir si la quantité de 1 gramme de sucre serait toujours correspondante à 1200 grammes du poids de l’animal, il serait possible qu’il en fût ainsi. Toutefois nous pouvons dire que la quantité de sucre détruit paraît être en rapport avec la quantité de sang contenue dans l’organisme ; car si l’on prend deux lapins de même taille et dans des conditions physiologiques semblables, et si, après leur avoir injecté la même dose de sucre qui, dans les expériences précédentes, était complétement détruite, on vient à saigner ces animaux, le sucre apparaîtra bientôt dans les urines.

Sur des lapins en pleine digestion, on peut injecter sous la peau une plus grande quantité de sucre sans voir apparaître cette substance dans les urines ; cela tient probablement à ce que le sang se trouve alors en plus grande quantité dans l’organisme.

Voici, du reste, quelques résultats d’expériences sur ce sujet :

Un lapin, pesant 1660 grammes, est saigné à la veine jugulaire et on lui retire 16 grammes de sang, et aussitôt on injecte par la même veine 4 centimètres cubes d’eau contenant un demi-gramme de sucre de fécule.

Sur un autre lapin, dans l’intervalle de deux repas, comme le précédent, et pesant 1570, on fait l’injection de la même quantité de sucre et d’eau sans saigner le lapin. On donne ensuite des aliments aux deux animaux qui mangent avec appétit. Une heure après on retire de l’urine de la vessie de ces deux lapins, elles sont troubles et alcalines, mais l’urine de celui qui a été saigné contient seule du sucre, l’autre n’en présente pas la moindre trace.

Deux jours après on expérimente de nouveau sur les deux mêmes lapins, dans les mêmes conditions, mais en retirant préalablement 16 grammes de sang de la veine jugulaire chez le lapin qui, dans l’expérience précédente, n’avait pas été saigné. Après quoi on fait à tous deux, par la veine jugulaire, l’injection de 4 centimètres cubes d’eau contenant un demi-gramme de sucre.

Au bout d’une heure on retire les urines qui, examinées avant l’expérience, ne contenaient pas de sucre. L’urine du lapin saigné contient beaucoup de sucre, celle du lapin non saigné n’en présente que quelques traces.

On a encore fait l’expérience suivante sur deux autres lapins, à jeun depuis vingt-quatre heures, dont les urines étaient claires et acides.

Sur l’un d’eux on enlève préalablement 10 grammes de sang, puis on fait l’injection à tous les deux, par la veine jugulaire, de 4 centimètres cubes d’eau contenant un demi-gramme de sucre de fécule, et on les laisse à jeun.

Le lapin saigné pèse 1690 grammes ; le lapin non saigné pèse 1500 grammes.

On examine chez ces deux animaux les urines de la manière suivante :

Ces expériences prouvent que la quantité de sang dans un animal peut avoir une influence sur l’apparition du sucre dans les urines.

Il peut se faire encore que, sans rien changer ni du côté des conditions physiologiques de l’animal, ni dans la quantité de sucre injectée, l’apparition de cette substance dans les urines ait lieu par l’influence seule de la proportion d’eau de l’injection.

Dans les expériences précédentes, nous avions toujours une solution de 1 gramme de sucre pour 25 centimètres cubes d’eau. Dans ces circonstances, le sucre n’apparaissait pas au dehors. Si, au lieu de cela, nous prenions 1 gramme de sucre dissous dans 8 centimètres cubes d’eau, c’est-à-dire une solution environ trois fois plus concentrée, le sucre passerait dans les urines bien qu’on n’en ait injecté sous la peau que 1 gramme seulement, comme dans le premier cas.

Toutes les expériences que nous avons faites sur ce point ont donné le même résultat qui se trouve consigné dans le tableau suivant :

Pourquoi le sucre, injecté dans la proportion de 1 sur 8,33 d’eau, apparaît-il dans les urines, tandis que, quand il est injecté dans la proportion de 1 sur 25, il est complétement détruit ? Cela tient à la rapidité avec laquelle se fait l’absorption qui est extrêmement prompte dans le premier cas, tandis qu’elle est beaucoup plus lente dans le second. Le pouvoir endosmotique d’un liquide augmente avec son degré de concentration, de sorte qu’il en passe davantage dans le même temps. Ce n’est pas la même chose de faire absorber 1 gramme de sucre dans une demi-heure, pendant laquelle il peut être entièrement détruit, ou de le faire absorber en un quart d’heure. Par la même raison, si l’on injecte la substance directement dans le sang, et en trop grande quantité à la fois, il est clair qu’on la retrouvera dans les urines.

Il y a une autre expérience qu’on peut faire et qui rentre dans la même explication : c’est que la présence de certaines substances, telles que le sel marin, peuvent changer la limite de destruction du sucre.

Si nous prenons un lapin, et qu’au lieu de lui injecter sous la peau 1 gramme de sucre dissous dans 25 grammes d’eau pure, nous ajoutions à la solution 2 grammes de sel marin, dont l’équivalent endosmotique est considérable, le sucre ne se détruira plus et apparaîtra dans les urines.

Quand on fait ces injections d’eau salée sous la peau, ainsi que vous nous le voyez faire en ce moment, l’animal pousse constamment des cris, ce qui provient sans doute de l’action du sel sur les nerfs. Car on sait que, si l’on place dans l’eau salée un bout de nerf de grenouille, récemment tuée, tenant encore à son membre, on voit immédiatement les muscles pris de mouvements tétaniques. Le sulfate de soude, au contraire, ne donne rien de pareil. Et vous voyez que chez ce lapin, où nous l’injectons, il ne se produit aucun mouvement ni aucun cri indiquant une sensation douloureuse. S’il était permis de comparer cette action sous la peau à ce qui se passe quand le sel marin se trouve dans le sang, on pourrait conclure que cette substance agit comme excitant général du système nerveux.

Nous avons consigné les résultats de nos expériences, relatifs à la question qui précède, dans le tableau suivant :

On voit, d’après les chiffres, que la quantité de sucre détruit diminue quand on y ajoute en même temps du sel marin, et cela a lieu même pour le sucre de diabète dont la limite de destructibilité est beaucoup plus élevée. Ce résultat s’est encore manifesté quand on faisait une solution plus concentrée du liquide. Dans ces cas encore l’abaissement de la limite de destructibilité dépend de l’absorption plus rapide que le sucre a éprouvée par suite de sa combinaison avec le sel marin, combinaison décrite dans tous les livres de chimie et qui a pour formule C24H24O24NaCl, 2HO. La faculté endosmotique du sel marin ne se communiquerait pas au sucre, s’il y avait simple mélange et s’il n’existait pas une combinaison réelle entre ces deux substances ; c’est ce qui résulte d’expériences que nous avons faites avec le sulfate de soude, qui n’entraîne pas le sucre avec lui, bien que l’équivalent endosmotique soit plus considérable que celui du sel.

Ce fait n’est pas sans exemple, car j’ai prouvé, ailleurs, que le fer pouvait être entraîné par l’iode dans certaines sécrétions, telles que la salive où ce métal ne passe pas à l’état d’autres combinaisons.

Il faut encore noter en passant que l’acidité des urines chez des lapins à jeun, ou sur des chiens, semble diminuer sous l’influence d’une injection de glucose. J’avais pensé d’abord, quand j’observai ces phénomènes pour la première fois, que cela tenait à une action particulière de la matière sucrée, mais il m’a semblé depuis que cette diminution de l’acidité pouvait tenir à la dilution de l’urine par le liquide injecté. J’ai fait dans ce but des injections d’eau pure dans lesquelles le même fait s’est reproduit.

Vous voyez donc, Messieurs, comme de semblables phénomènes sont compliqués, puisqu’il faut tenir compte et de la taille de l’animal, de l’état de digestion, de la nature du sucre, de sa quantité, de son degré de concentration et de l’état de combinaisons qu’il peut présenter avec les matières qu’il rencontre.

Toutes ces nuances se trouvent représentées dans les tableaux qui précèdent.

On comprend alors quelle difficulté présente l’application des calculs à des phénomènes physiologiques en apparence simples, mais qui dépendent de tant de conditions connues, sans parler de celles sur lesquelles nous n’avons encore aucune donnée.

Ces expériences sont plus importantes qu’on ne pourrait le supposer au premier abord. Bien que faites en dehors des conditions normales, elles puissent paraître étrangères à l’histoire de la destruction du sucre hépatique dans l’être vivant, elles s’y ramènent cependant parce qu’elles nous prouvent qu’il faut, pour que le sucre se détruise dans l’organisme, qu’il soit destructible, ce qui n’a pas lieu pour toutes les espèces de sucre, et en outre qu’il n’arrive pas dans le sang en trop grande quantité à la fois. Quand nous viendrons à l’analyse des phénomènes du diabète, nous verrons que chacun de ces faits trouvera son application.

Onzième leçon

30 janvier 1855.

SOMMAIRE : Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — Application au diabète. — Conditions qui font apparaître le sucre dans le système circulatoire en général. — Théorie de la combustion pulmonaire. — Examen de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du sucre dans l’urine des fœtus. — Circonstances de ce phénomène. — Il devient inexplicable dans la théorie de la destruction du sucre dans le poumon. — Expériences sur les sangs en contact avec différents gaz. — Théorie de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la destruction du sucre par fermentation. — Preuves à l’appui. — Quelle est l’espèce de fermentation qui s’opère ainsi ? — Accidents qui suivent la production de l’alcool dans le système circulatoire. — Vues sur les phénomènes chimiques de l’organisme.

Messieurs,

Nous avons fait passer sous vos yeux, dans la dernière séance, une série de résultats destinés à vous montrer qu’il y a une distinction à établir au point de vue de la destructibilité entre les diverses espèces de sucre : ceux de la deuxième espèce (lactose, glucose, sucre de raisin, de diabète, de foie, etc.) peuvent être détruits dans le sang, ce qui n’a jamais lieu pour les sucres de canne ou de betteraves, qui, placés dans les mêmes conditions, sont constamment éliminés par les urines. Vous avez vu aussi que la quantité de sucre qui se répand dans l’organisme, c’est-à-dire dans le sang après être sortie du foie doit être limitée ; car si l’on prend un animal et qu’on lui injecte une solution sucrée soit directement dans le sang, soit dans le tissu cellulaire sous-cutané, il ne faudra pas dépasser certaines doses, autrement la matière sucrée apparaîtrait dans les urines. Vous savez, en outre, que même dans les limites dans lesquelles le sucre peut être détruit, il faut encore tenir compte du temps que l’absorption met à s’effectuer, car si elle était trop rapide, soit par l’effet d’une injection directe dans le sang, soit par suite de la concentration du liquide poussé dans le tissu cellulaire, ou de la combinaison de la matière sucrée avec certaines substances très endosmotiques, comme le sel marin, par exemple, le sucre pourrait encore se montrer dans les urines.

Il ne faut jamais perdre ces faits de vue, car ils sont la clef d’un certain nombre de phénomènes qui se rattachent au diabète. Le foie est, en effet, un organe qui contient du sucre et qui l’injecte peu à peu dans le sang. Les phénomènes que nous produisons avec une seringue chargée de la matière sucrée, le foie peut naturellement les accomplir, c’est-à-dire que si, dans un temps donné, cet organe lance dans le sang une quantité de sucre plus grande que ne le comporte l’état physiologique, l’excès de cette matière apparaîtra immédiatement dans les urines, et nous aurons le symptôme du diabète.

Lorsqu’un animal est à jeun depuis un certain temps, le sucre qui se produit dans le foie arrive au poumon, où il peut être alors complètement détruit ; dans ce moment on ne trouve manifestement du sucre qu’entre ces deux organes. Si l’animal est en digestion, la quantité de sucre versée par le foie est trop considérable pour être détruite tout entière dans le poumon, il en passe alors une partie dans le sang artériel et même dans le système veineux de la grande circulation, où l’on peut le retrouver ; mais dans l’état de santé, ce sucre, généralisé dans tout l’appareil circulatoire, ne se montre cependant pas dans les urines. La sensibilité des reins n’est pas éveillée par une proportion très faible de sucre dans le sang, et vous savez, Messieurs, que la sensibilité des organes sécréteurs n’est pas la même pour tous vis-à-vis des mêmes substances. Ainsi, les glandes salivaires éliminent de l’organisme les moindres traces d’iode, tandis qu’il en faut des quantités plus considérables pour que cette matière se manifeste dans l’urine.

Ainsi l’apparition du sucre dans l’urine n’est donc qu’une affaire de limite, une question de plus ou de moins. Le sucre, à l’état physiologique, peut exister, et existe dans certains cas dans tout le sang, mais sans se montrer au dehors ; si sa quantité augmente un peu, l’individu devient diabétique, soit d’une façon continue, soit d’une manière intermittente.

Lehmann a constaté, chez les chiens et les lapins, que, dès que la quantité du sucre dans le sang arrivant au poumon dépasse 0,30 gr. pour 100, le sucre apparaît dans les urines.

Supposons maintenant qu’au lieu de verser le sucre dans l’organisme avec une certaine lenteur, de manière à ne pas dépasser les limites de ce que doit en contenir le sang, le foie, sous certaines influences, vienne à être pris de contractions, qu’il soit comprimé par exemple, il chassera alors de son tissu une quantité de matière sucrée, double ou triple de ce qu’elle doit être ; le sucre pourra apparaître rapidement dans tout ce sang, et même dans l’urine. Le phénomène peut être produit d’une façon tout à fait mécanique au moyen d’une expérience très simple.

Nous choisissons un animal, un chien ou un lapin, en ayant soin de le prendre dans un moment convenable, dans l’intervalle de deux repas, la digestion précédente étant complétement achevée. Dans ces conditions, à peu près tout le sucre versé par le foie disparaît dans le poumon et l’on en retrouve à peine des traces dans le système artériel et dans le système veineux général. Si sur l’animal en repos on tire alors du sang de la veine jugulaire, on n’y trouvera pas sensiblement de traces de matières sucrées. Si, au contraire, on comprime l’abdomen, de manière à exercer une certaine pression sur le foie, ou bien si l’on provoque des espèces de convulsions, et des contractions violentes des muscles abdominaux et du diaphragme, en bouchant hermétiquement le nez de l’animal de façon à l’empêcher de respirer pendant quelques instants, et qu’après on reprenne du sang de la veine jugulaire du même animal, on trouvera qu’il y a du sucre. L’expérience aura cependant duré tout au plus cinq minutes. Comment expliquer cette apparition du sucre ? Tout simplement parce que sous l’influence des efforts qu’a faits l’animal pour tenter d’échapper à la suffocation, le foie a été comprimé et a, dès lors, versé dans le sang du sucre en excès, qui est alors passé dans tout le système circulatoire.

On produira un effet analogue en retirant une grande quantité de sang dans une artère. Les dernières parties du sang sorti du vaisseau contiendront beaucoup de sucre, tandis que les premières pourront n’en contenir que peu ou même pas du tout.

Je vous prie, Messieurs, de remarquer cette expérience dans laquelle, sous l’influence de mouvements violents produits par l’animal, le sucre a passé dans tout le système circulatoire, sans qu’on puisse supposer que les autres conditions physiologiques, d’accès de l’air dans les poumons ou de composition chimique du sang, aient été changées.

Le fait que nous venons de vous montrer nous mène à vous parler d’une théorie qui suppose que la destruction du sucre s’opère par une oxydation dans les poumons.

S’il était vrai que le sucre se détruisît en traversant les poumons par suite de son contact avec l’oxygène toutes les fois que l’on trouble la respiration, soit en bouchant les voies aériennes, soit en mêlant à l’air certaines vapeurs comme l’éther ou le chloroforme, soit en appauvrissant l’air d’oxygène, etc., le sucre, n’étant plus alors détruit, passerait dans la grande circulation et devrait apparaître dans les urines. M. Reynoso, ayant vu que sous l’influence de l’éthérisation les urines devenaient momentanément sucrées, a cru pouvoir expliquer ce résultat par un défaut d’oxydation du sucre dans le poumon. Le fait est exact, cependant il ne se manifeste pas toujours, et il m’a paru que c’était surtout chez les animaux en pleine digestion que l’expérience réussissait le mieux. Chez les animaux à jeun, je suis parvenu tout au plus par ce moyen à faire passer du sucre dans le sang au-delà du poumon.

Cependant, Messieurs, notre première expérience nous porte à nous demander si ce passage du sucre dans le sang ne résulterait pas de la compression qu’a subie le foie, dans les efforts violents qu’a faits l’animal, plutôt que de l’empêchement de l’accès de l’air dans les poumons. Et dans les cas d’éthérisation, il y a de même souvent des efforts et des contractions qui peuvent suffire pour déterminer cette apparition du sucre dans les urines, bien qu’il y ait aussi une action spéciale de l’éther ou du chloroforme, ainsi que nous le verrons plus tard.

Quoi qu’il en soit, au début de mes expériences, j’avais pensé moi-même que la destruction du sucre pouvait provenir d’une oxydation. C’est même guidé par cette théorie, et par l’observation que j’avais faite, que la fonction glycogénique commençait à une certaine époque de la vie fœtale, que je fus amené à induire que la production du sucre ayant déjà lieu avant la naissance, et la respiration n’étant pas établie pour le détruire, les fœtus devaient être diabétiques. J’examinai donc, d’après cette vue théorique, des urines de fœtus de veau de quatre à cinq mois, et je découvris en effet qu’elles contenaient des quantités notables de sucre.

La théorie de l’oxydation paraissait confirmée, puisque des conséquences, qui en étaient logiquement déduites, se trouvaient, a posteriori, d’accord avec un fait nouveau. Mais, en étudiant ce phénomène de la présence du sucre dans l’urine des fœtus de différents âges, je trouvai d’autres faits qui ne pouvaient plus s’expliquer de la même façon.

La fonction glycogénique du foie ne commence que vers le quatrième mois environ de la vie intra-utérine chez les veaux. Il était naturel de penser que chez des fœtus, dont le foie ne sécrétait pas encore du sucre, il ne devait pas y en avoir non plus dans les urines. Or, ici l’expérience ne vérifia plus ma déduction. Les urines de très jeunes fœtus sont très sucrées lorsque le tissu de leur foie ne contient encore aucune trace de sucre.

D’un autre côté, le foie présente dans son tissu des quantités de sucre de plus en plus grandes, à mesure qu’on approche du terme de la gestation ; il était encore très logique de penser que les urines devaient être sucrées de plus en plus en approchant de la naissance ; or, c’est encore ce qui n’a pas lieu. L’urine des fœtus de veau, dès le sixième ou septième mois, cesse de contenir du sucre, quoiqu’il soit alors sécrété dans l’organisme, et qu’on en trouve beaucoup dans le foie.

Je vous donne ces détails, Messieurs, parce qu’ils sont importants au point de vue de la méthode expérimentale. Vous voyez quelle a été l’utilité de cette théorie pour me faire découvrir le fait nouveau relatif au sucre dans l’urine des fœtus ; mais vous voyez en même temps qu’en présence de ces faits la théorie dut disparaître ; car si elle paraissait confirmée dans un des cas, où l’on trouve du sucre dans l’urine, quand il n’y a pas encore de fonction respiratoire, elle ne pouvait plus s’appliquer à l’autre cas, où l’on n’en trouve plus chez les fœtus de sept ou huit mois, bien que chez ces derniers, au point de vue du défaut d’oxygène, et de la formation du sucre, les circonstances sont restées les mêmes.

Je renonçai donc à la théorie parce qu’elle ne résistait pas à l’analyse expérimentale. Il faut, en effet, Messieurs, quand on veut édifier une théorie, rechercher non pas ce qui peut la confirmer, mais il faut surtout regarder ce qui peut la détruire, car elle ne sera valable qu’autant que les preuves et les contre-épreuves seront données.

D’autres faits, d’ailleurs, venaient se grouper autour des précédents, et montrer que la théorie de l’oxydation, pour expliquer la disparition du sucre, est plus qu’insuffisante.

Des expériences directes nous ont fait voir que la quantité d’oxygène absorbé, comparée avec la quantité d’acide carbonique rendu, est plus grande dans le sang non sucré recueilli dans la veine jugulaire d’un animal à jeun, que dans le sang d’un animal pris en digestion et contenant du sucre, ce qui veut dire, en d’autres termes, que le sang non sucré absorbe plus d’oxygène et rend relativement moins d’acide carbonique que le sang sucré. Les expériences de MM. Regnault et Reiset faites sur les animaux vivants ont donné un résultat identique ; on voit que le rapport de l’oxygène, exhalé sous forme d’acide carbonique avec l’oxygène absorbé, est plus grand pendant la digestion que pendant l’abstinence.

Il résulte donc de ces expériences que la quantité d’oxygène introduite n’est pas dans un rapport croissant avec la quantité d’acide carbonique qui devrait être formé.

De plus, en faisant des expériences spéciales pour nous rendre compte de la destructibilité du sucre au contact de différents gaz, nous avons trouvé que l’oxygène ne possède rien de particulier à ce sujet.

Du sang normalement sucré, qui avait été retiré des veines hépatiques, fut divisé en deux parties, l’une soumise à un courant d’oxygène, l’autre à un courant d’acide carbonique prolongé pendant cinq ou six heures. Le sang était entretenu rutilant par l’oxygène, qui traversait sans cesse ce liquide, et le sang était, au contraire, très noir au contact de l’acide carbonique. Au bout de cinq ou six heures, le sucre n’était détruit dans aucun des deux liquides, mais au bout de vingt-quatre heures on ne rencontrait plus de sucre dans aucun des deux sangs.

Lorsqu’on prend du sang sucré et qu’on le met au contact de différents gaz, on ne voit pas que l’oxygène ait la propriété d’opérer la destruction plus vite que les autres gaz. Voici ce que nous avons vu :

1° Sur un chien en pleine digestion et bien portant on retira de la veine jugulaire, du côté des capillaires, du sang veineux, dans lequel on constata la présence évidente du sucre, mais en petite quantité. Alors à l’aide d’une seringue on aspira 24 grammes de sang de la veine que l’on poussa dans un flacon renversé sur le mercure et contenant 500 centimètres cubes d’oxygène.

2° Dans une seconde expérience, la même quantité de sang tout chaud est introduite de même dans un flacon de même capacité contenant de l’azote. (Cet azote avait été obtenu par l’action de l’oxyde de cuivre sur l’ammoniaque.)

3° Une même quantité de sang dans les mêmes conditions est placée en contact avec de l’acide carbonique. On avait la certitude que dans chacun de ces flacons se trouvait, avec des gaz différents, du sang également sucré, car à la fin de l’expérience, on constata que le sang était sucré comme au commencement.

Dans tous les flacons le sang s’étant rapidement coagulé, on mêla par agitation le sang avec le gaz, et le mélange avait une couleur très noire avec l’acide carbonique, très rutilant avec l’oxygène et rouge avec l’azote. Après deux heures environ de contact, on retira un peu de sang de chaque flacon, et l’on vit que le sucre avait disparu complétement dans l’azote, qu’il en restait encore dans l’oxygène, et qu’il n’y en avait pas disparu sensiblement dans l’acide carbonique.

Ce résultat singulier pouvait laisser quelques doutes dans l’esprit, et il semblait être expliqué en disant que l’azote, au contact duquel le sucre avait complètement disparu, devait être resté alcalin, par suite de sa préparation, et que l’action de l’alcali était intervenue dans la disparition du sucre, qui n’avait pas eu lieu dans l’acide carbonique, par suite de l’acidité qui pouvait résulter d’une partie de ce gaz dissous dans le liquide.

Nous dûmes répéter d’autres expériences en opérant comme dans les circonstances précédentes, et avec du sang pris dans les mêmes conditions, et à la température ambiante avec : 1° de l’oxygène pur ; 2° de l’hydrogène préparé par le zinc, et purifié en le faisant passer dans le sulfate de cuivre ; 3° avec de l’hydrogène arsénié ; 4° avec de l’acide carbonique ; 5° avec de l’air.

Le sang se coagula rapidement dans tous les flacons. On l’agita avec le gaz ; il resta rouge en contact avec tous les gaz, excepté avec l’hydrogène arsénié qui l’avait rendu très noir. Au bout de deux heures de contact, le sucre avait complétement disparu dans ce dernier gaz, mais il était parfaitement conservé dans l’hydrogène pur. On n’examina pas les autres flacons à ce moment.

Le lendemain, après vingt heures de contact, on examina tous les sangs et l’on trouva que le sucre avait disparu d’une manière complète dans l’hydrogène arsénié et dans l’hydrogène pur, mais il en restait encore des traces dans tous les autres gaz, oxygène, acide carbonique et air.

Ces expériences ont donné des résultats très remarquables, en ce que l’on voit que l’hydrogène arsénié, par exemple, a une très grande influence sur la destruction du sucre, et que l’hydrogène pur paraît avoir une action semblable. Ces résultats sont à poursuivre, mais pour le moment nous voulons simplement conclure que l’oxygène ne se distingue pas des autres gaz sous le rapport de la destruction du sucre ; on ne saurait donc lui attribuer l’influence spécifique dans le phénomène de la disparition de cette substance dans l’organisme.

Il y a encore une autre hypothèse dont nous devons dire quelques mots ; c’est celle qui suppose que la destruction du sucre, dans l’économie, est due à une combustion du sucre au contact des alcalis. On sait, en effet, que le sang est toujours alcalin ; la vie est incompatible avec l’acidité ou même la neutralité de ce liquide. Si l’on injecte dans le sang un acide quelconque, même un des acides organiques, qui se rencontrent, à l’état normal, dans certains points de l’organisme animal, de l’acide lactique, par exemple, en quantités assez considérables pour neutraliser l’alcalinité du sang, l’animal ne tarde pas à mourir, bien longtemps avant qu’on ait rendu le sang acide ou même neutre.

Mais, la faible alcalinité du sang n’est pas une raison suffisante pour assimiler à la réaction de la potasse caustique sur le sucre ce qui se passe dans le corps vivant, où les liquides sanguins, bien qu’alcalins, ne le sont cependant qu’à un faible degré. Cela d’ailleurs n’explique pas le cas des diabétiques, car chez eux le sang est alcalin.

Voici, à ce sujet, une expérience directe qu’on peut répéter. Si l’on prend du sang sucré des veines hépatiques, et que l’on en fasse deux parts égales, l’une qu’on abandonne à elle-même, l’autre qu’on fait cuire et dont on filtre les liquides qui s’en échappent : dans la première le sucre se détruit, tandis qu’il n’est pas modifié dans le liquide de la seconde qui a filtré, bien que la coction ne lui ait pas enlevé son alcalinité. La matière organique, qui opère cette destruction, comme nous allons le voir, a seule été modifiée. Si, d’ailleurs, on injecte dans la veine jugulaire d’un lapin un demi-gramme de glucose dissous dans l’eau pure, comparativement avec l’injection d’une même quantité de sucre additionné de 1 gramme de carbonate de soude, on verra que dans les deux cas le glucose apparaît dans les urines, seulement il nous a semblé s’éliminer plus rapidement, quand il y avait l’addition de carbonate de soude.

Lehmann et de Becker ont fait des expériences semblables d’injection de sucre avec des alcalis, et sont arrivés à la même conclusion, savoir : que le sucre ne se détruit pas en plus grande quantité dans ces conditions que dans les circonstances ordinaires.

Il va sans dire, d’ailleurs, que toutes les objections qu’on peut faire à la théorie de l’oxydation s’adressent, à plus forte raison, à celle qui repose en outre sur le fait chimique de la destruction du sucre par les alcalis.

Ainsi, Messieurs, les hypothèses qu’on faisait pour expliquer la destruction du sucre dans l’organisme, deviennent aujourd’hui insuffisantes en présence des faits nouveaux que je vous ai exposés. Cependant, je ne dois pas me borner à les renverser, sans vous proposer immédiatement une autre théorie qui me paraît rendre mieux compte de l’ensemble des phénomènes observés, en vous rappelant ce que je vous ai dit dans la première séance de ce cours, que toutes nos explications sont relatives à l’état actuel de la science.

Les matières organiques peuvent se détruire de deux manières : ou par une oxydation, ou par une fermentation. Nous venons de voir que l’oxydation ne rend pas compte des phénomènes ; nous devons donc, nous rejeter sur la fermentation, qui est un phénomène que nous voyons s’opérer dans une foule de transformations, soit dans le règne végétal, soit dans le règne animal.

Pour qu’une fermentation s’accomplisse, vous savez qu’il faut, d’une part, une matière fermentescible, de l’autre un ferment. Vous savez aussi que la nature du ferment a une influence considérable sur la direction qu’il imprime à la fermentation. Ainsi sous l’influence de la levure de bière intacte, le sucre se transforme en acide carbonique et en alcool. Mais si l’on broie cette levure, qu’on la désorganise, son mode d’action devient tout autre. Au lieu de dédoubler le sucre, dont la formule chimique est C12H12O12, en acide carbonique et alcool, elle le changera en un corps isomère, l’acide lactique, représenté par C12H10Q10 + 2HO = C12H12O12.

Or, dans l’organisme, la fermentation alcoolique ne se produit jamais, parce qu’il n’y a pas le ferment qui lui est propre, la levure de bière ; et si l’on cherchait à la faire naître artificiellement, il en résulterait de graves désordres, qui amèneraient la mort, ainsi que nous l’avons constaté dans l’expérience suivante : Nous avons injecté dans les veines d’un chien un mélange de sucre et de levure de bière. Rien ne s’oppose ici à l’action que ces deux substances exercent l’une sur l’autre ; mais, au bout d’un certain temps, l’animal présente les phénomènes d’une maladie grave ; il en résulte une espèce de décomposition du sang qui devient noir, visqueux ; toutes les muqueuses et, en particulier, celles de l’intestin grêle sont rouges et laissent suinter du sang. Il survient des diarrhées sanguinolentes qui amènent la mort avec des symptômes plus ou moins analogues aux accidents typhoïques.

La destruction du sucre ne s’opère donc pas de cette manière, mais le sucre, arrivant au poumon, peut-être, sous l’influence de la division extrême du sang, changé en acide lactique, ce qui s’opère par une simple modification moléculaire, dans laquelle l’oxygène ne jouerait qu’un rôle secondaire. Vous savez, d’ailleurs, que ce gaz ne fait qu’imprimer à la masse fermentescible un mouvement qui peut ensuite se continuer sans lui. M. le docteur Pavy a fait sur ce mécanisme de la destruction du sucre dans l’organisme des expériences très intéressantes.

Ce ne serait peut-être ensuite que dans le système capillaire général qu’aurait lieu l’oxydation d’où naîtrait l’acide carbonique, rejeté ensuite par les poumons. Mais nous ne pensons pas que cette combinaison, de l’oxygène avec le carbone, se fasse aux dépens des substances versées directement dans le sang, soit qu’elles proviennent de la digestion, soit qu’elles aient été élaborées dans le foie. Nous croyons, au contraire, que ces matières nouvelles qui, pour ainsi dire, n’ont point encore vécu, entrent d’abord dans des combinaisons organiques, et déplacent les matériaux anciens qui sont excrétés sous forme gazeuse, liquide, ou solide. Nous ne pensons pas, en un mot, qu’aucun des phénomènes soit de composition, soit de décomposition, s’opère dans l’organisme d’une manière directe.

À mesure que nous avancerons dans nos études, nous verrons de plus en plus que ces fermentations ont dans l’organisme un domaine très étendu.

Nous consacrerons la leçon prochaine à vous donner quelques vues générales à ce sujet, à propos d’une découverte que nous avons faite récemment sur la production du sucre pendant les premiers temps de la vie embryonnaire.

Douzième leçon

3 février 1855.

SOMMAIRE : Examen du foie d’un supplicié. — Découverte sur la génération et les usages de la matière sucrée dans l’organisme. — Étude des conditions de développement des cellules organiques. — Levure de bière. — Nécessité de la présence d’une matière sucrée. Expériences sur le sérum. — Génération de cellules organiques spéciales. — Production de sucre dans des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement. — Cette production n’a pas lieu dans les autres tissus. — Ces phénomènes rentrent dans l’ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapprochement des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de développement. — Phénomènes de fermentation donnant lieu aux principales actions chimiques de l’organisme.

Messieurs,

Nous saisissons, à mesure qu’elles se présentent, toutes les occasions de vous rendre témoins des faits que nous vous avons annoncés ici. Nous vous avons dit que le foie de l’homme à l’état de santé, ainsi que le foie des animaux, contient des quantités notables de sucre, mais qu’on n’en rencontre généralement pas dans le foie d’individus morts de maladie. Nous vous avons montré un foie qui était dans ce dernier cas, et qui venait de l’École pratique. Vous avez vu que sa décoction ne réduisait pas le tartrate cupro-potassique. Pour que les expériences faites sur l’homme soient comparables à celles qui ont été faites sur les animaux, il faut donc qu’elles soient reproduites dans les mêmes conditions, et c’est ce que nous sommes en mesure de vous faire voir maintenant.

Voici le foie d’un supplicié, que nous devons à l’obligeance de M. Jarjavay, chef des travaux anatomiques ; on va répéter devant vous les expériences que nous avons faites chez les animaux. On prend un morceau du tissu hépatique, on le broie, on le fait bouillir avec de l’eau ; la décoction, comme vous voyez, est très faiblement opaline, car cet individu était presque à jeun : il n’avait pris le matin qu’un peu de chocolat et d’eau-de-vie. Nous traitons la décoction par le réactif cupropotassique, et vous voyez qu’elle le réduit très abondamment.

Voici, d’ailleurs, un appareil à fermentation qu’on a rempli avec la même décoction, et dans lequel on a ajouté de la levure de bière ; vous verrez dans quelques instants la fermentation s’opérer, et le gaz qui s’en dégagera absorbable par la potasse, ce qui prouvera la présence de l’acide carbonique.

Le foie de l’homme sain n’échappe donc pas à la loi que nous avons établie sur la présence du sucre dans le tissu hépatique de tous les êtres de l’échelle zoologique.

Nous reprenons maintenant l’histoire du sucre au point où nous l’avons laissée ; et nous allons vous parler de ses usages dans l’économie animale.

Il est difficile, au premier abord, de savoir au juste à quoi peut servir le sucre dans l’organisme. Il s’y produit constamment dans le foie depuis une certaine époque de la vie intra-utérine jusqu’à la mort, et il doit avoir des usages importants à remplir. On a supposé dans certaines théories qu’il se détruisait en produisant la chaleur destinée à entretenir la température propre de l’animal. Mais ce n’est là qu’une supposition, qui ne réunit plus aujourd’hui assez de preuves en sa faveur, pour être acceptée comme l’expression complète de la réalité, car nous avons vu que c’était au moment surtout de la formation du sucre que la chaleur se produisait dans le foie, et que, par conséquent, le maintien de la température semblait dépendre des phénomènes de formation de matières, dans lesquels le système nerveux intervient toujours, plutôt que de la destruction spontanée de ces matières.

Je pense que le sucre a d’autres usages à remplir, d’une nature tout à fait différente, et d’une bien plus grande importance. J’ai été amené à cette opinion par des découvertes faites dans une autre voie, que je vous demanderai la permission de vous exposer avec quelques détails, en vous montrant par quelles séries d’idées j’ai dû passer pour arriver aux résultats que j’ai à vous annoncer dans cette séance. Une telle histoire est toujours instructive, surtout au point de vue des méthodes d’investigation. Elle montre que les théories que nous faisons sur les phénomènes réels ne sont jamais que relatives à la masse de nos connaissances, qu’elles changent de face avec les faits que nous découvrons, qu’elles n’ont jamais qu’une existence temporaire, et qu’il faut les envisager, d’abord comme des liens provisoires des notions que nous possédons, et ensuite comme des moyens puissants pour remuer les idées et faire surgir des découvertes nouvelles.

Ainsi, pour rester dans notre sujet, les connaissances que l’on avait sur les métamorphoses du sucre avaient pu conduire à faire croire que c’était en se détruisant, après avoir pris naissance dans le foie, que cette substance remplissait ses principaux usages. Les faits que je vais maintenant vous exposer, et qu’on n’avait pas soupçonnés jusqu’ici, en élargissant le cercle de nos connaissances, ont fait naître dans notre esprit une théorie nouvelle, et nous ont conduits à penser que le rôle le plus important qu’ait à remplir le sucre dans l’économie, s’accomplit bien plutôt au moment de sa formation, qu’au moment où il se détruit. En vous faisant suivre ainsi les variations que subissent nos manières de voir sur les phénomènes physiologiques, à mesure qu’il s’en présente de nouveaux, vous comprendrez mieux l’espèce de rapport que nous avons voulu établir au commencement de ce cours entre les théories toujours subjectives, et les faits qui sont seuls réels.

Après cette digression, qui rentre pleinement, ainsi que nous l’avons annoncé ailleurs, dans la nature de ce cours, abordons directement l’objet de cette leçon.

A l’occasion de l’enseignement qui m’a été confié à la Faculté des sciences, j’ai été conduit à faire quelques recherches de physiologie générale, qui m’ont amené à la découverte que je vais vous exposer aujourd’hui. Je portais mes études sur les conditions d’existence et de développement des cellules organiques. Vous savez, en effet, et c’est maintenant un fait bien connu, que les êtres vivants commencent par être formés de cellules qui, dans leur évolution ultérieure, produisent les diverses espèces d’organes et de tissus. Or, partout où se manifestent des phénomènes vitaux, il y a deux choses à considérer, l’être ou le tissu qui se développent, et le milieu dans lequel ils opèrent leur développement. Nous n’avons pas à rechercher pourquoi cette cellule primitive produit un être plutôt qu’un autre, un tissu plutôt qu’un autre. Ces questions de cause première ou finale ne sont pas à notre avis du domaine de la science, qui doit sagement se borner à constater les faits, en recherchant non pas pourquoi tel phénomène s’opère, mais de quelle manière, suivant quelle loi, et sous quelles conditions il se passe. Il nous importe peu de savoir pourquoi tel embryon produit tel être, mais nous sommes très intéressés à connaître le milieu, le terrain dans lequel il se développe, le mode d’après lequel s’effectue cette évolution, afin que, mis à même de prévoir ce qui doit se passer pour un être semblable, nous puissions réaliser les circonstances qui lui sont favorables, ou les modifier à notre gré et à notre profit C’est ainsi que les applications pratiques dérivent de science pure.

Je commençai donc par faire des observations sur les conditions d’existence des êtres les plus simples. Je pris pour cela ces végétaux cellulaires microscopiques, appartenant à la classe des champignons, et je choisis la levure de bière. On savait déjà que ces végétaux se développent spontanément quand on abandonne à la putréfaction des liquides contenant des matières albuminoïdes et du sucre en dissolution. Au bout d’un certain temps on voit la liqueur se troubler, et il se dépose de petits corps oviformes, qui croissent jusqu’à la grosseur de 1/100 de millimètre, et donnent naissance par bourgeonnement à d’autres corps semblables à eux qui, en produisant de nouveaux à leur tour, finissent par former des espèces de chapelets, tantôt simples, tantôt plus ou moins ramifiés, et composés d’un nombre variable de grains. Mais, bien qu’on ait indiqué vaguement les conditions générales de cette production de la levure de bière, soit dans les liquides végétaux, soit dans les urines de diabétiques, on n’avait pas une idée nette de la manière dont les choses se passent : on pensait que c’était la matière albuminoïde qui se transformait en ferment, sans se rendre bien compte du rôle que jouait ici la matière sucrée. Mes expériences me conduisirent d’abord à reconnaître que la présence de cette matière sucrée était indispensable à la production du ferment, qu’elle formait le milieu nécessaire à son développement.

Je prenais de la levure de bière ordinaire que je délayais dans un peu d’eau, je filtrais sur un filtre composé de plusieurs feuilles de papier superposées, afin qu’il ne passât aucun globule, puis je séparais le liquide que j’avais filtré, et qui contenait quelques traces de matières albuminoïdes, en deux parts : l’une que j’abandonnais à elle-même, l’autre à laquelle j’ajoutais un peu d’une dissolution sucrée.

Or, dans la première, il ne se développait aucun grain de ferment, tandis que des globules de levure de bière se produisaient dans la seconde, en plus ou moins grande abondance, en même temps que la fermentation alcoolique s’opérait. Je pouvais étudier ces phénomènes en mettant un peu de ces liquides dans un petit godet de verre recouvert d’une lamelle sur le porte-objet du microscope.

J’ai ensuite fait des expériences sur des liquides animaux. J’ai pris du sérum du sang, qui, dans l’état normal, ne contenait pas de sucre, je l’ai laissé à une température de 15 à 20 degrés ; il ne s’y produisait rien, et il se putréfiait au bout de quelques jours ; mais, si je prenais du même sérum et que j’y ajoutasse un peu de matière sucrée, voici ce que j’observais, et vous pourrez facilement répéter ces expériences et constater les mêmes faits. Au bout de quatre ou cinq jours, il se développe des cellules, mais ce ne sont plus des cellules de levure de bière, ce sont des cellules blanchâtres qui semblent avoir de l’analogie avec les globules blancs du sang ; ces cellules adhèrent les unes avec les autres, prennent naissance en très grande quantité dans certaines circonstances et particulièrement dans le sérum du sang de la veine porte ; ce n’est qu’après cette formation de ces cellules particulières que des cellules de levure de bière se produisent à leur tour. Si l’on ajoute alors, sous le microscope, un peu de teinture d’iode, on voit que celles-ci se colorent fortement en jaune brun, tandis que la couleur des premières n’est que peu modifiée. De plus, les cellules de levure ne se dissolvent pas dans l’acide acétique, tandis que les autres sont complétement dissoutes, et disparaissent par l’action de ce réactif.

Or, ces caractères chimiques sont justement de ceux qui servent dans beaucoup de cas à distinguer, sous le microscope, les éléments animaux des éléments végétaux. Il semblait devoir en résulter que, dans ce milieu composé de sérum et de sucre, il s’était développé deux espèces de cellules, les unes paraissant d’organisation animale, plus ou moins analogue aux globules blancs du sang, les autres vétégale, qui forment la levure de bière. Mais ces cellules, qui ont ainsi pris naissance, ne vont pas plus loin dans leur évolution ; au bout d’un temps variable, tout disparaît, et le liquide se putréfie.

Ces expériences me prouvaient que la présence d’une matière sucrée était nécessaire pour la production de cellules organiques isolées, dont certaines d’entre elles présentaient quelques-uns des caractères des éléments animaux.

J’en vins à me demander alors si le sucre, qui se rencontre dans le végétal partout où il y a un développement à accomplir, dans la germination, au moment où l’embryon s’accroît, dans la sève quand les bourgeons grandissent, ne serait pas aussi une condition du développement des tissus animaux, au moment où ce développement s’opère avec la plus grande intensité, c’est-à-dire pendant la vie fœtale ; si le milieu sucré, dans lequel j’avais vu prendre naissance une cellule très analogue à un élément animal, mais qui n’avait pas en elle ou en dehors d’elle ce qui lui était nécessaire pour poursuivre cette évolution et former un tissu, si ce milieu, dis-je, albuminoïde et sucré, ne se retrouverait pas lorsque cette évolution continue dans l’animal, où tout commence encore par une cellule ?

Je pris donc des fœtus de veau dans les abattoirs de Paris, où ils se trouvent en grande quantité, et je cherchai d’abord dans leurs différents tissus en voie de développement, s’il n’y avait pas de matière sucrée. De quelque manière que je m’y prisse, je n’obtins rien immédiatement ; mais j’observai, par exemple, que, quand je laissais des muscles ou des poumons dans de l’eau ordinaire, exposée à une température de 15 à 20 degrés, au bout de très peu de temps le liquide devenait très acide, ce qui était dû à un développement considérable d’acide lactique, dont je constatais les caractères comme nous le dirons plus loin.

Or, vous savez, Messieurs, que l’acide lactique dérive ordinairement de la matière sucrée, par suite d’une transformation moléculaire, et qu’il a la même composition élémentaire que le glucose (C12H10O10, 2Ho).

Il était donc naturel de penser que le sucre avait préexisté où nous trouvions de l’acide lactique, de même que, lorsque nous trouvons de la dextrine, nous concluons à l’amidon qui lui a donné naissance. Mais il fallait surprendre le sucre à sa formation, puisque primitivement on ne le trouve pas dans le muscle, ni dans le poumon. Il fallait arrêter la fermentation, ou du moins la rendre assez lente pour que nous pussions en saisir les diverses périodes, et c’est ce que nous avons obtenu, soit en exposant les macérations de tissus de fœtus à des températures basses, soit en les traitant par différentes substances, par l’alcool, par exemple, qui arrête la fermentation lactique sans empêcher la fermentation glycosique. Nous avons pu ainsi retirer du sucre du tissu des poumons et des muscles ; voici cette matière qui en contient énormément, ainsi que vous pouvez le voir à sa réaction sur le tartrate cupropotassique, et parce que, d’ailleurs, mise dans un tube avec de la levure de bière, elle donne de l’acide carbonique et de l’alcool, dont voici également un échantillon.

Nous avons donc trouvé ce fait, qui n’avait jamais été soupçonné, c’est que le poumon, c’est qu’un muscle qui se développe, comme la graine qui germe, contient une matière susceptible de se transformer en sucre.

Tant que l’être vit, ce sucre, pour ainsi dire à l’état naissant, est sans doute éliminé, transformé aussitôt que produit, et ne peut pas alors être décelé, mais au moment où les fonctions vitales viennent à cesser, l’évolution spontanée de cette sorte de fécule animale, que nous n’avons pu isoler jusqu’à présent, continue néanmoins, mais alors comme un simple phénomène chimique.

Et ce qui prouve que cette matière sucrée est bien en rapport avec les phénomènes de développement, c’est que cette propriété, que possèdent les poumons et les muscles de produire de la matière sucrée, n’existe que dans l’état embryonnaire, c’est-à-dire au moment où les tissus se forment, car, lorsque leur évolution est achevée, les mêmes phénomènes n’ont plus lieu. Une fois que le tissu est développé et, en général, à partir du cinquième mois de la vie intra-utérine, cette propriété diminue, et environ vers le huitième et neuvième mois, quand le muscle est définitivement constitué dans ses éléments, elle m’a paru cesser complètement.

Mais il y a ici un fait très remarquable, c’est que tous les tissus ne sont pas aptes à donner lieu à cette production glycogénique ; ce qui porte à penser qu’il y en a dont le développement n’a pas besoin, pour s’effectuer, de l’intervention d’un principe sucré. Il est probable qu’il y aura à tirer de ce fait des analogies fonctionnelles encore inconnues entre les tissus, par rapport au milieu organique primitif, qui n’est pas le même pour tous, bien qu’ils procèdent originairement de l’élément cellulaire commun.

Ainsi, en essayant les divers tissus, les uns après les autres, nous avons trouvé que le sucre ne se développait que dans le poumon, et dans le système musculaire, soit de la vie animale, soit de la vie végétative, comme dans le cœur, la tunique de l’intestin, celle de la vessie, etc.

Mais tout le système glandulaire, le système nerveux, la peau, les os, ne donnent jamais lieu à une production sucrée ; et ce qui est surtout remarquable, c’est de voir que le foie, qui deviendra plus tard l’organe glycogénique, quand les fonctions seront localisées, se trouve à cette époque de la vie embryonnaire dans le même cas que toutes les autres glandes, la rate, le rein, le thymus, le pancréas, les glandes salivaires, etc., qui ne donnent jamais de sucre.

Je n’ai fait ici, Messieurs, que vous esquisser à grands traits l’histoire de cette découverte, dont nous vous donnerons les preuves expérimentales dans une prochaine séance, quand nous aurons à examiner le mécanisme suivant lequel le sucre apparaît dans l’organisme animal, et vous verrez que nous avons là une preuve de plus, que la matière sucrée appartient bien réellement aux deux règnes des êtres vivants, de telle façon que le foie représenterait la continuation de phénomènes embryonnaires. L’animal a donc en lui tous les matériaux nécessaires pour produire du sucre, et certes on ne dira plus ici que cette matière préexiste à l’état de liberté dans les muscles de fœtus, car, après avoir lavé et broyé ces tissus, la matière insoluble dans l’eau donne naissance à du sucre. Bien plus, si vous faites cuire ces mêmes tissus, vous leur ferez perdre la propriété de produire du sucre, parce que vous aurez détruit la matière fermentescible, qui est toujours une substance albuminoïde. Ce sucre ne peut donc provenir, ni de l’amidon insoluble, et qui ne peut être transporté d’un organisme dans l’autre, ni du sucre des végétaux. On ne saurait plus conserver de doute sur l’origine animale du sucre, malgré les tentatives qui se produisent actuellement de la part de quelques personnes, encore au point de vue de certaines doctrines finalistes, qui ne sont plus de notre époque et qu’il faut reléguer parmi les errements de la métaphysique des siècles passés.

La théorie d’une séparation tranchée dans les phénomènes de nutrition, entre les deux règnes de la nature qui, dans certaines limites, peut avoir sa raison d’être, n’est pas admissible d’une manière générale, et la découverte que nous venons de vous exposer établit entre eux un rapprochement de plus. Il y a dans les uns comme dans les autres une véritable germination s’accomplissant suivant des modes différents sans doute, mais dans des milieux qui ont une analogie de composition. Dans les végétaux, sous l’influence des matières albuminoïdes, l’amidon insoluble se transforme en glucose soluble ; il en est de même chez les animaux, bien qu’on n’ait encore constaté que la présence du sucre, mais cela suffit pour en conclure la présence de la matière insoluble qui doit précéder le sucre, matière sans doute différente de l’amidon, mais donnant toujours lieu à la fermentation glycosique, qui est la condition commune.

Il se passe donc dans les poumons et muscles du fœtus deux ordres de fermentations, une fermentation gylcosique, c’est-à-dire une formation de sucre aux dépens d’une matière azotée insoluble préexistante, et une fermentation lactique qui se produit aux dépens de la matière sucrée elle-même. À l’aide de l’alcool, nous empêchons cette dernière, c’est ce qui fait que nous pouvons accumuler le sucre dans les liquides de fermentation. Mais dans les fœtus pendant la vie intra-utérine, la fermentation gylcosique paraît seule avoir lieu, et le sucre qui s’y trouve paraît s’éliminer à ce moment sans passer à l’état d’acide lactique. C’est ainsi que nous pouvons comprendre cette découverte que nous avions faite, et que nous ne savions plus comment expliquer dans la théorie de l’oxydation, à savoir que l’on trouve du sucre dans l’urine des fœtus, dès que la vessie est formée, ainsi que dans les liquides de l’amnios et de l’allantoïde, et cela bien avant que le foie ait acquis sa propriété glycogénique. C’est ainsi également qu’on s’explique que chez les fœtus arrivés aux dernières périodes de la gestation, le sucre cesse de se rencontrer dans les urines, comme il cesse aussi de se produire dans les muscles et dans les poumons. À cette époque, le liquide de l’amnios subit probablement une espèce de fermentation visqueuse, car il devient visqueux en même temps que le sucre disparaît.

Maintenant, comment pouvons-nous comprendre l’intervention de la matière sucrée dans la germination soit végétale, soit animale ? Nous avons des cellules organiques qui, pour se développer dans le milieu qui les entoure, doivent lui emprunter incessamment des matériaux qui se trouvent facilement assimilables, parce qu’ils sont dans des combinaisons très instables.

C’est cette mobilité des éléments qui entretient constamment les phénomènes de la vie, en permettant aux matières de se grouper de mille façons et d’une manière non interrompue. Tous les phénomènes de fermentation introduisent dans les liquides animaux cette mobilité nécessaire pour l’entretien des actes de la vie, et la matière sucrée est un des plus communs soit comme résultats, soit comme source de fermentation. En un mot, les cellules organiques animales et végétales doivent donc se développer dans un liquide où se passent des phénomènes de fermentation empêchant les matières de tomber à l’état de produits fixes et d’acquérir une stabilité ou indifférence chimique, qui est le caractère de tout ce qui ne vit plus. On comprend de cette façon que les cellules organiques puissent s’approprier des éléments chimiques qui sont dans un état qu’on peut comparer à ce que les chimistes appellent l’état naissant. La nécessité des faits que nous venons de signaler paraît encore démontrée par ce qui arrive quand on ajoute dans ces liquides des substances capables d’empêcher la fermentation, telles que l’acide cyanhydrique, l’arsenic, etc. ; on voit alors tous ces phénomènes de développement s’arrêter aussitôt.

Mais, Messieurs, comment tout ce que nous venons de dire peut-il s’appliquer aux usages du sucre dans la fonction du foie, et comment cela pourrait-il nous fournir quelques lumières relativement à la théorie du diabète ?

Nous sommes, sans doute, allés par des déductions, en apparence bien éloignées de notre sujet, chercher des arguments pour lui appliquer les résultats que nous venons de vous exposer. J’aurais pu me dispenser peut-être de vous parler de tous ces développements cellulaires et aborder directement les usages du sucre chez l’adulte, en vous donnant comme des résultats purs et simples tous les faits dont je viens de vous expliquer la génération. Mais j’ai voulu, comme cela doit se faire dans cet enseignement dont nous avons retracé le caractère au commencement de ces leçons, vous conduire par toutes les phases de la découverte que nous devons exposer, afin que vous voyiez par vous-mêmes par quels tâtonnements l’esprit doit passer, à quelle diversité de points de vue il doit se placer dans l’étude de questions aussi compliquées, avant d’arriver à une découverte qui peut ensuite se résumer en quelques mots, et qui change, une fois établie, la théorie qui avait servi de fil conducteur dans la série des recherches.

En nous plaçant au point de vue de l’organisme adulte, nous n’aurions pu concevoir le principal rôle du sucre que, dans sa destruction, comme on l’avait déjà supposé. Mais, par la théorie du développement, nous arrivons, au contraire, à conclure que les usages les plus importants de cette matière ne sont pas remplis, au moment où elle se détruit dans le sang, mais bien quand elle prend naissance dans le foie.

C’est au moment où la matière animale, qu’on n’a pu encore isoler, mais qui préexiste au sucre, se dédouble de manière à donner naissance à ce produit, c’est à ce moment, dis-je, que naissent les éléments organiques qui doivent ultérieurement accomplir leur évolution pour produire la rénovation des tissus de l’individu. Il faut bien remarquer toutefois ce qui a été dit relativement à ces faits de germination, en présence de la matière sucrée, qui n’ont lieu que dans les muscles et dans le poumon.

Quant aux autres tissus, ils se développent dans des conditions différentes, et pour le système glandulaire, en particulier, nous sommes portés à croire, par des vues encore incertaines, il est vrai, mais que nous poursuivrons, que ce sont les produits des ganglions lymphatiques qui fournissent les matériaux nécessaires à leur rénovation.

Quoi qu’il en soit, nous avons voulu vous donner, dans cette séance, une vue nouvelle sur les usages de la matière sucrée dans l’organisme, sans insister davantage sur cette question que nous traiterons plus tard.

Nous reprendrons dans la prochaine leçon l’histoire de la fonction glycogénique du foie.

Treizième leçon

6 février 1855.

SOMMAIRE : Examen de l’ancienne théorie de la production exclusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de cette théorie vis-à-vis des questions physiologiques. — Erreurs de doctrines, de méthodes et de faits. — Expérience fondamentale pour la théorie de la production du sucre dans l’organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L’ancienne théorie n’en tient aucun compte. — De l’intervention de la chimie dans les questions physiologiques. — De la présence du sucre dans le sang. — Époque de cette découverte. — Conditions de la production de ce phénomène. — Théories de la dépuration du sang par le foie. — De la condensation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l’appui de ces manières de voir. — Contradictions. — Sophismes. — Erreurs.

Messieurs,

Dans la dernière séance nous avons fait une sorte de digression en vous rendant compte des recherches auxquelles nous nous sommes livré touchant le rôle de la matière sucrée dans l’état embryonnaire. Ceci ne rentrait pas directement dans l’histoire du foie, puisque les faits que nous vous annoncions se passaient en partie avant que cet organe opérât ses fonctions. Nous avons voulu vous donner seulement des idées nouvelles sur les usages de la matière sucrée dans l’organisme, en vous montrant de quelle manière nous sommes arrivé à penser que les principaux usages du sucre s’accomplissaient bien plus au moment où ce produit prend naissance, qu’au moment où il se détruit. Nous nous bornons, pour le moment, à établir cette vue que nous reprendrons plus tard, et nous allons continuer l’histoire de la fonction glycogénique du foie que nous développons devant vous depuis le commencement de ces leçons.

Mais, à ce propos, Messieurs, je crois qu’il est nécessaire, à cause des attaques récentes dont elle a été l’objet, que nous revenions en quelques mots sur cette fonction toute physiologique de la production du sucre par un organe spécial, et de l’origine intérieure de cette matière chez l’homme et les animaux.

Lorsque nous publiâmes, il y a quelques années, les faits qui établissaient la réalité de la fonction gylcogénique, ils furent admis par un grand nombre de physiologistes et de chimistes, qui examinèrent les choses de très près. Lehmann, en particulier, fit un travail très étendu sur la composition du sang, avant et après le foie, et il fut frappé de la quantité de sucre qui sortait de cet organe par les veines hépatiques, et qui n’était nullement en rapport avec celle qu’il avait rencontrée dans le sang de la veine porte, et il fut amené, comme nous, à conclure que le sucre se forme dans le foie. Ensuite, comparant cette production du sucre dans le foie avec la disparition d’une partie des éléments albuminoïdes du sang qui traverse le tissu hépatique, il en conclut que c’était aux dépens des substances albuminoïdes que la matière sucrée se produisait. Nos expériences physiologiques avaient été répétées, soit en France, soit à l’étranger, par un grand nombre d’observateurs qui sont arrivés, en se plaçant dans les conditions physiologiques que nous avions indiquées, aux mêmes résultats et aux mêmes conclusions que nous.

En présence des faits si nets que nous avions reproduits devant une commission de l’Académie des sciences, devant un grand nombre de savants français et étrangers, que vous avez pu voir vous-mêmes, puisque nous avons refait les expériences devant vous pour prouver le rôle du foie comme producteur de sucre, on avait pu croire que l’ancienne théorie qui considérait la matière sucrée comme venant toujours du dehors ne trouverait plus de défenseurs. Mais les théories ne se résignent point ainsi à mourir, elles reparaissent de temps à autre, toujours avec les mêmes arguments qui avaient servi à les élever autrefois, et sans tenir compte des progrès de la science.

Dans la séance de l’Académie des sciences, du 29 janvier dernier, on a lu le résumé d’un Mémoire, qui a été reproduit depuis dans la Gazette hebdomadaire du 2 février, que nous avons sous les yeux et dans lequel on revient encore sur cette idée : Que le sucre qu’on rencontre dans l’organisme provient exclusivement des végétaux.

J’avais cru d’abord ne devoir rien dire de ce travail qui, comme je vous le démontrerai tout à l’heure, n’a rien de physiologique, bien qu’il ait la prétention d’aborder et de juger des questions physiologiques. Mais quelques personnes qui suivent ce cours m’ayant demandé de m’expliquer sur la portée des arguments qu’on y propose, il est de mon devoir d’y répondre. En physiologie, en effet, les phénomènes sont tellement complexes, et pour décider une question il faut avoir présents à l’esprit une telle masse de faits, que nous comprenons sans peine le trouble et l’hésitation qui saisissent l’esprit du public, quand on vient devant lui contester les faits les mieux établis par des raisonnements dont il ne saisit pas, au premier abord, le peu de valeur réelle.

D’ailleurs, Messieurs, c’est dans cette chaire que doivent se débattre les questions à l’ordre du jour. La science militante, qui ne peut pas entrer dans un enseignement dogmatique, a naturellement sa place au Collège de France, et si je me taisais sur une pareille question, on pourrait peut-être s’autoriser de mon silence pour attribuer à ces attaques plus de portée qu’elles n’en ont réellement, Dans cette discussion, je m’abstiendrai de toute personnalité. Ce ne sont pas des hommes qui sont en présence, ce sont des idées d’une part, et des faits de l’autre. C’est une théorie que nous avons à combattre ; elle n’est point l’œuvre des personnes qui la soutiennent en ce moment : ce n’est donc point à celles-ci que nous nous adressons. Si nous prenons leur travail pour texte de discussion, c’est simplement pour fixer les idées sur les arguments qui y sont reproduits, et qui doivent avoir là toute leur force, puisqu’ils sont donnés dans le but de nous combattre.

L’auteur du travail nie d’abord la production exclusive du sucre dans les végétaux, par sentiment. Il lui répugne, dit-il, d’admettre que l’économie animale se donne la peine de fabriquer une substance pour la détruire aussitôt. Ces sortes de répugnances, Messieurs, n’ont en rien affaire avec la science ; au même titre, je pourrais dire qu’il me répugne, à moi, d’admettre que les animaux, qui ont une vie bien plus complexe que les végétaux, ne puissent produire tout ce que font ces derniers. Mais il est clair qu’un tel point de vue, purement sentimental, ne saurait constituer un argument en pareille matière. Puis vient alors cette confusion entre les faits et les théories. Ainsi, le résultat que nous avons obtenu en localisant la sécrétion du sucre dans le foie, « serait (dit-on) en opposition avec les découvertes de la chimie organique, et avec ces belles et simples relations que la science moderne a si lumineusement établies entre les fonctions comparées des animaux et des plantes. »

Or, Messieurs, on découvre un fait, et l’on conçoit une théorie. Les faits que nous avons découverts ne contredisent point les découvertes de la chimie organique, ils s’ajoutent à la masse des connaissances acquises ; et l’ensemble de tous ces faits ne pouvant plus rentrer alors dans les relations établies entre les animaux et les plantes, si simples et si lumineuses qu’elles soient, celles-ci disparaissent comme désormais insuffisantes. Ce sont les conceptions, les manières de voir, les théories qui changent et se contredisent, ce ne sont jamais les faits.

Vous voyez donc, Messieurs, dès l’abord, un vice de méthode dans la manière d’attaquer la question, et il va être intéressant d’en suivre le développement. Ainsi, on aborde le sujet avec une doctrine préconçue. Il répugne de voir les faits autrement que la théorie ne les conçoit, et l’on vous dira plus tard que, bien qu’on ait constaté la présence bien positive du glucose dans le tissu du foie, on persiste toujours dans l’idée que le sucre ne peut pas provenir d’une sécrétion propre de cet organe, et qu’il a sa source unique dans l’alimentation. Nous pourrions en rester là ; de telles déclarations nous suffisent pour juger dans quel esprit seront faits des travaux entrepris sous la pression de telles doctrines, mais nous voulons poursuivre l’analyse, pour vous montrer combien une idée arrêtée, dans l’étude d’une question, apporte de trouble dans la logique et dissimule, aux yeux de l’observateur prévenu, les contradictions flagrantes pour tout autre, entre ses raisonnements et les faits qu’il constate, et avec quelle facilité il oubliera les conditions d’une expérimentation sérieuse et vraiment scientifique.

Ne comprenant pas le point de vue physiologique, qui seul devrait dominer dans ces études, et qui, bien observé, conduirait à la véritable solution, l’auteur en question commet, à ce sujet, les erreurs les plus graves, et avance, par exemple, des propositions de ce genre : « Ces oscillations, ces espèces d’intermittences reconnues dans la fonction glycogénique, nous semblent un autre argument contre l’existence même de cette fonction. Une sécrétion qui n’est en jeu qu’à certains intervalles, qui ne s’éveille, chez les animaux, que sous l’empire, sous l’excitation de l’acte digestif, qui diminue par le jeûne, et s’éteint par une abstinence prolongée ou par les maladies, s’écartait trop manifestement du mode général des sécrétions physiologiques, pour ne pas élever de doutes sur sa réalité. »

Ainsi, Messieurs, l’intermittence de la production du sucre prouverait qu’elle n’est pas le résultat d’une sécrétion, parce que, dit-on, les sécrétions sont continues. Mais s’il est, en physiologie, un point bien établi, c’est certainement celui-ci : que les sécrétions n’ont lieu qu’à certains moments, et qu’elles offrent précisément ces oscillations, ces alternatives de repos et de mouvement organique, qui sont le caractère de toute fonction vitale. Chacun sait, en effet, pour prendre quelques exemples, que la sécrétion parotidienne, la sécrétion gastrique, la sécrétion pancréatique, la sécrétion biliaire, sont essentiellement intermittentes. Il n’y a que les excrétions qui peuvent être continues. Aucun physiologiste ne confondra ces choses.

Et, toujours pour les besoins de la cause, on dira que le tissu du foie ne renferme de sucre que pendant la digestion, ce qui s’accorde parfaitement avec la théorie, mais ce qui est complétement erroné, ainsi que je vous l’ai prouvé maintes fois, et comme je vous le montrerai tout à l’heure. Le sucre, en effet, ne disparaît du foie qu’à la suite d’une longue abstinence, quand la mort est prochaine, et que l’animal a perdu les 4 dixièmes de son poids, et que son retour à la vie est désormais impossible.

Ainsi, Messieurs, on commence par des erreurs de doctrines, on continue par des erreurs de faits ; je vous montrerai bientôt qu’on finit par des vices de logique vraiment incroyables.

Avant d’aller plus loin, permettez-moi de remettre sous vos yeux cette expérience qui consiste à montrer que, chez un chien à jeun depuis deux ou trois jours, le sang de la veine porte ne contient pas de traces de sucre, tandis que le sang des veines hépatiques en présente des quantités considérables.

Nous tuons l’animal par la section du bulbe rachidien, comme vous l’avez déjà vu faire ; nous lui ouvrons le ventre, nous saisissons le paquet des vaisseaux et des nerfs hépatiques, et nous lions le tout en masse pour empêcher le reflux du sang venu du foie dans la veine porte, puis nous prenons alors du sang de cette même veine ; nous ouvrons la poitrine et prenons du sang des veines hépatiques. On va traiter ces deux sangs de la même manière, en ajoutant du sulfate de soude et faisant cuire pour en exprimer le liquide. Vous allez voir tout à l’heure que le liquide sorti du sang de la veine porte, ainsi traité, ne réduira pas le tartrate cupro-potassique, tandis que celui des veines hépatiques le précipitera abondamment.

C’était donc là, Messieurs, l’expérience fondamentale, qu’il fallait répéter tout d’abord, et qui devait ouvrir les yeux, et qui aurait empêché de dire que le sucre n’existe dans le tissu du foie que pendant la digestion. Mais les théories, qui se regardent comme l’expression absolue et définitive de la réalité, répugnent à voir les faits qui les contredisent et persistent dans leur aveuglement. Ceci est aussi une vérité physiologique d’un autre ordre.

Cependant, des expériences ont été instituées, des analyses ont été faites, qui, restant au point de vue chimique pur, sont dès lors exactes, et viennent confirmer les nôtres. Mais, le côté physiologique étant complètement méconnu, on n’a vu qu’une des faces du problème ; on a cru faire la découverte de faits établis déjà depuis longtemps, et l’on a pris pour général ce qui n’est qu’un cas particulier, et l’on a cru à une fixité de phénomènes qui ne se rencontrent pas. Il ne faut jamais oublier, en effet, Messieurs, que dans la science de la vie les faits bruts ne sont pas des preuves. Sur la même question on peut répondre oui ou non, et paraître avoir raison des deux côtés, quand on se place à des points de vue différents et incomplets. Mais la science physiologique permet de fixer dans quel cas il faut dire oui, et dans quel cas non ; et voilà justement pourquoi, pour juger une question vitale, il faut être physiologiste.

Le chimiste qui instituerait seul une analyse sur un cas particulier, qu’il prendrait pour un fait général, ignorerait, le plus souvent, qu’on peut, un moment après, lui faire faire, sur un cas qui lui paraîtra complétement identique, une autre analyse tout à fait contradictoire avec la première. Quelle conclusion tirera-t-il de là ? Et s’il n’a vu qu’un cas, quelle foi peut-on ajouter à sa conclusion ? C’est là cependant la position dans laquelle s’est mis le critique en question pour traiter les questions de physiologie, quand il n’a pas tenu compte avant tout des conditions physiologiques des phénomènes.

Ainsi, Messieurs, la théorie avait besoin de constater, pour les conclusions qu’elle va en tirer tout à l’heure, qu’il existe du sucre dans le sang des animaux, et en particulier, dans le sang des animaux de boucherie. Le fait était déjà connu et établi. M. Magendie, en 1846, a publié un travail sur ce sujet ; Garot en Angleterre, Schmidt à Dorpat, Lehmann à Leipzig, etc., ont constaté la même chose ; nous avons déterminé nous-même dans quelles conditions on pouvait rencontrer cette substance dans le système circulatoire général, et il suffit de vous rappeler ce que je vous ai dit dans une des séances précédentes.

Nous savons, de plus, qu’il suffit de faire exécuter à un animal des mouvements violents des muscles diaphragmatiques et abdominaux, en particulier, pour rencontrer le sucre dans le sang de la veine jugulaire. Vous savez aussi que, quand la sécrétion glycogénique est à son summum d’activité, le sucre se généralise dans tout l’organisme.

Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quand il est frais, on en trouve toujours, et voici pourquoi. Pour saigner les bœufs que l’on vient d’assommer, le boucher leur enfonce le couteau jusque dans l’oreillette droite ; le sang qui s’en écoule vient donc en partie des veines hépatiques. Et si l’on observe, en outre, que, pour faire dégorger le sang que contient l’animal, on appuie fortement avec le pied justement dans la région du foie, de manière à exprimer le plus possible cet organe, vous comprendrez alors, d’après ce que nous avons dit dans une précédente leçon, comment il se fait que le sang qui sort par la plaie, mélangé avec celui qui vient des veines hépatiques, contienne des qualités notables de sucre ; et toutes les fois que j’ai pris du sang venant de l’abattoir, j’ai constaté le même fait. Il faut noter, en outre, que ces animaux peuvent être en digestion, ce qui augmente encore la quantité de sucre dans l’organisme ; qu’ils font des efforts violents, si, au lieu d’être assommés, ils sont simplement égorgés, etc. Mais, si, au lieu de faire l’expérience de cette manière, qui n’est aucunement physiologique, on l’eût répétée comme nous venons de vous la montrer, comme Lehmann ainsi que d’autres expérimentateurs l’ont faite, on n’eût pas trouvé de sucre, ou bien dans les cas où l’on en eût trouvé, cas que nous avons déterminés nous-même, on en eût rencontré des quantités beaucoup plus considérables dans les veines hépatiques que partout ailleurs.

Quoi qu’il en soit, les faits purement chimiques ne pouvant être niés, car ils sont trop évidents, on est forcé d’accorder qu’il y a du sucre dans le foie, qu’il y en a toujours, toutes proportions gardées, environ trois fois plus que dans le sang, dans les circonstances où l’on a observé et sur lesquelles nous avons fait nos réservés. Ainsi, on reconnaît qu’il y a environ 0,50 pour 100 de sucre dans le sang, et 1,50 pour 100 dans le foie. Nous fixons ces chiffres, parce que nous allons arriver au raisonnement final, et vous verrez alors quelle incohérence il y a entre les conclusions et les prémisses.

Ne voulant pas faire du foie un organe sécréteur du sucre, la théorie en fait d’abord un organe dépurateur, séparant d’une part les produits inutiles à la nutrition, de l’autre les matériaux qui peuvent directement servir à l’assimilation. Indépendamment du vague et de l’indéfini que comporte une telle qualification, on pourrait demander comment il se fait que des matériaux au moins inutiles à la nutrition, comme l’arsenic, le mercure, et un certain nombre d’autres métaux qui se fixent dans le foie d’une manière presque indéfinie, ne soient pas dépurés par cet organe essentiellement dépurateur.

Puis, quant au rôle du foie vis-à-vis de la matière sucrée, il devient un organe condensateur. Si l’on ne considérait que le cas des animaux herbivores, on pourrait concevoir que le foie gardât le sucre que lui apporte chaque digestion pour le verser ensuite peu à peu dans le sang ; cependant, comme on sait qu’il s’y détruit très vite, on pourrait s’étonner d’en trouver encore presque autant, après trois ou quatre jours de jeûne absolu, que dans l’état normal, qui en apporte incessamment des quantités nouvelles ; et la physiologie sait, d’ailleurs, que, si l’on prend deux animaux de même espèce, qu’on les mette à jeun tous les deux, et que l’on empêche dans l’un le sucre de se produire, en lui coupant, par exemple, les pneumo-gastriques, de ces deux animaux tués au même moment, celui-ci ne présentera pas la moindre trace de sucre dans son foie, tandis que l’autre en aura toujours des quantités considérables.

Mais on n’en reste pas là, et alors voici le raisonnement pour les animaux qui vivent de chair. Le sucre qui se trouve dans le foie des Carnassiers vient du sucre qui se trouve dans le sang des Herbivores, et celui-ci a sa source dans les végétaux.

« La viande des animaux de boucherie, dit-on, renferme des vaisseaux ; ces vaisseaux contiennent du sang (ce sang est sucré, 0,50 pour 100). Ainsi, la chair de bœuf et de mouton qui avait servi à nourrir les chiens dans les expériences de M. Bernard contenait du sucre, et l’on administrait, sans s’en douter, le composé même que l’on voulait ultérieurement rechercher. »

En vérité, il faut être égaré par une théorie pour émettre de pareilles assertions, et supposer que nous ayons pu donner, sans nous en douter, sans le rechercher, du sucre avec les aliments : et celui même qui avance une pareille idée ne recherche pas lui-même, et tout d’abord, s’il y a du sucre dans cette même viande que nous aurions pu donner. J’avoue que parmi toutes les objections que j’ai pu supposer, je n’aurais jamais pensé à celle-là.

D’ailleurs, les expériences qui réduisent à néant de pareilles assertions sont faciles à faire. Voici de la viande de boucherie fraîche, c’est-à-dire dans les conditions où l’auteur du travail en question supposait que nous la donnions à nos animaux ; on la broie, on la traite par l’eau chaude, et vous verrez qu’elle ne contient aucune trace de sucre.

Mais nous nourrissions le plus souvent les chiens en expérience avec de la tête de mouton préalablement bouillie, dont l’eau de lavage enlevait les matières solubles, et par conséquent le sucre. Voici de cette même viande avec laquelle des chiens ont été nourris pendant des mois entiers ; on la broie, on la traite par l’eau, le liquide qui s’en échappe ne contient pas la moindre trace de sucre. On ne comprend pas de pareilles objections, quand des expériences aussi simples et aussi faciles à faire n’ont même pas été vérifiées, et certes, elles en valaient la peine, quand on se permet d’en tirer de telles conclusions.

Mais ce n’est pas tout encore, et suivez un peu ce raisonnement.

On vient de dire que le foie contient 1 à 1,50 de sucre pour 100 ; supposez le foie d’un chien qui pèse 500 grammes, il contiendra 5 à 6 grammes de sucre au minimum. On admet que le sucre se détruit à mesure qu’il se forme ; par conséquent, on admet qu’une digestion fournit au moins 5 grammes de sucre qui se condensent dans le foie, et l’on ne cherche pas s’il y a 5 grammes de sucre dans un repas que l’on fait faire à l’animal. Quand même on le nourrirait avec de la viande de boucherie saignante, il faudrait, d’après les calculs énoncés dans le Mémoire, qu’elle contînt un kilogramme de sang ! Et il faudrait de plus que cette viande et ce sang fussent encore chauds, extraits à l’instant même du bœuf qui vient d’être abattu ; car l’auteur a bien soin de faire remarquer, quelque part, qu’au bout de très peu de temps le sucre se détruit dans le sang, ce qui fait qu’on ne l’avait pas, croyait-il, observé avant lui. Tout cela devient incompréhensible.

Ainsi, Messieurs, en résumé, on ne nie point les faits, parce qu’ils ne sont pas niables ; on ne nie pas que le foie contienne du sucre en proportions considérables. Mais on n’a pas voulu faire ces expériences si simples et si nettes que j’ai toutes répétées devant vous, savoir : en premier lieu, prouver que les aliments avec lesquels nous nourrissons des chiens pendant des mois entiers ne contiennent pas de traces de sucre ; que le sang de la veine porte de ces mêmes animaux carnassiers, soit à jeun, soit en digestion, n’en présente pas de traces quand on fait l’expérience convenablement. On constate, en second lieu, le sucre dans le tissu du foie comme dans les veines hépatiques ; ce sucre est versé à chaque instant dans le système circulatoire, où il disparaît peu à peu.

Alors, au lieu d’accepter purement et simplement le foie comme un organe sécréteur du sucre, ce qui est prouvé par des considérations de toute nature, on torture pour le besoin de théories l’explication des phénomènes.

Maintenant, Messieurs, achevons les expériences que nous avons commencées. Voici le liquide provenant du sang de la veine porte, nous y ajoutons du tartrate cupro-potassique, nous chauffons, pas de traces de réduction. Ici il a été mis avec de la levure de bière, il n’y a pas eu de fermentation.

Nous en faisons autant avec le liquide provenu du sang des veines hépatiques ; vous voyez dans ce cas une réduction abondante, et ici dans ce tube la fermentation a continué sa marche très activement.

Enfin, voici du liquide résultat de la décoction du foie ; vous voyez qu’il est jaunâtre, transparent, ce qui tient à ce que l’animal est à jeun, car il serait opalin ou laiteux s’il était en digestion de matières féculentes, comme je vous l’ai dit déjà. Il réduit abondamment le réactif cupro-potassique et fermente très vite, car vous voyez qu’il y a déjà une grande quantité d’acide carbonique dans l’appareil à fermentation.

Voici également l’eau de décoction de la viande fraîche, et celle de la tête de mouton, aliment dont nous nourrissons les chiens ; nous y ajoutons du tartrate de cuivre : vous voyez qu’il n’y a pas traces de précipité ni aucun indice de fermentation, et, par conséquent, pas de traces de sucre, ce qui réduit à néant l’objection fondamentale qui nous était adressée, objection qui, bien que servant de point de départ à tout cet échafaudage d’arguments qu’on nous opposait, n’avait même pas été vérifiée par l’auteur de ces arguments.

Quatorzième leçon

10 février 1855.

SOMMAIRE : Analyse d’un nouveau travail critique sur l’origine du sucre dans l’organisme. — Sa liaison avec le précédent. — Action du système nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section des pneumo-gastriques. — Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l’expérience précédente.

Messieurs,

Nous vous avons prouvé, dans la dernière séance, que les arguments au moyen desquels on avait espéré faire revivre l’ancienne théorie sur la provenance extérieure du sucre de l’organisme animal sont sans aucune valeur. Parmi les faits invoqués à l’appui, les uns sont exacts, mais ils étaient connus depuis longtemps, et nous en avions déjà tenu compte, les autres ne sont, comme vous l’avez vu, que des assertions complétement erronées. Rien de ce que nous avions avancé et prouvé ne se trouve contredit ; nous avons toujours l’expérience si nette que nous avons produite devant vous, et à laquelle nous nous reportons constamment, à savoir, que chez un animal nourri de matières albuminoïdes, le sang de la veine porte ne contient pas de sucre, tandis que celui des veines hépatiques et le foie lui-même en présentent des quantités considérables. La conclusion toute naturelle, toute simple, est toujours celle-ci : que le sucre se forme dans le foie.

Nous aurons encore, par la suite, à ajouter bien d’autres preuves à celles que nous vous avons déjà données de la réalité de cette fonction glycogénique du foie.

Puisque nous sommes entré dans cette discussion, et à cause du désir qui nous en a été exprimé, et parce que, au point de vue des méthodes scientifiques, nous y avons vu un enseignement réel, nous devons la poursuivre jusqu’au bout, et en examiner une autre face par laquelle la critique s’est présentée, quoique d’une manière beaucoup moins franche.

Un autre travail a été lu à l’Académie des sciences le 5 février, et reproduit dans le numéro du 9 février de la Gazette hebdomadaire. Il règne, dans toute cette nouvelle forme que prend l’argumentation, une insinuation perpétuelle pour essayer d’établir que nous aurions bien pu nous tromper sur la valeur des réactifs dont nous nous sommes servi. Ainsi on prétend que dans le cas où l’on donne à un animal des matières féculentes ou sucrées, le sucre pourrait bien se trouver en grande quantité dans la veine porte, mais qu’il y serait masqué par sa combinaison avec l’albuminose, et ne serait plus dès lors susceptible d’être décelé par le tartrate cupro-potassique. Ce sucre passerait inaperçu, pour ne reparaître qu’après le foie, qui aurait dissocié cette combinaison du sucre avec des matières albuminoïdes qui étaient rebelles à notre réactif. Nous reviendrons plus tard sur la question de savoir dans quelles conditions l’albuminose peut empêcher la réduction du sel de cuivre par le glucose. Pour le moment, nous dirons que sur des chiens nourris avec de la viande et du pain, quand nous avons voulu chercher par le tartrate cupro-potassique le glucose dans le sang de la veine porte, nous avons constamment constaté sa présence, mais en quantités bien moins considérables que dans le sang des veines hépatiques. D’ailleurs nous ne nous sommes jamais contenté de cette réaction, nous avons toujours employé comparativement la fermentation, qui ne saurait laisser aucun doute en pareille matière.

Lehmann, dont la compétence sur des déterminations chimiques est si hautement établie, a trouvé également du sucre dans le sang de la veine porte, chez des chevaux qui mangeaient de l’avoine, mais il en a trouvé bien davantage dans le sang des veines hépatiques.

Mais toutes les objections précédentes se rapportent à une alimentation mixte. Nos expériences, au contraire, pour établir la formation du sucre dans le foie, ont toujours été faites sur des animaux à jeun, ou nourris exclusivement avec de la viande. Cependant la fonction glycogénique du foie est mise en jeu, mais, ainsi que le dit l’auteur lui-même, d’une manière indirecte.

Quelque éloigné que puisse vous paraître, au premier abord, ce travail de celui que nous avons analysé dans la précédente séance, vous allez voir cependant que c’est une nouvelle face sous laquelle l’ancienne théorie de la provenance extérieure du sucre de l’organisme présente sa défense. C’est une argumentation en deux points qui se relient l’un à l’autre d’une manière indirecte, et dont la logique pourrait passer inaperçue ; je suis donc obligé de remplir les lacunes du raisonnement complet. Les deux prémisses sont : l’une que le sucre existe dans la viande, l’autre que la présence du sucre dans la veine porte est dissimulée par les matières albuminoïdes digérées par le suc gastrique ; donc on donne toujours du sucre avec les aliments ; et comme ce sucre n’est pas décelé dans la veine porte par le tartrate cupro-potassique, il en résulte que notre expérience fondamentale est infirmée.

Mais d’abord, Messieurs, quant à la présence du sucre dans la viande, c’est une pure assertion, et vous avez vu par expérience ce qu’elle valait. Quant à la dissimulation du sucre par la peptone ou albuminose dans la veine porte, cette objection n’a aucune valeur, parce que, en supposant que cette matière existât dans la veine porte, ce qui n’est pas exact, ainsi que nous le dirons plus tard, on s’en serait débarrassé ; et d’ailleurs on a toujours fait usage de la fermentation concurremment avec le réactif cupro-potassique.

De plus, on a oublié de dire à quels caractères on reconnaissait que ce sucre, qui se trouve isolé dans le foie, était bien celui qui avait circulé dans la veine porte avec la peptone, au lieu d’être un sucre de nouvelle formation ; évidemment c’est là une assertion pure et simple.

On ne sait quelquefois pas au juste ce qu’on prétend établir, dans ce travail ; car d’une part on accorde que la fonction glycogénique n’est pas directement en jeu, et l’on crée, d’autre part, un nouvel usage pour le foie, qui devient, dans le cas d’une alimentation mixte, un organe filtrateur propre à isoler l’un de l’autre les deux produits ultimes de la digestion des matières albuminoïdes et saccharines, d’abord confondues et masquées l’une par l’autre dans le sang de la veine porte.

Enfin notons, en terminant, un fait curieux, au point de vue des méthodes, qui s’est produit dans cette discussion. Le travail que nous avons analysé dans la dernière séance était fait par un chimiste qui juge une question physiologique ; il a pour but, en effet, de décider s’il y a ou non une fonction pour produire le sucre. Celui-ci est fait par un physiologiste qui juge une question chimique, sur la possibilité de reconnaître comment une matière albuminoïde peut masquer le sucre.

Nous ne voulons pas, Messieurs, insister davantage sur ces tentatives impuissantes pour faire revivre une théorie qui a fait son temps. Nous reprenons notre sujet, un instant interrompu par ces réfutations qu’on nous avait demandées, et nous allons continuer à établir, par des preuves d’une autre nature, cette nouvelle fonction du foie, en nous plaçant sur un terrain où toutes ces objections, qui ne portent en définitive que sur la nature de l’alimentation, ne pourront plus nous atteindre.

Nous nous mettrons donc maintenant complétement en dehors de l’alimentation, il n’y aura donc plus lieu de discuter si le sucre provient de là.

En effet, Messieurs, le sucre ne se fait pas aux dépens de l’aliment ; il y a toujours entre la nourriture et le produit sécrété un intermédiaire inévitable, qui est le fluide sanguin. Quand nous vous avons dit que le sucre du foie se faisait aux dépens des matières albuminoïdes, nous n’avons pas prétendu que ce fût aux dépens de celles qui, digérées dans l’intestin, arrivent directement au foie. C’est aux dépens des matières qui ont vécu, que se fait toute sécrétion, car pendant l’abstinence, la circulation continue dans le foie, et la production du sucre se fait comme à l’ordinaire, quoique un peu diminuée, et l’on en trouve toujours chez des animaux qui n’ont rien mangé depuis quatre, cinq, six jours et plus. Vous avez été témoins de ce fait chez des chiens à jeun depuis trois jours. Mais on pourrait faire, car l’expérience nous a montré qu’il fallait tout prévoir désormais, cette objection : que la présence du sucre, constatée après une abstinence plus ou moins prolongée, provenait de ce que le foie étant un organe condensateur, cette matière s’y localisait indéfiniment. Vous savez déjà que la matière sucrée est très destructible ; mais nous avons une preuve plus directe à vous donner et qui vous convaincra, c’est que, quand on empêche le sucre de se produire, on n’en trouve plus au bout de très peu de temps.

Voici deux chiens à jeun depuis deux jours. Nous avons coupé à l’un d’eux, il y a à peu près vingt heures, les deux nerfs pneumo-gastriques dans la région moyenne du cou. Vous voyez, contrairement à ce qu’on a dit souvent, que ce dernier animal n’a pas de rhonchus ; sa respiration n’est pas gênée, elle se fait librement, seulement elle est très lente. Nous tuons les deux chiens par la section du bulbe rachidien, nous prenons sur l’un et sur l’autre du sang de la veine porte, en ayant soin, comme nous le faisons toujours, de placer une ligature sur le tronc de ce vaisseau avant son entrée dans le foie, pour empêcher le reflux du sang des veines hépatiques ; on prend un morceau du foie qu’on va faire cuire dans un peu d’eau, et nous examinerons dans un instant cette décoction, ainsi que le sang des veines porte et hépatique.

Remarquez, en passant, que l’estomac de ces deux animaux est complètement vide. Voici les poumons de celui qui a eu les pneumo-gastriques coupés ; ils sont parfaitement sains et ne présentent pas de traces de pneumonie : cela tient à ce que l’animal est assez vieux et à jeun ; s’il eût été plus jeune, nous aurions trouvé probablement ces organes plus ou moins engorgés de sang, et hépatisés, comme on dit.

Nous avons fait des expériences nombreuses touchant l’influence de la section des pneumo-gastriques sur le foie. Au bout de trois jours, le sucre avait toujours disparu complètement. Ce temps est, sans doute, trop considérable, mais nous ignorons la limite inférieure qu’il faut atteindre pour que le sucre se détruise entièrement. L’expérience que nous ferons devant vous servira à l’établir, et nous en apprendrons ensemble le résultat. Vous voyez ici deux animaux placés exactement dans les mêmes conditions, à peu près de même âge et de même taille, tous deux à jeun depuis le même moment, et ne différant qu’en ce que l’un d’eux a les pneumo-gastriques coupés. Chez ce dernier, la sécrétion glycogénique a cessé, comme cessent toutes les fonctions d’un organe quand on a coupé les nerfs qui s’y rendent, mais le sucre antérieurement formé, et qui existait au moment de l’opération, a continué de se détruire, et si le temps a été suffisant, nous ne devons plus en trouver dans le tissu hépatique. Si nous en trouvons encore, vous verrez qu’il y en a beaucoup moins que chez l’autre chien, chez lequel, bien qu’il soit à jeun, la glycogénie a continué de s’exercer.

Ces deux animaux ne diffèrent donc qu’en ce que l’un fait toujours du sucre, tandis qu’il ne s’en produit plus du tout chez l’autre.

Nous constaterons tout à l’heure ce que va nous donner cette expérience qui est en train. En attendant qu’elle s’achève, et puisque l’occasion s’en présente à propos des discussions qui s’élèvent autour de la fonction glycogénique du foie, permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler en quelques mots la manière dont on raisonne en physiologie comme dans toute autre science expérimentale, et combien le point de vue où l’on est a d’influence sur les résultats obtenus.

Nous vous avons déjà parlé, mais d’une manière abstraite et générale, des méthodes d’investigation ; mais il est bon d’éclaircir ces notions sur les exemples particuliers qui s’offrent à nous en ce moment.

L’un de ces modes de raisonnement constitue ce qu’on nomme la méthode à priori. Dans cette méthode, on part d’une idée préconçue, sur la manière suivant laquelle doit s’opérer un certain ordre de phénomènes, puis on fait des expériences, non pas pour vérifier cette idée, mais pour la confirmer. Tout ce qu’on voit, tout ce qu’on observe, doit absolument rentrer dans la théorie, et l’on déclare au besoin impossibles et absurdes les faits qui la contredisent. Quelquefois même on niera ces faits, parce que dans la disposition d’esprit où l’on se trouve, on ne rechercha point à reproduire les conditions dans lesquelles ils se manifestent ; et quand ils ne se seront pas montrés, parce que l’expérience qu’on aura tentée par une espèce de condescendance n’aura pas été faite comme elle aurait dû l’être, on sera heureux de n’avoir pas vu se produire le phénomène qui contrarie, et l’on déclarera qu’il n’existe pas. Tantôt cette idée à priori reposera sur un certain nombre de faits réels, tantôt sur des conceptions purement métaphysiques.

La discussion à laquelle nous nous sommes livré dans la précédente séance nous a offert un exemple de cette double source des idées à priori dans l’étude d’un phénomène : car, d’une part, on a fait parler la nature, on lui a prêté ses répugnances et ses préventions ; de l’autre, on s’est basé sur des faits bien constatés, correspondants à un état antérieur de la science qui a eu sa raison d’être à une certaine époque, et dans lequel on a voulu rester, sauf à inventer des explications étranges, et même à poser des assertions hasardées pour en faire des arguments contre des découvertes nouvelles.

Quelquefois, l’idée à priori est purement métaphysique, avons-nous dit, et c’est le cas le plus fatal, qui, heureusement, disparaît de la science de plus en plus. En voici un exemple ; il s’agit de la nature intelligente visant partout à l’unité dans ses créations.

Un physiologiste, recommandable à beaucoup d’égards, a voulu appuyer à priori cette ancienne idée : que dans l’acte de la digestion il doit y avoir unité de lieu et unité d’agent ; que tout se passe dans l’estomac et par la puissance du suc gastrique. Dès lors toutes ses expériences partent de là, et depuis quinze ans il s’évertue à démontrer, sans tenir compte des travaux qui se produisent autour de lui, que la salive, que la bile, que les sucs pancréatiques et intestinaux ne servent à rien ; qu’il n’y a dans tout l’appareil digestif qu’un point, la région pylorique, où se sécrète le suc gastrique, pour accomplir toutes les modifications que subissent les diverses sortes d’aliments avant d’être absorbées ; que tous les autres organes glandulaires ne jouent qu’un rôle uniquement dépurateur. Et il fait des efforts inouïs de travail et d’imagination, il se crée des agitations qui ne mènent à rien, pour vouloir à toute force voir les choses comme il les conçoit, et non comme elles sont.

On doit considérer les expérimentateurs qui veulent absolument confirmer une théorie préconçue par des expériences, comme des persécuteurs de la nature. En effet, ayant une théorie posée en avant dans laquelle ils ont foi ; comme dans un axiome, ils veulent lui assujettir les faits ; ils tourmentent de toutes les manières les expériences de façon à leur faire dire ce qu’ils ont induit ou imaginé. Si l’expérimentation leur répond autre chose, ils ne veulent pas l’entendre, ils n’y font pas attention, et s’obstinent, avec une opiniâtreté qui fait leur malheur, à multiplier les expériences sans résultats positifs ; ou bien, s’ils croient saisir quelques faits en rapport avec leurs idées, ils ne voient que ce détail du résultat, et en abandonnent souvent le côté le plus important. Rarement cette voie conduit à des découvertes ; et si les hommes qui l’emploient ont du talent, elle ne fait que créer des systèmes mensongers avec l’apparence de la vérité.

Dans l’autre manière de raisonner, dite méthode à posteriori, l’esprit, par des faits établis, les relie provisoirement par une théorie qui ne lui sert qu’à le guider pour en découvrir de nouveaux ; cette théorie qu’il modifie à chaque pas, il l’abandonne sans regret dès qu’elle ne lui suffit plus. Les lois qu’il établit viennent après les phénomènes constatés, les raisonnements après l’expérience. Dans ces conditions, l’observateur jouit d’une quiétude qu’il ne saurait avoir quand il tient plus à ses conceptions qu’à ses observations. Cette quiétude ne saurait l’abandonner dans les objections que les théoriciens leur suscitent. Car des faits qu’il a vus, et qui, dans de telles dispositions, ne peuvent jamais le contrarier, il a tiré les conclusions les plus simples et donné les explications les plus naturelles. L’imagination, Messieurs, doit savoir se borner, en physiologie, à instituer un bon mode d’expérimentation, et non pas à inventer des théories qui, quelque artistement conçues qu’elles puissent être, ne sauraient jamais avoir la valeur d’un fait bien établi. Ceux qui ne veulent pas se contenter de ce rôle, devraient faire toute autre chose que de la physiologie, car ils lui nuisent plus qu’ils ne la servent.

Nous suivons, Messieurs, cette marche dite à posteriori ; nous interrogeons la nature, mais nous ne la tourmentons pas, nous ne la violentons pas. Sans aucun doute, il faut d’abord poser la question ; il faut, si l’on veut, que nous ayons une idée préconçue ou à priori quelconque pour instituer une expérience : mais quand l’expérience est une fois bien instituée, nous écoutons avec soin la réponse ; nous cherchons à bien la comprendre, qu’elle soit favorable ou non à notre idée primitive. Nous nous laissons conduire, en un mot, par les résultats qui surgissent de l’expérimentation, et nous ne prétendons pas régenter et conduire l’expérience. Cette méthode d’investigation est féconde en découvertes, et nous pourrions vous prouver que c’est à elle que nous devons celles que nous avons eu le bonheur de faire en physiologie.

Après cette digression, Messieurs, arrivons à constater les résultats de l’expérience que nous avons commencée.

Voici d’abord le liquide provenant de la décoction du sang de la veine porte de l’animal qui était simplement à jeun et auquel nous n’avions pas coupé les pneumo-gastriques. Nous ne devons avoir aucune réduction du sel de cuivre, et c’est ce qui a lieu en effet.

Le liquide provenant du sang des veines hépatiques réduit, au contraire, comme vous le voyez, très abondamment notre réactif.

Et il en est de même du liquide provenant de la décoction du tissu du foie, dont le précipité est encore plus abondant que le précédent.

Prenons maintenant l’animal qui était à jeun comme le premier, et qui avait, de plus, les nerfs pneumogastriques coupés.

Dans le liquide de la veine porte, pas de traces de réduction.

Dans le liquide des veines hépatiques pas davantage.

Dans le tissu du foie, nous voyons une réduction, mais très faible, comparativement à l’autre, car le liquide reste presque complétement bleu, tandis qu’il est, dans le cas précédent, tout à fait décoloré. Cela nous prouve qu’il n’y a pas encore assez longtemps que l’expérience a été commencée, mais dans quelques heures la disparition du sucre eût été complète, et l’on n’en eût pas trouvé de traces. Dans le foie du chien laissé simplement à jeun, qui n’a pas eu les vagues coupés, vous voyez qu’il y en a des quantités beaucoup plus grandes, ainsi que dans le sang des veines hépatiques et dans le tissu du foie.

Nous voyons donc que la formation du sucre, comme toutes les autres sécrétions, comme la sécrétion de la salive, des larmes, de l’urine, des sucs gastrique, biliaire, pancréatique, etc., est soumise au système nerveux, et qu’elle est complétement indépendante de l’alimentation. Si l’on arrête la formation du sucre, en soustrayant l’organe sécréteur à l’action excitatrice des centres nerveux, la destruction seule continuant, tout ce qui s’était produit antérieurement ne tardera pas à disparaître, et au bout d’un certain temps on n’en trouvera plus la moindre trace dans l’organisme.

Il y a plus, nous aurions pu, jusqu’au moment de sa mort, nourrir avec des matières féculentes et sucrées l’animal auquel nous avons coupé les pneumo-gastriques, et nous n’aurions pas trouvé davantage de sucre dans son foie ni dans le sang des veines hépatiques.

Ce n’est donc pas aux dépens du sucre de l’aliment, mais aux dépens du sang lui-même que se forme le sucre, ainsi que tous les produits divers de l’organisme ; et ces productions sont sous la dépendance immédiate du système nerveux, dont nous étudierons le rôle dans la prochaine séance.

Quinzième leçon
13 février 1855

SOMMAIRE : Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. — 1° Exagération de cette sécrétion par piqûre de la moelle allongée. — Instrument employé ; procédé opératoire. — De l’élimination du sucre par les diverses sécrétions. — Élimination par les reins, par la muqueuse stomacale. — Le sucre ne passe pas dans la salive. — Expériences chez les diabétiques. — Spécialité des différentes substances au point de vue de leur passage dans diverses sécrétions. — Sucre. — Cyanure jaune de potassium et de fer. — Iodure de potassium. — Passage du sucre dans l’estomac des diabétiques. — Limite de la quantité de sucre que peut contenir le sang sans passer dans l’urine. — Résultat d’une expérience sur la piqûre de la moelle allongée chez un lapin.

Messieurs,

Nous avons examiné jusqu’ici l’influence qu’avaient sur la fonction glycogénique du foie les conditions diverses dépendant de l’alimentation et de la circulation.

Mais vous avez vu, dans la dernière séance, comment la section des nerfs pneumo-gastriques amenait la disparition du sucre dans l’organe hépatique, parce qu’on empêchait ainsi la production d’avoir lieu. Nous avons à poursuivre aujourd’hui l’action du système nerveux sur cette fonction.

Il vous est bien démontré actuellement que le foie est un organe sécréteur du sucre ; comme toutes les autres glandes, il est dès lors soumis à l’influence du système nerveux, par l’intermédiaire duquel on peut augmenter, diminuer, ou même anéantir complètement sa sécrétion sucrée. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce n’est pas seulement au point de vue de l’intensité fonctionnelle que nous pouvons agir sur le foie, pour lui faire produire plus ou moins de glucose, mais nous pouvons aussi modifier la qualité de la sécrétion, nous pouvons la pervertir et la modifier profondément, de façon qu’il se produise une matière qui ne sera pas du sucre, mais qui pourra se transformer en cette substance, quand le foie aura été soustrait aux influences nerveuses. Ce dernier fait, jusqu’alors inconnu, est destiné, je crois, à jeter un jour tout nouveau sur les actions chimiques qui se passent d’abord dans le foie et même dans tout l’organisme, et sur l’espèce d’action que le système nerveux exerce sur ces phénomènes.

Nous avons donc à examiner successivement trois genres d’influence du système nerveux : 1° exagération ; 2° diminution ou anéantissement ; 3° modification de la matière sucrée sécrétée par le foie.

L’augmentation de la production du sucre dans l’organisme de façon à produire un diabète artificiel, peut s’opérer en agissant sur les centres nerveux ou sur les filets qui en émanent, au moyen d’excitations mécaniques ou galvaniques.

Nous allons commencer par examiner l’expérience qui frappa le plus vivement l’esprit des physiologistes, lorsque je la publiai il y a quelques années. Cette expérience consiste en ceci : Si l’on pique un certain point de la moelle allongée d’un animal, carnivore ou herbivore, le sucre, après un certain temps, se répand dans l’organisme en si grande abondance, qu’il en apparaît dans les urines.

Voici l’instrument dont nous nous servons pour pratiquer cette piqûre :

 

Fig. 14.

 

Il se compose, comme vous le voyez, d’une tige aplatie par une de ses extrémités, amincie et tranchante comme un petit ciseau. Au milieu de la lame et dans l’axe de l’instrument, la tige se prolonge par une petite pointe très aiguë, longue de 1 millimètre environ. Vous comprendrez l’usage de cet instrument, quand je vous aurai indiqué le point où il faut le porter. Ce point se trouve sur la moelle allongée, au milieu de l’intervalle compris entre les racines des nerfs acoustiques b, b (Fig. 15) et celles des nerfs pneumo-gastriques.

Maintenant nous considérerons la moelle allongée comme formée de trois couches : l’une postérieure, une seconde moyenne, et une troisième antérieure.

La couche postérieure est en rapport avec les phénomènes de la sensibilité, et sa section ne produit que des troubles de sensibilité au moment où on la traverse. La couche antérieure, en rapport avec les phénomènes de mouvement, n’a aucune espèce d’action sur le foie, mais sa lésion produit des convulsions et des mouvements désordonnés qui viendraient compliquer l’expérience. Il faut donc éviter de couper cette dernière partie de la moelle allongée. C’est pour cela que l’instrument est terminé par une pointe très fine, qui ne peut pas causer de lésions graves dans les parties qu’elle traverse. Quant à la couche moyenne, elle est composée par le faisceau innominé du bulbe-et les corps olivaires ; c’est cette partie dont la lésion produit plus spécialement l’apparition du sucre, et qu’on a pour but d’atteindre. Cet espace peut être limité en haut par une ligne transversale qui unit les deux tubercules de Wenzel b, b, et en bas par une autre ligne qui va d’une origine d’un pneumo-gastrique à l’autre.

 

Fig. 15. On voit le quatrième ventricule chez un lapin ; le cervelet a été divisé, et ses deux lobes a, a, sont déjetés sur les côtés. a, a, lobes du cervelet. — b, b, tubercules de Wenzel ou origine des nerfs acoustiques. — c, c, plancher du quatrième ventricule. — d, bec du calamus scriptorius. — e, origine du nerf pneumo-gastrique.

 

La blessure peut aussi quelquefois porter plus haut ou latéralement, et produire l’apparition du sucre ; mais le point que j’ai limité précédemment m’a paru celui où le phénomène s’opère avec le plus d’intensité. Du reste, nous donnerons plus tard l’explication du mode singulier d’action de ces lésions sur l’apparition du sucre dans les urines. Mais constatons d’abord les phénomènes.

Vous allez voir comment j’opère. Voici un lapin très vigoureux : c’est l’animal qui se prête le mieux à cette expérience. Je saisis fortement la tête de la main gauche, pendant qu’un aide tient solidement les quatre pattes, pour empêcher l’animal de faire aucun mouvement ; puis, en passant la main sur le crâne d’avant en arrière, je sens une tubérosité d qui correspond à la bosse occipitale supérieure en e. Aussitôt en arrière, je plante l’instrument dont la pointe entre dans le tissu spongieux de l’os. Je presse d’une manière continue, en faisant exécuter de légers mouvements de latéralité pour faire enfoncer les parties tranchantes ; je pénètre dans la cavité du crâne, et, dès que j’y suis parvenu, je dirige l’instrument obliquement de haut en bas et d’arrière en avant, de façon à lui faire croiser une ligne qui s’étendrait d’un conduit auriculaire à l’autre. Pendant cette opération, le moindre mouvement de l’animal pourrait faire varier l’instrument et produire des dilacérations graves qui amèneraient la mort ou des désordres considérables. C’est pourquoi il faut surtout avoir la précaution de maintenir très solidement la tête de la main gauche, au moment où l’on pénètre dans la moelle allongée.

 

Fig. 16.

 

Je pousse ainsi jusqu’à ce que j’atteigne l’os basilaire avec la pointe de l’instrument f (Fig. 17), puis je le retire avec précaution. Dans cette opération, j’ai percé successivement le crâne, le cervelet, les couches postérieure et moyenne de la moelle allongée. Mais la partie large et tranchante n’aura pas lésé d’une manière sensible la couche antérieure de la moelle, qui aura seulement été traversée par la pointe de l’instrument, ce qui n’y produit aucun désordre grave. Vous comprenez maintenant la raison de la présence de cette pointe.

 

Fig. 17. Coupe, d’une tête de lapin pour voir la marche de l’instrument à piqûre.
a, cervelet. — b, origine du nerf de la septième paire. — c, moelle épinière. — d, origine du pneumo-gastrique. — e, trou d’entrée de l’instrument dans le crâne. — f, instrument. — g, nerf de la cinquième paire. — h, conduit auditif. — i, extrémité de l’instrument arrivant sur la moelle après avoir traversé le cervelet. — k, sinus veineux occipital. — 1, tubercules quadrijumeaux. — m, cerveau. — n, coupe de l’atlas.

 

L’animal qui vient de subir cette expérience ne paraît pas, comme vous le voyez, en avoir beaucoup souffert, il ne trébuche pas, il se tient bien sur ses pattes, ce qui n’aurait pas lieu s’il avait été piqué à droite ou à gauche. Si la lésion n’avait pas porté exactement sur la ligne moyenne du plancher du quatrième ventricule, et si nous avions touché un des pédoncules du cervelet, l’animal eût tourné dans un sens ou dans l’autre ; il aurait pu y avoir des convulsions ou des désordres de mouvement, mais cela n’eût pas empêché l’apparition du sucre, qui en est indépendante. Cependant ce lapin semble être un peu étonné sur le moment, mais il se remettra assez rapidement ; seulement nous l’avons rendu actuellement diabétique et dans une heure ou deux, peut-être même à la fin de cette leçon, nous pourrons déjà constater la présence du sucre dans ses urines ; et, pour être bien sûr qu’il n’en existait pas avant l’expérience, nous vidons sa vessie. L’urine est trouble, mais elle ne réduit pas le tartrate cupropotassique, ainsi que vous le voyez ; elle ne donne pas lieu non plus à la fermentation.

La première question qui se présente, c’est de savoir par quel mécanisme s’opère cette apparition du sucre dans les urines, chez des animaux dont on a piqué, ainsi que nous venons de le faire, un point très limité de la moelle allongée.

Pour passer du foie dans le rein, le sucre ne suit pas ici des voies mystérieuses, mais la piqûre que nous venons de faire en ce point du système nerveux central exerce son action sur la sécrétion glycogénique. Cette irritation retentit sur le foie, et dès lors la quantité de sucre augmente dans l’organisme, le sang en est alors saturé, et le laisse passer dans les urines. Le rein agit ici simplement comme éliminateur.

Mais il y a ici une question qui se présente, et qui se rattache trop directement à l’histoire du diabète, pour que nous ne l’examinions pas avec soin : c’est de savoir si les reins seuls ont la propriété d’excréter du sucre, et si cette substance ne peut pas passer dans d’autres sécrétions. Nous avons fait à ce sujet un grand nombre d’expériences, et nous avons trouvé qu’il y a une espèce d’élection dans l’excrétion des matières qui sortent de l’organisme, et que toutes ne sont pas susceptibles de s’échapper par les mêmes voies éliminatoires.

Nous avons d’abord recherché comment se comportait le sucre, et nous avons vu qu’il y a certaines sécrétions par lesquelles il ne passe jamais.

Cette substance, en effet, quand elle existe en grande quantité dans l’économie, n’a que deux voies éliminatoires, qui sont les reins, d’une part, et la muqueuse stomacale de l’autre. Quand on injecte du sucre dans le sang d’un animal, de manière à l’en saturer et à le mettre momentanément dans l’état où se trouvent les individus diabétiques, on n’en trouve ni dans la salive, ni dans les larmes, ni dans le suc pancréatique, ni dans la bile, ni dans la sueur, tandis que les urines et le suc gastrique en décèlent des proportions plus ou moins notables. Les expériences sur l’animal pris en état de santé donnent des résultats complétement semblables à ceux qu’on observe chez les malades.

Ainsi, dans le service de M. Rayer, nous avons eu fréquemment l’occasion d’examiner la salive des diabétiques, jamais nous n’y avons trouvé la moindre trace de matière sucrée. Nous faisions d’abord rincer la bouche des malades avec de l’eau pure, et on leur donnait à mâcher quelque sialagogue, comme la racine de pyrèthre, par exemple, pour activer la sécrétion qui, recueillie de cette manière, n’a pas été sucrée dans six observations que nous avons faites.

On a dit quelquefois que les diabétiques avaient un goût sucré dans la bouche, et l’on a pensé que cela pouvait provenir de la sécrétion salivaire. Quoique le fait soit exact, cependant, il ne tient pas à la cause à laquelle on l’a rapporté. Cela ne doit être qu’un phénomène de même nature que ceux que M. Magendie a observés en injectant dans le sang des chiens des solutions amères. Il a vu aussitôt après l’opération les animaux manifester les mêmes signes de dégoût que si la substance eût été mise directement sur la muqueuse buccale ; et, de même, si l’on injecte du bouillon dans les veines d’un chien, on le voit aussitôt se lécher les lèvres avec une sensation agréable. Il y a lieu de croire que dans ces cas, comme dans celui des diabétiques, la substance qui se trouve dans le sang en assez grande quantité arrive avec lui dans les capillaires, et agit alors sur les extrémités nerveuses comme si elle venait d’être absorbée au contact de la muqueuse linguale. Lehmann dit avoir trouvé du sucre dans de la salive de diabétique. Il serait intéressant de savoir si les diabétiques qui ont du sucre dans la salive sont précisément ceux qui accusent une sensation sucrée dans la bouche.

On a encore signalé la présence du sucre dans les crachats des diabétiques Nous admettons qu’il peut y avoir du sucre en quantité notable dans les crachats. Mais il ne faut pas confondre les mucosités bronchiques que les malades, presque toujours phtisiques dans la dernière période de l’affection, expulsent en abondance, avec la sécrétion salivaire proprement dite. Ce sont en effet ces mucosités formées dans le poumon qui contiennent la matière sucrée.

Toutefois le fait ne serait pas constant, car M. Rayer a rapporté à la Société de biologie un cas dans lequel les crachats d’un phtisique diabétique, examinés par M. Wurtz, ne contenaient pas de sucre.

Il y a donc encore là, Messieurs, un rapprochement à établir entre les phénomènes de la maladie et les faits physiologiques, et comme ces particularités sont intéressantes, nous allons faire devant vous une expérience pour vous montrer que le sucre ne peut pas s’éliminer par toutes les voies de sécrétion par où passent cependant d’autres substances telles que l’iodure de potassium, par exemple.

Voici un chien sur lequel nous avons mis à nu le conduit parotidien dans lequel nous avons introduit un tube d’argent. Remarquez qu’il ne coule rien par ce tube, ce qui prouve que la sécrétion n’est pas continue et que l’assertion dont on nous faisait un argument que nous avons relevé dans l’avant-dernière leçon est complétement erronée. Comme nous avons besoin de prendre cette salive avant l’injection, vous allez voir qu’elle va couler en abondance quand nous allons porter une excitation sur la muqueuse buccale en y versant du vinaigre, ainsi que nous le faisons en ce moment. Vous voyez maintenant de grosses gouttes se succéder avec rapidité à l’extrémité du tube ; nous les recueillons pour constater tout à l’heure qu’elle ne contient aucune des substances que nous allons injecter et faire passer dans le sang.

Je découvre maintenant la veine jugulaire de l’animal, et je lui injecte une dissolution contenant 4 grammes de sucre, 0,50 gr. de prussiate de potasse et 0,50 gr. d’iodure de potassium.

Nous excitons de nouveau, et immédiatement après cette injection, la sécrétion salivaire en mettant du vinaigre dans la gueule de l’animal. Le liquide s’écoule parfaitement pur, ce qui n’aurait pas lieu si, au lieu de mettre un tube dans le conduit parotidien, nous nous étions contenté de dénuder ce conduit et de le laisser pendre en dehors. Nous recueillons la salive dans trois verres pour y rechercher successivement les trois substances que nous avons injectées.

Nous ajoutons dans l’une de ces portions le réactif cupro-potassique, nous faisons chauffer. Vous voyez qu’il n’y a pas trace de réduction, et cependant, si nous faisons tomber dans ce mélange une goutte de la solution que nous avons injectée, la coloration du liquide apparaît aussitôt. Le sucre n’a donc pas passé dans la salive.

Si nous prenons la seconde portion et que nous y ajoutions du persulfate de fer, qui est lui-même acide, ou un persel de fer quelconque, mais alors en ayant soin d’acidifier le mélange avec de l’acide acétique, vous voyez encore qu’aucune modification ne s’y produit, tandis que, s’il y eût du prussiate jaune, on eût vu apparaître la coloration caractéristique du bleu de Prusse qui se manifeste dans ce même liquide dès que nous y versons une goutte de notre injection contenant du prussiate jaune : donc cette dernière substance n’a pas passé non plus dans la salive.

Si maintenant nous prenons la troisième portion du liquide recueilli et que nous y ajoutions de l’empois d’amidon, vous voyez la coloration bleue y déceler l’existence de l’iode, quand nous y avons ajouté quelques gouttes d’acide sulfurique pour mettre l’iode en liberté. L’iodure de potassium passe donc immédiatement dans la salive, tandis que le prussiate de potasse et le glucose, soluble comme lui, ne s’y rencontrent pas. Vous voyez donc qu’il y a des points d’élection pour l’élimination des diverses substances qu’on introduit dans l’organisme. D’ailleurs ce n’est pas une question de temps ; car, puisque l’iodure a bien pu arriver déjà dans les artères parotidiennes, le sucre devrait aussi s’y rencontrer : or, quelle que soit l’époque à laquelle on prenne la salive après l’injection, jamais on ne rencontrera de sucre dans cette sécrétion.

Dans la salive que nous avons extraite avant l’injection, aucune des substances n’existait, comme nous pouvons nous en convaincre en l’essayant de la même manière.

Voici les urines du même animal qu’on vient de recueillir ; nous les soumettons aux mêmes réactifs, qui nous y indiquent la présence du prussiate en quantités considérables ; l’iodure de potassium ne s’y trouve qu’en petite proportion ; quant au sucre, il n’y en a pas encore, mais nous en trouverons dans un instant.

L’urine élimine donc toutes ces substances, mais d’une manière plus ou moins rapide. Le prussiate de potasse y apparaît d’abord, et le glucose en dernier lieu.

Une autre sécrétion, dans laquelle on peut constater dans certains cas la présence du sucre, c’est le suc gastrique. Le passage du sucre dans l’estomac a surpris beaucoup d’observateurs qui avaient vu, déjà depuis bien longtemps, que, lorsque les diabétiques venaient à vomir, bien qu’ils n’eussent mangé que de la viande, les matières vomies étaient sucrées. On avait pensé, dans l’idée où l’on était que le diabète provenait d’une perversion des fonctions digestives, que la viande était changée en sucre dans l’estomac. Mais il ne faut pas s’y tromper, la viande n’est sucrée que parce que le suc gastrique lui-même est sucré. J’ai eu moi-même occasion d’observer des diabétiques qui vomissaient à jeun, et dans les matières vomies de qui on pouvait constater la présence du sucre. Mais cela n’a lieu que quand la maladie est à son summum d’intensité ; et dans tous les cas, même chez les animaux que l’on rend artificiellement diabétiques, il est bien plus difficile d’obtenir le passage du glucose dans le suc gastrique que dans les urines. Il est rare en particulier de rencontrer ce phénomène chez le chien.

Le suc gastrique peut aussi entraîner d’autres substances. Si l’on fait manger à un animal des aliments contenant un sel de fer, et qu’on injecte ensuite dans ses veines du prussiate jaune de potasse, on trouve le contenu de son estomac coloré en bleu ; ce qui prouve que cette substance a passé, pour venir former du bleu de Prusse, avec la matière ferrugineuse.

Si, chez l’animal sur lequel nous avons fait l’injection précédente, nous recherchions les substances injectées dans la bile, nous y trouverions de l’iodure et du prussiate, mais pas de sucre.

Dans la sécrétion pancréatique, nous n’aurions pu constater que le passage de l’iodure ; quant au prussiate jaune et au sucre, nous n’en aurions rencontré aucune trace.

Ainsi les mêmes matières solubles ne sortent pas par toutes les sécrétions. Il y a même, à ce sujet, un fait très curieux : c’est que des substances qui ne sont pas éliminées par une sécrétion peuvent l’être, si on les combine avec une substance qui passe très facilement dans cette même sécrétion. Le fer, par exemple, à l’état de lactate, ne passe jamais dans la salive, tandis que l’iode est très facilement entraîné, ainsi que nous l’avons vu tout à l’heure. Mais si nous combinons l’iode avec le fer, cette dernière substance pourra alors passer dans la sécrétion salivaire sous forme d’iodure. Vous voyez donc encore ici combien il importe de déterminer exactement les conditions d’une expérience, et combien il faut se garder de généraliser trop vite, quand on n’a observé qu’un petit nombre de cas. Cela vous prouve une fois de plus combien un problème physiologique est complexe, et quelle circonspection il faut garder dans les conclusions qu’on peut tirer de faits isolés.

Tout ce que nous venons de dire, relativement au passage des substances par telles ou telles sécrétions, ne peut pas être considéré comme une propriété absolue. En physiologie, il n’en est jamais ainsi ; ce sont plutôt des limites de sensibilité d’organes pour telles ou telles substances, qui, néanmoins, doivent être prises en grande considération, parce que c’est dans ces limites que les phénomènes s’accomplissent. Nous voyons, en résumé, que le rein est l’organe le plus sensible pour l’excrétion du glucose, c’est-à-dire que c’est dans cette excrétion qu’on le trouve d’abord avant qu’il ait apparu ailleurs ; mais il faut, d’après Lehmann, au moins que le sang en contienne 0,3 pour 100, et tant qu’il n’y aura pas cette proportion, il n’en passera pas dans les urines.

Quand on voudra rendre un animal diabétique, il faudra encore avoir le soin de le prendre en pleine digestion, c’est-à-dire quand la quantité de sucre qui existe dans l’organisme est le plus grande possible, et il suffit alors qu’elle soit légèrement augmentée pour que les symptômes glycosuriques se produisent. Ce sont les conditions dans lesquelles nous avons opéré l’expérience tentée sur ce lapin ; nous allons voir dans un instant si elle a réussi.

A la rigueur, si le sang pouvait être saturé de sucre comme un sirop, il serait peut-être possible d’en trouver ailleurs que dans la vessie et dans l’estomac. C’est ainsi que sur un chien vigoureux nous avons fait l’injection dans l’artère carotide primitive d’une solution concentrée de sucre et de prussiate de potasse, de telle façon que le sang, qui est arrivé à ce moment à la glande salivaire, était chargé d’une quantité de ces substances telle, qu’il avait réellement perdu ses propriétés, et, si cela eût été général, l’animal serait mort. Dans ce cas seulement on a vu passer dans la salive un peu de ces deux substances injectées ; mais ce n’était plus là qu’un simple phénomène exceptionnel.

Si le rein est l’organe le plus sensible pour le sucre, il ne l’est pas pour l’iodure de potassium, qui apparaît plus rapidement dans la salive que partout ailleurs, de sorte, que cette substance est éliminée par la salive avant de l’être par tout autre organe. Cette sensibilité de la glande salivaire produit un phénomène très intéressant au point de vue pathologique, et que je veux vous signaler en passant.

Lorsqu’on injecte directement une certaine quantité d’iodure de potassium dans le sang, ou qu’on l’ingère par l’estomac pour qu’il entre alors par voie d’absorption, on observe bientôt le passage de cette substance dans la salive et dans l’urine. Mais, dès le lendemain, cette dernière sécrétion n’en offre plus de traces, et l’on pourrait croire qu’alors il n’en existe plus dans l’organisme. On se tromperait évidemment, car il y en a encore dans le sang une certaine quantité trop faible pour passer dans l’urine, mais pouvant cependant se manifester dans la sécrétion des glandes salivaires où on la constate toujours. Il résulte de ce mécanisme que l’iodure de potassium peut séjourner dans l’organisme pendant très longtemps après l’ingestion de cette substance. En effet, les glandes salivaires, rapportant cette substance dans le canal intestinal, font qu’elle se trouve incessamment soumise à une nouvelle absorption qui la ramène toujours au même point et qui la fait circuler ainsi presque indéfiniment entre l’estomac et les glandes salivaires. C’est ainsi que nous en avons constaté dans ces organes au moins trois semaines après que les urines n’en présentaient plus la moindre trace. Les évacuations alvines peuvent seules finir par emporter ces restes d’iodure de potassium, et un purgatif a pour effet d’en faire rapidement disparaître toute trace.

C’en est assez, Messieurs, nous avons fait cette digression sur ces substances, parce que, comme le symptôme caractéristique du diabète est une excrétion de matière sucrée, nous avons voulu, par des exemples pris en dehors de la fonction qui nous occupe, vous donner quelques idées sur son mécanisme. Il y a là, comme vous voyez, une foule de questions intéressantes, mais nous ne pouvons pas aller plus loin sans sortir de notre sujet, et nous revenons à notre expérience faite sur le lapin dont nous avons piqué la moelle allongée au commencement de la séance.

Vous voyez que cet animal s’est bien rétabli de l’opération que nous lui avons faite il y a trois quarts d’heure, et qu’il ne paraît pas en souffrir. Nous allons prendre ses urines, et nous y constaterons la présence du sucre, si le temps a été assez considérable pour qu’il apparaisse dans cette excrétion ; car nous vous avons dit qu’il faut souvent attendre une heure ou deux pour que ce phénomène se soit manifesté et pour que l’animal soit devenu nettement diabétique.

Voici les urines ; nous y ajoutons du tartrate cupropotassique, nous chauffons, et vous voyez une réduction abondante qui vous indique que le sucre y a déjà passé. Si nous mélangions avec de la levure de bière dans un appareil à fermentation, on verrait la production d’acide carbonique et d’alcool nous en donner une preuve encore plus positive.

Quant aux urines que nous avons extraites avant l’opération, elles ne présentent ni l’une ni l’autre de ces réactions caractéristiques.

Vous avez donc vu, Messieurs, se produire sous vos yeux, par une simple lésion de la moelle allongée, le phénomène du diabète. Par quel mécanisme physiologique ce phénomène s’est-il produit ? C’est ce que nous aurons à vous expliquer dans la prochaine séance.

Seizième leçon
17 février 1855.

SOMMAIRE : Présence du sucre dans le liquide céphalo-rachidien. — Remarques à ce sujet. — Diabète traumatique. — Présence du sucre dans les sérosités chez les diabétiques. — Passage du sucre dans la lymphe. — Conditions dans lesquelles ce passage s’effectue. — Chyle sucré du canal thoracique provenant du foie. — Du mécanisme de l’action nerveuse sur la production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la découverte des faits indiqués. — Expérience.

Messieurs,

Indépendamment de l’urine dans laquelle se rencontre toujours le sucre chez les diabétiques, et du suc gastrique où l’on peut le trouver quelquefois, il y a d’autres liquides normaux ou anormaux qui en présentent des quantités plus ou moins considérables : ce sont le liquide céphalo-rachidien et les sérosités.

Vous savez qu’il existe dans la cavité du crâne et de la moelle épinière, dans l’espace sous-arachnoïdien, un liquide qui entoure les centres nerveux, et dont M. Magendie a fait connaître l’histoire anatomique et physiologique9. Ce liquide, qui n’est pas une sérosité, comme je vous le démontrerai tout à l’heure, est constamment sucré, soit pendant la digestion, soit dans l’intervalle de deux repas, soit même au bout de plusieurs jours d’abstinence. Ce sucre du fluide céphalo-rachidien vient du foie, et toutes les causes qui augmentent ou diminuent la sécrétion glycogénique de cet organe, augmentent ou diminuent dans le même rapport la quantité de sucre contenue normalement dans ce liquide. La section des pneumo-gastriques le fait disparaître là comme partout ailleurs, tandis que la piqûre telle que nous l’avons pratiquée devant vous dans la dernière séance en exagère la quantité.

Ceci me conduit à vous parler d’une observation intéressante qu’on a communiquée il y a déjà quelque temps à l’Académie de médecine.

Vous savez qu’il arrive assez souvent que, par l’effet de chute sur la tête, il y a fracture du rocher et des os du crâne, et qu’à la suite de ces fractures il se produit quelquefois un écoulement plus ou moins abondant d’un liquide limpide. J’ai vu moi-même un cas où le malade en a rendu en deux jours plusieurs litres. On avait cru pendant longtemps que ce liquide était de la sérosité ; on supposait qu’il se faisait là un épanchement de sang, et que c’était le sérum du sang qui s’échappait par une rupture de la dure-mère adhérente au rocher, tandis que les globules et la fibrine restaient en caillot dans l’intérieur de la cavité crânienne. Cela pourrait en effet avoir lieu, mais il serait facile alors de reconnaître si le liquide qui s’écoule est bien du sérum ; car il coagulera fortement par la chaleur et l’acide nitrique, ce qui n’arrive pas-pour le liquide céphalo-rachidien, et ce caractère le distingue des sérosités proprement dites, qui contiennent toujours de l’albumine.

Quoi qu’il en soit, on avait fait, dans l’observation dont je parle, l’examen chimique du liquide qui s’était écoulé d’une fracture du rocher, et l’on y avait trouvé du sucre. Le chimiste qui avait analysé le liquide en avait conclu que le malade chez lequel on l’avait recueilli deux ou trois jours après l’accident était devenu diabétique, c’est-à-dire que la chute avait opéré une lésion de la moelle allongée, et que cette lésion avait produit le même effet que nous obtenons en piquant un animal dans ce point. Il y aurait eu ainsi diabète traumatique ; ce cas est possible et a déjà été observé plus d’une fois. Dans le service de M. Rayer était entrée une malade qui, disait-elle, était devenue diabétique après une chute sur la nuque ; mais on pouvait croire que la malade était peut-être, sans s’en douter, déjà diabétique auparavant, et que l’affection n’avait été qu’augmentée par l’accident.

Mais ce fait n’est pas resté isolé. On a publié dans plusieurs journaux l’observation d’un carrier devenu diabétique, à la suite d’une chute, et qui avait cessé de l’être quand il fut guéri de la plaie de tête.

Nous produirons également devant vous des diabètes artificiels produits par ce mécanisme au moyen de commotions ; par un choc porté sur la tête, il y a retentissement dans la moelle allongée, et même épanchement dans cette région. M. Fano, dans un Mémoire sur la commotion, a signalé des lésions dans la région de la moelle allongée, voisine du point que nous piquons.

Des chutes sur la tête peuvent donc déterminer des lésions dans les centres nerveux, et déterminer le diabète. Mais, cependant, il faut savoir aussi, et c’est ce que ne paraissait pas connaître le chimiste qui a fait l’analyse en question, qu’à l’état normal le liquide céphalo-rachidien contient toujours du sucre, de sorte que, lorsqu’on constate la présence de cette substance dans la sérosité qui s’échappe par une fracture du crâne à la suite d’un accident, on n’est pas fondé à en conclure que l’individu est diabétique, si l’on n’a pas examiné les urines. Ainsi, dans l’observation en question, je ne sache pas qu’on ait parlé des urines.

Nous allons, du reste, vous montrer à l’instant même que le liquide céphalo-rachidien réduit toujours le réactif cupro-potassique à la manière du liquide sucré. Voici le lapin que nous avons piqué dans la dernière séance, et qui avait cessé dès le lendemain d’être diabétique. Ses urines ne contiennent pas de sucre, elles ont repris leur couleur et leur densité normales, et ne réduisent pas, comme vous le voyez, le tartrate cupro-potassique. La piqûre que nous lui avons faite n’a donc produit qu’une glycosurie temporaire, et quand l’opération est bien faite, elle n’a aucune gravité.

Pour extraire du liquide cépalo-rachidien chez cet animal, nous lui faisons une plaie derrière la nuque, nous arrivons à l’espace occipito-atloïdien, et nous apercevons une membrane derrière laquelle se trouve un liquide. Remarquez, en passant, que cette membrane est en mouvement par un flux et reflux continuel, en rapport avec l’état de plénitude ou de vacuité des vaisseaux crâniens, et coïncidant avec les mouvements respiratoires.

Nous perçons la membrane, bien dénudée, avec l’extrémité d’une pipette, et nous extrayons une petite quantité du liquide qui se trouve derrière elle. Vous voyez que ce liquide, mis dans un tube, ne coagule pas par la chaleur, ce qui vous prouve qu’il n’est pas une véritable sérosité, mais il réduit abondamment le tartrate cupro-potassique ; nous n’avons jamais pu en obtenir d’assez grandes quantités pour le faire fermenter de manière à ne laisser aucun doute sur la présence du sucre.

Quant à ses usages, nous verrons que peut-être ce sucre a pour objet d’empêcher l’infiltration dans le tissu nerveux.

Les véritables sérosités sont-elles sucrées ? On n’a pas fait à ce sujet d’observations suivies.

J’ai examiné plusieurs fois les liquides provenant d’épanchements dans le thorax, dans le péricarde, dans le péritoine ; jamais je n’y ai rencontré de sucre dans les conditions où je les ai observés. Mais il faut dire que dans ces cas les malades ont souvent la fièvre, ce qui, comme vous le savez, suffit pour faire très rapidement disparaître le sucre ; il faudrait examiner ces liquides sur des individus bien portants d’ailleurs.

Chez les diabétiques qui ont des épanchements séreux, il y a du sucre dans ces liquides. J’ai eu occasion d’observer un diabétique qui était mort d’apoplexie en une nuit, et qui présentait un hydropéricarde dont la sérosité était sucrée. Chez les animaux sur lesquels on produit des hydropéricardes par la section des nerfs sympathiques, j’ai rarement trouvé du sucre.

Il a été publié dans un journal américain une observation très intéressante, où l’on avait trouvé du sucre dans le liquide résultant de la ponction d’un hydropique ; seulement on ajoute que le malade mangeait habituellement beaucoup de sucre ; évidemment ce n’était pas le même que l’on rencontrait dans la sérosité de la ponction. On ne dit pas si le malade était diabétique.

Je ne suis pas porté à penser qu’il puisse y avoir du sucre dans la plupart des sérosités normales ou anormales ; mais cependant, chez les lapins et les chevaux, il y a toujours, au moment de la digestion, un épanchement de sérosité temporaire que nous avons pu recueillir, et dans lequel nous avons pu constater la présence du sucre, et je ne serais pas surpris que cette sérosité transsudât du foie au moment de la digestion, car on voit en effet à ce moment les lymphatiques de cet organe excessivement gorgés de lymphe qui est sucrée.

Enfin il y a un autre liquide dans lequel nous devons rechercher le sucre, c’est la lymphe. Beaucoup de substances qui passent dans le sang ne passent pas dans les vaisseaux lymphatiques, et le sucre, en particulier, ne s’y rencontre pas, sauf le cas exceptionnel où l’organisme est saturé de cette substance.

Nous avons à ce sujet fait des expériences d’abord sur les lymphatiques de l’intestin, et nous avons vu que les chylifères qui pouvaient absorber la graisse émulsionnée par le suc pancréatique ne laissaient pas passer la matière sucrée. Nous avons expérimenté sur des chevaux auxquels nous donnions jusqu’à 1 kilogramme de sucre dissous dans un seau d’eau que l’animal avalait parfaitement ; au bout d’un quart d’heure ou d’une demi-heure, on tuait l’animal, et, après avoir ouvert le ventre et posé des ligatures sur les vaisseaux, on recueillait le sang des veines qui sortent de l’intestin, on recueillait également le chyle avant les ganglions mésentériques ; ce chyle, chez l’animal n’ayant pas mangé de matières grasses, était semblable à de la lymphe un peu trouble. Dans le sang veineux on trouvait du sucre, même à l’état de sucre de canne, tel qu’il avait été pris, car tout n’avait pas été changé en glucose. Mais, dans le chyle et dans les vaisseaux lymphatiques, jamais nous n’avons pu trouver la moindre trace de matière sucrée. Ainsi les graisses à l’état d’émulsion ou de division extrême sont absorbées par les chylifères, tandis que les matières sucrées et albuminoïdes passent dans le système veineux de la veine porte, et, quoique à l’état de dissolution, elles ne se rencontrent pas dans les lymphatiques. De sorte que les substances alimentaires peuvent, suivant leur mode d’absorption, se diviser en deux classes : les unes passant d’abord par le poumon, les autres passant par le foie.

Nous avons fait dans le même but d’autres expériences sur des chiens. Nous placions un tube d’argent dans un des vaisseaux lymphatiques qui descendent de la tête, et l’on recueillait le liquide qui s’en écoulait ; nous avons constaté que cette lymphe ne contenait pas de sucre, tandis que le sang en présentait une certaine proportion, comme cela a lieu pendant la période digestive. Nous avons même injecté une dissolution concentrée de sucre par l’artère carotide, la substance revenait par les veines, mais jamais par les lymphatiques. Seulement, dans les cas où nous injections de cette manière des quantités considérables de sucre, de façon à modifier tellement la composition du sang qu’il eût perdu ses propriétés normales, on voyait dans ces cas le sucre apparaître dans le système lymphatique ; mais il est clair que ce sont là des conditions tout à fait exceptionnelles et qui s’éloignent complètement de l’état ordinaire dans lequel on ne rencontre pas de sucre dans les vaisseaux lymphatiques.

Cependant il y a un point de ce système où l’on peut constater la présence de la matière sucrée, qui n’y existe nulle part ailleurs, et il faut être averti de ce fait qui pourrait induire en erreur si l’on n’en était prévenu. Quand on prend le chyle dans le canal thoracique qui reçoit la lymphe de toutes les parties du corps, et au moment où il débouche dans la sous-clavière, on le trouve sucré. Ce fait, qui avait été vu par Tiedemann et Gmelin10, avait été mal interprété ; on en avait conclu, contrairement à ce que nous venons de vous dire, que le sucre était absorbé dans l’intestin. Mais on eût dû remarquer que l’on trouvait encore du sucre dans le canal thoracique, même chez des animaux carnivores qui n’en prennent pas la moindre trace avec leurs aliments. C’est qu’en effet le sucre vient ici de l’organe où il se forme. Vous savez, en effet, que le foie contient des vaisseaux lymphatiques énormes, et qu’il n’y a pas un organe de l’économie qui en soit plus richement pourvu. La lymphe qui circule dans ces vaisseaux est très sucrée, et c’est elle qui, en venant déboucher dans le canal thoracique, donne à tout le liquide qui y circule, à partir du point d’abouchement des lymphatiques du foie, les réactions sucrées.

Sur un singe qui fut sacrifié par strangulation pendant la période digestive, sur des chevaux tués dans le même état, nous avons examiné les vaisseaux lymphatiques de la surface du foie, et, en les incisant, nous avons pu en extraire assez de lymphe pour les soumettre à l’analyse et constater la réaction sucrée. C’est donc ainsi que s’explique la présence du sucre dans le canal thoracique, à l’exception de toutes les autres parties du système lymphatique auquel il appartient.

Nous voyons que le glucose peut se trouver dans différents liquides de l’économie, normaux ou anormaux ; mais quand nous voulons remonter à la source de cette matière, quel que soit le lieu où nous l’observons, nous arrivons toujours au foie, qui est le lieu unique de sa formation et le point central d’où émane sa distribution. Toutes les fois donc qu’il y aura une augmentation ou une diminution dans la sécrétion sucrée de l’organe hépatique, nous aurons également une augmentation ou une diminution de la matière sucrée dans les différents liquides, et il était nécessaire de savoir quels étaient les liquides qui pouvaient être sucrés avant d’entrer dans le mécanisme de l’augmentation de la fonction sucrée par la piqûre dont nous vous avons parlé dans la dernière séance, et dont, après cette question incidente, nous allons reprendre l’histoire.

On s’est demandé et l’on se demande même encore comment j’ai pu être conduit à trouver ce fait, en apparence fort singulier, qui consiste à rendre un animal diabétique en lui piquant un point du système nerveux. Eh bien ! Messieurs, cette découverte n’est point due, comme on a été porté à le supposer, à un hasard heureux ; j’y ai été conduit en suivant pas à pas une idée qui était loin d’être exacte, comme l’expérience me l’a démontré depuis, mais qui m’a servi de guide jusqu’au moment où les faits ne se sont plus trouvés d’accord avec elle. D’ailleurs je vous indique cela comme question de méthode, car, si l’on doit toujours avoir une idée théorique quand on fait des recherches, il ne faut la publier que quand les faits sont venus lui donner une base solide. C’est pourquoi, à l’époque où je fis cette découverte, je n’en publiai d’abord que le résultat, qui parut surprenant. Mais ici je dois vous dire comment j’y arrivai.

J’avais déjà vu que le foie était un organe sécréteur de la matière sucrée, et l’on savait d’ailleurs que le système nerveux exerce sur tous les organes de sécrétion une influence par laquelle s’exagèrent ou se dépriment les fonctions sécrétoires. Ainsi M. Magendie avait vu qu’en excitant la branche lacrymale de la cinquième paire, on faisait couler les larmes en plus grande abondance, et qu’elles cessaient de s’épancher quand on venait à couper ce nerf. J’avais vu, de mon côté, que, quand on coupe les pneumo-gastriques à un animal, comme je vous l’ai montré dans une des précédent les séances, la sécrétion glycogénique est interrompue dans le foie. Je voulus alors tenter de produire le cas inverse, c’est-à-dire l’exagération de cette fonction. Dans cette vue, je galvanisai le pneumogastrique, mais je ne pus jamais d’une manière bien claire, par ce moyen, obtenir le résultat que j’attendais. Alors je me rappelai qu’en faisant des expériences sur un autre sujet, en coupant la cinquième paire dans le crâne, il m’était arrivé quelquefois, au lieu d’opérer cette section, de piquer simplement le centre nerveux à l’origine de ce nerf ; et alors les sécrétions, qui étaient interrompues quand on faisait nettement la section du nerf, étaient au contraire exagérées dans le cas où l’on ne lésait que la protubérance annulaire : les larmes, la salive, coulaient alors en grande abondance.

L’idée me vint, puisque je ne pouvais pas réussir en excitant directement le foie par le galvanisme porté sur le pneumo-gastrique, de piquer l’origine de ce nerf, et de voir si je produirais un effet analogue à celui que j’avais vu se manifester pour les sécrétions qui sont sous la dépendance de la cinquième paire. Je mis donc à nu le plancher du quatrième ventricule, je piquai vers l’endroit d’où naissent les pneumo-gastriques, et je réussis du premier coup à rendre l’animal diabétique. Au bout d’une heure, le lapin sur lequel j’avais opéré avait le sang et les urines chargés de sucre.

J’avais cru pouvoir expliquer cette apparition du sucre dans cette expérience, en disant que la sécrétion était sous l’influence directe du pneumo-gastrique, et l’expérience semblait venir confirmer ma théorie sur le mécanisme suivant lequel s’opérait cette action. C’était cependant une erreur, comme je le vis plus tard par l’expérience ; car ce n’est pas par le pneumo-gastrique que se transmet l’excitation qui part des centres nerveux pour déterminer la sécrétion à se produire.

Car si, avant de pratiquer la piqûre de la moelle allongée chez un animal, je lui coupais d’abord les pneumo-gastriques, le sucre n’en apparaissait pas moins dans le sang et dans les urines en très grande abondance. L’influence de la piqûre ne se propageait donc pas le long du pneumo-gastrique. Si, au contraire, on laissait ce nerf intact, et qu’on coupât la moelle épinière au-dessus de l’origine des filets sympathique qui se rendent au foie, la production du sucre était interrompue.

Cela me conduit à examiner de plus près l’influence du système nerveux sur les sécrétions, et j’arrivai à penser que cette influence, au lieu d’être directe, a presque toujours lieu par action réflexe, en passant par un ganglion du système sympathique. Il fallut donc renoncer à l’explication qui m’avait servi de point de départ, et dans laquelle je supposais que l’action excitatrice, partie des centres nerveux, descendait par le pneumo-gastrique pour arriver au foie. Les choses se passent autrement ; le pneumo-gastrique paraît conduire ici une impression centripète, qui arrive au centre nerveux, redescend ensuite par la moelle épinière, et arrive au foie par l’intermédiaire des filets et des ganglions sympathiques.

Nous examinerons, dans la prochaine séance, cette importante théorie qui touche à tous les phénomènes de la vie de nutrition, et nous relierons ce qui se passe dans le foie avec ce qui s’opère pour toutes les autres sécrétions.

Permettez-moi, en terminant, de vous montrer un autre lapin, chez lequel la piqûre de la moelle allongée n’a pas été faite exactement sur la ligne médiane du plancher du quatrième ventricule ; vous voyez que cet animal présente des désordres de mouvements que n’offrait pas celui que nous avons piqué dans la dernière séance. Mais je vous ai dit que cela n’empêchait pas le sucre de se produire en plus grande quantité qu’à l’ordinaire, et l’animal de devenir diabétique. Nous prenons ses urines : elles sont, comme vous le voyez, transparentes et claires comme de l’eau, ce qui a le plus ordinairement lieu dans l’état de diabète, et elles réduisent abondamment le tartrate cupro-potassique. Vous voyez donc, en comparant ce cas avec le précédent, que sous le rapport de l’apparition du sucre rien n’est changé, et que les troubles nerveux d’une autre nature qui se manifestent ici sont tout à fait étrangers à cette production.

Dix-septième leçon
24 février 1855.

SOMMAIRE : Mécanisme de l’action nerveuse sur la sécrétion glycogénique. — Rôle du pneumo-gastrique. Rôle du poumon. — Distribution des divers nerfs qui se rendent au foie. — Rôle de chacun d’eux. — Rôle de la moelle épinière. — Expérience sur la section des pneumo-gastriques entre le foie et le poumon. — Procédé opératoire. — La production du sucre continue. — Durée de l’effet de la piqûre de la moelle allongée. — Influence de la piqûre sur la circulation abdominale. — Rôle du grand sympathique dans la circulation d’un organe. — Action de ce nerf dans la région cervicale. — Procédé opératoire. — Résultats. — Distinction de la sécrétion et de l’excrétion.

Messieurs,

On peut donc produire le principal symptôme du diabète, c’est-à-dire l’apparition du sucre dans les urines, par une simple piqûre dans un point déterminé de la moelle allongée, d’où paraît résulter une exagération dans la fonction glycogénique. Nous avons aujourd’hui à vous expliquer comment s’opère ce phénomène, et par quel mécanisme l’irritation portée sur le centre cérébro-spinal, est transmise au foie, ce qui nous conduira à comprendre comment le système nerveux excite cet organe à l’état physiologique.

Le mécanisme de l’action nerveuse sur le foie nous permettra ainsi d’établir un rapprochement de plus entre les fonctions de cet organe et les autres sécrétions.

Vous savez que les actions chimiques de l’organisme qui constituent les phénomènes de la vie de nutrition, comme tous les phénomènes de sécrétion, ne sont pas sous la dépendance de la volonté ; elles se passent au sein des organes, sans que le cerveau en ait conscience, bien qu’il soit le centre auquel elles se rapportent toutes en définitive. Dans la plupart des actions involontaires, une impression venue du dehors arrive sur un organe, et est transmise par un nerf de sensation jusqu’au centre nerveux, et de là se propage, par un autre système de nerfs, vers l’organe dans lequel s’accomplit le phénomène vital, phénomène qui se traduit par un mouvement, si c’est un muscle ; par une sécrétion, si c’est une glande, etc.

Par exemple, lorsqu’un corps étranger tombe entre les paupières et excite la surface de la conjonctive, immédiatement il en résulte un écoulement de larmes très abondant, qui s’opère par une action réflexe, c’est-à-dire que le nerf de la cinquième paire transmet au centre nerveux l’impression qu’il reçoit ; celle-ci se trouve ensuite transmise à la glande lacrymale, qui fonctionne d’autant plus activement que l’excitation de la conjonctive est pins forte. Quand on met un corps sapide sur la langue, la sécrétion salivaire devient très abondante également encore par action réflexe.

Il est remarquable que, généralement, il existe un appareil ganglionnaire appartenant au grand sympathique, entre l’organe qui reçoit l’action réflexe et le centre nerveux qui la propage.

D’après ces considérations, voici comment nous avons été conduit à comprendre l’excitation nerveuse qui fait fonctionner le foie d’une manière continue. Le point de départ de l’excitation est le poumon, qui reçoit incessamment à sa surface l’impression de l’air extérieur.

Nous n’avons pas, il est vrai, conscience de cette sensation organique que produit l’air, mais elle n’en existe pas moins, et se trouve perçue par les extrémités nerveuses des nerfs pneumo-gastriques qui se distribuent dans les poumons. C’est par ces nerfs que l’excitation est apportée aux centres nerveux, c’est-à-dire à la moelle allongée, puis de là elle se propage par la moelle épinière et par les filets du grand sympathique jusqu’au foie. L’appareil nerveux, qui met ainsi en relation continuelle, par action réflexe, l’excitation venue du dehors et la sécrétion du sucre, représente donc, comme on le voit, une ligne courbe. À l’une des extrémités de cette ligne se trouve le poumon comme organe excitateur, à l’autre le foie comme organe recevant cette excitation, et intermédiairement le centre nerveux constitué par la moelle.

Avant d’entrer plus avant dans l’explication de ce mécanisme, il est bon de dire quelques mots de la distribution des nerfs dans le foie. Cet organe reçoit deux ordres de nerfs, les uns venant du système cérébrospinal, et les autres du grand sympathique. Les premiers sont les pneumo-gastriques et les diaphragmatiques, les seconds sont les rameaux envoyés par le plexus solaire.

Chez l’homme, le pneumo-gastrique doit se terminer entièrement dans le plexus solaire sans qu’on puisse directement suivre ses rameaux jusqu’au foie. Le pneumo-gastrique gauche se rend surtout à l’estomac.

 

Fig. 18. Appareil nerveux cérébro-spinal et splanchnique du lapin, pour montrer les rapports nerveux qui existent entre le foie, le poumon et le rein, et pour comprendre le mécanisme du diabète artificiel.
a, cerveau. — b, cervelet. — c, c, moelle épinière. — d, ri, tronc des nerfs pneumo-gastriques. — e, ganglion cervical supérieur. — f, tronc commun des deux nerfs pneumo-gastriques réunis au-dessous des poumons. — g, ganglion cervical inférieur. — h, filet de communicatien entre les ganglions cervical supérieur et cervical intérieur. — i, filet cardiaque du pneumo-gastrique. — j, filet cardiaque partant du premier ganglion thoracique du grand sympathique. — m, m′, filets de communication des ganglions du grand sympathique les uns avec les autres. — l, ganglion thoracique. — n, filet de communication entre la moelle et le grand sympathique. — o, nerfs hépatiques provenant du grand sympathique. — p, nerfs rénaux venant du grand sympathique. — g, q′, ganglion du plexus solaire. — r, nerfs hépatiques provenant du pneumo-gastrique. — s, nerfs rénaux. — i, nerfs hépatiques réunis. — M, nerfs olfactifs. — v, nerfs optiques. — x, nerfs de la troisième paire. — y, nerfs de la cinquième paire. — y′ nerfs de la septième paire. — 1, cœur. — 2, aorte. — 3, veine cave inférieure. — 4, veine porte. — 5, veine cave inférieure au-dessous des veines rénales. — 6, poumons. — 7, foie. — 8, vésicules du fiel. — 9, 9′, capsules surrénales. — 10, rein. — 11, 11′, uretères.

 

Chez les animaux tels que le chien et le lapin (fig. 18), les deux pneumo-gastriques, droit et gauche, arrivés au-dessous du diaphragme, envoient très distinctement des filets qui se dirigent vers le foie en accompagnant l’artère hépatique. On voit d’un autre côté des filets émanés de ganglions semi-lunaires se diriger vers la scissure médiane du foie et s’anastomoser avant d’entrer dans l’organe avec les filets provenant des pneumogastriques.

Le foie reçoit en outre des filets provenant des nerfs diaphragmatiques. Le diaphragmatique droit, particulièrement, fournit des branches qui descendent sur la veine cave, et qui, arrivées au niveau de l’abouchement des veines hépatiques, se distribuent dans les parois de ces veines qui sont, comme nous l’avons dit, éminemment musculeuses.

On est donc porté à penser que les nerfs diaphragmatiques président aux fonctions mécaniques des veines hépatiques dans le rôle que nous leur avons attribué, tandis que les nerfs pneumo-gastriques et les sympathiques se rendent aux éléments mêmes du tissu hépatique, et président aux phénomènes chimiques.

Quant à la manière dont les nerfs se terminent dans le foie et quant aux rapports qu’ils affectent avec la cellule hépatique, on n’en sait absolument rien, pas plus ici que dans les autres organes glandulaires. L’anatomie montre en effet que les tubes nerveux ne peuvent pas être poursuivis bien loin dans les organes glandulaires, car bientôt ils se confondent avec les tissus et cessent d’être distincts. On n’est pas en droit de conclure de cette disparition des nerfs au microscope, que leurs extrémités n’arrivent pas jusqu’à la cellule élémentaire, car on sait que l’enveloppe des tubes nerveux disparaît avant que ceux-ci se terminent, seulement alors ils ne peuvent plus être reconnus.

Ces notions établies, vous allez comprendre maintenant les expériences que nous allons faire devant vous dans leur connexion avec celles que nous vous avons déjà montrées.

Nous avons déjà coupé les pneumo-gastriques à un chien, et vous avez vu que, si l’on tuait l’animal le lendemain ou le surlendemain de l’opération, il n’y avait plus de sucre dans son foie ; la sécrétion s’était arrêtée.

Que s’est-il passé dans cette expérience ? Eh bien ! Messieurs, la fonction glycogénique n’a pas été suspendue par suite de la cessation d’une action directe partant de la moelle allongée et descendant le long des pneumo-gastriques, puisque nous savons, d’une part, qu’après cette section on peut piquer l’animal dans le point indiqué et le rendre encore diabétique, et, d’autre part, exciter le bout périphérique des pneumo-gastriques coupés au cou, et qu’on ne voit pas pour cela continuer la sécrétion du sucre.

Nous ne pouvons donc pas admettre que le courant nerveux qui arrive au foie descende le long des pneumogastriques.

Ce nerf, au contraire, porte au centre cérébro-spinal les sensations internes émanées de sa périphérie ; l’excitation qu’il transmet est, dans ce cas, centripète et non pas centrifuge. Et, en effet, après avoir coupé le pneumo-gastrique, si, au lieu d’agir sur le bout périphérique, ce qui n’a aucun effet sur la sécrétion du sucre, on excite avec le galvanisme l’extrémité qui se rend à la moelle, la fonction glycogénique non seulement n’est pas interrompue dans le foie, mais elle peut même être exagérée lorsque l’excitation a été poussée assez loin.

Voici plusieurs expériences que nous avons faites :

Chez un chien en pleine digestion, on galvanisa les deux bouts supérieurs des nerfs vagues, on agit avec une machine électro-magnétique dans toute sa force (machine de Breton). On appliqua le galvanisme pendant six à dix minutes, et on laissa ensuite un intervalle de repos d’une heure. On a remarqué que, quand on galvanisait le vague droit, il y avait toujours vomissement des aliments et arrêt des mouvements respiratoires ; quand on galvanisait le vague gauche, il n’y avait pas de vomissements, et il semblait que la respiration n’était pas arrêtée aussi facilement. Après une heure on galvanisa de nouveau l’animal, et l’on prit aussitôt après ses urines en le sondant. Les urines étaient devenues alcalines, d’acides qu’elles étaient avant l’opération, et elles contenaient très manifestement du sucre. Le lendemain l’animal n’était pas mort ; ses urines étaient toujours alcalines, mais elles ne renfermaient plus de sucre. Le jour suivant, ce chien étant mort, on fit son autopsie, et son foie ni aucun tissu ou liquide du corps ne contenaient de sucre.

Sur un autre chien, également en digestion, on galvanisa de la même manière que précédemment les bouts centraux des nerfs vagues, et l’on obtint le passage du sucre dans les urines, qui devinrent alcalines.

Alors on sacrifia l’animal par la section du bulbe rachidien, et l’on trouva le sucre répandu partout dans le sang de la veine porte, dans le sang des veines hépatiques, dans le sang du cœur droit et dans le sang du cœur gauche. Toutefois, le sang des veines hépatiques fut celui qui contenait le plus de sucre. Il existait dans le péricarde un épanchement de sérosité qui était très sucré. Le tissu du foie dosé donna 1,415 gr. pour 100 de sucre.

Un troisième chien fut de même galvanisé, et le sucre apparut dans les urines, qui, cette fois, restèrent acides. Lors donc que nous coupons les pneumo-gastriques dans la région cervicale, la sécrétion s’arrête, non pas parce que l’influence du centre nerveux ne peut plus être transmise au foie, mais parce que nous avons empêché les excitations périphériques émanant d’autres organes, et en particulier des poumons, de parvenir à la moelle allongée, qui n’est plus dès lors sollicitée à réagir sur le foie.

Dans l’état physiologique, c’est donc principalement l’excitation incessante apportée au poumon par l’air extérieur, transmise au centre nerveux par le nerf pneumo-gastrique, qui détermine la sécrétion du sucre au moyen d’une action réflexe.

Pour vous prouver que, normalement, c’est bien ainsi que les choses se passent, nous allons, au lieu de couper le pneumo-gastrique dans la région cervicale, ce qui amène la disparition du sucre, opérer la section de ce nerf au-dessous du poumon et au-dessus du foie. La communication directe entre le foie et le centre nerveux se trouve arrêtée comme précédemment, et cependant le sucre continue à se produire comme à l’ordinaire.

C’est donc du poumon que part l’excitation qui détermine la fonction glycogénique à entrer en action ; et cela est si vrai, que nous pouvons, jusqu’à un certain point, remplacer l’influence pulmonaire par toute autre action physique, par le galvanisme, par exemple, appliqué sur le bout central du nerf coupé, ou exagérer cette même influence, quand le nerf étant intact, on fait respirer des substances irritantes : on détermine par cela même une hypersécrétion du sucre.

Nous allons actuellement couper les pneumo-gastriques entre le foie et le poumon. Pour faire cette expérience, nous prenons un chien de petite taille. Nous le chloroformons, afin d’éviter des mouvements violents de l’animal pendant l’opération, qui se fait de la manière suivante :

Sur le côté gauche de la poitrine, nous pratiquons une incision de 2 à 3 centimètres parallèlement à une côte et au niveau de la douzième environ, puis nous faisons glisser la peau de manière à amener l’incision entre la neuvième et la dixième côte, à peu près à égale distance du sternum et de la colonne vertébrale.

Nous faisons avec un bistouri, dans cet intervalle intercostal, une piqûre étroite par laquelle nous introduisons immédiatement et avec force l’indicateur de la main gauche, de façon à pénétrer dans la cavité thoracique sans qu’il y entre d’air. On enfonce alors le doigt vers la colonne vertébrale jusqu’à ce qu’on sente l’aorte qu’on reconnaît à ses battements. Il faut, on le comprend, prendre un chien d’une taille assez petite, comme celui que nous avons là, car autrement il serait impossible d’avoir le doigt assez long pour parvenir jusqu’à la colonne vertébrale.

Une fois que l’on a le bout du doigt sur l’aorte, on sent immédiatement à côté, et un peu en dedans, un tube cylindrique et comme élastique, c’est l’œsophage qui est accompagné par les cordons des nerfs pneumogastriques parfaitement reconnaissables, parce qu’ils donnent au bout du doigt la sensation d’une corde fortement tendue. Dès qu’on est parvenu à reconnaître ainsi la position de ces nerfs, on saisit de la main droite l’instrument (fig. 19) formé par une tige longue de 12 à 15 centimètres, terminée par un crochet tranchant sur son bord interne et à extrémité mousse. On le fait glisser le long de l’index, qui est enfoncé dans le thorax, en l’introduisant dans la poitrine sans laisser pénétrer d’air, et l’on accroche successivement les cordons nerveux que l’on sent au bout de son doigt, en évitant de léser d’autres organes importants tels que la veine cave et l’aorte, qui pourraient être atteintes. Alors on retire le doigt en même temps qu’on déplace rapidement l’incision de la peau. L’orifice extérieur et l’orifice interne ne correspondant plus l’un à l’autre, l’air ne peut pas pénétrer dans le thorax.

 

Fig. 19

 

L’opération ne présente aucun danger ; quand même il serait entré quelques bulles d’air dans la poitrine, cet air ne tarderait pas à être absorbé et l’animal n’en souffrirait aucunement.

Cet animal que nous venons d’opérer a donc maintenant les pneumo-gastriques coupés entre le poumon et le foie ; vous verrez dans la prochaine séance que néanmoins le sucre aura continué à se sécréter dans le foie, et que nous en retrouverons à peu près autant que dans l’état normal, ce qui n’aurait certainement pas lieu si l’action nerveuse qui agit sur le foie y parvenait par le nerf de la huitième paire.

Étant donc bien établi que l’excitation ne descend pas par les pneumo-gastriques, mais qu’elle remonte au contraire par ces nerfs jusqu’au cerveau, il nous reste à rechercher quel chemin elle suit pour arriver au foie.

Il est d’abord positif que l’action se propage par la moelle épinière. La moelle épinière ne peut agir de son côté sur le foie que par l’intermédiaire des nerfs grand et petit splanchnique ou autres filets, qui tous établissent une communication entre le système nerveux ganglionnaire et le système nerveux cérébro-rachidien. Mais, d’un autre côté, la moelle épinière peut elle-même agir comme centre, de sorte qu’en coupant la moelle à différentes hauteurs, on obtient des résultats différents, tantôt, par exemple, une cessation absolue, tantôt, au contraire, une perversion dans la production des matières que produit le foie. Cette question devra être examinée avec beaucoup de soin dans une des prochaines séances, et à ce propos nous traiterons des deux cas, ou la moelle agissant comme centre, ou la moelle agissant comme conducteur, et nous pourrons comprendre alors de quelle façon la piqûre d’un point de la moelle allongée agit pour produire ce phénomène singulier auquel nous avons donné le nom de diabète artificiel.

Pour le moment, nous allons examiner la durée de l’effet de cette piqûre.

Vous savez déjà que l’augmentation, dans la quantité du sucre, que nous produisons chez un animal au moyen d’une piqûre de la moelle allongée, n’est jamais que temporaire. Au bout de quelques jours, l’animal guérit et cesse d’être diabétique. Nous avons cherché en vain jusqu’ici à rendre cet état permanent. Pour cela nous avons laissé l’instrument en place ; mais alors ce corps étranger enflammait les parties avec lesquelles il se trouvait en contact, il survenait de la fièvre et des désordres plus ou moins graves, qui suffisaient, comme cela a lieu dans tout état morbide, pour faire disparaître le sucre, non seulement des urines, mais du foie lui-même.

Il faut cependant, pour que nous parvenions à comprendre la nature du diabète chez l’homme, que nous trouvions le moyen de rendre cet état permanent chez un animal ; ce que nous n’avons pas encore obtenu et ce que nous allons rechercher devant vous.

Quand, après avoir piqué chez un chien ou chez un lapin l’origine des pneumo-gastriques, nous lui avons ouvert le ventre au moment où la surexcitation portée sur le foie présentait son summum d’intensité, nous avons vu qu’alors il y avait une plus grande activité de la circulation abdominale, le système capillaire était gorgé de sang, et les vaisseaux de la surface du foie plus apparents qu’à l’état normal. Les reins sont alors eux-mêmes très surexcités, les uretères sont très irritables ; il suffit de les toucher avec la pointe d’un bistouri pour les voir se contracter énergiquement. Cette suractivité de la circulation ne dure qu’un certain temps, comme le diabète lui-même, de sorte que j’ai été amené à penser que l’exagération de la sécrétion du sucre tenait à une action particulière du système nerveux sur la circulation hépatique. Au point de vue chimique, il n’y a pas lieu de supposer, en effet, que l’élément qui se transforme en sucre en donne plus à l’état pathologique qu’à l’état normal. On comprendrait mieux l’augmentation dans la formation de cette substance, en supposant que les matériaux qui la produisent sont eux-mêmes apportés en quantités plus considérables. Ce ne serait donc pas un atome d’albumine qui formerait plus de sucre, mais bien une plus grande quantité de ces atomes qui seraient soumis, dans un temps donné, à l’action du foie.

Nous pensons donc que c’est en produisant une suractivité durable dans la circulation abdominale, que nous parviendrions à établir chez l’animal, comme nous les trouvons chez l’homme, des diabètes permanents.

Or, comment faire pour déterminer cet effet ? Eh bien, Messieurs, nous avons un moyen pour produire dans un organe une circulation beaucoup plus active que dans l’état normal, et qui peut s’y maintenir longtemps : c’est en coupant les filets sympathiques qui se rendent à cet organe, et nous allons vous rendre témoins de ce fait extrêmement curieux et que je vous ai déjà indiqué.

Voici un lapin sur lequel nous allons couper le nerf sympathique dans la région cervicale ; vous allez voir qu’aussitôt après cette opération, tout le côté de la face correspondant à la section va présenter une activité de circulation beaucoup plus grande et une température bien plus élevée que l’autre côté.

Pour cela, l’animal étant solidement maintenu, nous faisons une incision longitudinale de 2 à 3 centimètres dans la partie moyenne du cou ; on divise ensuite le raphé de séparation des muscles sous-hyoïdiens, jusqu’à la trachée qu’on aperçoit au-dessous ; alors, avec une érigne, un aide saisit et relève les muscles sous-hyoïdiens du côté gauche. Comme aucun vaisseau n’a été blessé, on aperçoit l’artère carotide qui se trouve sur les côtés de la trachée, accompagnée par le nerf pneumo-gastrique ; nous servant de l’extrémité fine de nos pinces comme d’une sonde cannelée, nous séparons doucement l’artère carotide du pneumo-gastrique, et immédiatement en arrière de l’artère, nous découvrons un filet nerveux très délié, dirigé parallèlement à l’artère et au nerf pneumo-gastrique. C’est le filet sympathique cervical qui fait communiquer le ganglion cervical supérieur avec l’inférieur. Le ganglion cervical moyen manque ordinairement chez le lapin. Nous soulevons ce filet avec nos pinces, pour le couper avec des ciseaux ; il aurait suffi même de le casser.

L’expérience terminée, nous remettons l’animal en liberté, et nous pouvons déjà constater que la circulation s’est considérablement activée dans l’oreille, où les vaisseaux sont très visibles. Cette instantanéité du résultat tient ici à la grande vigueur de l’animal sur lequel nous avons fait l’opération ; car s’il eût été languissant ou malade, cette exagération de circulation du côté de la section du nerf aurait été très lente à se manifester et n’aurait apparu qu’avec peu d’intensité. Ceci vous prouve qu’il existe, comme nous l’avons dit déjà, une espèce de relation entre ces actions des nerfs sympathiques et la production du diabète artificiel par piqûre de la moelle allongée. Nous vous avons montré, en effet, que ce dernier phénomène se produit aussi d’autant plus facilement que les animaux sont plus vigoureux et mieux portants, et qu’il est absolument impossible de le déterminer sur un animal malade.

Cet exemple que nous vous montrons, sans vouloir entrer dans le mécanisme du phénomène, vous prouve que l’on peut exagérer d’une manière durable la circulation dans une partie limitée du corps. Cette suractivité, en effet, continuera pendant plusieurs semaines, ainsi que vous le verrez dans les séances suivantes.

Nous voudrions produire quelque chose d’analogue sur la circulation du foie, et pour cela nous avons l’intention de tenter une opération que nous n’avons jamais faite, et qui consistera à couper tous les filets nerveux qui entrent dans le foie. Si alors l’activité circulatoire hépatique devient plus considérable, et si en même temps l’organe n’est pas troublé dans ses fonctions, nous devrons avoir une production plus grande de la matière sécrétée, car il est de règle que la suractivité fonctionnelle d’un organe coïncide toujours avec une accélération de circulation. Les choses se passent ainsi, et dans les organes de la vie de relation, et dans ceux de la vie organique, parmi lesquels se rangent les organes sécréteurs ou excréteurs.

Et à propos d’organes excréteurs et sécréteurs, permettez-moi de terminer cette séance en vous indiquant quelle sorte de confusion on peut commettre à leur égard ; et il imports de bien comprendre ce que c’est qu’un organe de sécrétion, car j’ai souvent occasion de remarquer qu’on fait une confusion entre les organes sécréteurs et les organes excréteurs, et qu’on n’a pas d’idées bien claires à ce sujet. C’est pourquoi je vous demanderai la permission de fixer en quelques mots la différence fondamentale qui existe entre les deux ordres d’organes. Du reste, il faut le dire aussi, cette confusion a peut-être primitivement trouvé sa source dans le langage lui-même. Le mot sécrétion vient, comme vous le savez, de secernere, qui veut dire séparer ; sécrétion semblerait donc vouloir dire séparation. Mais une séparation peut s’effectuer de deux manières : ou bien les éléments qui se séparent sont seulement mélangés, ou bien ces éléments sont combinés, et les produits ultimes résultant de leur séparation sont des dédoublements du composé qu’ils formaient d’abord ; dans ce dernier cas, il y a vraiment production de matières nouvelles.

Ces deux modes se rencontrent dans l’organisme. Ainsi, le sang qui arrive au rein contient de l’urée, de l’acide urique et divers sels qui s’y trouvent à l’état de dissolution, reconnaissables à tous leurs caractères, pouvant être extraits directement, et que le rein sépare réellement du sang. On rencontre ces substances dans les artères qui arrivent à l’organe ; on ne les retrouve plus dans les veines qui en sortent. Il n’y a pas eu là de production proprement dite ni décomposition, il y a eu séparation pure et simple.

Dans le foie, au contraire, quand on se place dans des conditions convenables, on trouve des quantités de sucre considérables dans le sang qui sort, on n’en trouve aucune trace dans le sang qui entre : le sucre s’est produit là aux dépens d’autres matières dont le foie a dissocié les éléments, qui se sont reconstitués dans de nouvelles combinaisons ; mais il est clair qu’une telle séparation est essentiellement différente de celle qui avait lieu pour le rein.

Voilà donc deux ordres de faits qui doivent être représentés par des mots distincts correspondant à des idées différentes.

Nous dirons qu’il y a sécrétion toutes les fois qu’on trouvera dans les liquides qui sortent d’un organe des substances qui n’existent pas dans le sang à son entrée dans cet organe.

Nous dirons qu’il y a excrétion toutes les fois que les substances contenues dans les liquides excrétés se rencontrent dans le sang qui entre dans l’organe.

Dix-huitième leçon
27 février 1855.

SOMMAIRE : De la polyurie. — Elle est indépendante de la glycosurie. — Observations expérimentales à ce sujet. — Autres procédés de production du diabète artificiel. — Par anéantissement du système nerveux cérébrospinal : 1° au moyen de l’empoisonnement par le curare ; 2° par apoplexie suite de contusions cérébrales. — Expérience. — Diabète consécutif à l’éthérisation. — Examen des théories sur le diabète spontané et artificiel. — Réflexions sur la complication de ces phénomènes. Résultat de l’expérience faite à la leçon précédente.

Messieurs,

Nous vous avons indiqué un moyen d’augmenter l’activité glycogénique du foie et de produire par là un diabète artificiel en piquant un point déterminé de la moelle allongée, mais ce moyen n’est pas le seul, et nous avons encore plusieurs procédés à vous annoncer pour arriver au même résultat.

Mais avant de passer outre, nous devons examiner un autre phénomène qui est presque toujours lié à l’apparition du sucre dans les urines. Vous savez, en effet, que dans le diabète les urines ne sont pas seulement modifiées quant à la nature des substances qu’on y rencontre, mais que leur quantité est ordinairement augmentée d’une manière très notable. Ainsi, vous avez vu que sur les lapins dont nous avons piqué la moelle allongée, les urines, qui, avant l’expérience, étaient troubles, sont devenues claires et transparentes après l’opération, et nous avons observé qu’elles étaient bien plus abondantes que dans l’état normal. Quand nous avons ouvert l’animal, après l’avoir rendu diabétique, nous avons trouvé les reins plus gorgés de sang et les uretères très irritables ; le moindre attouchement avec la pointe d’un bistouri y déterminait des contractions très rapides dans toute la partie située au-dessous du point touché.

Ainsi, la piqûre de la moelle allongée, telle que nous l’avons faite devant vous, a eu pour effet d’exciter les fonctions de deux organes, le foie et le rein : le premier pour fournir plus de sucre, le second pour donner davantage d’urine. Cependant il ne faudrait pas croire que ces deux phénomènes soient nécessairement liés l’un à l’autre, de manière à se produire toujours simultanément.

Vous savez que, s’il est très ordinaire que les diabétiques soient polyuriques, il se présente cependant des cas où l’on trouve du sucre dans leurs urines sans que la quantité de ces dernières soit augmentée ; et réciproquement, des individus peuvent être polyuriques sans offrir dans leurs urines de traces de matière sucrée. L’indépendance de ces deux phénomènes avait déjà été si bien constatée, que les pathologistes avaient désigné sous le nom de polyuriques les individus chez lesquels la sécrétion urinaire était simplement augmentée, et sous le nom de diabétiques ceux qui présentaient cette exagération dans la quantité des urines unie à la présence de la matière sucrée.

Mais il y a encore un troisième cas à ajouter aux deux premiers, c’est celui où les urines sont chargées de sucre sans être pour cela plus abondantes qu’à l’état normal.

Dans nos recherches physiologiques, nous avons vu les mêmes faits se produire. Il nous est arrivé souvent, dans les très nombreuses expériences que nous avons faites, d’obtenir le passage du sucre dans les urines sans que celles-ci soient devenues plus abondantes ni qu’elles aient changé d’aspect ; dans d’autres cas, nous avons eu purement et simplement une exagération de cette sécrétion sans apparence de matière sucrée.

J’ai donc dû chercher à isoler ces deux phénomènes, et à déterminer le point où il fallait piquer l’animal pour produire l’un ou l’autre à volonté. D’après un certain nombre d’expériences, voici ce que j’ai observé : quand on pique sur la ligne médiane du plancher du quatrième ventricule, exactement au milieu de l’espace compris entre l’origine des nerfs acoustiques et l’origine des nerfs pneumo-gastriques, on produit à la fois l’exagération des deux sécrétions hépatique et rénale ; si la piqûre atteint un peu plus haut, on ne produit très souvent que l’augmentation dans la quantité des urines, qui sont alors souvent chargées de matières albuminoïdes ; au-dessous du point précédemment signalé, le passage du sucre seulement s’observe, et les urines restent troubles et peu abondantes. Il nous a donc paru qu’il pouvait y avoir possibilité de distinguer là deux points correspondant, l’inférieur à la sécrétion du foie, le supérieur à celle du rein. Seulement, comme ces deux points sont très rapprochés l’un de l’autre, il arrivera le plus souvent qu’en traversant la région où ils se trouvent, d’une manière oblique, et c’est là le cas le plus fréquent, on les blesse tous deux ensemble, et que l’on produise les deux effets simultanément ; de sorte que l’animal est à la fois diabétique et polyurique.

Vous voyez donc encore, Messieurs, que la physiologie pourrait parvenir à analyser les divers symptômes si obscurs de l’affection qui nous occupe, en vous apprenant à séparer d’une part la présence du sucre, et de l’autre l’abondance des urines. Il semble possible d’arriver à produire isolément l’un ou l’autre de ces phénomènes, suivant qu’on viendrait à piquer tel ou tel point des centres nerveux, et cela fait comprendre pourquoi on rencontre en pathologie des diabétiques sans polyurie et des polyuriques sans sucre.

Après ces quelques détails sur les rapports qui existent entre la présence du sucre dans les urines et l’abondance de cette sécrétion, nous revenons aux procédés qui peuvent rendre un animal diabétique. Car ce n’est pas seulement en piquant la moelle allongée que nous pouvons produire ce phénomène : nous avons été conduit dans nos recherches à constater qu’on peut mettre un animal dans cet état toutes les fois que ses fonctions de la vie de relation sont supprimées, en même temps que les fonctions purement nutritives restent intactes ; il semble que celles-ci s’exagèrent alors d’autant plus que les premières ont conservé moins d’action. Ainsi, quand sur un animal on vient à éteindre les mouvements volontaires et la sensibilité, on voit tous les organes internes, le foie, les intestins, les glandes, en un mot, tous les viscères qui ne sont pas soumis à l’influence de la volonté, présenter une activité plus grande que dans l’état normal. L’énergie vitale qui a cessé pour toutes les actions de la vie animale semble se concentrer sur les actes purement organiques. Nous avons trouvé depuis quelques années qu’il existe une substance extrêmement précieuse pour démontrer ainsi cette indépendance de la vie animale et de la vie organique ; cette substance est le curare dont les sauvages des bords de l’Amazone se servent pour empoisonner leurs flèches, et qui jouit de la propriété d’anéantir complétement le système nerveux et cérébro-spinal.

Permettez-moi de vous raconter d’abord à ce sujet une observation que j’extrais de mon journal d’expériences.

Sur un gros chien, au commencement de la digestion, nous avons introduit sous la peau du dos une certaine quantité de curare en dissolution. Au bout de dix à douze minutes, les effets de la substance s’étaient manifestés et la respiration était arrêtée ; dès lors on pratiqua l’insufflation artificielle avec précaution, pendant deux heures et demie, en cessant seulement pendant une demi-minute de temps en temps ; pendant tout ce temps la circulation continuait parfaitement bien, le sang était noir dans les veines, vermeil dans les artères, mais il devenait noir partout, dès que l’on cessait l’insufflation.

Pendant tout ce temps il y avait abondante sécrétion des larmes et de la salive. Une plaie qui, depuis quelques jours, avait été faite pour recueillir du suc pancréatique, et qui commençait à se cicatriser, laissait échapper une abondante sérosité. On examina l’urine à différentes reprises sans y trouver du sucre ; ce ne fut que deux heures et demie après que l’on y constata sa présence en grande quantité.

La proportion de l’urine était augmentée, et il s’en écoula à plusieurs reprises. La contractilité musculaire était très exagérée, et quand on touchait un muscle avec la pointe d’un bistouri, on y déterminait des contractions violentes.

Nous avons voulu vous rendre témoins d’une partie de ces phénomènes.

Voici un chien sous la peau duquel nous avons placé, environ un quart d’heure avant le commencement de cette leçon, un peu de curare ; au bout de dix minutes l’animal est tombé et n’a plus donné aucun signe de sensibilité ni de mouvements volontaires. Le cerveau et la moelle épinière sont comme frappés de mort ; les actions organiques continuent néanmoins à s’effectuer, mais comme elles ne sauraient se passer du contact de l’air, et que les mouvements respiratoires, qui sont sous la dépendance du système nerveux central, se sont anéantis avec lui, nous sommes obligés, pour prolonger cette vie purement organique, de maintenir les conditions extérieures de son accomplissement en pratiquant l’insufflation artificielle, qui détermine l’accès de l’air dans les poumons. Avec ce simple secours, dont vous comprenez la nécessité purement physique, toutes les fonctions organiques pourront continuer pendant fort longtemps. Le cœur ne cesse pas de battre, la circulation n’est pas interrompue, la digestion s’opère comme dans l’état normal, et les sécrétions s’effectuent. Mais, comme je vous l’ai dit, toutes ces fonctions sont exagérées ; vous voyez, en effet, sur ce chien la salive arriver en très grande abondance, les larmes couler de l’angle interne des paupières, l’urine s’épancher par suite du regorgement de la vessie. Si la présence du sucre dans l’organisme dépend d’une sécrétion, celle-ci ne doit pas échapper à cette loi ; et, en effet, c’est ce qui arrive : le sucre, produit en plus grande abondance, passera d’abord dans le sang qui commencera par s’en saturer, puis enfin dans les urines, où nous ne pourrons en constater la présence qu’environ dans deux heures.

Comment se produit donc ce phénomène que vous voyez ici ?

Eh bien, Messieurs, ce n’est point par une excitation directe des sécrétions que le curare agit dans cette expérience, c’est en agissant sur le système nerveux. Nous pouvons, en effet, arriver aux mêmes résultats, exagérer de la même manière toutes les sécrétions, et par conséquent celle du sucre comme toutes les autres, en produisant un épanchement dans le cerveau, et en déterminant une apoplexie, qui fera cesser de même la sensibilité et le mouvement volontaire. Si alors, au lieu de laisser s’éteindre dans l’animal les actions organiques qui ont besoin de l’oxygène pour s’accomplir, nous pratiquons l’insufflation artificielle, nous obtiendrons les mêmes effets, et nous aurons encore un diabète artificiel.

Seulement, tandis qu’au moyen de la piqûre pratiquée à l’origine des pneumo-gastriques, nous n’obtenions qu’une irritation locale sur le foie, dans ce cas, comme dans l’expérience sur le curare, nous avons une excitation générale de tous les organes glandulaires.

Voici quelques-unes des expériences que nous avons faites à ce sujet.

Un animal, jeune chien en pleine digestion, reçut sur la tête plusieurs coups de marteau qui déterminèrent une fracture du crâne, avec épanchement sous-cutané et infiltration sanguine qui se manifestait jusque sous la conjonctive ; la pupille était contractée, la sensibilité de l’œil obtuse ; quand on comprimait sur le fragment du crâne brisé, l’animal tombait dans un coma complet, qui cessait avec la compression.

L’animal fut abandonné à lui-même pendant une heure et un quart à deux heures, il était dans un état paralytique complet, mais la respiration continuait et était même accélérée. Alors on coupa les deux pneumogastriques dans la région moyenne du cou, et au bout de quelques instants, la respiration se ralentit et s’arrêta même tout à coup. Alors, pour empêcher la vie de cesser, on pratiqua l’insufflation artificielle, la salivation devint abondante et le liquide était filant. L’animal mourut au bout de quelque temps ; à l’autopsie, on trouva la vessie pleine d’urine contenant beaucoup de sucre. Le sang de la jugulaire et de la carotide en présentait également des quantités notables. Il n’y a pas là évidemment de substance qui puisse agir sur les sécrétions, c’est un effet purement traumatique qui produit le diabète artificiel. Il pourrait se faire, à la rigueur, qu’un épanchement se fût produit, et ait agi mécaniquement comme dans les cas de diabète traumatique.

Voilà donc des diabètes occasionnés par des lésions générales ou locales portées sur le système nerveux ; nous pouvons encore produire le même phénomène en agissant d’une manière directe sur le tissu même du foie. M. Harlay, qui a suivi autrefois mes cours, a fait des expériences qui consistent à injecter par un des rameaux de la veine porte une substance irritante, telle que de l’ammoniaque étendue ou de l’éther. JI a vu que l’injection, arrivant au foie, y déterminait une excitation locale et directe, et au bout de quelque temps il a constaté que le sucre apparaissait dans les urines de l’animal sur lequel il avait pratiqué ces injections.

On pourrait comprendre, de cette manière, que ces substances irritantes pussent arriver au foie après avoir été placées dans l’intestin et absorbées par les veines mésaraïques, et y produire les mêmes effets. C’est ce que M. Lecomte a observé en empoisonnant des chiens avec de l’azotate d’uranium. Les animaux meurent assez lentement, quand la substance est prise à petites doses, et il a constaté dans leurs urines la présence de sucre, ce qu’on ne peut attribuer qu’à cette irritation locale dont nous venons de parler.

C’est aux mêmes causes qu’il faut rapporter certains diabètes produits par des contusions dans la région du foie. On me citait dernièrement le cas d’un individu qui avait reçu un coup de pied de cheval dans l’hypochondre droit, et qui, à la suite de cette blessure, avait présenté du sucre dans ses urines ; mais ce symptôme avait disparu lorsque le malade avait été guéri de sa contusion, seulement il était resté polyurique.

Ainsi, Messieurs, nous avons déjà des diabètes produits, soit par des actions portées sur le système nerveux, soit par des irritations locales du tissu hépatique. Nous allons examiner d’autres cas où les mêmes symptômes vont se manifester à la suite d’excitations sur d’autres organes, et qui retentissent sympathiquement sur le foie.

Je vous ai montré dans la dernière séance comment il y avait solidarité d’action entre le poumon et le foie, et comment la sécrétion glycogénique se trouvait liée avec l’excitation apportée par l’air extérieur sur la surface pulmonaire. Vous devez comprendre alors qu’il peut y avoir là des causes nouvelles de diabète. Si l’excitation du poumon est trop forte, de même que lorsqu’on applique le galvanisme sur le bout central pneumo-gastrique, l’activité du foie sera augmentée, et le sucre pourra saturer le sang et pas les urines.

M. Reynoso, qui a signalé l’apparition du sucre dans les urines à la suite de l’inhalation de l’éther, pensait que dans ces cas le diabète artificiel se produisait par un défaut d’oxygénation. Au lieu de placer la cause du phénomène dans une suractivité vitale de la fonction hépatique, il l’attribue à une destruction insuffisante de la matière sucrée se produisant toujours en même quantité. D’abord, relativement à l’éther et au chloroforme, le phénomène est complexe, parce que, indépendamment de l’action excitante sur le poumon, ces substances agissent encore en anéantissant le système nerveux de la vie de relation, et exaltant par cela même les fonctions organiques, ainsi que nous venons de le voir. En outre, comme elles entrent dans le sang, elles peuvent agir d’une manière directe sur le tissu hépatique, ainsi que l’a fait M. Harlay.

Au point de vue de la théorie de la combustion considérée comme cause de la disparition du sucre, on comprend qu’on puisse expliquer le diabète par une gêne de la respiration.

J’avais cru moi-même, à une certaine époque, que les choses pouvaient se passer ainsi, et je vous ai expliqué dans une précédente leçon comment cela m’avait conduit à rechercher si les fœtus où il n’y a pas oxygénation du sang avaient l’urine sucrée, et comment ensuite j’avais été forcé d’abandonner cette théorie en présence de faits nouveaux qu’elle ne pouvait plus expliquer. Ce n’est pas, d’ailleurs, l’accès de l’oxygène dans le sang qui produit la destruction du sucre, car cette destruction en dehors des vaisseaux s’opère tout aussi bien dans l’acide carbonique ou l’hydrogène que dans l’air lui-même. On peut d’ailleurs gêner la respiration en obstruant la trachée presque complètement, et maintenir ainsi pendant plusieurs heures des animaux dans un état de suffocation imminente sans pour cela produire le diabète, et cependant dans ces cas l’air n’arrive plus au poumon en quantité suffisante. Il en est de même quand on coupe les pneumo-gastriques ; vous savez qu’un des effets de cette section est de rendre la respiration laborieuse et lente, ce qui, loin d’amener du sucre dans les urines, le fait au contraire disparaître du foie lui-même.

C’est qu’en effet la disparition du sucre de l’organisme ne s’opère pas par une combustion, mais bien par une fermentation qu’on ne peut arrêter qu’avec la vie. C’est peut-être à la propriété de certaines substances telles que l’acide arsénieux, l’acide cyanhydrique, les sels de mercure, d’arrêter les fermentations qu’il faut attribuer l’action toxique qu’elles exercent sur l’organisme. On pourrait penser que l’éther et le chloroforme agissent dans le même sens, mais il n’en est rien. Nous avons fait à ce sujet des expériences directes en ajoutant à du sang sucré une goutte d’éther ou de chloroforme, quantité relativement bien supérieure à celle qui peut se trouver dans l’organisme par suite de l’inhalation, et nous avons trouvé cependant que le sucre se détruisait tout aussi vite que sans l’addition de ces substances.

À ce propos, je dois encore vous signaler une cause d’erreur qui pourrait se présenter, si l’on employait le liquide cupro-potassique seul. En effet, ce réactif donne une réduction abondante en présence du chloroforme même en petite quantité : or on pourrait attribuer au chloroforme la réaction du sucre, si l’on n’y prenait garde. Pour se débarrasser de cette substance, le sous-acétate de plomb est insuffisant. L’ébullition avec ou sans le sulfate de soude parvient à faire évaporer cette substance ; mais ce qui vaut encore mieux, c’est le traitement par le charbon animal, qui retient le chloroforme et laisse passer le sucre quand il n’a pas été détruit.

En se plaçant toujours au point de vue du défaut de combustion comme cause du diabète, on a recherché la présence du sucre dans tous les cas où les organes pulmonaires semblaient accomplir d’une manière insuffisante leur action. C’est ainsi que M. Reynoso et M. Dechambre, se fondant sur ce que les vieillards ont le poumon raréfié et la respiration moins active, ont dit qu’il y avait une certaine quantité de sucre dans leurs urines ; c’est ainsi encore qu’on dit avoir trouvé du sucre dans l’urine des épileptiques ; mais on comprend que dans toutes ces circonstances les phénomènes sont complexes, et que, pour qu’il fût bien prouvé que c’est l’insuffisance de la respiration qui produit le diabète, on devrait, dans tous les cas, rendre l’individu diabétique en le faisant respirer dans une atmosphère appauvrie. Or, nous avons fait mourir des chiens et des lapins dans un espace limité où l’air ne se renouvelait pas, et nous ne les avons jamais rendus diabétiques.

C’est encore avec cette même hypothèse que M. Reynoso avait voulu expliquer le diabète provenant de la piqûre de la moelle allongée, en disant qu’il y avait une gêne de la respiration produite par suite de la lésion de ce point de la moelle allongée qui préside à la respiration, et auquel M. Flourens a donné le nom de nœud vital11. La lésion de cette partie des centres nerveux réagit en effet sur les phénomènes de la respiration, et même les arrête complètement, comme vous nous l’avez vu pratiquer plus d’une fois quand nous tuons instantanément un animal par la section du bulbe.

Nous ne pouvons pas admettre cette explication, d’abord parce que la partie lésée dans notre opération n’est pas précisément le nœud vital, elle est placée un peu plus haut. A cette raison déjà suffisante nous pouvons en ajouter beaucoup d’autres : ainsi les mouvements respiratoires sont plutôt accélérés que ralentis, et quand l’opération est bien faite, ils ne sont jamais ralentis et le sang coule parfaitement vermeil dans le système artériel ; j’ai même cru remarquer qu’il était moins noir qu’à l’ordinaire dans le système veineux.

Enfin l’expérience directe ne prouve pas qu’il y ait moins d’acide carbonique produit chez les animaux dont on a piqué la moelle que chez ceux auxquels on n’a pas fait cette expérience. Voici des résultats qu’a donnés M. de Becker à ce sujet :

Première expérience. — Sur un lapin non piqué :

Donc 1 kilogramme de lapin sain rend par heure l, 260 gr. CO2.

Deuxième expérience. — Sur des lapins non piqués :

Donc 1 kilogramme de lapin sain rend par heure 1,237 gr. CO².

Troisième expérience. — Sur un lapin piqué :

Donc un kilogramme de lapin piqué rend par heure 1,308 gr.

L’urine, à la fin de l’opération, est très acide et ne renferme plus que quelques traces de sucre.

Vous voyez donc, Messieurs, d’après tout cela, que, pour faire l’histoire d’une maladie telle que le diabète, on ne doit pas se fixer à une seule explication, puisque les phénomènes physiologiques prouvent qu’on peut produire le même symptôme d’une foule de manières différentes, mais qui toutes cependant ont pour résultat d’augmenter l’activité de la sécrétion du sucre dans le foie ; car nous n’avons aucun moyen d’agir sur sa destruction.

Cependant, Messieurs, tous ces procédés n’ont amené jusqu’à présent que des diabètes temporaires, et nous voulons obtenir un effet continu tel que nous le voyons se produire chez l’homme. Nous vous avons dit de quelle matière nous espérions arriver à ce résultat. Une indication nous est donnée par une expérience faite devant vous et dans laquelle vous avez vu, après la section du nerf sympathique au cou, tout le côté correspondant de la tête présenter une circulation plus active et une température plus élevée qu’à l’état normal.

Pourrons-nous produire les mêmes effets dans le foie ? C’est ce que l’expérience directe décidera et ce qu’il nous est impossible de prévoir maintenant, car un problème physiologique comporte tant d’inconnues, qu’on n’est jamais en droit d’admettre qu’une prévision, quelque fondée qu’elle paraisse, soit confirmée par les faits. Nous avons souvent coupé les sympathiques qui se rendaient à différents organes, nous avons amené des inflammations intenses qui produisaient une fièvre générale et se terminaient par la suppuration. Ce n’est pas l’effet que nous voulons obtenir ici, car la fonction glycogénique, loin d’être alors exagérée, se trouverait complétement anéantie. Il nous faut produire une simple excitation permanente comme celle qui existe dans la moitié de la tête de ce lapin, mais sans que la santé générale soit le moins du monde atteinte. Car si l’animal était un peu affaibli, si la plaie que nous lui avons pratiquée l’avait rendu malade, vous verriez aussitôt tout le côté de la tête être pris d’inflammation et de suppuration. C’est là l’écueil que nous cherchons à éviter en coupant les nerfs sympathiques du foie.

Revenons à l’expérience qui se passe sous vos yeux. Voilà notre animal qui a été empoisonné par le curare et que nous continuons à insuffler. Le temps n’est pas encore suffisant pour que nous trouvions du sucre dans les urines, mais il y en a déjà certainement dans le sang, ainsi qu’il est facile de vous le montrer. Pour cela nous ouvrons la veine jugulaire, et vous voyez le jet s’échapper comme à l’ordinaire, ce qui prouve que la circulation continue ; nous le traitons par le sulfate de soude, et le liquide qui en résulte donne une réduction abondante avec le tartrate cupro-potassique. Voici les urines qui coulent par la sonde, placée à demeure dans la vessie, elles ne contiennent pas encore manifestement du sucre. Mais dans la prochaine séance, nous aurons soin de mettre sous vos yeux une expérience commencée plus tôt.

Enfin j’ai, en terminant, à vous dire quelques mots d’une expérience que nous avons faite sous vos yeux, dans la dernière séance, et dont nous devions vous montrer les résultats aujourd’hui. Nous avions coupé les pneumo-gastriques à un chien, entre le foie et le poumon, et nous devions vous faire voir que, contrairement à ce qui a lieu quand on coupe les mêmes nerfs dans la région cervicale, le sucre continue à se sécréter dans le foie. L’animal est mort des suites de cette opération ; à l’autopsie, nous avons trouvé que la veine cave avait été piquée, et que le sang remplissait la poitrine. Cet accident peut arriver quelquefois, et il est bon de vous montrer ces insuccès, car vous voyez ainsi que les personnes qui ont le plus l’habitude des vivisections, peuvent échouer dans une expérience. Si donc vous ne réussissiez pas du premier coup, ce ne doit pas être, pour vous, un motif de découragement, mais cela vous indique qu’il y a un apprentissage à faire dans toute science, surtout dans celle des êtres vivants sur lesquels l’expérimentation sera toujours nécessairement moins facile que dans tout autre sujet. Mais je ne veux pas que vous perdiez les résultats de cette expérience, et nous vous la montrerons dans une des prochaines séances.

Dix-neuvième leçon
3 mars 1855.

SOMMAIRE : Nouvelle expérience sur l’empoisonnement par le curare, et résultats de la précédente. — Expériences sur, des lapins. — Apparition du sucre dans les urines à la suite de l’intoxication par le curare. — Autres phénomènes. — Réflexions sur la distinction entre l’excitation et l’irritation. — Exemples et applications. — Perversion de la fonction glycogénique. — Expériences à ce sujet. — Particularités de ces expériences. — Production spontanée du sucre dans le foie d’un animal mort dans certaines conditions. — Manuel opératoire de l’expérience. — Hypothèses sur la production de ce phénomène. — Part de l’action nerveuse. — Part de la fermentation. — Résultats de l’expérience sur l’empoisonnement par le curare.

Messieurs,

Dans la dernière leçon, nous avons montré des exemples de diabète artificiel produit par des procédés qui consistent à anéantir par le curare les fonctions de la vie extérieure. Vous avez vu que sous cette influence les sécrétions devenaient plus actives, et que le foie, qui est lui-même un organe sécréteur, exagérait sa production de sucre qui, dès lors, se répandait dans le sang et finissait, au bout d’environ deux heures, par apparaître dans les urines. Voici celles de l’animal qui avait été empoisonné au commencement de la séance dernière et dont les urines n’étaient pas encore sucrées à la fin ; nous en avons recueilli une heure après, et vous voyez maintenant qu’elles réduisent abondamment le tartrate cupro-potassique. Du reste, nous avons replacé ici sous vos yeux un autre Chien également empoisonné par le curare depuis une heure et demie environ ; on pratique l’insufflation pour que les fonctions organiques ne s’arrêtent pas. Nous prendrons ses urines à la fin de cette leçon et vous verrez que le sucre qui n’y est pas encore y aura passé alors en grande quantité.

L’action que vous voyez se produire sous vos yeux chez cet animal empoisonné, sur lequel on pratique l’insufflation artificielle, ne provient pas d’une excitation du poumon, par le fait de l’insufflation artificielle qui serait transmise ensuite par les pneumo-gastriques au foie, suivant un mécanisme analogue à celui que nous avons décrit pour l’action de la piqûre. S’il en était ainsi, nous n’aurions qu’une excitation locale sur le foie, et non pas une excitation plus ou moins générale sur le système glandulaire, comme vous le voyez chez ces animaux soumis à l’influence du curare ou plutôt privés des fonctions de la vie de relation. Du reste, l’observation directe montre qu’il n’en est point ainsi, comme le prouvent les résultats que nous avons obtenus dans les deux expériences comparatives suivantes :

Un jeune lapin, bien portant et en digestion, eut les deux vagues coupés dans la région moyenne du cou, les deux filets sympathiques de communication entre les ganglions cervicaux, furent ménagés. J’injectai alors, sous la peau du dos, 2 centimètres cubes d’un liquide contenant en dissolution 0,5 gr. de curare dans 12 grammes d’eau. Après un quart d’heure, l’animal éprouva les effets du poison, il s’affaissa et resta sans mouvement, et il se manifesta des contractions convulsives dans les muscles peauciers ; peu à peu la respiration baissa, et cessa complétement après une demi-heure. C’est alors qu’on commença l’insufflation, qui se fit à l’aide d’un tube lié sur la trachée et communiquant avec un soufflet. Dès les premières insufflations le lapin sembla revenir, mais il s’échappa une grande quantité de mucosités par la trachée ; bientôt les respirations se rétablirent et continuèrent sans le secours de l’insufflation ; la salive, les larmes coulaient en abondance, les yeux à demi clos restaient sensibles (ce qui n’eut pas lieu chez l’autre lapin, dont les vagues n’avaient pas été coupés).

Après une heure trois quarts environ on examina l’urine qui était devenue claire et est très abondante ; elle contenait beaucoup de sucre. Une demi-heure après, on reprit de l’urine qui semblait contenir moins de sucre ; les respirations, qui étaient spontanées, baissaient de plus en plus. On tua l’animal par hémorragie. Le sang de ses artères était parfaitement vermeil et contenait beaucoup de sucre ; on ouvrit le ventre, et l’on trouva les organes intestinaux gorgés de sang, les uretères gonflés et très irritables ; il y avait beaucoup de sérosité dans le péritoine. Le foie, qui était pâle par suite de l’hémorragie, donna une décoction opaline très sucrée.

Un autre lapin de la même taille, de la même portée, dans les mêmes conditions que le précédent, reçut, comme lui, sous la peau du dos, deux centimètres cubes de la même dissolution de curare contenant 0,05 gr. dissous dans 12 centimètres cubes d’eau. Après un quart d’heure le lapin éprouva les effets du poison et tomba anéanti présentant quelques contractions involontaires dans les muscles peauciers ; mais pendant une heure et demie encore les mouvements respiratoires continuèrent, après quoi ils s’éteignirent. C’est alors que l’on commença l’insufflation artificielle. Pendant tout ce temps il y eut sécrétion abondante de larmes, de salive et d’urine. Après une heure et demie, et un peu avant que la respiration fût éteinte, on examina les urines du lapin qui étaient évidemment sucrées. Dès que la respiration fut arrêtée, pour que l’animal ne mourût pas, on pratiqua l’insufflation.

Pendant les quelques moments qu’on avait laissé l’animal sans l’insuffler, les sécrétions salivaire, lacrymale et urinaire s’étaient ralenties, mais aussitôt qu’on reprit l’insufflation, les sécrétions furent singulièrement activées ; toutefois les yeux, qui étaient saillants, devinrent complètement insensibles, ce qui n’avait pas lieu dans les cas précédents. On cessa à dessein pendant quelques instants l’insufflation, le sang devint aussitôt noir dans les artères, les sécrétions diminuèrent d’intensité et le sucre diminua lui-même dans l’urine. Aussitôt qu’on recommença l’insufflation, le sang redevint vermeil, circula plus activement, les sécrétions coulèrent plus abondamment et l’urine qu’on retira était beaucoup plus sucrée que la précédente. On répéta cette expérience à différentes reprises, et chaque fois on obtint des résultats analogues, puis enfin on abandonna l’animal à lui-même et on le laissa mourir d’asphyxie. Il se passa encore longtemps jusqu’au moment où la respiration fut éteinte ; alors on fit son autopsie : le foie contenait peu de sucre et l’urine n’en présenta plus du tout.

Ainsi, chez ces deux lapins, outre les détails intéressants que ces deux expériences renferment, elles prouvent que l’apparition du sucre a été possible malgré la section des pneumo-gastriques, puisqu’un seul de ces animaux avait été soumis à cette opération.

Nous pourrions encore, Messieurs, vous citer bien d’autres procédés pour produire le diabète artificiel par une excitation du système nerveux de la vie organique sous l’influence duquel le foie se trouve placé. Mais il nous suffisait de vous indiquer la multiplicité des moyens par lesquels, en physiologie, on peut arriver au même résultat, ce qui démontre l’union et la dépendance de tous les systèmes organiques entre eux. Dans tous les cas, il faut que le foie se trouve excité soit d’une manière directe, soit d’une manière indirecte. Ce qu’il est surtout important de fixer ici, et c’est là une vérité générale qui s’appliquera à beaucoup d’autres actions organiques et aux sécrétions en particulier, c’est que cette excitation ne doit pas dépasser certaines limites sous peine d’agir d’une manière inverse et de produire la dépression ou même l’anéantissement complet des fonctions qu’on voudrait activer.

Ainsi nous venons de voir qu’une excitation légère portée sur le système nerveux active la sécrétion du sucre. Mais si l’on dépasse ces limites et surtout si l’on arrive à déterminer des douleurs violentes chez les animaux, la sécrétion du sucre s’arrête immédiatement. C’est ainsi que, si l’on pratique l’ouverture de la colonne vertébrale pour mettre à nu la moelle épinière, on voit le sucre diminuer rapidement, et, si l’on fait l’autopsie quelques heures après, il peut arriver que le foie ne contienne que peu de sucre ou même pas du tout.

Si encore on asphyxie un animal lentement, les angoisses de l’agonie font encore disparaître le sucre. Ceci prouve donc que les douleurs violentes, c’est-à-dire les troubles profonds apportés dans les organes de la vie extérieure, troublent et arrêtent les fonctions sécrétoires organiques, et nous ne trouverons plus étonnant dès lors que, quand nous supprimons cette cause de trouble, c’est-à-dire la sensibilité, comme chez cet animal sous l’influence du curare, nous voyons les sécrétions marcher avec plus d’activité.

En appliquant d’une manière générale la proposition que nous venons d’émettre, il faut reconnaître qu’il y a dans l’action portée sur un organe deux degrés entre lesquels il est difficile d’établir une limite tranchée, mais qui cependant doivent être distingués, puisqu’ils produisent des effets diamétralement opposés. L’un serait l’excitation, l’autre l’irritation proprement dite. Ainsi, pour vous en donner un exemple, prenons, si vous voulez, une fonction bien connue, la sécrétion du suc gastrique qui a été étudiée par Beaumont sur l’homme et par d’autres observateurs au moyen de fistules pratiquées à l’estomac sur les animaux. On a vu que, quand l’estomac était vide, et que, par conséquent, la sécrétion du suc gastrique n’avait pas lieu, si l’on venait à promener sur les parois stomacales une baguette de verre bien polie, de façon à agir très doucement sur la membrane muqueuse, ou si l’on frottait avec une éponge très fine la muqueuse stomacale, celle-ci devenait rouge de pâle qu’elle était d’abord, et le suc gastrique sortait en abondance des glandules qui le produisent, comme cela a lieu quand il y a des aliments dans l’estomac. On déterminait ainsi une simple excitation analogue à celle qui a lieu dans l’état normal pendant la digestion.

Mais si, au lieu d’exercer des attouchements modérés, on venait à frotter rudement la paroi de l’estomac, si on la grattait fortement avec un corps dur et rugueux, les choses changeaient de face ; au lieu de produire une plus grande abondance de suc gastrique, on faisait disparaître cette sécrétion ; la surface interne de l’estomac devenait d’un rouge vif et ne laissait plus suinter aucun liquide. Dans ce dernier cas, on avait déterminé non plus une excitation, mais une irritation véritable.

Vous voyez qu’il en est tout autrement dans l’ordre physiologique que dans l’ordre mécanique abstrait, qu’à une force double ne correspond pas toujours un résultat proportionnel. Il y a dans tous ces phénomènes des limites dans lesquelles l’accroissement de l’action correspond à une augmentation du résultat ; mais la limite dépassée, le rapport devient inverse, et l’accroissement de l’action produit un effet d’autant moindre. Ajoutons que ces limites elles-mêmes peuvent encore changer, car la quantité d’action qu’il faut produire pour déterminer une excitation ou une irritation est extrêmement variable, non seulement entre des individus différents, mais aussi pour le même individu pris à différentes époques de sa vie et dans des conditions de santé diverses.

Ce n’est pas seulement dans les phénomènes vitaux par excellence dans lesquels intervient le système nerveux, qu’on observe de semblables effets ; on en constate aussi d’analogues dans certaines actions chimiques des liquides organiques ; toutes les fermentations sont dans ce cas. La température, jusqu’à un certain degré, augmente leur action et, passé cette limite, l’activité diminue. Ainsi l’action du suc gastrique, qui se rapproche de celle des ferments, commence à agir vers 17 degrés, atteint son summum d’énergie à 35 à 40°, diminue vers 45 à 50 et s’éteint complétement à une température plus élevée.

Enfin, Messieurs, pour étendre la proposition que nous venons d’énoncer, nous pourrions lui trouver des analogues en dehors de l’organisme : tel est, parmi un grand nombre d’autres, le fait bien connu du sulfate de soude qui ne se dissout pas en raison directe de la température et atteint son maximum de solubilité à 40,7°.

Vous voyez, Messieurs, que nous saisissons à dessein toutes les occasions de vous montrer combien les phénomènes de la vie sont complexes et combien il faut redoubler de soins dans l’analyse physiologique ; c’est seulement dans cette vue que nous nous sommes permis la petite digression que nous venons de faire.

Actuellement, nous avons à examiner l’influence que le système nerveux peut exercer pour pervertir la fonction glycogénique. Voici, à ce sujet, le fait extrêmement intéressant, au point de vue chimique, auquel j’ai été conduit en faisant des expériences sur le grand sympathique. Je recherchais quelle était l’influence de la section de la moelle épinière sur les fonctions du foie, et j’ai vu que, si l’on coupait la moelle dans la région du dos, au-dessous du renflement brachial, la sécrétion du sucre était constamment arrêtée, de sorte qu’au bout de vingt-quatre à trente-six heures on n’en trouvait plus du tout dans le tissu hépatique. Mais si l’on coupe la moelle un peu plus haut, au-dessus du renflement brachial et au-dessous de l’origine des nerfs diaphragmatiques, qu’on tue l’animal le lendemain, on observe alors un phénomène très singulier : au moment même où l’on extrait le foie du corps de l’animal qu’on vient de sacrifier, si l’on traite une partie de cet organe par les moyens ordinaires pour y reconnaître la présence du sucre, c’est-à-dire si l’on en fait une décoction, on voit que le tartrate cupro-potassique et tous les réactifs ordinaires du sucre du foie ne décèlent pas la présence de cette matière dans le liquide de décoction. On peut démontrer aussi par les moyens ordinaires qu’il n’y a pas non plus dans le liquide du sucre de la première espèce ; mais si on laisse l’autre partie du foie sur une assiette, abandonnée à l’air extérieur, et qu’au bout de cinq à six heures on traite de nouveau le tissu de la même manière, on le trouvera chargé de matière sucrée.

Ainsi, au moment de la mort de l’animal, le sucre était masqué dans le foie, ou bien la transformation de la substance qui lui donne naissance était sur le point de s’accomplir et se trouvait seulement arrêtée par l’opération qu’on avait fait subir à l’animal. Il semblerait donc qu’il y ait ici une matière susceptible de se transformer en sucre, comme dans le règne végétal, où le sucre n’arrive que comme une des modifications de l’amidon et de la dextrine. Dans le foie, nous savons maintenant que ce sont les matières albumineuses qui donnent naissance au sucre ; seulement il s’agira plus tard de rechercher si entre cette matière albumineuse et le sucre il n’y a pas d’autres produits intermédiaires qui se forment, de même que la dextrine entre l’amidon et le glucose.

Avant d’entrer dans l’examen de cette question de chimie vitale, nous avons à vous dire comment se pratique l’expérience, et quels sont les trajets par lesquels passe l’action nerveuse. Voici à ce sujet quelques-unes de nos observations :

Une lapine pleine eut, à neuf heures du matin, la moelle épinière coupée immédiatement au-dessus du renflement brachial. Au moment de l’opération, la respiration était accélérée ; bientôt ensuite elle cessa. L’animal se refroidit, comme cela a toujours lieu dans des circonstances pareilles. Revu à quatre heures du soir, l’animal n’était pas mort, mais il était paralysé de tout le train postérieur au-dessous de la section, et il présentait des mouvements réflexes excessivement énergiques dans les membres postérieurs. Seulement, il avait rendu une quantité énorme d’excréments, et il en rendait continuellement, en faisant des mouvements continuels de sa queue. On voyait même parfois des mouvements péristaltiques violents de l’intestin à travers la peau. À ce moment, c’est-à-dire sept heures après la section à la moelle, l’animal fut tué par la section du bulbe rachidien ; on l’ouvrit, et l’on constata que toutes les parties intérieures du corps avaient une contractilité extrêmement vive ; le cœur battit très longtemps et ses propriétés semblaient avoir quelque rapport avec cette irritabilité intense qu’on observe chez les animaux à sang froid.

On prit alors un morceau du foie, on le broya avec de l’eau, on le sépara en deux parties, l’une que l’on fit cuire, l’autre qu’on abandonna à elle-même dans une éprouvette, de façon qu’il y avait une partie du liquide rougeâtre qui surnageait et que le tissu hépatique tombait au fond. À ce moment, les liquides ne réduisaient pas sensiblement le réactif cupro-potassique ; la décoction présentait une teinte opaline et était neutre ou légèrement alcaline.

On prit encore à ce moment la densité du liquide rougeâtre surnageant au-dessus du tissu du foie non soumis à l’ébullition ; cela fait, on abandonna ces deux dissolutions précédentes, ainsi que la partie du foie qui n’avait pas été employée à une température de 12 à 15 degrés centigrades. Le lendemain, on fit cuire dans l’eau une troisième portion du foie abandonnée à elle-même depuis la veille ; cette décoction, faite dans les mêmes conditions que la précédente, donnait une densité plus grande, elle était moins opaline, mais elle réduisait le liquide cupro-potassique avec une très grande énergie. On mit comparativement dans deux tubes à fermentation, avec de la levure de bière, les deux décoctions hépatiques, 1° celle de la veille réduisant à peine le tartrate cupro-potassique, 2° celle du lendemain réduisant abondamment le réactif. Cette dernière donna lieu à un dégagement d’une grande quantité d’acide carbonique, tandis qu’il ne se forma dans l’autre que quelques bulles de gaz.

Cependant, pensant que peut-être le foie n’était pas encore arrivé à son état de plus grande saturation de matière sucrée, je pris un même poids de foie dans une même quantité d’eau que ; précédemment, et, après l’avoir fait bouillir, je laissai digérer sur les cendres chaudes pendant trois ou quatre heures, entre 40 et 50 degrés ; après quoi, je portai le mélange à l’ébullition. Je constatai que la quantité de sucre avait évidemment augmenté.

Le densimètre, qui marquait 5 la veille, marquait 15 le lendemain, dans la même dissolution qui, avec le réactif, donnait alors une réduction excessivement abondante.

On voit ainsi que, en exposant du tissu du foie broyé dans de l’eau à une température de 40 à 50 degrés cent., on active singulièrement le retour de la matière sucrée ; c’est là ce qui explique comment il peut se faire qu’il apparaisse un peu de sucre quand on fait cuire un liquide pendant que celui-ci arrive à l’ébullition. Il serait plus convenable, pour arrêter immédiatement cet effet, de plonger le foie dans l’eau bouillante, pour ne pas passer par une température intermédiaire pouvant déterminer la production d’une certaine quantité de sucre qui ne se serait pas développé sans cela.

Comme détail intéressant de l’expérience, nous avons observé que la décoction aqueuse du foie, qui était très opaline au moment de la mort de l’animal, lorsque le foie ne contenait pas de sucre, était devenue moins opaque le lendemain, quand il y avait déjà beaucoup de sucre formé, et enfin était devenue tout à fait limpide dans la portion que nous avions soumise à la chaleur et qui contenait une très grande proportion de matières sucrées.

Une autre particularité très curieuse, c’est que, en même temps que ces décoctions du foie changent d’aspect, et que la quantité de sucre qui s’y forme devient plus considérable, la réaction du liquide change de nature. La première décoction hépatique, qui était louche lorsqu’elle était faite au moment de la mort, quand le foie ne contenait pas encore de sucre, était très manifestement alcaline le lendemain quand la décoction, devenue plus sucrée, était déjà très légèrement acide ; enfin la troisième décoction, placée pendant quelques instants de 35 à 40 degrés, avait une réaction acide très manifeste.

Nous avons répété différentes fois cette expérience, toujours avec le même résultat ; seulement ces phénomènes peuvent se manifester avec plus ou moins d’intensité, suivant que la température ambiante est plus ou moins élevée, ou suivant d’autres circonstances dont il nous est difficile d’apprécier actuellement les diverses conditions.

Mais cette expérience ; qui est une des plus importantes, devra, comme c’est notre habitude, être répétée devant vous.

Voici un lapin adulte dans un état de parfaite santé, sur lequel nous faisons la section de la moelle épinière immédiatement au-dessus du renflement brachial et au-dessous cependant de l’origine des nerfs diaphragmatiques. Pour cela, nous suivons du doigt les apophyses épineuses des vertèbres du dos, en remontant vers le cou, et nous arrivons ainsi au niveau de la dernière vertèbre cervicale où s’insère le ligament cervical postérieur. La colonne vertébrale présente ici une inflexion vers la partie antérieure, en même temps que les apophyses épineuses deviennent moins saillantes, de telle façon qu’il est presque impossible de sentir en cet endroit, à travers les parties molles, les apophyses épineuses, qui sont très profondément situées. C’est en ce point qu’il faut plonger l’instrument, et là on se trouve situé à peu près entre la sixième et la septième vertèbre cervicale. L’instrument que nous employons est une espèce de pointe en fer de lance assez solide, comme vous le voyez ici.

En même temps que nous introduisons l’instrument entre deux vertèbres, nous infléchissons fortement, comme vous le voyez, la tête de l’animal, pour rendre plus considérable l’écartement entre les lames vertébrales. Nous coupons ainsi transversalement la moelle, et vous voyez qu’au moment où nous faisons cette section, il y a des soubresauts convulsifs dans le tronc, au-dessous de la section. Actuellement que l’opération est faite, vous voyez l’animal complétement paralysé, mais ses respirations ne sont pas abolies, elles sont même accélérées ; seulement vous pouvez remarquer que les mouvements respiratoires se font surtout par l’abdomen, car les muscles de la poitrine ne reçoivent plus l’influence nerveuse.

Malgré la section de la moelle faite au-dessus de l’origine du plexus cervical, ce lapin pourrait vivre à la rigueur deux jours dans cet état, surtout si l’on avait soin de le maintenir dans un endroit chaud.

Mais, quoi qu’il en soit, bientôt nous verrons les respirations diminuer en nombre et en intensité ; l’animal se refroidira en même temps que les mouvements réflexes qu’on pourra produire dans son tronc deviendront plus faciles à exciter. Cette excitabilité se manifestera même sur les organes intérieurs, car on observera des mouvements péristaltiques très actifs dans les intestins, qui seront suivis d’une défécation presque continuelle.

Il faut avoir soin de ne pas attendre que l’animal soit mort, parce que alors cette transformation, que nous avons vue s’effectuer quand on a retiré le foie du corps, pourrait commencer après la mort, et nous trouverions alors le foie sucré comme s’il eût été placé en dehors de l’organisme. C’est en général au bout de huit à dix heures qu’il est convenable de sacrifier les animaux, parce qu’alors le sucre contenu dans leur foie a eu le temps de disparaître pour être remplacé par cette matière que nous ne connaissons pas encore, mais qui subit la transformation glycosique.

Que s’est-il passé dans cette expérience, et comment pouvons-nous comprendre anatomiquement l’influence si différente qu’exerce la section de la moelle épinière sur le foie ; car nous avons dit que la section de la moelle au-dessous du renflement brachial produit purement et simplement la disparition du sucre dans le foie, tandis que cette même section au-dessus de ce même renflement a pour effet d’opérer une perversion dans la fonction glycogénique ? Dans ce cas, Messieurs, il faut voir là une action particulière du renflement brachial de la moelle agissant sur le foie comme un véritable centre nerveux.

On sait déjà que cette portion de la moelle épinière joue le rôle d’un centre relativement à la portion céphalique du grand sympathique. Si, par exemple, on galvanise cette partie de la moelle, on voit que la pupille se dilate absolument comme quand on opère sur le filet cervical du grand sympathique lui-même, de sorte que cette action qu’on produit sur la pupille émane en réalité de cette portion de la moelle épinière dont les filets sympathiques ne doivent être considérés que comme les conducteurs.

Nous pensons que dans le cas de notre opération le foie reçoit également par des filets du grand sympathique provenant de cette région de la moelle une influence spéciale. Quand nous avons, enlevé préalablement, dans certains cas, le ganglion cervical inférieur et le premier thoracique, nous n’avons pas alors observé ces effets se produire.

Si l’on voulait analyser le phénomène plus profondément et rechercher comment il peut se faire que sous l’influence de cette action nerveuse, quel que soit sa source, nous obtenons une perversion et une, espèce d’arrêt dans le développement de la matière glycogénique, on arriverait à conclure qu’il se forme là une substance intermédiaire qui se change ensuite sous nos yeux en matière sucrée par un mécanisme analogue à celui des fermentations. Nous avons vu, en effet, que, lorsqu’on fait bouillir le foie, on empêchait cette action de se produire, tandis que, lorsqu’on n’avait pas coagulé les matières organiques par l’ébullition, cette matière se développait d’autant plus rapidement que la température était plus élevée en ne dépassant pas toutefois certaines limites.

Peut-on supposer que, par suite de la section de la moelle épinière, l’action nerveuse ait été diminuée au point de permettre seulement une transformation partielle ou incomplète de la matière albuminoïde primitive ? Ou bien doit-on penser, et c’est à cette dernière hypothèse que je m’arrêterais volontiers, que l’action nerveuse sur le foie s’exerce toujours, qu’elle y est même exagérée, mais que seulement la température de l’animal s’abaissant, la fermentation de la matière sucrée ne peut plus avoir lieu pour opérer la formation complète de la matière sucrée ? Cette supposition se trouve appuyée par ce fait, que l’apparition du sucre est d’autant plus rapide quand on extrait le foie de l’animal, qu’on l’expose à une température plus élevée ; de telle sorte que nous devrions en définitive considérer le système nerveux comme agissant pour préparer une matière autre que le sucre, mais pouvant se transformer en cette substance sous l’influence d’une fermentation pure et simple qui aurait lieu dans le foie. Nous vous donnerons dans la prochaine séance plus de développement sur l’explication de cette expérience, une des plus intéressantes au point de vue de l’influence que le système nerveux peut exercer sur les actions chimiques.

Nous rapprochons ces phénomènes d’autres faits que nous avons découverts cette année, et dont nous avons déjà dit quelques mots. Ce sont ces transformations de matières albuminoïdes en matières sucrées, qui s’opèrent chez les fœtus dans certains états de la vie embryonnaire et en coïncidence avec le développement des tissus. Plus tard, dans l’état adulte, les tissus cessent d’être le siège de ces phénomènes, et c’est le foie qui, désormais, devient le seul point de l’organisme où se localisent ces productions sucrées, en rapport avec le développement des éléments nécessaires à la rénovation des tissus. Maintenant, revenons, en terminant, sur l’animal empoisonné par le curare qui est devant vous, et qui ne diffère de celui que je vous ai déjà montré dans la séance précédente, qu’en ce qu’il est à jeun, tandis que l’autre était en digestion. Vous voyez que toutes ses fonctions nutritives sont exagérées, et ses sécrétions se produisent en abondance.

Nous lui avons placé des tubes dans les conduits de diverses glandes, dans le conduit de la parotide et de la sous-maxillaire. Les liquides qui en coulent sont aussi abondants que si les organes masticateurs fonctionnaient, ou que si l’on avait placé du vinaigre sur la muqueuse buccale ; mais il y a, en outre, le fait singulier que ces deux glandes ne sont pas également excitées. Vous pouvez voir, en effet, que la glande sous-maxillaire fournit une quantité de liquide bien plus abondante que la parotide, ce qui tient peut-être à ce qu’elle reçoit une plus grande quantité de nerfs ganglionnaires, et qu’elle se trouve liée ainsi d’une manière bien plus intime à l’action du système sympathique. Sa sécrétion est, en effet, trois ou quatre fois plus considérable que la sécrétion parotidienne. Remarquez aussi, en passant, la différence qui existe entre les deux liquides : celui de la parotide est fluide comme de l’eau, celui de la sous-maxillaire est filant et visqueux ; il en est de même à l’état normal. Les actions nutritives ne sont nullement interrompues, et c’est encore là un exemple de leur indépendance vis-à-vis du système nerveux de la vie de relation. Quant aux urines que l’on vient de recueillir, vous voyez, à l’abondance de la réduction qu’elles déterminent dans le liquide cupro-potassique, qu’elles sont extrêmement sucrées.

Vingtième leçon
6 mars 1855.

SOMMAIRE : Expériences sur des lapins auxquels on coupe la moelle épinière au-dessus du renflement brachial. — Phénomènes singuliers produits sur le foie. — Hypothèses sur ces phénomènes. — Découverte de la production de la matière sucrée dans les muscles et dans les poumons du fœtus. — Acide lactique. Moyens d’obtenir ce sucre du fœtus à une température basse. — Procédé pour obtenir l’acide lactique. — Tous les tissus de l’embryon ne donnent pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens d’une matière albumineuse insoluble. — Preuves physiologiques. — Preuves chimiques. — Découverte de Lehmann, qui transforme l’hématine en sucre.

Messieurs,

Nous allons entrer aujourd’hui dans le mécanisme intime de la formation du sucre dans le foie. Vous vous rappelez que nous avons fait, dans la dernière séance, une expérience fort singulière, et qui doit servir à nous guider dans cette voie. Nous avons coupé la moelle à deux lapins, à deux hauteurs différentes, et nous avons vu que, quand on opérait la section au-dessus du renflement brachial, ce qui se fait en plongeant l’instrument entre la sixième et la septième vertèbre cervicale, à peu près entre le sommet des deux épaules, on produisait dans le foie une modification toute particulière, une sorte de perversion de la sécrétion, ou plutôt un véritable arrêt dans la série des transformations qui s’opèrent dans le foie pour changer en sucre les matières albuminoïdes du sang. Quand on coupe la moelle en ce point, le sucre disparaît bien du foie, mais il y reparaît bientôt comme s’il était, pour ainsi dire, à l’état latent. Voici le lapin auquel nous avons fait l’opération ci-dessus indiquée dans la séance précédente, et que nous avons tué le lendemain. Au moment de la mort, il ne présentait pas d’indice de sucre dans son foie. Voici, en effet, la décoction d’une partie de cet organe faite au moment même de l’autopsie ; elle ne contient pas la moindre trace de matière sucrée. Si, maintenant, nous reprenons l’autre portion de ce même foie qui a été abandonnée à elle-même et qu’on en fasse une décoction, vous verrez qu’elle contient maintenant énormément de matière sucrée.

Si, ayant pris le tissu du foie de ce même animal au moment de sa mort, on l’avait broyé avec de l’eau ordinaire, puis qu’on eût filtré ce mélange, le liquide qui aurait passé n’eût décelé par aucun des moyens physiques, ou des réactifs chimiques, la présence du sucre. Observé au densimètre, on eût trouvé sa densité égale à peu près à celle de l’eau ; mais, en examinant deux jours après ce même liquide abandonné à lui-même, on lui trouvera alors tous les caractères d’une dissolution fortement sucrée, et sa densité aura considérablement augmenté.

Si, au contraire, on fait la section de la moelle au-dessous du renflement brachial, comme nous l’avons pratiquée sur un deuxième lapin, ces mêmes phénomènes n’ont plus lieu, le sucre disparaît du foie, mais il n’est plus susceptible d’y revenir quand on abandonne l’organe à lui-même comme dans le cas précédent. Vous voyez aussi que l’aspect du foie est bien différent ; il est plus ratatiné, sa couleur est d’un brun foncé, et enfin il ne contient pas la moindre trace de sucre, bien qu’il y ait un temps suffisant entre le moment de sa mort, qui a eu lieu il y a six heures environ, et celui où nous l’examinons, pour que cette substance ait eu le temps de se manifester si elle devait le faire. Si l’on examine ultérieurement ce foie, et en le mettant dans toutes les conditions pour que le sucre revienne, il n’y reparaîtra pas.

Ce fait de la production dans un organe d’une matière qui n’y existait pas d’abord, mais qui s’y est développée par une sorte de fermentation, est certainement l’un des plus étonnants au point de vue des phénomènes chimiques qui s’accomplissent dans l’organisme.

Nos connaissances actuelles sur les décompositions des matières animales ne peuvent nous expliquer cette production du sucre, et ces questions physiologiques étant entièrement neuves, nous sommes obligé de faire des hypothèses afin de solliciter des expérimentations nouvelles qui pourront nous conduire un peu plus loin. Il en est toujours ainsi quand on se trouve en présence d’un fait nouveau, extraordinaire, qui ne se rattache à rien de connu. On ne peut faire alors que des hypothèses, avec la précaution seulement de les instituer de telle sorte qu’elles soient toujours vérifiables par une expérimentation dirigée dans cette vue. Comme ces hypothèses ne sont que des moyens directeurs, peu nous importe que le résultat de l’expérimentation les confirme ou non. Nous ne devrons jamais conserver que les faits nouveaux que ces hypothèses nous auront fait découvrir. C’est précisément ici le cas qui se présente. Dès lors, donc, deux hypothèses sont possibles. On peut supposer qu’en coupant la moelle au-dessus du renflement brachial, ce qui réduit ce renflement à agir comme un centre, par l’intermédiaire du grand sympathique, sur le foie et indépendant du cerveau, on diminue l’influence nerveuse qui arrive au foie. Par suite de cette diminution de l’activité nerveuse, la fonction glycogénique serait enrayée, et les transformations qui doivent finalement donner du sucre seraient arrêtées dans un état intermédiaire ; car il est probable qu’entre la matière albuminoïde, qui donne naissance au sucre, et ce dernier produit, il y a une série de passages successifs, qui nous sont encore inconnus.

Voici une première hypothèse ; mais elle devient peu probable, lorsqu’on examine ce qui se passe chez l’animal vivant auquel on a fait la section de la moelle au-dessus du renflement brachial. On ne voit pas, en effet, que l’action nerveuse soit diminuée ; elle paraît, au contraire, exaltée. Quand on ouvre le ventre de cet animal, on trouve dans cette région une circulation plus active, les urines se sécrètent plus abondamment que dans l’état normal, les muscles sont plus excitables, et les actions réflexes ont une très grande énergie. Ces propriétés persistent après la mort bien plus longtemps que chez les animaux qu’on aurait tués brusquement sans être dans ces conditions.

Il semble que cette section de la moelle ait déterminé ici une excitabilité musculaire et nerveuse beaucoup plus persistante, et jusqu’à un certain point analogue à ce qui a lieu chez les animaux à sang froid.

Mais si les fonctions du système nerveux ne paraissent pas diminuer, si les sécrétions semblent s’accomplir plus énergiquement qu’à l’ordinaire, il n’y en a pas moins simultanément, et d’une manière constante, un abaissement de température notable. Ce dernier fait peut devenir à son tour la source d’une deuxième hypothèse plus probable que la première. Cette nouvelle hypothèse consisterait à dire que les transformations qui se font dans le foie ont besoin, non seulement de l’influence nerveuse, mais aussi d’une température suffisante, et que la température de l’animal que vous avez sous les yeux n’étant plus que de 24 degrés au moment où nous l’avons sacrifié, n’est pas suffisante pour l’accomplissement des phénomènes en question. Vous savez, en effet, que les actions vitales chimiques ne peuvent se passer d’une certaine quantité de chaleur, et que, chez les animaux à température variable, elles s’arrêtent quand le refroidissement est arrivé à un certain point, bien que l’excitabilité nerveuse paraisse alors plus intense, comme cela se passe justement sur nos lapins auxquels nous avons coupé la moelle épinière.

Il peut en être de même pour la fonction glycogénique : la température à laquelle l’animal se trouve descendu peut n’être plus suffisante pour déterminer la série des transformations qui donnent finalement du sucre ; et ce qui prouve que la chaleur favorise cette formation, c’est que si, après avoir enlevé le foie ainsi modifié, on l’expose à une température assez élevée, on voit bientôt le sucre apparaître dans le tissu. Il en serait probablement de même si, sans extraire l’organe hépatique, on plaçait l’animal dans un milieu où sa température normale, qui est de 37 à 40 degrés, se trouverait maintenue sans amener de refroidissement. Si, au contraire, on exposait le foie à une basse température, le sucre ne s’y formerait que très lentement. Ainsi le sucre semble réapparaître dans le foie sous les mêmes influences qui font que les fermentations se développent. Car si, d’un autre côté, on jetait le foie dans l’eau bouillante après son extraction du corps de l’animal, les matières albuminoïdes se trouvant coagulées, la fermentation ne pourrait plus avoir lieu et le foie ne serait plus susceptible de devenir sucré.

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, qui n’ont pour nous, comme vous le savez, qu’une valeur tout à fait secondaire, nous nous trouvons en présence d’un fait nouveau très extraordinaire et très obscur. Pour jeter quelque lumière dans cette question, nous avons à rechercher autour de nous si nous ne trouverions pas, dans les animaux, d’autres exemples de phénomènes analogues et d’autres cas dans lesquels il se formerait une matière sucrée aux dépens d’une substance animale et par le moyen d’une fermentation semblable. Nous avons trouvé des conditions dans lesquelles des phénomènes tout à fait analogues ont lieu, et dans lesquelles on voit des matières organiques fermenter et donner naissance à des principes sucrés. C’est une découverte que nous pouvons rapprocher de celle que nous venons de vous signaler à propos du foie, et nous aurons encore par là une démonstration nouvelle de cette proposition que nous avons établie, à savoir, que le sucre n’est pas une production d’origine exclusivement végétale, mais qu’il se développe aussi dans les animaux, et qu’il n’y a pas, sous ce rapport, entre les deux règnes, cette distinction si tranchée qu’on s’était cru fondé à y voir.

Nous vous avons déjà dit quelques mots sur les phénomènes qui se passent chez le fœtus pendant les premiers temps de la vie embryonnaire, avant que la fonction du foie soit établie.

C’est dans cette période qui précède l’apparition du sucre dans le foie que nous voyons des fermentations glycosiques se montrer dans divers tissus.

Vous vous rappelez sans doute qu’en étudiant les phénomènes chimiques qui accompagnent le développement de l’embryon, j’avais été conduit à voir que, quand on abandonne à eux-mêmes des muscles et des poumons dans des conditions de température convenables, on voit que ces tissus musculaire et pulmonaire deviennent très acides, tandis que les mêmes tissus pris sur un animal adulte fournissaient facilement des produits ammoniacaux très alcalins. Cette acidité me paraissait être due à de l’acide lactique.

Voici en effet cet acide et des sels cristallisés qu’il forme avec le cuivre, le zinc et la chaux, et dont la préparation a été faite par M. Leconte.

Une fois l’acide lactique bien constaté, nous devions naturellement penser, d’après les connaissances chimiques actuelles, qu’il décrivait du sucre, car nous savions que l’un des moyens de l’obtenir consiste à mettre en présence, à une douce chaleur, du sucre et des matières albuminoïdes. Il y avait lieu de se demander alors si les fermentations spontanées que nous voyons s’opérer sous nos yeux, et qui aboutissent à la formation d’acide lactique, ne présenteraient pas comme intermédiaire la production d’une matière sucrée. C’est en effet ce qui a lieu : nous avons extrait de ces muscles du sucre ayant tous les caractères du glucose, et se transformant, sous l’influence de la levure, en acide carbonique et en alcool, dont voici un échantillon très concentré.

Ces expériences sont très simples à faire et à répéter ; il suffit d’aller prendre dans les abattoirs des fœtus de veaux qui y sont en grande abondance, de séparer leurs poumons et leurs muscles, de les laver et d’y ajouter de l’eau en proportion telle que les tissus soient complétement immergés.

Mais quand la température est élevée, la fermentation marche si vite et arrive si rapidement à la production d’acide lactique, qu’il est très difficile de saisir l’intermédiaire sucré par lequel elle passe. C’est ce qui nous arrivait l’été dernier, lorsque nous commençâmes ces recherches.

Il fallait trouver un moyen pour faire que la fermentation n’allât pas si vite et que le sucre pût s’accumuler sans se détruire aussitôt après sa formation. Nous avons pour cela employé diverses substances, et celle à laquelle nous nous sommes arrêté est l’alcool. Au lieu donc de laisser baigner les muscles et les poumons de nos fœtus dans l’eau pure, nous les placions dans de l’eau additionnée d’un tiers ou d’un quart d’alcool. Le liquide, dans ces conditions, se charge de sucre qu’on y voit apparaître dès le lendemain.

L’accès de l’air est un des plus puissants agents de ces fermentations, et il est convenable de tenir ces produits dans des flacons bouchés où il n’y ait pas un trop grand renouvellement d’air, surtout si la température se trouve élevée ; on voit alors, quand on recueille l’air resté emprisonné dans le flacon en contact avec la matière en fermentation, qu’il y a eu disparition de l’oxygène et formation d’acide carbonique. Ce gaz ne peut pas provenir de la fermentation lactique, qui consiste simplement dans la fixation d’un équivalent d’eau sur le sucre. Provient-il de la fermentation glycosique aux dépens de la matière organique ? C’est ce que nous ne pouvons pas déterminer encore.

Voici, par exemple, un morceau de muscles de fœtus dans de l’eau alcoolisée. Si je prends le liquide de macération, j’y ajoute du tartrate cupro-potassique et je fais bouillir, vous voyez une réduction extrêmement abondante vous accuser l’existence de la matière sucrée.

On peut concentrer ce liquide en l’évaporant à sec, reprenant par l’eau ; puis en retirer le sucre et en obtenir finalement, par la levure, de l’alcool et de l’acide carbonique au moyen du dédoublement que vous connaissez tous.

Mais il faut toujours éviter toutes les objections, et l’on pourrait dire que l’alcool que nous obtenons provient de celui que nous avons employé et qui est resté d’une manière quelconque fixé sur les substances organiques en contact desquelles on l’a mis. Cette objection n’est pas sérieuse, car nous avons toujours fait évaporer l’alcool que nous avons employé ; elle porterait au même titre sur les analyses des chimistes qui ont constaté ainsi dans le sang la présence du sucre.

Nous avons cherché cependant à nous mettre en garde contre cette objection, et, pour cela, nous avons vu qu’il suffisait de placer les tissus dans l’eau pure dans des conditions de température assez basse, pour que la fermentation glycosique pût s’opérer sans qu’elle fût immédiatement suivie de la fermentation lactique. De cette façon nous avons pu obtenir du sucre reconnaissable à tous ses caractères. Ce sucre fournissait, en définitive, de l’acide carbonique et de l’alcool, sans avoir employé la substance qui est le produit final qu’on a pour but de rechercher.

Nous avons donc pris des poumons ou des muscles de veau que nous laissions baigner dans de l’eau ordinaire à une température de + 5 à + 6° seulement. Au moment même de leur immersion, les muscles, bien lavés pour les débarrasser de leur sang, ne contenaient pas de trace de matière sucrée. Le lendemain, l’eau de macération présentait déjà une certaine proportion de sucre ; elle en était plus chargée le surlendemain. Nous enlevions alors cette eau que nous faisions bouillir pour détruire les matières fermentescibles, et nous évaporions pour avoir des liquides suffisamment concentrés.

Si nous remplaçons le liquide que nous avions enlevé par une nouvelle quantité d’eau pure, les mêmes réactions pouvaient recommencer.

Le lendemain, il y avait seulement dans le liquide des traces de matière sucrée qui augmentaient le jour suivant, et aussitôt qu’à l’aide du réactif cupro-potassique nous obtenions une réduction considérable, nous arrêtions la fermentation avant que l’acide lactique se fût formé aux dépens du sucre ; puis nous séparions le liquide, que nous faisions bouillir pour arrêter la fermentation et conserver le sucre, que nous concentrions par une évaporation suffisante. Nous ajoutions de nouveau de l’eau aux tissus pulmonaire et musculaire, et nous pouvions obtenir ainsi trois ou quatre infusions sucrées, après quoi la matière semblait épuisée, et l’on ne pouvait plus en retirer de sucre.

C’est avec des liquides sucrés obtenus de cette façon que nous avons retiré l’alcool que nous vous montrons ici, et qui brûle parfaitement, comme vous pouvez en juger tous.

Si nous n’avions pas retiré le sucre à mesure qu’il se produisait, bientôt il se serait formé dans la liqueur une réaction très acide, par suite de la décomposition du sucre en acide lactique. Il faut que la fermentation marche ainsi lentement, quand on veut obtenir ce produit. Si la température est trop élevée et la fermentation trop prolongée, les gaz qui se dégagent alors de la fermentation sont des mélanges d’acide carbonique et d’hydrogène, et l’on trouve de l’acide butyrique dans la liqueur.

Mais, pour obtenir seulement de l’acide lactique, on arrête la fermentation à un certain point, et l’on emploie le procédé suivant, qui est celui dont M. Leconte s’est servi. On sature, à l’aide du carbonate de chaux, la liqueur acide provenant de la fermentation des muscles ou des poumons de fœtus ; on filtre et l’on évapore à siccité au bain-marie. On traite alors par l’alcool, qui sépare le résidu en deux parties : l’une soluble et l’autre insoluble. On ajoute, dans la partie alcoolique soluble, de l’acide sulfurique jusqu’à ce qu’il y en ait un léger excès de manière à précipiter toute la chaux, et en se débarrassant de la plus grande partie de l’alcool par une distillation au bain-marie, après avoir ajouté un excès de carbonate de plomb et un peu d’eau, on maintient la température jusqu’à ce que le liquide ne rougisse plus le papier bleu de tournesol ; on filtre pour se débarrasser de l’excès de carbonate et de sulfate de plomb : il reste ainsi le sel organique (lactate) de plomb qu’on évapore au bain-marie. On traite derechef le résidu par l’alcool, on obtient encore une solution alcoolique et un nouveau résidu insoluble. La solution alcoolique doit contenir le lactate de plomb. On sépare la majeure partie de l’alcool par la distillation ; on ajoute de l’eau et l’on se débarrasse par l’ébullition du reste de l’alcool. On fait passer alors dans la liqueur un courant d’hydrogène sulfuré qui forme du sulfure de plomb, qu’on sépare par filtration. On concentre de nouveau le liquide très fortement au bain-marie, on traite le résidu ainsi obtenu par l’éther, qui laisse une liqueur brune, insoluble, et enlève une substance très acide ; on distille l’éther au bain-marie, et, après avoir ajouté de l’eau à la liqueur brunâtre acide, on la divise en trois parties : l’une, saturée par le zinc, donne lieu à un dégagement d’hydrogène très infect ; la deuxième, saturée par l’oxyde de cuivre, se colore fortement en vert ; la troisième est saturée par le carbonate de chaux.

Ces trois liqueurs, filtrées et abandonnées à l’évaporation spontanée dans des verres de montre, donnent lieu à des cristaux faciles à reconnaître au microscope pour des lactates de zinc, de cuivre et de chaux. Du reste, la liqueur acide présente toutes les propriétés physiques de l’acide lactique.

Tous ces phénomènes dont nous venons de parler sont très intéressants pour le chimiste, mais ils le sont bien plus pour le physiologiste, parce qu’ils ne se produisent que pendant un temps déterminé de la vie embryonnaire.

En effet, cette propriété qu’ont les muscles de se convertir en sucre est tout à fait temporaire, et elle n’appartient qu’au fœtus, et seulement pendant les premiers temps de la vie intra-utérine ; car, du moment que les fonctions du foie sont établies, les phénomènes que nous venons d’indiquer cessent peu à peu d’avoir lieu dans les muscles et dans les poumons. Voici, en effet, un muscle de veau âgé d’un an, qui a été mis depuis très longtemps dans de l’eau alcoolisée et qui n’a développé aucune matière sucrée, tandis qu’un muscle de la même partie du corps d’un fœtus très jeune présente du sucre en très grande quantité ; ce dernier liquide réduit abondamment le réactif bleu, tandis que l’autre ne donne aucune espèce de précipité. Il y a, ainsi que vous le voyez, une différence radicale dans les produits de la décomposition des chairs musculaires et pulmonaires prises à différents âges.

Dans le fœtus, cette décomposition donne lieu à une réaction acide qui est un caractère de la décomposition de beaucoup de matières végétales, et là nous pouvons encore, en invoquant de nouveau un rapprochement entre les végétaux et les animaux, dire qu’il se passe en réalité, dans le développement des tissus animaux, des phénomènes chimiques tout à fait analogues à ceux de la germination. En effet, dans les deux cas, les jeunes embryons animaux ou végétaux, ou plutôt leurs cellules organiques, se développent dans un milieu où il se forme incessamment de la matière sucrée. Les éléments qui servent à la formation des divers tissus sont maintenus par les fermentations dans un état de dissociation imminente et de mobilité continuelle, qui doit être éminemment favorable pour faciliter leur assimilation. Il y aurait là quelque chose d’analogue à ce que les chimistes appelleraient les éléments nutritifs à l’état naissant.

Du reste, Messieurs, la connaissance de tous ces phénomènes est loin d’être complète. Nous n’avons pas encore pu saisir ni isoler la matière qui, dans les poumons et les muscles, donne naissance à du sucre. Nous savons seulement qu’elle est complétement insoluble dans l’eau, dans l’alcool et dans l’éther. Ainsi, nous pouvons prendre des tissus de poumons ou de muscles de fœtus, soit à l’état frais et bien lavés, soit après les avoir fait préalablement dessécher, les traiter par l’alcool et l’éther de façon à les épuiser de leurs matières solubles, et les remettre ensuite dans de l’eau, nous en obtiendrons du sucre dès le lendemain ou le surlendemain.

Par ces traitements alcooliques on sépare des muscles et des poumons, une matière cristalline nouvelle que vous voyez ici sous l’aspect de beaux cristaux nacrés, nageant dans l’alcool. Cette matière a presque toutes les propriétés physiques et quelques-uns des caractères chimiques de la cholestérine ; elle est en lames ou tables rectangulaires, mais elle a d’autres caractères qui sont encore à déterminer et qui, sans doute, seront l’objet de l’étude des chimistes. Dans tous les cas, cette substance n’a en rien affaire avec le sucre puisque le tissu, après en être débarrassé, peut encore fournir du sucre, et que la matière cristalline séparée n’en donne pas.

Enfin, Messieurs, une autre particularité extrêmement remarquable de ces découvertes toutes récentes, c’est que tous les tissus ne forment pas du sucre comme les muscles et le poumon. Aucun autre organe de l’économie ne donne de semblables résultats. Ainsi le cerveau et la moelle épinière, les reins, la rate, le pancréas, tout le système glandulaire, les os, les tendons, les cartilages, la peau, mis avec de l’eau alcoolisée ou pure dans les mêmes conditions, ne donnent lieu ni à la production glycosique ni à la fermentation lactique. Le foie lui-même, qui sera plus tard l’organe producteur de la matière sucrée, ne se développe pas dans un milieu sucré ; ressemblant, en cela, à toutes les autres glandes de l’économie. Il se passe, sans doute, ici d’autres phénomènes que nous ne connaissons pas encore, mais sur lesquels nous espérons que la découverte des faits que nous venons de vous annoncer va désormais appeler l’attention. Nous remarquons, en outre, qu’il y aura lieu d’établir des rapprochements entre les tissus qui se développent dans le même milieu chimique ; ce seront là des sujets de recherches d’un haut intérêt.

Pour le moment, nous nous bornons à constater ce fait très important : c’est que nous voyons du sucre se produire sur place aux dépens de matières neutres, albuminoïdes, dans lesquelles il était impossible d’en constater, au premier moment, la présence. Les résultats que nous venons de vous signaler ont été principalement obtenus sur des fœtus de veau et de mouton, mais ils ont été vérifiés sur des muscles de fœtus de chat, de chien, de lapin, et même sur des muscles et des poumons de fœtus humain. Toutes ces expériences s’accordent pour établir que le sucre doit et peut se former dans le foie aux dépens des substances azotées. Vous avez vu que l’alimentation exclusivement animale entretenait la formation continuelle du sucre, contrairement à l’alimentation graisseuse, qui diminue cette production. Vous vous rappelez, en outre, les expériences de Lehmann, dans lesquelles cet habile chimiste a constaté qu’une partie des matières albuminoïdes qui se trouvent dans le sang de la veine porte disparaît en traversant le foie de façon qu’on n’en trouve qu’une proportion moindre dans le sang des veines hépatiques. De sorte qu’il y a au moins une coïncidence très remarquable entre cette disparition de l’albumine et la production du sucre de laquelle Lehmann a tiré cette conclusion : que le sucre se forme dans l’organisme aux dépens de substances albuminoïdes. Ce chimiste a cherché, dès lors, à réaliser artificiellement ce fait dont les découvertes physiologiques reconnaissaient la possibilité ; il a voulu savoir s’il y aurait moyen de transformer directement des matières albuminoïdes en sucre. C’est ce à quoi il est effectivement arrivé.

Il a obtenu la cristallisation de l’hématine, matière constituante des globules du sang, il a pu l’avoir à l’état de pureté, et c’est avec cette substance qu’il a fait du sucre de la manière suivante.

Il a observé, en soumettant cette matière à la distillation sèche, qu’elle donnait lieu d’abord à un produit acide, et que ce n’est qu’ensuite, lorsque la température devenait plus élevée, qu’il se développait des matières ammoniacales ; dès lors il pensa qu’il pouvait y avoir là deux principes copulés, l’un azoté, l’autre non azoté. Or il s’agissait d’enlever l’azote à l’hématine. Pour cela Lehmann fit dissoudre cette substance dans de l’alcool, puis ajouta de l’acide nitrique, et porta le mélange à l’ébullition. Sous l’influence de la chaleur il se forma de l’éther nitreux qui se dégagea et enleva l’azote de la matière organique, et ce qui resta était du sucre et une autre matière acide non azotée. Ce sucre réduit les sels de cuivre dissous dans un excès d’alcali et donne avec la levure de bière de l’acide carbonique et de l’alcool.

Cette expérience très élégante de Lehmann démontra donc, pour la première fois, la possibilité de transformer chimiquement une matière albuminoïde en sucre.

Mais il est clair, Messieurs, que ce n’est point ainsi que les choses se passent dans le foie et dans les tissus du fœtus, où nous avons observé de semblables transformations. Les réactions que nous produisons dans nos laboratoires avec des agents chimiques énergiques ne font qu’indiquer la possibilité de décompositions ou de transformations qui peuvent s’opérer sous l’action vitale d’une manière moins violente. C’est ainsi qu’avec de l’acide sulfurique ou chlorhydrique nous transformons de l’amidon en sucre, mais cela s’effectue au sein des tissus végétaux ou dans nos organes par une simple fermentation.

Il en est de même de la graisse, qui ne se dédouble dans nos laboratoires en acide gras et en glycérine qu’avec les agents acides ou alcalins les plus énergiques, mais pour laquelle le suc pancréatique tout seul, qui ne paraît doué que de propriétés chimiques très faibles, amène immédiatement le même résultat au moyen d’une matière organique qui joue le rôle de ferment.

Nous arrivons à conclure, comme données définitives sur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie : 1° que le sucre se forme aux dépens des matières albuminoïdes ; 2° que ces matières albuminoïdes donnent naissance au sucre par suite d’une véritable fermentation qu’elles subissent, et dans laquelle il se forme des produits intermédiaires encore peu connus.

Tels sont les deux résultats que nous ne devons pas perdre de vue au milieu de ces digressions dans lesquelles nous ont entraînés nos découvertes nouvelles, sur lesquelles je vous demanderai la permission de vous dire encore quelques mots dans la prochaine séance.

Vingt et unième leçon
10 mars 1855.

SOMMAIRE : Présence du sucre dans l’urine des fœtus. — Dans l’allantoïde. — Explication de ce phénomène. — Propriétés du sucre des muscles. — Transformations du liquide amniotique. — Usages du sucre dans la vie intra-utérine pour empêcher l’infiltration des tissus. — Expériences. — L’animal a constamment besoin de matière sucrée. — De la mort à la suite de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de quelques expériences commencées dans les séances précédentes. — Suite de l’expérience de la section des pneumo-gastriques entre le poumon et le foie. — Autopsie de l’animal. — Expérience sur la section des nerfs sympathiques qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des expériences physiologiques

Messieurs,

Nous savons actuellement que la fonction glycogénique du foie ne commence qu’à un certain âge de la vie intra-utérine, mais nous savons aussi que l’être organisé ne manque pas pour cela de matière sucrée pendant cette période primitive de la vie. Nous avons vu que cette matière se produit dans la gangue des tissus et qu’il y a là une sorte de phénomène de germination animale sur lequel je n’ai pu encore vous indiquer que quelques détails très insuffisants, car nous sommes, sous ce rapport seulement, à l’entrée d’une voie toute nouvelle, destinée, je crois, à fournir des résultats très féconds.

Toutefois il me reste encore quelques faits nouveaux à vous indiquer relativement à cet état primitif de la fonction glycogénique chez les fœtus. Ces détails se relieront d’ailleurs avec des faits que j’avais vus antérieurement, mais dont je n’avais pas saisi alors la signification ; et, de plus, nous verrons qu’il se passe dans les différentes périodes de la vie intra-utérine des phénomènes que nous ignorons encore complètement.

Je vous ai dit comment j’avais découvert autrefois que l’urine des fœtus contient toujours du sucre, et comment je m’étais trouvé embarrassé ensuite de ce fait qui n’était plus aucunement en rapport avec les théories qui m’y avaient conduit.

En effet, j’avais vu que ce sucre existe dans l’urine avant qu’il se forme dans le foie. Et voici, par exemple, un fœtus de veau dans l’urine duquel nous constatons une grande quantité de sucre, tandis qu’en traitant son foie comme nous le faisons habituellement, nous n’obtenons pas la moindre trace de cette matière. D’un autre côté, j’avais vu que le sucre disparaissait de l’urine des veaux bien avant la naissance et au moment où la matière sucrée se développait dans le foie. Il n’y avait donc pas, comme on le voit, possibilité, chez le fœtus, d’établir un rapport entre cette matière sucrée de l’urine et la fonction glycogénique du foie, puisque, quand le sucre existait dans l’urine, le foie n’en contenait pas, et que, lorsqu’il cessait de s’y manifester, le foie commençait au contraire à en produire.

Nous voyons ainsi que, primitivement, tous les individus sont diabétiques, et j’ai constaté cela sur d’autres animaux, sur des petits chiens, par exemple. Mais cela n’ayant lieu que pendant une époque très limitée, on ne trouve plus ce symptôme au moment de la naissance, et j’ai vainement cherché, à l’époque de la naissance, du sucre dans l’urine des fœtus humains ou dans leur liquide amniotique. Cela n’a rien qui doive étonner, puisque, comme je viens de vous le dire, les choses se passent exactement de même chez les animaux. Maintenant, nous pouvons établir la liaison de ce fait singulier avec cette formation du sucre dont nous avons parlé dans la dernière séance, et qui se rencontre dans les premiers temps de la vie intra-utérine. Dès le début, et pendant les premières semaines de l’organisation, cette matière sucrée se forme, comme nous l’avons vu, dans le tissu qui se développe, mais elle ne paraît pas se détruire à ce moment de la vie, elle est emportée par la circulation dès que celle-ci s’établit et passe alors dans l’urine.

Maintenant cette urine sucrée qui s’accumule en grande quantité remplit non seulement la vessie, mais encore un réservoir communiquant avec celle-ci, qui est l’allantoïde, dans laquelle on trouve constamment aussi un liquide sucré.

Vous voyez ici (fig. 20) un fœtus entouré de ses membranes ; vous pouvez distinguer d’une part l’allantoïde AL, d’autre part l’amnios AM, reconnaissables à la couleur de leur liquide qui est citrin dans la première cavité, clair et opalin dans la seconde.

 

Fig. 20. Fœtus de veau entouré de ses membranes.
AL, allantoïde. Du côté droit on a enlevé la membrane externe, et le liquide amniotique est entouré par une membrane unique. — C, du côté gauche, on a laissé la membrane cotylédonaire dont on voit la coupe en G ; sur elle rampent les vaisseaux omphalo-mésentériques X, allant se rendre au corps cotylédonaire CP, CP, CP ; du côté droit, ces vaisseaux X ont été coupés. Chaque extrémité de l’amnios est fermée par un bouchon jaunâtre de nature épithéliale a, a. — L’amnios AM. AM, contient le fœtus nageant dans le liquide amniotique, et tenant avec l’allantoïde par le cordon ombilical. On voit encore la vésicule ombilicale.
Fig. II. Le fœtus extrait de la cavité amniotique. Le ventre a été ouvert et les éléments du cordon ombilical servant de communication avec l’allantoïde ont été disséqués. — F, foie. — V, V, extrémités de la veine ombilicale se réunissant en un seul tronc au moment où elle traverse l’ombilic. — V, 0, vésicule ombilicaire communiquant avec l’intestin. — 0, ouraque faisant communiquer la vessie du fœtus Y avec l’allantoïde. Les deux artères ombilicales sont situées de chaque côté de l’ouraque, et parallèlement à elle.

 

Nous constatons la présence du sucre dans ce liquide allantoïdien en proportions considérables. Il y a en effet une forte réduction du tartrate cupro-potassique. Le liquide amniotique en contient également, mais de très faibles traces, soit que cette matière y parvienne par endosmose entre les membranes délicates et contiguës qui enveloppent ces liquides, soit que cette proportion de sucre y arrive par le canal de l’urètre qui doit déverser l’urine dans la cavité amniotique, si la vessie expulse son contenu.

Il y a un autre fait intéressant relatif à ce sucre de la vie primitive du fœtus, c’est qu’il dévie la lumière polarisée autrement que le sucre du foie. Ainsi, le liquide allantoïdien dévie la lumière polarisée à gauche comme le sucre de canne ; cependant il a toutes les autres propriétés de sucres de deuxième espèce, il fermente très facilement, brunit avec la potasse, et réduit les sels de cuivre.

Proust a dit que le liquide allantoïdien contient du sucre de lait, mais le sucre de l’amnios fermente très vite, et sous ce rapport il diffère beaucoup de l’espèce de sucre signalée par ce chimiste.

Le sucre de muscles ou de poumon dévie à droite comme le sucre de diabètes. Cette différence de résultats dans l’examen optique du sucre contenu dans l’allantoïde ou dans la vessie, avec celui du sucre obtenu des muscles ou du poumon par voie d’une fermentation spéciale, n’indiquerait pas du tout que ces sucres sont d’origine différente ; cela pourrait tenir tout simplement à ce que le sucre que nous avons dû obtenir en assez grande quantité pour pouvoir le soumettre à la lumière polarisée provient toujours d’une fermentation. Or, pendant cette fermentation, il se forme toujours une proportion assez notable d’acide pouvant alors réagir sur le sucre pour modifier les caractères optiques qu’il aurait s’il restait dans une liqueur neutre ou légèrement alcaline, comme cela a lieu pour le liquide allantoïdien.

On connaît d’autres exemples de cette modification, et l’on sait que le sucre de fruits dévie à gauche primitivement, mais que, après avoir été soumis pendant longtemps à l’action de l’air ou à l’action d’un acide, il dévie à droite, sans que, pour cela, ses autres caractères chimiques aient été modifiés.

Le sucre qui existe dans l’allantoïde, de même que celui qu’on rencontre dans l’amnios, mais en plus petite quantité, disparaît chez les veaux vers le cinquième ou sixième mois de la vie intra-utérine, à la même époque où cette matière sucrée disparaît également de l’urine. Voici, par exemple, du liquide allantoïdien pris sur un veau qui avait au moins six mois de vie intra-utérine. Ce liquide est bien plus coloré que chez les fœtus plus jeunes : il est devenu en même temps visqueux, il n’est nullement sucré. Le liquide amniotique, de même, ne contient aucune trace de sucre, et il a pris une consistance gluante et visqueuse.

On dirait que ce sucre a subi cette espèce de fermentation qu’on appelle visqueuse, et qui pourrait s’opérer d’autant plus facilement dans ces conditions, qu’elle s’accomplit sans dégagement d’aucun gaz. S’il en était ainsi, les partisans des causes finales pourraient voir là un des usages secondaires du sucre pendant la vie intra-utérine ; ce sucre, après avoir, pendant un certain temps, empêché l’imbibition ou l’infiltration des tissus, qui sont si délicats à cette époque de la vie, par le liquide amniotique, se changerait, vers les approches de la parturition, en subissant la fermentation visqueuse, en une matière propre à favoriser la lubrifaction des voies et le glissement facile du fœtus.

Quant à moi, Messieurs, je veux tout simplement fixer dans votre esprit les faits qui sont les suivants :

1° La présence du sucre dans l’urine du fœtus, dans le liquide allantoïdien et amniotique, pendant les premiers temps de la vie intra-utérine.

2° La disparition de ce sucre de tous les liquides précités vers la période qui précède la naissance, ce qui coïncide avec l’épaississement et la viscosité qu’acquièrent alors ces mêmes liquides, qui peut-être ont pour effet de favoriser la parturition.

Si, maintenant, nous réfléchissons à tout ce que nous avons dit précédemment, nous voyons qu’il y a deux périodes dans la vie du fœtus ; l’une pendant laquelle le sucre paraît se former sans se détruire, l’autre pendant laquelle le sucre se produit et se détruit. En effet, dans les premiers temps du développement organique, avant que le foie entre en fonctions, nous trouvons du sucre qui se forme dans les tissus, ainsi que nous l’avons dit, et qui passe dans la circulation et est porté de cette manière dans la vessie et dans les liquides allantoïdien et amniotique, où il séjourne sans qu’on voie sa destruction s’opérer. Plus tard, lorsque le foie commence à fonctionner, il se forme toujours du sucre, peut-être même en plus grande quantité, et cependant nous n’en trouvons plus aucune trace dans la vessie. Il y a deux conclusions très importantes qu’on peut tirer de ces faits : la première, c’est que, si le sucre a un usage, comme cela n’est pas douteux, dans les premiers temps de la vie intra-utérine, cela ne peut pas être en se détruisant qu’il le remplit, mais au contraire en se formant ; et ce serait au moment où la matière animale azotée entre dans une sorte de fermentation et se dédouble en abandonnant les éléments qui constituent le sucre, que les cellules organiques prennent naissance. Nous pourrons rapprocher cette hypothèse de ce qui se passe dans le foie chez l’adulte, où nous voyons le sucre se former et des cellules analogues aux globules blancs se produire en très grande quantité, ainsi que le démontrent les expériences de Lehmann. Ces globules, en effet, ne sont que des cellules organiques destinées à une évolution ultérieure, ce qui n’empêche pas, dans cette période de la vie adulte, que le sucre ne puisse encore, indépendamment de cet usage, en remplir d’autres secondaires, soit en circulant avec le sang, dont il augmente la densité et empêche l’infiltration dans les tissus et dont il favorise conséquemment la circulation en général, et particulièrement dans le tissu délicat du poumon où il doit recevoir le contact de l’air.

Des expériences extrêmement intéressantes prouvent cette utilité. Si l’on fait traverser le poumon par de l’eau pure, en ayant soin de pratiquer la respiration artificielle, dans les premiers moments le liquide injecté dans l’artère pulmonaire revient par la veine sans difficulté, mais bientôt le tissu du poumon s’infiltre, le liquide éprouve une grande difficulté à passer, il s’extravase dans les bronches, et bientôt la circulation est impossible. Les mêmes choses se produisent pour les reins et le système capillaire des membres, etc.

Mais, si l’on ajoute à l’eau du sucre, même en petite quantité, l’infiltration n’a pas lieu, et la circulation peut continuer pendant des heures entières ; il serait donc probable que, sur l’animal vivant, le sucre qui sort du foie ait pour effet de concourir à empêcher l’infiltration quand le sang traverse les poumons.

La seconde conclusion à tirer de ces faits, c’est qu’il y a dans le fœtus une période de la vie où le sucre se détruit parfaitement sans l’intervention de la respiration. Ainsi, dans les quatre ou cinq derniers mois de la vie intra-utérine des veaux, il y a beaucoup de sucre dans leur foie, dans le sang qui en sort, et cependant les urines n’en contiennent pas, preuve que le sucre se détruit dans le torrent de la circulation sans intervention de l’air, dans le placenta ou ailleurs ; ceci est impossible à vérifier à cause des difficultés de faire des expériences sur des animaux de boucherie en état de gestation, ces animaux seraient cependant seuls assez gros pour se prêtera des observations de ce genre. Cela vient à l’appui d’une proposition que nous avons émise dans une des séances précédentes, que le sucre ne se détruit pas par un phénomène de combustion en rapport avec la quantité d’oxygène en nature qui entre dans l’organisme, car, chez le fœtus, la respiration ne s’effectue pas, et le contact direct du sang et de l’oxygène ne saurait avoir lieu. C’est donc, comme nous le disions, par une sorte de fermentation que le sucre se détruit dans le sang. Nous n’avons pas encore pu isoler la matière fermentescible qui détruit le sucre dans l’organisme, et nous ne pouvons pas dire précisément si cette matière ne proviendrait pas du foie lui-même. Nous ne pouvons qu’établir l’apparence de coïncidence qui existe entre le moment où le sucre commence à se détruire chez le fœtus et le moment où il commence à apparaître dans le foie.

Ainsi, l’être organisé est toujours pourvu de matière sucrée. Dès les premiers moments de sa vie, le sucre existe dans ses tissus, bien que le foie n’en produise pas encore, et l’on en trouvera jusqu’à la mort.

J’ai fait beaucoup d’expériences pour savoir si les animaux peuvent vivre longtemps quand les fonctions du foie sont arrêtées, et j’ai toujours vu que la vie ne pouvait se prolonger au-delà de quelques jours. Quand on coupe les pneumo-gastriques chez un animal, il meurt au bout de trois ou quatre jours. On a cherché dans ce cas à expliquer la mort de bien des manières, en la rapportant à la paralysie des organes auxquels se rendent les nerfs.

On a dit que c’était parce que l’estomac ne fonctionne plus, mais on sait que les animaux peuvent vivre sans manger pendant seize ou vingt jours, et qu’ils ne périssent d’inanition qu’au bout de ce temps.

On a prétendu ensuite que la mort arrivait par suite de l’engorgement des poumons, qui survient très souvent à la suite de cette section, et qui amène alors une véritable asphyxie ; mais cet engorgement manque très fréquemment. Il a lieu surtout quand on opère sur de jeunes animaux ; mais chez les vieux mammifères et chez les oiseaux, on ne trouve jamais les poumons altérés, et le sang est vermeil dans les artères comme à l’ordinaire.

On a dit encore que la mort arrivait par le cœur, qui reçoit aussi des filets des pneumo-gastriques ; mais les mouvements du cœur ne sont pas interrompus un seul instant, ils se continuent jusqu’à la mort et sont même plus rapides. Ainsi, toutes ces explications sont insuffisantes, et ce qui me paraît le plus probable, c’est que la mort survienne par suite de la cessation des fonctions du foie, qui ne sécrète plus alors une matière indispensable aux phénomènes de nutrition des organes. Le sucre qui était formé au moment de l’opération s’épuise rapidement, et la vie s’éteint quand il n’y en a plus.

C’est peut-être pour suppléer à l’absence du sucre, qui ne se produit plus dès que la fièvre survient chez les malades, qu’on leur donne, et qu’ils prennent avec plaisir et par instinct, des tisanes sucrées.

Maintenant, Messieurs, nous sommes arrivés à la fin de l’histoire physiologique de la formation du sucre dans l’organisme animal, et vous voyez combien de phénomènes intéressants nous ont dévoilés ces études, combien de questions nouvelles ont soulevées ces recherches, qui, il y a quelques années, étaient entièrement ignorées ; elles ouvrent aujourd’hui un champ qui s’élargit chaque jour de plus en plus devant l’expérimentation.

Nous ne prétendons pas avoir tout dit sur cette question ; nous avons, au contraire, indiqué avec soin les desiderata de la science, en vous disant nettement ce qu’il y avait d’acquis et ce qu’il y avait à faire dans cette même direction.

Actuellement, il est temps que nous abordions l’examen comparatif des connaissances que nous a fournies la physiologie, avec les phénomènes pathologiques que nous avons eu pour but d’éclairer par elle, ce qui est le but final de notre cours. Mais avant de clore cette partie purement physiologique, nous avons quelques expériences qui sont restées en arrière et dont nous allons vous rendre compte.

La première est celle par laquelle nous devons démontrer que la section des pneumo-gastriques produit des effets différents sur la sécrétion du sucre, suivant qu’on l’opère à différentes hauteurs. Nous avons prouvé que la section de ce nerf opérée dans la région cervicale fait disparaître constamment le sucre dans le tissu du foie ; nous voulons vous montrer actuellement que la section de ces nerfs au-dessous du poumon ne produit pas le même effet. Voici un animal que nous avons opéré depuis douze jours environ, et, certes, le sucre aurait bien eu le temps de disparaître, s’il n’avait pas continué à se former, puisque, comme vous le savez, vingt-quatre heures au plus suffisent pour le détruire. Du reste, cet animal n’a pas été complètement à jeun ; nous l’avons nourri avec des substances d’une digestion facile, telles que du bouillon. Car les pneumo-gastriques qui se rendent à l’estomac étant coupés, les sécrétions de cet organe sont, sinon suspendues, au moins dérangées, et l’estomac surtout est complétement paralysé du mouvement.

En un mot, la digestion stomacale seule est troublée par l’opération ; mais la digestion intestinale continue parfaitement, ce qui, pour le dire en passant, improuve le système dans lequel on a voulu que l’estomac, et surtout le pylore, fût le seul point du tube intestinal où se fît la digestion, idée qu’on pouvait soutenir peut-être dans le siècle dernier, mais qui n’est plus en rapport avec les faits actuels. Ce chien a été sacrifié ce matin. Les nerfs avaient été parfaitement coupés, comme vous pouvez le voir, sur l’animal mort, qu’on a préparé pour vous montrer le travail de cicatrisation qui a déjà commencé à s’opérer sur les bouts nerveux. Vous voyez, en effet, aux deux extrémités du nerf, de petits renflements comme des ganglions, qui indiquent le commencement du travail de réparation.

Il y a encore des aliments dans l’œsophage, ce qui prouve que la déglutition était rendue difficile. Les sécrétions stomacales ont continué à s’effectuer, ce qui n’aurait pas eu lieu si le pneumo-gastrique eût été coupé dans la région du cou ; mais les fibres musculaires de l’organe sont complétement paralysées.

Quant au foie, il contient toujours beaucoup de sucre. Voici, en effet, une décoction de son tissu qui donne, avec le réactif cupro-potassique, une réduction abondante et qui fermente activement. La section des pneumo-gastriques, qui, faite dans la région cervicale, arrêtait la production du sucre, ne l’empêche donc plus quand elle est opérée dans la poitrine entre le poumon et le foie.

Il s’agit d’une autre expérience dont nous vous avons promis le résultat. Celle-ci, nous ne l’avions jamais faite, elle nous est venue à la pensée, et nous vous avons associés aux éventualités de ses résultats afin que vous puissiez être initiés à la manière dont on fait les expériences de physiologie. Nous nous sommes guidé d’après deux idées, l’une que l’activité plus grande de la circulation pouvait favoriser ou exagérer la formation du sucre dans le foie, l’autre que l’on pouvait obtenir cette exagération de la circulation par la section des filets du grand sympathique, comme vous avez vu cet effet se produire dans la tête après la section du filet cervical du grand sympathique.

Maintenant il y avait dans cette expérience une infinité de difficultés de tout genre que vous allez comprendre sans peine. D’abord, difficulté matérielle d’aller couper profondément, à l’entrée du foie, des nerfs qui se trouvent entourés de la veine porte, des artères hépatiques, des vaisseaux lymphatiques et du canal cholédoque, toutes choses qu’il fallait ménager ; en second lieu, l’incertitude de savoir si nous produirions le résultat que nous voulions obtenir. Et l’insuccès pouvait dépendre de deux causes, soit que l’activité de la circulation ne fût pas augmentée, car toutes les parties du système sympathique ne produisent pas cette exagération de calorification que nous vous avons montrée pour la portion cervicale de ce nerf. La section de la partie thoracique du grand sympathique ne produit aucunement les mêmes effets, sans que nous connaissions la cause de cette différence. D’autre part, nous pouvions produire une activité de circulation telle, qu’une inflammation en fût la conséquence, et qu’alors, au lieu d’obtenir une exagération physiologique de la fonction du foie, nous n’eussions produit qu’une péritonite et une hépatite amenant en même temps l’abolition du sucre.

Vous voyez donc, Messieurs, par ces exemples, que nous pourrions multiplier à l’infini, de combien d’incertitudes on se trouve entouré quand on veut instituer une expérience et en prévoir les résultats. Les inconnues sont si nombreuses, qu’on ne peut jamais être certain de ce que l’expérience donnera.

Il arrive, par conséquent, très souvent qu’on fait des expériences qui ne fournissent aucun résultat satisfaisant pour le but qu’on se propose. Seulement il est bien entendu que, lorsqu’on publie un travail, on doit éviter, pour la clarté du sujet, de faire connaître ces tâtonnements inutiles. Mais cela présente alors, à l’esprit de celui qui ne fait que lire, la physiologie comme une science facile dans laquelle toutes les expériences réussissent, ce qui est loin d’être vrai dans la pratique. C’est ici le lieu de vous initier à ces difficultés dont il est important que vous ayez une idée exacte pour bien comprendre les complications du sujet, et ne pas vous décourager quand vous voudrez l’aborder plus tard.

Ici, par exemple, contrairement à nos prévisions, nous n’avons produit ni diabète ni péritonite ; l’animal paraît être en pleine santé comme avant l’opération, et nous le garderons en cet état pour en faire plus tard l’autopsie.

Messieurs, la fin du semestre nous oblige prochainement à terminer ce cours. Il ne nous reste plus que quatre leçons. Les deux prochaines seront consacrées à l’examen des symptômes pathologiques du diabète sucré et à leur explication au moyen du rapprochement des faits physiologiques. Les deux dernières séances seront consacrées à un résumé général et à une revue de toutes les discussions dont la fonction glycogénique du foie a été l’objet depuis sa découverte, soit en France, soit à l’étranger.

Nous ne laisserons de côté aucun des arguments pour ou contre ; nous les résumerons devant vous de la manière la plus complète et de façon que vous ayez l’état actuel de la question, et que vous ne sortiez d’ici qu’avec l’esprit bien fixé sur les faits, sur la valeur des arguments qui ont été employés de part et d’autre dans la discussion.

Vingt-deuxième leçon
13 mars 1855.

SOMMAIRE : Application de la physiologie à la pathologie du diabète. — Pathologie comparée. — Cas de diabète signalés chez les animaux. — Organes malades dans cette affection. — Hypertrophie des reins. — Hypertrophie des membranes de l’estomac. — De l’état du foie dans le diabète. — Atrophie du pancréas. — Présence du sucre dans tous les organes chez les diabétiques morts subitement. — Désordres nerveux. — Les matières féculentes et saccharoïdes ne sont-elles pas des excitants du foie ? — Réaction d’autres organes sur le foie.

Messieurs,

Nous devons actuellement nous servir des lumières que nous a fournies jusqu’ici la physiologie pour éclairer autant que possible les phénomènes de la maladie connue sous le nom de diabète. C’est toujours ainsi qu’il faut procéder, des sciences les plus simples aux plus compliquées, et sous ce rapport, quoique la physiologie étudie des phénomènes excessivement complexes, ceux de la pathologie le sont encore bien davantage ; mais quand les premiers sont suffisamment connus, il devient très facile d’y rattacher les seconds.

Nous devrions d’abord chercher si la pathologie comparée peut nous fournir des matériaux, car c’est toujours une circonstance très heureuse pour l’étude d’une maladie, qu’elle soit commune à l’homme et aux animaux. On peut faire alors sur ces derniers des études expérimentales qui, seules, sont susceptibles de conduire rapidement à la détermination des rapports entre les symptômes et les lésions qui se présentent dans un cas morbide. Quand on ne peut faire de telles études que sur l’homme, la difficulté des observations, la rareté des cas, l’impossibilité des autopsies dans toutes les circonstances et à différentes époques de la maladie, rendent nécessairement beaucoup plus lente la solution du problème. C’est grâce à cette excursion dans le champ de la pathologie comparée, dont le domaine a été considérablement agrandi en France par M. Rayer, qu’on doit de connaître si bien aujourd’hui l’histoire pathologique comparée de certaines maladies.

Relativement au diabète, la pathologie comparée ne peut rien nous fournir. Les vétérinaires signalent à la vérité un diabète assez fréquent chez les chevaux, se manifestant surtout après l’ingestion de certaines substances, telles que la luzerne fraîche, par exemple. Mais le diabète en question n’est qu’une simple polyurie ; les chevaux rendent alors de très grandes quantités d’urines, qui sont souvent claires, au lieu d’être jumenteuses comme à l’ordinaire. Mais l’analyse chimique n’y a jamais démontré la présence du sucre. Il s’agirait donc là de ce qu’on appelle le diabète non sucré ; mais vous savez qu’on ne donne plus aujourd’hui ce nom à l’accroissement pur et simple de la quantité des urines.

M. le docteur Jessen, directeur de l’école de médecine vétérinaire de Dorpat, dit qu’on rend les chevaux réellement diabétiques, c’est-à-dire glycosuriques, en leur faisant manger de l’avoine altérée par l’humidité. Dans tous les cas, il ne s’agirait ici que d’un symptôme tout à fait temporaire et en rapport avec une alimentation spéciale ; nous savons qu’on pourrait, à la rigueur, produire le même effet, en ingérant de grandes quantités de matières sucrées dans l’intestin.

Je ne connais qu’un seul cas de diabète persistant qui ait été observé sur un chien par M. Leblanc, vétérinaire à Paris ; mais on n’a pas fait d’expériences bien détaillées, et le cas de cette observation doit être considéré comme un fait très rare.

Jusqu’à présent nous n’avons pas pu réussir physiologiquement à produire un diabète continu. La piqûre rend les lapins diabétiques, mais quelquefois seulement pendant une heure, si elle est légère ; si elle est plus profonde, l’effet peut durer pendant cinq ou six heures, ce qui est le cas le plus commun ; rarement le diabète dure plus de vingt-quatre heures. Chez des chiens, j’ai observé des diabètes qui duraient plus longtemps, et dans un cas, entre autres, j’ai gardé un chien diabétique pendant sept jours.

Il résulte donc de tout cela que le diabète sucré, tel qu’il se présente chez l’homme, avec sa gravité, est une maladie dont sont exempts les animaux, et qui n’appartient spécialement qu’à notre espèce, sur laquelle nous sommes réduits, par conséquent, à faire nos études.

La première question qu’on se pose quand il s’agit d’une maladie, c’est de se demander quel est l’organe malade. C’est un besoin de notre esprit de se reposer sur quelque chose de précis ; sans oublier que souvent ces lésions peuvent nous échapper, parce qu’elles ne sont pas sensibles à nos moyens actuels d’investigation, et qu’elles peuvent souvent exister comme conséquence localisée de maladies plus ou moins générales ; et sans oublier enfin que, même dans une lésion locale, il y a toujours une harmonie entre tous les organes, de telle façon qu’une altération retentit plus ou moins loin sur les fonctions voisines.

On a placé le diabète dans beaucoup d’organes, on en a fait tour à tour une maladie des reins, une maladie de l’estomac, une maladie du sang, etc. ; et il y avait sans aucun doute des raisons pour étayer quelques-unes de ces opinions.

Ainsi, en ce qui concerne les reins, il est évident que chez les diabétiques en général, particulièrement lorsque le diabète a duré longtemps, ces organes sont hypertrophiés. M. Rayer a déjà signalé ce fait depuis longtemps, et je l’ai retrouvé chez un diabétique mort dans son service d’apoplexie pulmonaire, et dont j’ai fait l’autopsie. Les reins étaient plus volumineux ; le droit, bien dépouillé de sa capsule et de ses vaisseaux, pesait 240 grammes ; le gauche, 250 grammes. Cette différence entre les deux reins existe généralement ; mais les poids que nous venons de donner sont bien plus forts que ceux que l’on rencontre dans l’état normal. Huschke donné 111 grammes pour poids du rein gauche, et 108 pour le rein droit. M. Rayer indique, dans son ouvrage sur les maladies des reins, aussi 100 à 125 grammes comme poids ordinaire du rein. La substance des reins paraît du reste plus vasculaire et comme hypertrophiée, ce qui s’explique jusqu’à un certain point par l’excès de la fonction excrétoire de l’urine chez les diabétiques qui offrent en même temps une évacuation considérable de ce liquide ; et ce qui prouve cette proposition, c’est que dans les polyuries simples, sans apparition du sucre, il y a également une hypertrophie des reins sans altération du tissu. Chez les diabétiques qui ne sont pas polyuriques, cette augmentation de volume des reins n’a pas lieu. Quand on enlève un rein, opération qui se fait facilement chez un chien, et dont l’animal se rétablit parfaitement, on sait que l’autre s’hypertrophie, de sorte qu’on voit que l’hypertrophie coïncide avec une augmentation de l’action excrétoire. On ne peut donc pas attribuer au sucre une influence particulière sur le rein, et admettre que cet organe élimine le sucre, parce qu’il est malade ; on sait d’ailleurs que, à l’état de santé, le rein laisse parfaitement passer le sucre, pourvu qu’il y en ait une assez grande quantité dans le fluide sanguin. Bien que je n’admette pas que généralement le sucre puisse avoir une action irritante nuisible sur le rein, cependant je dois dire que souvent, quand on fait des injections sucrées dans les veines des animaux, les reins finissent par devenir malades. Je présentai, il y a trois ans, à la Société de biologie, les reins d’un lapin qui avait subi des injections sucrées dans les veines pendant un certain nombre de jours, et chez lequel le rein par conséquent avait dû éliminer l’excès de sucre injecté. Ces organes présentaient évidemment des traces d’inflammation, et dans le rein gauche il y avait des abcès, dont un était assez considérable. J’ai observé des faits analogues après l’injection des substances autres que le sucre, et peut-être même ces résultats se présenteraient-ils après des injections d’eau pure répétées longtemps.

Pour justifier l’opinion d’une maladie de l’estomac, on a signalé chez les diabétiques ; une hypertrophie des membranes de ce viscère. J’ai également constaté, à l’autopsie de diabétiques qui avaient eu un appétit très considérable, que les parois de l’estomac étaient plus épaisses qu’à l’état normal. Mais il y avait, dans les cas que j’ai observés, hypertrophie pure et simple sans altération organique. Les fibres musculaires de l’estomac se voyaient parfaitement ; la membrane muqueuse avait des villosités plus visibles qu’à l’ordinaire. Cette hypertrophie dépend de l’excitation du système digestif des diabétiques, dont on sait que toutes les fonctions nutritives sont singulièrement activées.

Chez les malades qui n’ont pas l’appétit exagéré, et cela se rencontre assez souvent, on ne trouve généralement pas alors cette hypertrophie des membranes de l’estomac, tandis qu’on l’observe aussi dans les cas de polydipsie pure et simple dans lesquels il existe souvent, comme on le sait, un appétit vorace.

On a dit que les diabétiques sécrétaient dans leur estomac une diastase particulière, mais on a retrouvé cette matière dans la salive, qui peut être avalée. Je me borne donc à vous signaler cette opinion, qui est de M. Bouchardat.

Quant aux altérations du sang qu’on a supposées coïncider avec le diabète, à savoir, son acidité ou plutôt son défaut d’alcalinité, jamais aucune observation ne l’a confirmé, et c’est là une pure hypothèse.

Maintenant, Messieurs, que la fonction glycogénique se trouve parfaitement établie, nous sommes conduits tout naturellement à localiser le diabète dans le foie. Mais alors quelle sera l’altération de cet organe qui correspondra au diabète ? D’après tout ce que nous avons dit du mécanisme physiologique de la maladie, l’altération fonctionnelle qui doit y correspondre est évidemment une exagération de la formation du sucre qui coïncide très souvent, comme nous l’avons dit, avec une exagération des facultés digestives et de l’excrétion urinaire.

Mais comment comprendre cette exagération fonctionnelle du foie au point de vue du sucre ? D’une part, par l’augmentation du volume de l’organe, qui se présente très gorgé de sang, et d’autre part, par la quantité plus considérable de sucre que présente son tissu.

Nous sommes porté à penser que chez les diabétiques l’état du foie doit être ainsi, et quand on peut observer cet organe dans des conditions favorables, on y trouve les caractères que nous venons d’indiquer. C’est ainsi que chez un diabétique mort presque subitement, dans le service de M. Rayer, d’une apoplexie pulmonaire, j’ai trouvé le foie très volumineux et son tissu très abondamment chargé de matière sucrée. Voici les chiffres que nous avons obtenus à ce sujet, et que nous avons mis en regard avec les résultats obtenus sur l’homme sain.

On voit par ce tableau que la quantité de sucre produit par un poids égal de tissu hépatique ne diffère pas beaucoup chez le diabétique et chez l’individu sain ; c’est au point de vue de la masse des parties sécrétantes qu’il y a des différences qui sont ici comme 1 est à 2, et l’on voit les quantités de sucre produit proportionnelles à cette masse.

Mais il arrive souvent que les diabétiques meurent lentement ; ordinairement la maladie se termine par la phtisie, qui, lorsqu’elle est parvenue à sa dernière période, suffit pour faire disparaître les symptômes du diabète ; les urines, devenues moins abondantes, ne contiennent plus de sucre, l’appétit alors diminue, la fièvre hectique s’allume, etc. Le malade n’est plus diabétique ; aussi quand on vient, dans ces conditions, à faire son autopsie, le foie ne contient plus de sucre, et ne présente pas non plus de traces d’hypertrophie. J’ai fait un certain nombre d’autopsies de malades morts dans cet état, et le foie, comme dans la plupart des cadavres, ne présentait pas de sucre, et il n’y avait pas de différence sensible entre cette autopsie et celle d’un phtisique ordinaire. C’est là ce qui se présente quand la phtisie est lente ; mais j’ai vu un cas de phtisie aiguë, où une malade diabétique est morte, présentant encore du sucre dans l’urine et dans le foie.

Je signalerai en passant deux cas d’autopsie de diabétiques dans lesquels j’ai trouvé le pancréas excessivement petit et très atrophié, sans pourtant présenter d’autres altérations que cette diminution de volume. Cette atrophie du pancréas coïnciderait-elle avec un symptôme signalé par certains auteurs, savoir, la présence des matières grasses dans les selles des diabétiques ? Dans les cas dont il est ici question, l’attention n’avait pas été dirigée vers le symptôme pendant la vie des malades.

Indépendamment de la présence du sucre dans le foie, il faut encore signaler l’existence de cette matière en très grande quantité dans tout le sang. C’est là un fait qui est bien connu aujourd’hui, et bien souvent j’ai eu l’occasion de vérifier, dans le service de M. Rayer, que le sérum du sang d’un diabétique, qui est alcalin comme le sérum ordinaire, réduit très abondamment par le liquide cupro-potassique, tandis que le sérum des autres malades, traité de la même manière, ne donne pas de réduction. Du reste, lorsque le sang des diabétiques est abandonné à lui-même, le sucre finit par disparaître, ce qui prouve qu’il n’y a rien qui empêche le sucre de s’y détruire.

On trouve également du sucre dans le sang des diabétiques qui sont morts subitement en présentant le symptôme des urines sucrées.

Quand on vient à faire l’autopsie d’un diabétique, mort subitement, vingt-quatre ou trente-six heures après le décès, on trouvera du sang sucré dans tous les organes et dans tous les tissus, et vous le comprendrez facilement, car le sang d’un diabétique étant chargé de sucre, l’infiltration qui survient après la mort imprègne de cette matière toutes les parties du corps. C’est un phénomène purement cadavérique, et qui d’ailleurs peut être reproduit directement avec facilité. Si l’on prend, par exemple, deux lapins et qu’on les rende tous deux diabétiques, et que, au moment de la plus grande intensité du phénomène qu’a produit la piqûre de la moelle allongée, on les sacrifie tous deux, l’un par hémorragie, l’autre par strangulation, et qu’on les abandonne tous deux jusqu’au lendemain dans les mêmes conditions, on verra que celui qui a perdu tout son sang ne présente plus dans ces organes la moindre trace de sucre, tandis que les tissus de l’animal tué par strangulation sont imbibés de sucre.

Nous avons déjà signalé quelque chose de semblable à propos de la bile. Vous savez qu’on avait été induit en erreur quand on a émis l’opinion que la bile était sucrée, parce qu’on avait rencontré du sucre dans la bile des cadavres dont on faisait l’autopsie vingt-quatre heures après la mort. Vous savez que c’est là un simple effet d’endosmose qui n’a jamais lieu pendant la vie, où jamais on ne trouve de sucre dans le liquide biliaire de la vésicule.

De même chez les diabétiques, pendant la vie, le sang seul est sucré ; les tissus, excepté celui du foie, ne le sont jamais ; mais, après la mort, en vertu de son pouvoir endosmotique considérable, le sucre s’infiltre dans tout l’organisme.

Le cervelet, et en particulier les parties qui sont voisines du confluent postérieur, du liquide céphalorachidien, constamment sucré, même à l’état normal, paraissent présenter une plus grande proportion de sucre que le reste de l’encéphale, ce qui s’explique par l’infiltration cadavérique du liquide céphalorachidien, très sucré chez les diabétiques.

Ainsi, il est très bien établi, par des autopsies faites dans des conditions convenables, que chez les diabétiques il y a plus de sucre que dans l’état ordinaire ; que ce sucre est répandu par tout l’organisme, et que cela tient à ce que le foie ayant augmenté de volume, la quantité de sa sécrétion sucrée se trouve par là même considérablement augmentée.

C’est donc le foie qui est l’organe affecté ; mais, où est la lésion qui produit cette exagération de la fonction glycogénique ? Évidemment cette cause peut siéger dans le tissu hépatique lui-même, mais elle peut également lui être extérieure et déterminer l’exagération morbide de la sécrétion glycogénique, par des actions portées sur des organes qui réagissent d’une manière réflexe sur le foie lui-même, sans que l’individu en ait conscience ; ces phénomènes pathologiques sont produits par des troubles des centres nerveux. On peut comprendre que les fonctions organiques puissent se trouver perverties, par l’influence nerveuse, au même titre que les fonctions de la vie de relation, comme cela a lieu, par exemple, dans l’épilepsie, la chorée, etc. On remarque, en effet, que la plupart des diabétiques présentent généralement quelques désordres émanant du centre cérébro-spinal.

Dans l’harmonie générale des fonctions de l’individu, le foie se trouve lié aux autres organes, de telle sorte que l’un de ces derniers recevant une excitation, celle-ci se transmet au foie par une action réflexe, dont nous n’avons pas conscience, mais qui cependant se trouve démontrée par des faits physiologiques. Vous vous rappelez, en effet, qu’en agissant au moyen du galvanisme sur le bout central pneumo-gastrique, coupé dans la région du cou, nous déterminons une suractivité dans la fonction glycogénique, qui fait apparaître le sucre dans les urines.

Or, dans ces actions sympathiques, il peut se présenter deux cas qui deviendront deux causes de diabète : ou bien les organes qui sont en connexité d’action avec le foie reçoivent des impressions plus vives et les transmettent à l’organe hépatique ; ou bien les excitations venues du dehors restant les mêmes, le foie est devenu plus excitable et sécrète davantage.

Dans le dernier cas, on comprendra que les aliments absorbés dans l’intestin et charriés par la veine porte, réagissent d’une manière plus énergique sur l’organe devenu plus irritable, et produisent ainsi le diabète.

Nous vous avons dit, en effet, que l’on faisait apparaître le sucre dans l’urine des animaux en leur injectant dans la veine porte de l’ammoniaque ou de l’éther.

On comprend qu’un liquide plus excitant, ou un foie plus excitable puisse déterminer les mêmes effets.

Il resterait à savoir si la matière sucrée ne serait pas, dans les cas de diabète, un excitant du foie, car on s’aperçoit que chez les malades, pour peu qu’on leur donne des matières féculentes ou saccharoïdes, les urines présentent aussitôt de grandes quantités de sucre qui ne sont nullement en proportion avec la quantité de cette même matière qui a pu être introduite dans l’intestin.

Dans d’autres cas, sans que le foie lui-même soit malade, l’excitation peut encore venir d’un autre organe et être transmise par action réflexe.

Quand on porte, par exemple, une irritation sur le poumon, dont les fonctions sont liées d’une manière si intime avec celles du foie, on détermine une plus grande sécrétion du sucre, qui peut alors passer dans les urines, ainsi que cela a lieu sous l’influence des vapeurs qui excitent le poumon. Ici l’irritation agit sur les extrémités nerveuses des filets du pneumo-gastrique, qui existent dans le poumon, de la même manière que le galvanisme agit quand on excite directement le bout central du même nerf, coupé dans la région du cou.

Et ce qui tend encore à prouver qu’il en est ainsi, c’est que, si après cette section du même nerf, on fait respirer à l’animal les mêmes vapeurs irritantes qui tout à l’heure produisaient le diabète, on n’obtient plus rien de semblable, parce que l’impression portée sur le poumon n’arrive plus aux centres nerveux.

Il pourrait donc se faire que le poumon fût plus excitable, et que l’action de l’air produisît sur lui une impression plus vive qu’à l’état normal ; dès lors le foie serait aussi plus vivement excité. On sait, en effet, que les diabétiques meurent presque tous de phtisie pulmonaire. Cette affection a-t-elle précédé celle du foie ou en est-elle une conséquence, c’est ce qu’il serait difficile de déterminer.

Pour produire le diabète, il y aurait donc deux ordres de lésions, les unes intérieures au foie, les autres qui lui sont extérieures. De sorte que, lorsqu’on veut localiser la maladie, il faut savoir qu’on peut en trouver le point de départ dans une infinité de parties de l’organisme, et l’on voit aussi combien un problème pathologique est compliqué, mais combien aussi il est susceptible de s’éclairer par les données physiologiques.

Vingt-troisième leçon
17 mars 1855.

SOMMAIRE : Symptômes du diabète. — C’est une maladie apyrétique. — Caractères des urines. — Sucre. — Sucre de lait dans l’urine d’une femme récemment accouchée. — La présence du sucre dans l’urine suffit-elle pour caractériser le diabète ? — Présence passagère du sucre dans les urines. — Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants. — Continus. — De l’urée dans l’urine des diabétiques. — Acide urique. — Albumine. — Quantité des urines dans le diabète. — Leur rapport avec les boissons ingérées. — Observation. — Boulimie et polydipsie. — Absence de la sueur. — Théorie à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant le diabète. — Influence des féculents sur le diabète. — Influence des médicaments énergiques sur les symptômes du diabète.

Messieurs,

Nous ne pouvons qu’esquisser très largement les caractères du diabète, parce que le temps nous presse.

Dans la dernière séance, nous avons jeté un coup d’œil rapide sur le siège anatomo-pathologique de cette affection. Aujourd’hui nous allons en examiner les manifestations extérieures, c’est-à-dire les symptômes.

Nous devons d’abord remarquer que le caractère essentiel du diabète, c’est d’être une maladie ne ressemblant en rien aux maladies aiguës ou fièvres continues qui entraînent après elle l’abolition des fonctions digestives ou nutritives, et obligent les malades à rester dans leur lit, etc. Le diabète, au contraire, est ce qu’on appelle une maladie apyrétique. Cette affection, loin d’entraîner une diminution ou une abolition des facultés digestives, coïncide plutôt, au contraire, avec une exagération de ces mêmes fonctions : la faim, la soif, sont souvent considérablement augmentées, les digestions très actives, et cependant, à côté de cette suractivité des propriétés digestives, nous voyons les individus maigrir rapidement et arriver à un état de marasme qui est même un des caractères de la maladie. Ceci prouve qu’il y a une perversion dans un des points des facultés nutritives. Les aliments, quoique parfaitement digérés et absorbés, ne remplissent pas leurs usages ordinaires de restaurer l’individu, et, malgré cette alimentation surabondante, l’organisme s’affaiblit, soit que l’on considère que l’action morbide agisse mécaniquement en donnant lieu à des pertes exagérées qui ne peuvent se réparer suffisamment, soit qu’on considère l’action morbide comme un dérangement chimique qui rend les aliments digérés impropres à l’assimilation.

Quoi qu’il en soit, nous allons passer rapidement en revue les différents symptômes du diabète, et voir leur relation avec les phénomènes normaux de la fonction glycogénique.

Examinons d’abord le symptôme le plus saillant et celui qui est regardé comme le principal caractère. Je veux parler de l’examen des urines.

La modification essentielle et pathognomonique des urines des diabétiques, c’est la présence d’un sucre analogue au glucose, ayant la propriété, comme vous savez, de dévier à droite le rayon polarisé, de brunir par la potasse, de réduire les sels de cuivre, de fermenter en donnant de l’acide carbonique et de l’alcool. On ne trouve jamais dans les urines une autre espèce de sucre, quand même ce principe y arriverait accidentellement par une ingestion considérable de matières sucrées. Quand les diabétiques, par exemple, prennent du sucre de canne, ils rendent toujours du sucre de diabète, et jamais du sucre de première espèce en nature.

Quand un homme bien portant ou un animal ingèrent, étant à jeun, une quantité considérable de sucre de canne, il arrive souvent, comme nous vous l’avons dit déjà, qu’une certaine quantité de sucre peut passer dans les urines ; mais on le trouve toujours à l’état de glucose, ce qui tient sans aucun doute à une transformation qu’il a dû subir en traversant le foie.

Cependant, quand le sucre est ingéré en aussi grande quantité, et surtout dans une liqueur très concentrée, il peut arriver, ainsi que cela a été dit ailleurs, qu’il y ait une endosmose directe entre l’intestin et la vessie, à travers les parois de ces organes, sans que le sucre, dans cette circonstance, soit changé de nature. C’est sans doute à des phénomènes de ce genre que sont dus les résultats obtenus par Schmidt, qui dit avoir trouvé à la fois du sucre de canne et du sucre de raisin dans l’urine des chats, dans l’estomac desquels il avait ingéré une solution concentrée de sucre de canne. Il peut se produire dans ces cas quelque chose d’analogue à ce qui a lieu quand on injecte dans l’estomac d’un animal mort une dissolution concentrée de sucre de canne : au bout d’un certain temps on en retrouve dans la vessie.

Dans un cas, en examinant l’urine d’une femme qui avait présenté pendant l’accouchement des phénomènes d’éclampsie, et qui avait en même temps de l’albumine dans les urines, j’ai trouvé des proportions assez considérables de sucre, qui me parut être du sucre de lait, parce que ce sucre présentait tous les caractères du glucose, sauf la fermentation qui fut excessivement lente. La présence de ce sucre de lait pouvait, jusqu’à un certain point, s’expliquer, parce que cette femme, nouvellement accouchée et n’allaitant pas son enfant, avait les mamelles distendues par le lait. C’est le seul cas de ce genre que j’aie eu l’occasion d’observer, et il serait intéressant de savoir si le sucre de lait, dans ces circonstances, se rencontre toujours ou souvent dans les urines.

On voit donc par cela que les urines des diabétiques sont caractérisées par une espèce de sucre bien déterminé, tout à fait analogue au sucre de fécule, et que la présence du sucre de canne et du sucre de lait, dans les urines, ne peut être due qu’à des circonstances tout à fait exceptionnelles et qui ne constituent jamais un cas de diabète.

Mais la présence dans l’urine du sucre de diabète analogue à celui du foie est-elle suffisante pour caractériser le diabète, et est-on diabétique par ce seul fait qu’on a trouvé du sucre dans l’urine ? La définition de la maladie ne saurait être aussi exclusive, car nous avons vu qu’il peut accidentellement, et d’une manière tout à fait temporaire, passer du sucre, dans le cas de certaines alimentations, et nous pouvons dire aussi que le sucre apparaît dans certaines circonstances sans que l’on soit diabétique. On a dit, par exemple, que le sucre passait dans les urines chez les épileptiques pendant l’accès ; ce fait, qui n’a pas été confirmé par tous les observateurs, peut, suivant nous, s’expliquer par un trouble momentané du système nerveux qui ait pour effet, soit de chasser par les convulsions une plus grande quantité de sucre du foie, soit de produire cette apparition par un autre mécanisme ; mais, dans tous les cas, ce sont des quantités très faibles qui existent alors.

On a encore dit qu’il y avait du sucre dans l’urine des vieillards dans certains états pathologiques du poumon, ainsi que chez des vieillards atteints de gangrène sénile. On a même prétendu que les diabétiques pouvaient être plus facilement atteints de gangrène, ce que je n’ai jamais observé, etc.

Il peut se faire que dans un certain nombre de circonstances qui sont encore à déterminer, car il y a dissidence entre les observateurs à ce sujet, le sucre se manifeste dans les urines d’une manière passagère. Mais, dans tous ces cas, la matière sucrée est en très faible quantité, et nous pensons qu’on ne peut pas les ranger sous la catégorie de diabète dans lequel, non seulement le sucre est beaucoup plus abondant, mais se présente accompagné d’autres phénomènes. Il y a ici à faire pour le diabète la distinction que M. Rayer a établie depuis longtemps pour la maladie de Bright12, à savoir, que l’albumine qui caractérise spécialement les urines dans cette affection se rencontre dans beaucoup d’autres cas qu’on ne saurait considérer comme des cas d’albuminurie.

Il en est de même du sucre qui, bien qu’il caractérise le diabète, peut se rencontrer dans d’autres cas qui ne doivent pas pour cela être rapportés à cette affection.

Nous avons dit aussi que la présence du sucre, en certaine quantité et d’une manière durable, était un des caractères du diabète ; cependant nous devons nous rappeler qu’il y a des diabètes intermittents dans lesquels le sucre n’apparaît qu’au moment de la digestion pour disparaître dans l’intervalle de deux repas, mais qui finissent souvent par aboutir au diabète continu. Nous devons savoir aussi qu’il y a ce qu’on appelle des diabètes aigus, c’est-à-dire des diabètes dans lesquels le sucre apparaît subitement et avec intensité dans les urines, le plus ordinairement sous l’influence d’une cause morale, et disparaît ensuite rapidement sous l’influence d’un traitement quelconque. Nous devons savoir encore reconnaître ce qu’on pourrait appeler des diabètes alternants, c’est-à-dire des diabètes se succédant par accès avec les symptômes d’une autre maladie, et, particulièrement, avec des accès de goutte ou de rhumatisme. On voit quelquefois des malades goutteux, dont les urines contiennent beaucoup d’acide urique, présenter tout à coup le symptôme des diabétiques, et les urines se charger de sucre, c’est-à-dire la goutte se changer en un accès de diabète. M. Rayer cite un certain nombre de ces cas, et moi-même j’en connais un qui est très caractérisé.

Enfin, on a encore parlé des diabètes périodiques, c’est-à-dire dans lesquels la maladie ne se manifeste que par périodes distinctes, apparaissant de loin en loin.

Peut-être pourrait-on encore admettre d’autres formes de diabètes ; mais de toutes, la plus grave est, sans contredit, le diabète continu. Dans tous ces cas, la quantité de sucre est bien plus considérable au moment où la digestion est dans toute son activité, c’est-à-dire environ quatre ou cinq heures après un repas, ce qui est parfaitement d’accord avec les données physiologiques.

En même temps que les urines des diabétiques présentent du sucre, elles offrent encore d’autres caractères soit dans leur quantité, soit dans quelques-uns de leurs principes constituants ; c’est ce que nous allons examiner successivement.

On a dit que les urines des diabétiques ne contenaient pas d’urée, et l’on en a conclu que, chez les diabétiques, cette substance ne se formait plus. Schmidt, en particulier, se basant sur cette idée, émet l’hypothèse que les matériaux de l’urée peuvent servir à faire le sucre, et que la quantité de sucre produite serait d’autant plus grande que la quantité d’urée serait moindre. Mac Gregor prétend, au contraire, que les diabétiques ont beaucoup plus d’urée que les hommes en état de santé, parce que, dit-il, si l’on trouve moins d’urée dans un litre d’urine d’un diabétique que dans un litre d’urine d’un homme sain, cela tient à ce que l’urine des diabétiques est beaucoup plus diluée ; mais si l’on rassemble toutes les urines pendant vingt-quatre heures, on reconnaît que la quantité totale d’urée est plus considérable que dans l’état normal.

Cependant, aux observations de Mac Gregor, on peut opposer celle de Lehmann, qui a trouvé que, même en prenant l’urine de vingt-quatre heures, la quantité de l’urée est moindre chez les diabétiques. C’est encore sur cette diminution de l’urée, observée, d’ailleurs, depuis très longtemps, que serait fondé le traitement de Nicolas et Gueudeville, dans lequel on donnait de l’ammoniaque. C’est sur cette même croyance que MM. Vauquelin et Ségalas ont eu l’idée de faire prendre de l’urée aux diabétiques pour en faire revenir dans les urines ; mais l’expérience ne répondit pas à leur prévision, et chez les diabétiques qui prenaient des quantités considérables d’urée, on n’en trouva pas davantage dans les urines : ce qui tient à ce que l’urée dans l’estomac se transforme en sels ammoniacaux, et que les malades en question, au lieu d’absorber de l’urée, ne prenaient, en réalité, que du carbonate d’ammoniaque. La même transformation de l’urée a lieu quand elle est excrétée par les voies digestives. Ainsi, sur les chiens qui ont eu les reins enlevés, l’urée sort du sang pendant le premier jour après l’opération, à l’état de carbonate d’ammoniaque.

L’acide urique se rencontre rarement aussi dans les urines des diabétiques, et l’on a même cru que la présence du sucre était incompatible avec cette matière. Mais il n’en est rien ; car, s’il arrive quelquefois qu’on ne rencontre pas d’acide urique, on en trouve d’autres fois d’une manière très évidente, et même quelquefois en quantités suffisantes pour que cet acide forme des dépôts cristallins.

Du reste, en général, on doit dire que la matière sucrée n’exclut aucun autre des éléments de l’urine, et que, si l’urée et l’acide urique n’existent pas chez les diabétiques, où le sucre est en très grande proportion et les urines très abondantes, ces principes peuvent exister dans d’autres circonstances, surtout chez des diabétiques qui n’ont pas de polydipsie et qui ne rendent pas plus d’urine que dans l’état normal.

Enfin, il est encore une matière qu’on peut rencontrer dans l’urine des diabétiques, et à laquelle on a attribué une certaine importance : c’est l’albumine qui apparaît quelquefois pendant la dernière période de la maladie chez les diabétiques. MM. Thénard, et Dupuytren pensaient que c’était un symptôme favorable, parce que cela indiquait la réapparition des matières animales dans l’urine, qui sont généralement d’autant moins abondantes que le diabète est plus intense, et qui reparaissent successivement à mesure que le sucre diminue. M. Rayer, croit, au contraire, d’après des résultats cliniques, que c’est toujours un symptôme fâcheux et grave pour le pronostic, lorsqu’on voit l’albumine apparaître dans les urines, la physiologie appuie cette dernière manière de voir, en ce que l’on produit quelquefois, comme nous l’avons dit, par la piqûre de la moelle allongée, l’apparition, dans l’urine, de l’albumine en même temps que celle du sucre. Or, ce dernier cas n’arrive que lorsque la lésion traumatique porte plus haut et produit des désordres plus graves, de sorte que les animaux meurent généralement de la lésion qui produit ces deux symptômes à la fois.

Enfin, nous terminerons ce que nous voulons dire sur les urines des diabétiques, en ajoutant que leur réaction est généralement acide, et que, lorsque cette urine est abandonnée à elle-même, il s’y développe spontanément des globules de ferment alcoolique ou levure de bière.

Nous devons actuellement nous arrêter sur la quantité des urines fournies par des diabétiques. On a dit depuis très longtemps que ces malades rendaient des quantités énormes d’urines. Nous savons que ce caractère n’est pas constant, car on peut trouver des diabétiques qui ne rendent pas plus d’urines qu’à l’état normal ; mais il n’en est pas moins vrai que la polydipsie est un symptôme grave et qui se rencontre fréquemment alliée au diabète. Seulement, on a prétendu qu’il y avait des diabétiques qui rendaient des quantités d’urine plus grandes que la quantité des boissons absorbées ; de sorte que, pour expliquer cet excès, il fallait invoquer des hypothèses, à savoir, que les diabétiques pouvaient absorber de la vapeur d’eau par les poumons ou par la peau, dont les fonctions seraient alors perverties ; qu’ils pouvaient fabriquer directement de l’eau avec l’oxygène de l’air ou l’hydrogène provenant de leurs aliments, etc.

Toutes ces hypothèses reposaient nécessairement sur l’exactitude du fait qu’elles voulaient expliquer ; mais, dernièrement, M. Nasse a avancé qu’aucun de ces faits ne paraissait être exact, car cet auteur, ayant voulu les vérifier, fut conduit à des résultats analogues d’abord, puis il reconnut bientôt une cause d’erreur venant de la part des malades, qui n’accusaient pas la moitié des boissons qu’ils prenaient.

Pour éviter cette source d’erreur, M. Nasse enferma les malades dans des appartements séparés, en leur donnant des boissons autant qu’ils en désiraient, mais sans qu’ils pussent s’en procurer autrement. Or dans ces cas, jamais cet auteur n’a observé qu’il y ait une quantité d’urine rendue excédant celle de l’eau contenue dans les boissons ou dans les aliments, de sorte qu’il faut renoncer tout à fait à admettre comme réel ce phénomène, ainsi que les hypothèses qui servaient à l’expliquer.

Nous allons passer aux phénomènes qui se rapportent aux fonctions digestives. On a signalé comme symptôme du diabète la boulimie, c’est-à-dire l’appétit exagéré, ainsi qu’une soif ardente. Ces phénomènes existent sans doute dans beaucoup de cas, et dans les plus graves, mais on ne saurait cependant regarder ces symptômes comme pathognomoniques de cette affection ; car, d’une part, on ne les trouve pas dans tous les cas de diabète, et, d’autre part, on les rencontre aussi dans d’autres maladies. Ainsi, dans la polydipsie, la boulimie et la soif ardente sont aussi fréquentes que dans le diabète proprement dit, et chez les diabétiques où la quantité d’urine émise n’est pas très considérable, la soif et l’appétit n’ont rien d’exagéré, de sorte que ces phénomènes seraient plutôt en rapport avec la quantité des excrétions qu’avec la présence ou l’absence du sucre dans les urines.

Du reste, on a toujours mis en rapport la soif des diabétiques avec la déperdition considérable de liquide par les voies urinaires, et la boulimie, la polydipsie, n’étaient que l’expression du besoin de réparation des matières solides et liquides incessamment rejetées.

On a cherché à expliquer l’expulsion considérable des urines par là-présence du sucre qui, ayant un pouvoir endosmotique considérable, peut traverser avec plus de facilité les parois des capillaires des reins. Sans entrer dans l’appréciation de cette explication, nous remarquerons qu’elle n’embrasse pas tous les faits, puisque nous retrouvons la même abondance d’urines dans la polydipsie simple. On a expliqué aussi cette exagération dans les phénomènes digestifs par une propriété d’absorption plus grande que dans l’état normal. Le fait est évident, mais sa cause n’est nullement connue.

On a encore parlé d’un autre symptôme fréquent chez les diabétiques, c’est l’absence de la sueur, et l’on a même fait à ce sujet des théories très singulières. On a supposé, par exemple, que la sueur étant arrêtée chez les diabétiques, l’acide qui, à l’état normal, constitue un des principes de cette sécrétion, restait dans le sang, devenu alors moins alcalin, et empêchait par là le sucre de se détruire. Cette hypothèse, qui ne repose sur aucune preuve directe, puisqu’on n’a jamais trouvé de sang moins alcalin chez les diabétiques, se base aussi sur un fait qui n’est pas constant ; car s’il y a beaucoup de malades dans lesquels la sueur est arrêtée, il y en a un grand nombre aussi dans lesquels ce phénomène n’a pas lieu. Toutefois l’apparition du diabète lui-même coïncide souvent avec un refroidissement à la suite duquel la transpiration est supprimée, et l’on a remarqué que la peau devient souvent rude et écailleuse. On a donné encore cette explication que l’acide de la sueur, se trouvant alors éliminé par l’estomac, devenait la cause d’une excitation d’où résultait un appétit exagéré.

Il n’y a pas lieu de discuter de pareilles suppositions.

Maintenant nous arrivons à un ordre de considérations qui se rapportent à un appareil dont le rôle est plus important dans la production du diabète, ce sont celles qui sont relatives au système nerveux. Jusqu’à présent on a peu insisté sur ces phénomènes. Nicolas et Gueudeville considèrent que le tempérament musculaire est une prédisposition au diabète ; mais cependant il paraît bien établi que ce sont les tempéraments nerveux qui sont plus disposés à ce genre d’affection. Depuis que l’attention a été portée de ce côté par les expériences que nous avons faites sur les animaux, on a fréquemment observé des troubles du système nerveux chez les diabétiques, et M. Rayer considère qu’il y a à peu près constamment des désordres nerveux chez ces malades. Seulement ces troubles sont excessivement variés, comme les manifestations elles-mêmes du système nerveux. Tantôt ce sont des désordres de sensibilité, de mouvement ou des phénomènes intellectuels, mais le plus souvent ces troubles portent sur les organes intérieurs ou sur les organes génitaux ; ces derniers sont souvent exaltés dans leur action au commencement de la maladie, mais, plus tard, à une période plus avancée, leurs facultés s’abolissent complètement. Il y a même souvent des troubles de la vue, et l’on a signalé la cataracte comme étant un symptôme accompagnant souvent le diabète.

L’affection diabétique peut être également en rapport avec des lésions directes du centre nerveux. C’est ainsi qu’on a fait une nouvelle espèce de diabète traumatique qui serait la conséquence de certaines lésions directes : ainsi on a observé, après des chutes, des commotions qui ont été suivies de diabète plus ou moins persistant.

Nous devons maintenant chercher à comprendre pourquoi le diabète est regardé comme une maladie grave ; autrefois on le considérait même comme complètement incurable. Aujourd’hui le pronostic est moins grave, ce qui tient sans doute à ce qu’on reconnait plus facilement le diabète à l’aide des caractères chimiques de l’urine, ce qui n’avait pas lieu autrefois, où l’on ne devait diagnostiquer ces affections que quand elles étaient arrivées au degré le plus intense.

Nous savons, d’autre part, que le signe réellement pathognomonique est l’émission du sucre par les urines en quantité considérable et d’une manière permanente coïncidant généralement avec des perturbations dans les fonctions du système nerveux. Car les autres symptômes, tels que la boulimie, n’offrent pas une gravité très grande, puisqu’on les trouve dans la polydipsie, dont le pronostic n’est pas très fâcheux. On rencontre également des troubles nerveux dans une foule d’autres cas peu sérieux, de sorte que, en réalité, il paraîtrait que c’est à la perturbation de la fonction glycogénique qu’il faut attribuer toute la gravité de la maladie. Comment l’altération de cette fonction glycogénique peut-elle avoir des conséquences si fâcheuses ?

Si nous consultons les lumières que nous fournit la physiologie sur ce point, nous nous rappellerons qu’il paraît y avoir dans le foie des diabétiques deux choses, d’abord une formation exagérée de sucre qui augmente encore sous l’influence d’une alimentation sucrée, ce qui n’a pas lieu dans l’état normal. Or, voici ce qui semble arriver chez les diabétiques. Le sucre se forme, comme nous l’avons vu, aux dépens des matières albuminoïdes. Chez l’homme sain, il est clair qu’une partie seulement des matières albuminoïdes est consommée pour cet usage. Le diabétique, qui fait beaucoup de sucre, dépense une bien plus grande quantité de substance azotée ; le sang s’appauvrit, et, bien que l’individu mange énormément, il maigrit comme un homme mal nourri. Le foie prend en quelque sorte la ration des autres organes, qui subissent alors une atténuation considérable, parce qu’il transforme en sucre leurs éléments albumineux.

On avait compris de tout temps que c’était par suite de cette disparition des éléments azotés que la maladie était grave ; aussi les médecins conseillent universellement, dans cette affection, l’usage d’aliments exclusivement albuminoïdes.

Depuis Rollo on cherche à donner aux diabétiques de l’azote sous toutes les formes, et c’est, je crois, ce qu’il y a de plus conforme aux notions physiologiques.

Il y a une autre considération qui doit faire proscrire du régime des diabétiques les aliments végétaux : c’est qu’il est évident que ces derniers augmentent la suractivité fonctionnelle du foie ; vous savez aussi qu’ils sont excitants pour les reins, qu’ils sont beaucoup plus diurétiques que les matières animales. Ainsi, tous les herbivores rendent beaucoup plus d’urine que les carnassiers. Il y a donc encore, dans le régime azoté mis en usage par les diabétiques, l’avantage de donner une substance qui ne soit pas diurétique.

Enfin, nous terminerons par une dernière remarque.

Quand on traite un diabétique, il ne faut pas perdre de vue que la première condition de la présence du sucre dans les urines est un état d’activité parfaite des fonctions digestives, et que toute altération dans ces fonctions par une cause quelconque fait immédiatement disparaître le diabète pendant tout le temps que dure l’altération. Sitôt qu’un diabétique est pris de fièvre, il cesse d’avoir du sucre dans ses urines ; mais il ne faudrait pas en conclure que la maladie primitive a disparu, car, sitôt la fièvre passée, le diabète reviendra.

Si l’on trouble les fonctions par une médication énergique, le diabète disparaîtra, jusqu’à ce que ce trouble soit passé ; il peut arriver alors que, pendant un certain temps, le malade ne présentera plus le symptôme de la glycosurie.

Ainsi, je connais l’histoire d’un malade atteint d’un diabète extrêmement rebelle. On essaya sur lui un certain nombre de médicaments, et il arrivait que tous diminuèrent pendant les premiers jours les symptômes du diabète. L’individu rendait moins d’urines et elles étaient moins sucrées ; mais, au bout de quelques jours, le malade était habitué à ce médicament et la maladie revenait aussi intense qu’auparavant. Il se passait, dans ce cas, quelque chose de tout naturel : chaque médication nouvelle apportait du trouble dans toutes les fonctions, celle du foie était atteinte comme toutes les autres, et le sucre cessait alors momentanément d’être produit en aussi grande abondance. Il ne faut donc jamais se faire illusion sur de semblables résultats, et ne pas considérer comme guéri un individu dont on aura, au moyen d’une médication quelconque, empêché momentanément l’apparition du sucre dans les urines.

Messieurs, le temps nous presse, et nous ne voulons pas en dire plus long sur ce sujet ; nous croyons, d’ailleurs, qu’il est plus important que nous consacrions les deux dernières leçons qui nous restent à faire une revue rapide des objections qui ont été opposées à la fonction glycogénique, et à rappeler les preuves de toute nature à l’appui de cette même fonction, afin que vous sortiez d’ici ayant l’esprit bien fixé sur l’état actuel de la question.

Vingt-quatrième leçon
20 mars 1855.

SOMMAIRE : Revue succincte des objections faites à la découverte de la fonction glycogénique du foie. — Théorie de la formation du sucre aux dépens des matières grasses. — La formation de la matière sucrée ne serait-elle pas localisée dans un point de l’organisme ? — Réfutation de ces opinions. — Mémoire contre la fonction glycogénique du foie. — Erreurs contenues dans ce travail. — Autre mémoire dans lequel on a pour but d’établir que le réactif cupro-potassique ne décèle pas toujours la présence du sucre quand cette dernière substance est mélangée avec l’albuminose. — Examen de cette opinion. — Expériences. — Liaison de ces deux travaux. — Le sang de l’artère hépatique ne contient pas de sucre. — Sucre formé par la glande mammaire, etc.

Messieurs,

Vous avez pu voir se vérifier pendant la durée de ce cours ce que je vous disais au commencement, au sujet de l’enseignement du Collège de France, qui diffère essentiellement de celui des Facultés en ce qu’il ne s’occupe que des questions qui s’agitent actuellement dans la science. Cet enseignement ne pouvait donc être renfermé strictement dans un programme prévu d’avance, parce qu’il naît toujours dans des études de ce genre une foule de points de vue nouveaux qui interrompent la marche dogmatique des idées, et auxquels on doit nécessairement consacrer quelques instants dans l’intérêt même de la science.

C’est ce qui nous est arrivé, et vous avez vu qu’au moment où nous exposions successivement toutes les preuves sur lesquelles nous avions établi la fonction glycogénique du foie, et lorsque nous étions parvenu au milieu du cours, une discussion s’est subitement élevée et nous a mis en demeure de l’examiner, d’une part, parce que c’est notre devoir, et d’autre part, parce que cette question relative à la formation de matière sucrée dans les animaux et les végétaux avait fait une sensation qui intéresse la physiologie générale au plus haut point.

Nous vous avons déjà dit quelques mots de cette discussion à l’époque où elle prit naissance, mais nous avons voulu la laisser se développer tout entière dans tous les arguments avant de revenir sur elle d’une manière plus complète. Aujourd’hui nous pensons que la plupart des objections se sont produites qui nous allons les reprendre devant vous ; et cet examen, qui résumera en même temps d’une manière complète la question qui a fait le sujet de ce cours, nous permettra de formuler définitivement d’une manière nette et précise l’état actuel de la science sur ce sujet.

Dans cette énumération des arguments nous ne distinguerons, comme nous l’avons déjà dit, aucune personne, nous ne chercherons pas à connaître la source des arguments, nous n’en discuterons que la valeur. Nous résoudrons, je l’espère, toutes les objections qui sont parvenues à notre connaissance, et, s’il en existait que nous ignorions encore, nous serions heureux qu’on nous les adressât, en tant toutefois qu’elles seront basées sur des faits d’expérience. Nous ne reconnaissons pas d’autres arguments, le raisonnement scolastique devant être banni désormais de toute discussion scientifique.

Nous suivrons tout naturellement ici l’ordre historique, en prenant les travaux qui ont paru successivement depuis la publication de notre premier mémoire, à la fin de 1848.

En 1850, un chimiste bien connu, M. Schmidt, publia un ouvrage sur le choléra épidémique. À la fin de ce travail il a placé un fragment sur la théorie du diabète, dans lequel l’auteur se pose parmi beaucoup d’autres les questions suivantes :

1° Le sucre des urines doit-il être considéré comme un produit anormal du sang, ou comme un produit qui y existerait normalement comme l’urée ?

2° Le sucre est-il formé uniquement sous l’influence d’une alimentation végétale, et disparaît-il complètement par suite d’une alimentation animale ?

A la première question l’auteur répond par l’affirmative, et reconnaît avec nous que le sucre doit être considéré comme un élément normal du sang. Quant à la seconde question, l’auteur est encore d’accord avec nous, et il reconnaît que le sucre continue à se rencontrer dans l’organisme lorsque les aliments ne peuvent en contenir et que les individus se trouvent soumis à une alimentation exclusivement animale ; de sorte que, ainsi que l’on voit, M. Schmidt ne regarde plus le sucre comme une substance nécessairement dérivée du règne végétal, il la considère avec nous comme un produit de l’organisme animal. Seulement c’est sur le lieu et sur le mécanisme de la production de ce sucre qu’il est en dissidence avec nous. M. Schmidt compare le sucre à l’urée, et il pense que ces deux principes, répandus dans le sang de toutes les parties du corps n’ont pas une source précise qui puisse être localisée dans un organe spécial, mais que ces deux produits prennent naissance partout, par suite des changements moléculaires qui s’opèrent dans le sang ; et il admet, d’après des formules hypothétiques, que la graisse, en se dédoublant en glycérine et acide cholalique, peut donner du sucre.

Les dissidences ne portent, comme on le voit, que sur deux points. Le premier est la supposition que le sucre se forme aux dépens des matières grasses, et n’aurait pas sa formation localisée dans le foie. D’abord, cette formation du sucre est une hypothèse pure et simple, et qui est en désaccord avec l’expérimentation physiologique et avec les analyses chimiques d’autres auteurs. Nous disons que c’est une hypothèse chimique, parce que M. Schmidt n’a donné comme preuve que des formules écrites, sans avoir fait aucune expérience directe ; car s’il en avait fait, il aurait vu que son hypothèse ne pouvait être soutenue.

Nous savons, en effet, que l’alimentation graisseuse fait diminuer la quantité de sucre dans l’organisme, tandis que l’alimentation purement azotée entretient cette formation dans son intensité normale. Il suffit, du reste, de vous rappeler les chiffres que nous avons obtenus à ce sujet :

Il est évident, d’après cela, que l’alimentation graisseuse produit pour le sucre un effet sensiblement analogue à celui de l’abstinence. Nous savons aujourd’hui, du reste, par les analyses de Lehmann, si complètement d’accord avec nos expériences, que ce sont les matières azotées qui servent à la formation du sucre dans l’organisme animal ; de sorte qu’il n’est pas possible d’admettre un seul instant cette hypothèse de la formation du sucre aux dépens des matières grasses.

Maintenant, quelles sont les raisons sur lesquelles M. Schmidt s’appuie pour dire que le foie ne fait pas de sucre ? Elles se réduisent à une pure assertion sans aucune valeur. En effet, nous avions dit, dans notre premier travail, que nous admettions la formation du sucre dans le foie, parce que, d’une part, nous ne trouvions pas de sucre dans la veine porte au moment où le sang entre dans le foie, et que nous en trouvions constamment dans le sang des veines hépatiques qui sortent du foie, et parce que, enfin, le tissu hépatique se trouve, dans l’état physiologique, constamment imprégné de cette matière, de la même façon que les autres organes sécréteurs sont imprégnés de leurs produits de sécrétion. Or, nous disons que M. Schmidt n’oppose à tous ces faits qu’une simple opinion tout à fait dénuée de fondement. Cet auteur dit, en effet, qu’il ne peut admettre la formation du sucre dans le foie, parce qu’on trouve du sucre aussi bien dans la veine porte que dans la veine jugulaire. Cette assertion est d’autant plus étonnante, que dans le Mémoire de l’auteur il ne s’agit que d’observations faites sur du sang retiré dans des conditions physiologiques peu déterminées, tantôt sur des animaux de boucherie, tantôt sur des saignées, et que dans aucun cas il n’y a eu des expériences qui soient relatives à l’examen comparatif du sang de la veine porte avec le sang des autres veines. Il eût suffi à l’auteur de faire une seule de ses expériences dans les conditions voulues pour être convaincu qu’il avançait une erreur. Du reste, cette assertion se trouve reléguée dans une note dont on peut comprendre jusqu’à un certain point la nécessité, parce que, ainsi que l’avance M. Schmidt, son travail était terminé lorsqu’il eut connaissance de nos expériences : il préféra néanmoins le publier tel qu’il se trouvait sans tenir compte des faits que je venais d’établir. C’est ce qui explique comment l’auteur s’est trouvé dans ce cas réduit à une assertion pure et simple, qu’il n’a pas tenté de reproduire depuis, ce qui nous fait penser qu’il a aujourd’hui abandonné complétement les raisons qui étaient plutôt une fin de non-recevoir que des arguments réels.

Jusque dans ces derniers temps, des confirmations de nos expériences étaient arrivées de toutes parts, et des travaux avaient été publiés sur ce sujet en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Amérique, par des expérimentateurs exercés. Aucune attaque directe n’avait été faite à notre découverte avant le travail lu le 2 février, à l’Académie des sciences. Ici, l’auteur se pose nettement en antagoniste de la théorie de la formation du sucre dans l’organisme animal, indépendamment de toute alimentation féculente ou sucrée.

Je ne puis m’empêcher, à ce propos, de vous faire une remarque relative aux préjugés qui sont les obstacles ordinaires de tout progrès. Or, ces préjugés n’existent pas seulement dans le monde, ils se rencontrent aussi dans la science, qu’ils troublent profondément : c’est ainsi que, sous la pression de véritables préjugés scientifiques, l’auteur en question avoue qu’il lui répugne d’admettre que l’organisme se donne la peine de fabriquer du sucre, quand les végétaux peuvent lui en fournir ; et, partant de cette manière de voir, il veut prouver que tout le sucre qu’on rencontre dans l’organisme animal n’a jamais d’autre origine que des principes sucrés venant toujours du règne végétal. Et voyons comment, pour rester fidèle à la doctrine qu’il soutient, l’auteur parvient à expliquer que nous avons pu retrouver du sucre dans le foie et dans le sang des animaux soumis pendant des temps très considérables à une alimentation exclusivement animale.

Voici comment il s’exprime à ce sujet : « Nous avons reconnu qu’il existe près de 1/2 pour 100 de glucose dans le sang des animaux de boucherie, dans le sang du bœuf et du mouton recueilli au moment où ces animaux sont abattus pour être livrés à laconsommation publique ; or la viande des animaux de boucherie renferme des vaisseaux, ces vaisseaux contiennent du sang : ainsi la chair de bœuf et de mouton qui avait servi à nourrir les chiens dans les expériencesde M. Bernard contient du sucre, et l’on administrait, sans s’en douter, le composé même qu’on voulait postérieurement rechercher. »

Cette explication qui fait descendre le sucre trouvé dans les chiens, des végétaux qu’ont mangés les herbivores, suppose que la chair de ces derniers en contient. Cette supposition méritait bien, cependant, la peine d’être vérifiée avant d’en faire ainsi le point de départ d’un argument d’après lequel on prétend renverser toutes nos expériences, et expliquer comment, sans nous en douter, nous sommes tombé dans une cause d’erreur grossière. Il est malheureux que nous soyons obligé de reconnaître ici combien il y a de légèreté dans cette manière de traiter ainsi la science. Vous avez pu voir que le sucre n’existe pas dans la viande fraîche, et, à plus forte raison, dans la viande bouillie ; et, ici, c’est l’auteur qui, sans s’en douter, se basant sur une assertion erronée pour établir ses raisonnements, oublie les principes les plus vulgaires qui doivent guider dans les sciences expérimentales.

Le point de départ de ce raisonnement, c’est-à-dire la présence du sucre dans la viande, est faux. Tout l’échafaudage croule, et, par conséquent, l’auteur n’explique absolument rien ; nos expériences restent ce qu’elles sont, et elles prouvent que chez des animaux nourris avec des matières qui ne contiennent aucune trace de sucre, il y en a toujours dans le foie, et que, par conséquent, on ne peut pas faire intervenir le règne végétal pour expliquer la présence de cette matière. Il n’y a pas lieu de nous arrêter aux autres parties de ce travail, qui reposent toutes sur la même erreur. Seulement, nous ne pouvons nous empêcher de signaler cette singulière opinion, de regarder le foie comme un organe condensateur de la matière sucrée, toujours dans cette supposition qu’elle vient des végétaux, ce qui repose à la fois sur deux erreurs de fait : en premier lieu, sur l’existence du sucre dans la viande dont nous avons démontré la fausseté ; en second lieu, sur la supposition que le foie condense le sucre, ce qui voudrait dire qu’il en reçoit plus qu’il n’en donne. Or, on ne s’explique pas sur les limites de cette condensation, qui pourrait aller jusqu’à saturer le foie de glucose ; mais, en outre, comment pourrait se faire cette condensation, puisqu’il y a plus de sucre dans le tissu du foie et dans le sang qui sort de cet organe que dans le sang qui y entre.

En résumé, tous les arguments de ce travail reposent sur deux points : 1° l’existence du sucre dans la viande ; 2° condensation du sucre dans le foie. Vous venez de voir que ces deux assertions sont radicalement erronées ; par conséquent, le travail n’a aucune valeur à notre point de vue. Quant aux faits réels qui y sont établis, ils ne sont pas nouveaux, car la présence du sucre dans le foie, que l’auteur annonce comme une découverte, était connue depuis longtemps par M. Magendie, en France ; par Garrod, en Angleterre ; par Schmidt, Lehmann, et par bien d’autres expérimentateurs, en Allemagne.

Enfin, nous n’examinerons pas les opinions physiologiques bizarres émises dans ce travail et auxquelles l’auteur ne tient sans doute pas. Nous ferons remarquer seulement que des expériences faites avec du sang recueilli sur des animaux de boucherie ou autres, qu’on épuise d’hémorragie, ne peuvent avoir aucune valeur quand il s’agit de la composition du sang dans les différents vaisseaux où il circule normalement. En effet, lorsqu’on égorge un animal, toute la circulation est troublée, et le sang, se précipitant vers l’ouverture des vaisseaux, entraîne avec lui des principes qui se séparent des organes où ils sont formés, à mesure que la quantité du liquide sanguin diminue dans l’organisme. C’est ainsi que, si l’on prend une artère ou la veine porte sur un animal à l’état physiologique, et si l’on retire une petite quantité de sang de ces vaisseaux, on n’y rencontrera pas de sucre, tandis que si l’hémorragie a été considérable, on finira souvent, vers la fin, par en trouver une certaine proportion.

Or, on voit que dans ces deux cas on pourrait dire, tantôt qu’il n’y a pas de sucre dans le sang artériel, tantôt qu’il y en a. Seulement il est évident que les premières parties de sang ont été retirées dans des conditions physiologiques, et qu’il n’en est plus de même lorsque l’animal commence à périr d’hémorragie.

Dans la séance de l’Académie du 9 février, un autre travail a été lu contre la glycogénie. Ici l’auteur, sans attaquer directement la fonction glycogénique du foie, insinue que nous aurions pu tomber dans l’erreur relativement à l’emploi des réactifs que nous avons mis en usage pour la recherche du sucre dans l’organisme. Ce ne sont pas les idées elles-mêmes qui sont attaquées, ce sont les moyens à l’aide desquels nous avons établi les faits qui leur servent de base. C’est un moyen détourné de venir infirmer la fonction glycogénique du foie. Voyons quels sont les arguments qui sont mis en avant dans ce mémoire.

L’auteur dit que dans l’estomac il existe une matière, la peptone ou l’albuminose, qui est capable de dissimuler le sucre au liquide cupro-potassique, et il prétend que cette propriété est un caractère qui distingue les matières qui ont été digérées par le suc gastrique. Ensuite on suppose que le sucre, ainsi dissimulé, peut être absorbé par la veine porte et se trouver transporté par cette voie de circulation jusqu’au foie, sans qu’on puisse le reconnaître dans tout ce trajet.

Ainsi l’auteur jette des doutes sur la possibilité de constater avec certitude la présence du sucre dans la veine porte au moyen du réactif cupro-potassique. Après le foie on pourrait le reconnaître, parce que dans cet organe il se ferait une séparation du sucre et de l’albuminose qui le masquait. C’est à l’aide de ces suppositions gratuites qu’on croit attaquer une proposition que nous avons émise relativement au liquide cupropotassique, à savoir, qu’il constitue un réactif négatif absolu.

Examinons la valeur de l’objection qui a été faite, et voyons s’il est vrai que dans certaines circonstances le sucre peut ne pas donner de réduction avec le liquide cupro-potassique.

D’abord nous devons dire que jamais nous n’avons conseillé de nous servir du liquide cupro-potassique qu’après avoir précipité les liquides animaux et s’être débarrassé des matières organiques qu’ils contiennent, parce que nous savions, comme tout le monde, que, quand il existe certaines matières albuminoïdes dans des liquides, en même temps qu’une très petite quantité de sucre, il peut ne pas y avoir de réduction. Cela s’explique, parce que la matière organique redissout la petite quantité d’oxyde de cuivre qui se forme ; ce dont on peut s’assurer en ajoutant un peu de ces matières albuminoïdes après qu’on aura préalablement déterminé la précipitation dans le liquide.

Or, si nous cherchons du sucre dans un liquide où il se trouve masqué par une matière albuminoïde, comme la gélatine, par exemple, et si nous traitons ce liquide sucré par le charbon, nous arriverons à séparer la matière organique qui restera sur le filtre, tandis que le sucre passera. C’est ce que vous voyez dans l’expérience que nous faisons sous vos yeux.

Voici une dissolution de gélatine à laquelle nous avons ajouté du sucre de raisin en très faible proportion, nous y mêlons du liquide cupro-potassique et nous chauffons ; il n’y a pas trace de réduction. Si maintenant nous traitons cette même dissolution de gélatine et de sucre par le noir animal, le liquide parfaitement limpide qui passe présente avec le réactif une réduction parfaitement évidente.

Vous voyez donc qu’il n’y a pas que la peptone qui soit dans le cas de masquer de très faibles proportions de sucre ; mais vous voyez aussi que le charbon animal, qui jouit de la propriété de retenir les matières organiques, permet après à la réaction caractéristique du glucose de se manifester.

Pour ce qui concerne la propriété qu’aurait la peptone, c’est-à-dire la viande dirigée par le suc gastrique, de masquer le sucre, voici des résultats obtenus à ce sujet par M. Berthelot, qui a opéré avec du suc gastrique artificiel. Ce suc, que nous lui avons remis, fait avec l’estomac d’homme provenant d’un supplicié, désagrégeait en quelques heures complétement la viande, de manière à en dissoudre une partie. C’est sur une semblable dissolution que l’expérience a été instituée directement.

Un centimètre cube de ce suc gastrique masquait, vis-à-vis du tartrate de cuivre et de potasse, la réaction de 0,001 gr. de sucre de diabète.

10 centimètres cubes de ce même suc gastrique, évaporés à sec au bain-marie, puis séchés dans le vide, laissaient 0,535 gr. d’un résidu solide assez acide, soluble dans l’eau et même dans l’alcool. Redissous dans l’eau, ce résidu masquait la réaction du sucre comme avant l’évaporation.

Ainsi, ces 10 centimètres cubes de suc gastrique ayant dissous de la viande ont pu masquer 1 centigramme de sucre de diabète. Mais, nous le répétons, en traitant le mélange par le charbon animal, la matière organique est enlevée, et le sucre, démasqué, redevient sensible au réactif.

Il est facile de comprendre d’ailleurs que les faits annoncés par l’auteur du travail en question n’infirment nullement ceux que nous avons établis nous-même. Dans le seul cas où les animaux mangeraient des matières albuminoïdes en même temps que du sucre, ce qui n’est pas la condition dans laquelle nous avons eu soin de nous placer, il pourrait se faire qu’en n’employant pas les précautions que nous avons indiquées nous-même, c’est-à-dire le traitement par le charbon, on ne reconnût pas des quantités infiniment petites de sucre dans des liquides albuminoïdes. Mais il est clair aussi que le rôle d’organe filtrateur qu’on semble attribuer au foie ne saurait se concilier avec cette proportion énorme de sucre dans le tissu hépatique et le sang qui en sort. Car si la peptone peut masquer un millième de sucre, il est évident que la peptone, dans le sang de la veine porte, doit se trouver singulièrement diluée et ne doit plus dès lors être susceptible de masquer des proportions de sucre qui seraient peut-être moins que des centièmes de milligramme.

En supposant donc que le foie séparât des centièmes de milligramme, comment expliquerait-on la présence de 2 à 3 grammes pour 100 de sucre dans son tissu, et celle de près de 1 gramme pour 100 dans le sang des veines hépatiques ?

Vous voyez donc que, si c’est là une objection qu’on a voulu faire, elle tombe d’elle-même.

D’ailleurs, on ne trouve dans le sang de la veine porte pas plus d’albuminose ou de peptone que dans le sang des autres veines, ainsi que Lehmann l’a démontré.

La valeur du réactif cupro-potassique n’est donc pas infirmée ; seulement il faut, comme pour toute espèce de caractère, l’employer dans des conditions convenables, ainsi que nous le faisons toujours. Il faut savoir encore que, si l’on ajoute de l’ammoniaque à ce réactif, il ne réduit plus ; que si on l’emploie avec une dissolution très concentrée du sucre, il n’y a pas de réduction non plus, mais une coloration jaune qui résulte de ce que l’oxyde de cuivre qui s’est précipité d’abord se redissout dans un excès de matière sucrée, phénomène qui a fait illusion à des expérimentateurs peu exercés.

La fermentation elle-même, qui est le caractère décisif, doit être employée convenablement et avec une certaine précaution. On se sert, en effet, pour l’opérer, de levure de bière ordinairement prise chez les boulangers, levure qui contient une grande quantité de fécule susceptible de se transformer au bout d’un jour ou deux en glucose, et pouvant donner alors de l’acide carbonique et de l’alcool, comme s’il y avait eu du sucre dans la liqueur. Aussi, quand on fait des expériences sur la fermentation, faut-il avoir le soin de les faire comparativement. Par exemple, si l’on met un liquide sucré dans un tube en fermentation avec de la levure de bière impure, il faut avoir soin de placer dans les mêmes conditions de la même levure avec de l’eau ordinaire. Dans le premier tube alors la fermentation se fera au bout de quelques heures ; dans le second, elle n’aura lieu qu’au bout de deux jours. Dans ces cas, par une appréciation comparative de la quantité du gaz développé, on pourrait éviter l’erreur ; mais il vaut mieux avoir de la levure de bière bien lavée et exempte de fécule.

En résumé, les arguments de ce travail sont établis sur la supposition que nous employons mal le réactif cupro-potassique ; sur ce qu’ensuite nous n’employons que ce réactif, car on admet heureusement que la fermentation continue à avoir lieu, malgré la peptone, et qu’on peut se servir de ce caractère. Or, nous nous sommes toujours servi de la fermentation, ainsi que nous vous l’avons dit au commencement de ces leçons, dans toutes nos expériences comparatives.

Les arguments signalés plus haut ne peuvent s’appliquer qu’aux cas d’alimentations mixtes, aussi, pour avoir toute leur valeur, ces arguments du 9 février ne devaient-ils venir qu’après ceux du 2 février, qui avaient pour but d’établir que l’alimentation animale n’était elle-même, en réalité, sans que nous nous en doutions, qu’une alimentation mixte. Or, nous savons à quoi nous en tenir à ce sujet.

Et, à ce propos, nous devons faire remarquer combien il est malheureux pour la science que l’on ne confirme pas toujours ce que l’on avance par des expériences, car il s’agit ici d’arguments enchaînés les uns à la suite des autres et fondés sur des faits fictifs. Si les auteurs avaient réfléchi et s’étaient assurés de leur point de départ, ils auraient reculé avant de présenter des argumentations qui pèchent par la base d’une manière aussi radicale.

Messieurs, nous avons encore quelques autres objections à passer en revue ; nous allons le faire rapidement.

On nous a dit, par exemple : « Vous avez examiné le sang de la veine porte, et vous n’y avez pas trouvé de sucre ; mais avez-vous examiné le sang des artères hépatiques ? » Vous savez d’abord, Messieurs, que l’artère hépatique est nourricière, de même que les artères bronchiques ; qu’elle se distribue aux conduits biliaires, à la veine porte, sans participer d’une manière directe aux sécrétions de l’organe. Mais, de plus, cette objection peut être levée directement, car si l’on prend un des rameaux de l’artère hépatique à son entrée dans le foie, on ne trouve pas plus de sucre dans le sang qui s’en écoule que dans le reste du système artériel ; de sorte que, si l’on veut être rigoureux, voici ce que l’on peut dire : Il y a deux ordres de vaisseaux afférents qui amènent le sang au foie, ce sont la veine porte et l’artère hépatique ; ni l’un ni l’autre ne contiennent de sucre dans des conditions convenables. Il y a d’autre part deux ordres de vaisseaux efférents, ce sont les veines hépatiques et les lymphatiques du foie. Tous deux renferment du sucre, qui est versé par ces deux voies dans la veine cave et dans le canal thoracique.

On a dit encore que nous avions émis une proposition trop générale, et qu’il y avait d’autres organes que le foie qui étaient susceptibles de faire du sucre ; que la glande mammaire, par exemple, était de ce nombre ; qu’elle pouvait en faire indépendamment de l’alimentation, car nous avions trouvé nous-même du sucre dans le lait de mammifères carnivores. Ce n’est pas là une objection, c’est au contraire une confirmation de ce que nous avons dit, que le sucre pouvait être formé directement dans l’organisme sans l’alimentation féculente ou sucrée.

Mais on ne saurait assimiler la sécrétion du sucre de lait, qui est une fonction tout à fait intermittente, discontinue, n’apparaissant qu’à des intervalles très éloignés, et spéciale seulement à une classe de vertébrés, avec la production glycogénique qui, elle, au contraire, est constante et continue, et appartenant à tout sexe et à tout règne animal.

Il y a enfin quelques médecins qui, après avoir entendu dire vaguement, d’après nos expériences, que le sang des veines hépatiques était sucré, ont été recueillir le même sang sur des cadavres de malades morts dans les hôpitaux, et n’y ayant pas trouvé de sucre, se sont imaginé que ce résultat venait contredire les nôtres.

Mais vous savez maintenant quelle valeur il faut attribuer à une pareille objection ; vous vous rappelez que la fonction glycogénique s’éteint comme toutes les autres fonctions, à la suite d’une maladie, sous l’influence d’une fièvre grave ; de sorte que dans la plupart des cas on ne trouve pas dans le foie des malades morts dans les hôpitaux la moindre trace de matière sucrée.

Des anatomistes arriérés ont pu même dire : « Comment voulez-vous qu’il y ait une sécrétion sucrée dans le foie, puisqu’il n’y a pas de conduit excréteur ? » Au point de vue purement anatomique, on ne définissait autrefois une glande que par son conduit. Il est clair que nous n’en sommes plus là, et que nous comprenons bien qu’il y ait des sécrétions versées dans le sang et d’autres qui sortent au dehors.

Vous voyez donc, Messieurs, que toutes ces objections se réfutent très facilement, et n’infirment en rien ce que nous avons avancé. Je consacrerai la prochaine séance à résumer l’ensemble des preuves d’après lesquelles nous avons établi devant vous la réalité de la fonction glycogénique du foie.

Vingt-cinquième leçon
24 mars 1855.

SOMMAIRE : Travaux comparatifs de la fonction glycogénique du foie. — Analyses du sang de la veine porte et des veines hépatiques, par Lehmann, communiquées à l’Académie des sciences. — Remarques à l’occasion de cette communication. — Figure schématique représentant l’ensemble de la production et de la diffusion du sucre dans l’organisme. — Résumé des faits qui établissent la fonction glycogénique du foie.

Messieurs,

Nous arrivons au terme de nos leçons pour ce semestre, et je crois avoir rempli les promesses que je vous avais faites au commencement. Vous avez vu comment nous avons marché dans le champ des investigations physiologiques, constamment appuyé sur l’expérience. Nous avons été assez heureux pour faire devant vous quelques découvertes, par exemple celle de la production de la matière sucrée dans la vie embryonnaire, et celle de cette perversion singulière que produit la section de la moelle épinière sur la sécrétion sucrée du foie. Vous avez vu par quelles séries d’hypothèses il faut quelquefois passer pour arriver à la découverte de faits nouveaux ; mais vous avez été témoins du soin avec lequel nous avons toujours écarté les hypothèses qui nous avaient guidé, pour ne conserver que le résultat expérimental, qui, tout incomplet qu’il est, ouvre cependant un champ immense, et nous montre que nous ne sommes qu’à l’entrée de cette science de la vie, sans contredit la plus complexe de toutes celles que nous connaissons actuellement.

Nous allons terminer par une revue rapide des faits et des arguments par lesquels nous avons établi la réalité de la fonction glycogénique du foie. Au point de vue chimique, il nous suffira de vous faire connaître l’ensemble des expériences chimiques qui viennent corroborer notre opinion, et qui se trouvent contenues dans la communication faite par M. Lehmann dans la séance de l’Académie des sciences du 12 mars. Voici le résumé de ce beau travail :

Analyses comparées du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques, etc., pour servir à l’histoire de la production du sucre dans le foie, par M. C. G. LEHMANN, professeur de chimie physiologique à l’université de Leipzig.

« Les résultats des analyses qui vont suivre ont été obtenus sur des chiens et des chevaux soumis à des alimentations diverses. (On a toujours eu soin de placer convenablement des ligatures sur les vaisseaux, pour obtenir sans mélange les sangs dont on a fait l’examen chimique.)

Je ne m’étendrai pas sur les procédés d’analyse que j’ai suivis ; ils se trouvent décrits dans mon Traité de chimie physiologique 13. Je négligerai également certains détails sur la composition des sangs de la veine porte et des veines hépatiques, qui sont consignés d’ailleurs dans un premier mémoire que j’ai déjà publié sur ce sujet14. Je n’insisterai ici que sur les points qui peuvent servir à éclairer la formation du sucre dans le foie.

Sucre. — Le sang de la veine porte ne renferme jamais les moindres traces de sucre chez les chiens à jeun et chez les chiens nourris avec de la viande. Les mêmes animaux nourris avec des substances végétales (pommes de terre cuites) présentent évidemment du sucre dans le sang de leur veine porte, mais en quantité si faible, que le dosage n’est pas possible.

Chez les chevaux nourris avec du son de seigle, de la paille hachée et du foin, le sang de la veine porte contient des proportions très faibles de matière sucrée. J’ai trouvé dans un cas 0,055 gr. de sucre pour 100 parties du sang. Dans un autre cas, sur un cheval, le sérum de la veine porte renfermait 0,0052 gr. pour 100 de sucre.

Le sang des veines hépatiques contient toujours du sucre en forte proportion. Sur trois chiens nourris avec de la viande, j’ai trouvé les chiffres suivants, calculés sur 100 parties de sang sec : 0,813 gr. pour 100, 0,799 gr. pour 100, 0,946 gr. pour 100. Sur trois autres chiens à l’abstinence complète depuis deux jours, j’ai trouvé dans le sang des veines hépatiques les quantités de sucre ci-après : 0,764 gr. pour 100, 0,638 gr. pour 100, et 0,814 gr. pour 100. Chez deux autres chiens nourris avec des pommes de terre cuites, le sang des veines hépatiques renfermait 0,981 gr. pour 100 de sucre chez l’un, et 0,854 gr. pour 100 de sucre chez l’autre.

Chez deux chevaux soumis à une alimentation végétale (son, paille, foin), le sang des veines hépatiques contenait dans un cas 0,635 gr. pour 100 de sucre, et dans l’autre cas 0,893 gr. pour 100 de sucre.

Les résultats des analyses qui précèdent se trouvent résumés dans le tableau suivant :

Il suffira de jeter les yeux sur les quantités comparatives de sucre que contiennent le sang de la veine porte qui entre dans le foie et le sang des veines hépatiques qui en sort, pour voir que l’opinion de la formation du sucre dans le foie, que M. Cl. Bernard a annoncée le premier, est mise hors de doute.

Fibrine, albumine. — Le sang de la veine porte chez les chevaux et chez les chiens renferme de la fibrine qui ne diffère pas sensiblement, par ses caractères et sa quantité, de la fibrine des autres veines. Quelle que soit la nature de l’alimentation, le sang de la veine porte des chiens renferme en moyenne plus de fibrine que celui des chevaux.

Le sang des veines hépatiques, soigneusement recueilli et sans aucun mélange, ne contient pas de fibrine. Les quelques flocons qu’on obtient quelquefois par le battage, chez les chevaux, sont presque entièrement constitués par des globules blancs qui se montrent en très grande abondance dans le sang des veines hépatiques comparé au sang de la veine porte. Le sang des veines hépatiques chez les chiens se comporte de la même manière par rapport à la fibrine, c’est-à-dire que cette matière disparaît presque en totalité dans le foie.

Des analyses très soignées et comparatives entre le sang de la veine porte et celui des veines hépatiques m’ont prouvé qu’une quantité remarquable d’albumine disparaît aussi dans le foie, et la quantité disparue est relativement plus grande chez les chiens que chez les chevaux.

Sur ce fait incontestable, que la fibrine disparaît dans le foie, j’ai établi mon opinion, déjà émise dans mon premier Mémoire, que le sucre qui se forme dans le foie prend naissance de la fibrine.

Graisse et globules sanguins. — Le sang de la veine porte renferme toujours beaucoup plus de graisse que le sang des veines hépatiques. Le sérum du sang de la veine porte chez les chiens nourris avec de la viande est généralement plus riche en graisse que celui des chevaux. Néanmoins on ne trouve pas plus de graisse dans le sérum des veines hépatiques chez les chiens que chez les chevaux.

Chez les chevaux, les globules du sang de la veine porte sont plus riches en eau et particulièrement en fer ; au contraire, ils sont plus pauvres en globuline, en matières extractives et en sels que ceux des veines hépatiques. Chez les chiens, comme chez les chevaux, le sang des veines hépatiques est beaucoup plus riche en globules du sang et en matières extractives que celui de la veine porte.

J’ai remarqué, sur les chiens comme sur les chevaux, qu’une quantité considérable de fer disparaît toujours dans le sang en traversant le foie. Mais les différences de quantité de fer qu’on rencontre dans le sang qui arrive au foie et dans celui qui en sort, sont plus grandes encore chez les chiens que chez les chevaux. Il en résulte qu’une partie de l’hématine du sang disparaît dans le foie, et contribue probablement à la formation de la matière colorante de la bile, ce que prouverait encore la complète analogie de la bilifulvine et de l’hématoïdine, ainsi que vient de le montrer un de mes élèves.

Analyses comparatives du sang de diverses veines avec le sang artériel. (Toutes ces comparaisons ont été faites avec des sangs toujours pris sur le même cheval.) — Le sang qui sort du foie par les veines hépatiques est toujours le sang incomparablement le plus sucré de tout le corps. Ensuite ce sang se mélange au sang de la veine cave pour remonter vers le cœur. Je ne puis ici que confirmer ce que M. Cl. Bernard a déjà dit depuis longtemps, à savoir, que le sang de la veine cave inférieure est celui qui contient toujours la plus grande quantité de sucre après les veines hépatiques. J’ai trouvé dans le résidu solide du sang de la veine cave, chez les chevaux, 0,346 gr. pour 100, 0,211 gr. pour 100 et 0,492 gr. pour 100 de sucre.

Lorsque le sang a traversé le poumon et est devenu artériel, on ne trouve généralement pas de sucre. Je n’en ai pas trouvé dans le sang artériel de chevaux qui avaient cependant mangé de l’amidon et de l’avoine. Chez les chiens et chez les lapins, on peut seulement trouver du sucre dans le sang artériel, si le sang veineux renferme plus de 0,3 gr. pour 100 de sucre. C’est ce qui arrive dans toutes les conditions qui font passer du sucre dans l’urine : par exemple, après la piqûre telle que la fait M. Bernard, après l’injection de sucre en grande quantité dans les veines ou dans l’estomac, ou enfin chez les Lapins qui ont mangé des quantités considérables de betteraves ou de carottes. Mais, dans toutes ces circonstances, ce sont encore les veines hépatiques qui contiennent la plus grande quantité de sucre, puis la veine cave, etc.

Le sang des petites veines, telles que la veine céphalique, la veine digitale, la veine temporale et la veine abdominale externe des chevaux, contient toujours moins de globules du sang, plus de sérum, et par conséquent plus d’eau que le sang artériel. Mais les veines plus grosses, et principalement la veine cave inférieure, contiennent un sang qui possède la même concentration que le sang artériel, ou qui est peut-être même encore plus concentré. Toutes mes expériences semblent montrer qu’une quantité remarquable de globules du sang disparaît dans les vaisseaux capillaires généraux. L’observation que la densité du sang de la veine cave inférieure se rapproche de celle du sang artériel, ou même la surpasse, ne dépend pas seulement de l’expulsion de l’eau par la sécrétion urinaire, mais principalement de l’affluence du sang des veines hépatiques ; c’est ce que m’ont prouvé d’une manière frappante les analyses du sang d’un cheval qui n’avait pas bu depuis vingt-quatre heures quand il fut sacrifié. La comparaison de toutes ces analyses semble prouver en même temps que dans le foie deux fonctions marchent séparément, savoir, la formation du sucre et des globules du sang et celle de la bile ainsi que M. Bernard l’a pressenti et établi depuis longtemps.

Le sang de plus petites veines renferme plus de fibrine que le sang artériel, et que celui de la veine cave et de la veine jugulaire. Dans la veine cave, j’ai trouvé deux fois moins de fibrine que dans le sang artériel. Le sang artériel contient toujours plus de sels minéraux que le sang veineux. »

J’ai fait sur le travail de M. Lehmann des remarques qui ont été communiquées à l’Académie le 12 mars, dans les termes suivants :

« Lorsque, il y a six ans, j’annonçai aux physiologistes que le sucre est un produit normal de sécrétion chez l’homme et les animaux, j’établis par des preuves expérimentales diverses que cette fonction animale, restée jusqu’alors inconnue, devait être localisée dans le foie. Pour prouver que la matière sucrée est bien réellement formée dans l’organisme, qu’elle ne vient pas du dehors et qu’elle prend naissance surplace dans le foie où on la trouve, j’instituai une expérience physiologique qui est nette et décisive. Sur des animaux carnivores, nourris exclusivement pendant des temps très considérables (3, 6 ou 8 mois) avec de la viande cuite à l’eau et dans laquelle l’expérience directe ne décèle pas la moindre trace de matière sucrée, je recueillis le sang de la veine porte avant son entrée dans le foie, et je n’y constatai jamais, dans des conditions physiologiques convenables, la présence du sucre, tandis qu’en recueillant le fluide sanguin dans les veines hépatiques à sa sortie du foie, j’y rencontrai constamment du sucre en grande quantité.

Depuis lors ces résultats ont été partout vérifiés par les physiologistes exercés qui les ont reproduits en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Amérique, etc. Les belles analyses de M. Lehmann sur la composition comparée des sangs de la veine porte et des veines hépatiques confirment pleinement, au point de vue chimique, et avec une autorité des plus considérables en pareille matière, mes propres recherches physiologiques.

Tous les arguments relatifs à la question de savoir si le foie fabrique ou non du sucre doivent être ramenés à cette expérience fondamentale qui a pour objet l’examen comparatif des sangs de la veine porte et des veines hépatiques ; et, tant qu’il restera établi que le sang qui entre dans le foie ne renferme pas de sucre et que le sang qui en sort en contient des proportions considérables, il faudra bien admettre que la matière sucrée se produit dans le foie, car on ne saurait échappera cette conséquence de la logique la plus simple : que, puisque le sucre n’existe pas avant le foie et qu’il existe après, il faut bien qu’il se soit formé dans cet organe.

Mais le sucre sécrété dans le foie se répand ensuite dans tout l’organisme au moyen de la circulation, qui le porte par la veine cave dans le cœur droit, puis dans les poumons, etc. Suivant les quantités de sucre qui s’échappent du foie, cette matière peut se trouver détruite en traversant le poumon, ou bien dans certains cas, et particulièrement pendant et aussitôt après la période digestive, un excès peut se répandre plus loin dans le système artériel et même dans le système veineux superficiel. Néanmoins, dans tous les cas, on constate invariablement que la proportion de sucre diminue d’autant plus qu’on s’éloigne davantage du foie, qui est son lieu d’origine. Ce sont ces résultats physiologiques que viennent encore prouver de la manière la plus évidente les analyses de M. Lehmann.

Cette diffusion du sucre dans tout l’organisme explique donc comment cette matière peut se rencontrer dans le sang de toutes les parties du corps. En 181615, M. Magendie a lu à cette Académie, sur la présence normale du sucre dans le sang, un Mémoire dans lequel il indique déjà que c’est surtout au moment de la digestion que l’on trouve la matière sucrée en plus grande quantité dans le sang. Ce fait était donc connu et admis par les physiologistes depuis longtemps, bien qu’on ne connût pas la formation physiologique de cette matière dans le foie ainsi que je l’ai établi.

Mais il est arrivé que certains auteurs, ne répétant pas mes expériences méthodiquement et dans les conditions physiologiques requises, n’ont nécessairement pas pu comprendre le rapport qui existe entre cette diffusion du sucre dans l’organisme et son point réel d’origine.

C’est ainsi que M. Schmidt16, en 1850, se fondant sur ce qu’il avait trouvé du sucre en quantité variable, mais toujours très faible, tantôt dans le sang des saignées pratiquées sur l’homme (traces de sucre non dosées), tantôt dans le sang des animaux de boucherie (0,00195 gr. à 0,0074 gr. pour 1000 dans le sang de bœuf, etc.), arrive à comparer la diffusion du sucre dans le sang avec la diffusion de l’urée, et poussant sa comparaison jusqu’au bout, cet auteur admet purement par hypothèse que la formation du sucre et celle de l’urée ne sont localisées dans aucun organe, mais que ces substances se forment partout dans l’organisme, l’urée aux dépens des matières azotées, et le sucre aux dépens des matières grasses.

Quant aux expériences de M. Schmidt sur la présence du sucre dans le sang, et quant à celles qu’on a pu reproduire depuis dans de semblables conditions, elles peuvent avoir, en elles-mêmes et au point de vue chimique, la valeur qu’on leur accordera ; mais on ne saurait leur en reconnaître aucune au point de vue physiologique, parce que les auteurs n’ayant pas tenu compte de l’examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques, leurs analyses restent insuffisantes et ne peuvent s’appliquer à la question qui nous occupe.

Lorsqu’on a soin, comme l’a fait M. Lehmann, d’instituer des analyses comparatives du sang dans tous les points du système circulatoire en se plaçant dans les conditions que la physiologie indique, toutes les expériences s’enchaînent naturellement pour établir que le sucre, véritable produit d’une sécrétion intérieure, à laquelle j’ai donné le nom de glycogénie, prend naissance dans le foie aux dépens des éléments du sang et indépendamment de l’alimentation féculente et sucrée, pour se répandre ensuite dans tout l’organisme où il se détruit successivement en s’éloignant de son lieu d’origine.

Si l’on ne fait au contraire que des expériences incomplètes en se plaçant dans des conditions non méthodiquement et physiologiquement déterminées, on peut, par l’interprétation des résultats, arriver aux confusions les plus étranges. C’est ainsi, par exemple, que cette comparaison du sucre avec l’urée, qui, au point de vue chimique, paraît peut-être spécieuse, ne saurait un seul instant soutenir l’examen physiologique.

Comment pourrait-on imaginer, en effet, que le foie joue, par rapport au sucre, le rôle d’un organe dépurateur, condensateur, filtrateur, ou qu’il est à la matière sucrée ce que le rein est à l’urée, quand nous savons que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, mais que le sang qui en sort en contient beaucoup, tandis que pour le rein, au contraire, l’urée existe dans le sang qui entre et ne se trouve plus dans le sang, qui sort ; quand nous savons enfin que, si l’on supprime les reins, on fait accumuler l’urée dans le sang, tandis que, si l’on arrête la fonction du foie en détruisant certains nerfs qui s’y rendent, le sucre disparaît complétement et rapidement de l’organisme ? Il y a donc là, d’une part, un phénomène de production ou de sécrétion, et, d’autre part, un phénomène d’expulsion ou d’excrétion, que l’on doit distinguer de la manière la plus radicale, au lieu de chercher à établir entre eux un rapprochement impossible.

Je me bornerai à ces quelques remarques pour montrer que les recherches chimiques appliquées à l’explication des phénomènes de la vie ne sauraient être instituées vaguement et comme au hasard, mais qu’elles doivent reposer, au contraire, sur la connaissance de conditions fonctionnelles précises que la physiologie seule peut déterminer.

En finissant, je ferai remarquer, ainsi que l’on a pu s’en convaincre, que la formation du sucre dans le foie n’est pas en litige. C’est une vérité physiologique parfaitement établie et complétement acquise à la science. La question qui se trouve actuellement en jeu, c’est de savoir quels sont les éléments du sang que le foie utilise pour fabriquer la matière sucrée. L’hypothèse de cette formation du sucre aux dépens des matières grasses se trouve renversée par mes expériences, dans lesquelles j’ai fait voir que l’alimentation purement graisseuse diminue la production du sucre dans le foie et la quantité de cette matière dans tout l’organisme. Il reste à examiner la théorie de la formation du sucre aux dépens des matières azotées, que les analyses chimiques de M. Lehmann et mes expériences physiologiques indiquent. C’est le sujet dont j’entretiendrai incessamment l’Académie. »

Toutes les fois, Messieurs, que l’on voudra faire des expériences sur la fonction glycogénique du foie, il faudra embrasser et comprendre dans son ensemble les connexions physiologiques de cette fonction avec les autres systèmes organiques. Sans cela on aura des expériences incomplètes pour l’interprétation desquelles on n’aura aucune espèce de criterium.

J’ai fait faire ici une figure schématique, sur laquelle vous pouvez saisir d’une manière simple et exacte les divers rapports de la fonction glycogénique avec le système sanguin (fig. 21).

Maintenant, Messieurs, le résumé de toutes ces leçons, et les preuves à l’appui de cette fonction glycogénique nouvelle, peuvent se donner en quelques lignes, qui seront en quelque sorte le programme de la démonstration expérimentale de la formation du sucre dans le foie.

Premier fait. Il y a du sucre dans le foie de l’homme et de tous les animaux en état de santé. Ceci n’a jamais été contesté.

 

Fig. 21. Le foyer de la matière sucrée est dans le foie F qui la produit, et dont le tissu en renferme constamment. Le foie reçoit les matériaux de cette sécrétion par le sang qui entre par la veine porte VP, et qui ne renferme pas de sucre chez les carnivores. Ce sang vient en partie du sang des artères mésentériques qui passe par les capillaires dans les rameaux de la veine porte b, et, d’autre part, des matériaux absorbés en a, directement dans l’intestin. Le sang non sucré de la veine porte VP entre dans le foie, s’y répand, y subit des métamorphoses au contact de l’élément glandulaire, devient très sucré, et passe dans la veine hépatique HS. On a ainsi du sang qui entre en VP sans renfermer aucune trace de sucre, tandis qu’il en contient beaucoup en HS. Il faut bien que ce sucre ait pris naissance dans le foie F. Le sang sucré de la veine hépatique SH arrive alors dans la veine cave inférieure VCI, près du cœur, se mélange avec le sang non sucré de la veine cave inférieure, et va dans le cœur C, où il se mélange encore avec le sang de la veine cave supérieure VCS, de telle sorte que la quantité du sucre a été considérablement diluée, au point que la quantité du sucre, qui était en HS de 0,980 gr. pour 100, est en c moins de 0,300 gr. pour 100. Le sang sucré du ventricule droit c est chassé dans les poumons par l’artère pulmonaire AP, arrive dans les capillaires du poumon P, où il se détruit en presque totalité, et le sang revient alors par la veine pulmonaire dans le ventricule gauche. De là le sang, qui ne contient plus de sucre d’une manière appréciable, passe dans le système artériel ou aortique AA, puis arrive dans les capillaires généraux CG. Là le sang subit d’autres modifications, puis passe de l’état de sang artériel à l’état de sang veineux, puis repasse dans les veines caves inférieure et supérieure. VCI, VGS. Le sang de l’artère mésentérique m se répand dans les capillaires intestinaux, se charge en passant des matériaux, dissous par la digestion dans l’intestin I, puis arrive au foie. Le sang de l’artère rénale R arrive au rein R, et cède les matériaux de l’urine, mais ne cède pas de sucre habituellement. Il n’en cède que lorsque la quantité de cette matière dans le cœur droit excède 0,300 gr. pour 100, que tout n’a pas été détruit dans le poumon, et qu’il ‘en est passé dans le sang artériel, qui l’apporte alors au rein. Le rein devient alors un organe éliminateur du sucre, et l’individu se trouve diabétique.

 

Deuxième fait. Le sucre existe dans le foie des carnassiers comme dans celui des herbivores, à jeun ou en digestion.

Corollaire. La présence du sucre dans le foie est donc indépendante de la nature de l’alimentation.

Troisième fait. Chez un carnivore, on ne trouve point de sucre dans le sang de la veine porte.

On en trouve toujours, au contraire, des quantités considérables dans le sang des veines hépatiques.

Corollaire. Le sucre se forme donc dans le foie.

Quatrième fait. Le sucre versé dans le sang se détruit successivement à mesure qu’il s’éloigne du foie, sans toutefois, chez l’animal sain, apparaître dans les urines.

Cinquième fait. Le sang qui sort du foie, en même temps qu’il contient davantage de sucre, ne renferme plus du tout de fibrine et beaucoup moins d’albumine que le sang qui y entre.

Corollaire. Le sucre semble se produire dans le foie aux dépens des matières albuminoïdes du sang.

Tous les faits qui précèdent sont établis par des expériences chimiques ; elles prouvent déjà qu’il y a formation de sucre dans le foie. Mais comme cette fonction se passe dans l’organisme, il en résulte que cette production glycogénique doit par conséquent subir toutes les influences de diverse nature qui agissent sur les fonctions organiques.

En effet, nous constatons au point de vue physiologique :

Premier fait. La fonction glycogénique subit des oscillations, comme toutes les sécrétions, et en particulier comme celles qui sont liées à l’appareil digestif.

Elle est plus active au moment de la digestion.

Elle diminue dans les intervalles.

Elle peut finir par disparaître à la suite d’un jeûne prolongé.

Deuxième fait. Les influences extérieures agissent sur la sécrétion du sucre.

Le froid la fait disparaître, soit complètement, soit en partie, suivant son intensité.

La chaleur la rétablit.

Troisième fait. Les actions sur le système nerveux retentissent sur cette fonction pour l’exagérer, pour la diminuer, pour la pervertir.

Quatrième fait. La fonction glycogénique est en sympathie d’action avec les autres fonctions de l’économie, et en particulier avec la respiration.

Cinquième fait. À l’état morbide, la fonction glycogénique s’exagère ou s’anéantit.

Son exagération produit le diabète.

Son anéantissement a lieu sous l’influence de tout état fébrile.

Le foie des individus morts de maladie ne contient généralement pas de sucre.

 

Tel est, Messieurs, l’ensemble des preuves qui concourent à établir que la production directe du sucre par le foie est une véritable fonction physiologique.

Quand vous voudrez vous convaincre par des expériences personnelles de la réalité de cette fonction glycogénique, vous devrez passer successivement par cette série de faits que nous venons de vous énoncer, qui s’enchaînent les uns avec les autres, et qui vous conduiront à coup sûr au résultat que nous vous avons annoncé, et alors vous partagerez nos convictions.

Il ne me reste plus, Messieurs, en terminant, qu’à vous remercier de l’intérêt constant avec lequel vous avez suivi ces leçons.

Appendice

Les expériences si concluantes de M. le professeur Lehmann, que nous avons rapportées dans la dernière leçon, ainsi que les remarques dont nous les avions fait suivre, devaient naturellement faire taire nos contradicteurs, ou bien les irriter et les amener à quelque argument extrême. Les deux cas sont arrivés, il en est qui n’ont plus rien dit, tandis que d’autres ont été moins prudents. Immédiatement après la fin du cours, dans la séance académique du 26 mars dernier, il parut un nouveau travail, dans lequel on crut convenable, pour faire plus d’effet, de prendre exactement le contre-pied des analyses de M. Lehmann, et d’avancer qu’il y avait plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques. L’auteur de cette contradiction est le même qui, le 29 janvier, avait soutenu que le sucre du foie provient des végétaux, au moyen de la viande de boucherie qu’on donne aux carnivores ; seulement il semble abandonner la plupart des arguments émis dans son premier travail, car il n’en est plus fait mention dans le second. Mais il imagine alors des conditions expérimentales tout à fait particulières, et il annonce avec assurance que, deux heures après un repas de viande crue, il y a plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques, tandis que l’inverse à lieu quatre heures après. Il est évident qu’il fallait que les expériences qui sont annoncées, au nombre d’une seulement, donnassent ces résultats pour prouver que, deux heures après le repas, le foie reçoit plus de sucre qu’il n’en donne, et qu’au contraire, quatre heures plus tard, le sucre s’étant accumulé dans le foie, l’organe en rend plus qu’il n’en reçoit.

On paraît peu au courant des notions physiologiques sur la digestion, car on dit qu’au bout de deux heures la viande crue est digérée, et que le sucre des aliments a passé dans la veine porte. Si l’on y eût regardé de près, on aurait vu que la digestion de la viande crue, après deux heures, loin d’être en pleine activité dans l’intestin, n’est pas même bien commencée dans l’estomac.

Voici, du reste, comment l’auteur s’exprime dans son Mémoire, qui, tel qu’il a été lu, se trouve reproduit dans la Gazette médicale du 31 mars, p. 202 :

Un chien jeune et de forte taille a été privé de toute nourriture pendant trois jours. On a commencé alors à le nourrir avec de la viande de bœuf crue, et l’on a continué pendant huit jours ce régime. Au bout de ce temps, le chien a été laissé à jeun pendant quarante heures. On lui a donné alors un repas composé de 2 livres et demie de viande de bœuf, et, deux heures après, on a procédé à l’opération, qui consistait à recueillir séparément le sang de la veine porte et celui des vaisseaux situés au-dessus du foie. À cet effet, une incision a été pratiquée au flanc droit de l’animal, le doigt indicateur introduit par cette ouverture, et suivant le bord inférieur du foie, a permis de saisir le paquet des nerfs et des vaisseaux qui pénètrent dans cet organe ; la veine porte étant saisie, on l’a liée. Après cette ligature, on a ouvert l’abdomen, ce qui a permis d’apercevoir les vaisseaux de l’intestin noirs et gonflés par la stase du sang, suite de la ligature. En incisant la veine porte, on a recueilli le sang de ce vaisseau. On s’était procuré de même celui des veines mésentériques. Après ces diverses opérations, la poitrine de l’animal a été ouverte, et l’on a recueilli le sang du ventricule droit du cœur, et celui de la veine cave inférieure à son entrée dans cet organe. Enfin, on a extrait le foie. L’estomac du chien contenait encore une assez grande quantité de viande digérée et d’une couleur grisâtre.

Voici maintenant les résultats auxquels a conduit l’analyse chimique comparée du sang de la veine porte et du sang pris au-dessus du foie.

Sang de la veine porte. Ce sang pesait 102 grammes. Il a été coagulé par l’addition de trois fois son volume d’alcool. Le liquide, passé à travers un linge, a été rendu acide par quelques gouttes d’acide acétique et évaporé à siccité. En reprenant par de l’eau distillée, on a obtenu une liqueur limpide qui a été évaporée à siccité.

Le poids de ce dernier résidu était de 1,07. Une partie de cette liqueur, traitée par le réactif de Frommherz, a fourni un précipité abondant de sous-oxyde de cuivre, ce qui indiquait la présence d’une notable quantité de sucre.

Le lendemain, avec la liqueur cupro-potassique titrée à 5 centigrammes de sucre d’amidon pour 10 centimètres cubes de liqueur, j’ai procédé à la détermination de la quantité de glucose contenue dans un poids connu du résidu de l’évaporation. J’ai trouvé ainsi que le sang sur lequel j’avais opéré contenait, sur 100 parties, 0,248 de glucose. Ajoutons que le sang des veines mésentériques renfermait aussi du sucre, mais la proportion n’en a pas été dosée17.

Sang pris au-dessus du foie. Le poids de ce sang était de 25 gramm. Traité comme précédemment, il a laissé un résidu du poids de 0,150. Le réactif cupro-potassique n’a indiqué dans ce résidu que des traces à peine appréciables de glucose. La quantité en était si faible, qu’ayant essayé de la doser avec la liqueur cupro-potassique qui avait servi à l’analyse du sang de la veine porte, je n’ai pu y parvenir, car la coloration bleue de la liqueur titrée, a été à peine altérée par l’affusion de la presque totalité du liquide.

Dans le sang pris au-dessus du foie, deux heures après le repas, il n’existait donc que des traces de glucose.

Quant au foie, qui pesait 315 grammes, il était chargé d’une quantité notable de sucre.

Il résulte de cette première expérience que, chez un chien nourri de viande crue et tué deux heures après le repas, on trouve dans la veine porte une quantité notable de glucose, et qu’il n’existe que des traces de ce produit dans le sang qui sort du foie, bien que ce dernier organe soit lui-même chargé de sucre.

La même expérience a été répétée, quatre heures après le repas, avec un chien placé dans les mêmes conditions que le précédent, et nourri exclusivement depuis douze jours avec de la viande de bœuf crue. Au bout de quarante heures de jeûne, on a donné à ce chien un repas composé de 2 livres de viande de bœuf crue, et, quatre heures après, on l’a opéré comme le précédent. On a recueilli, par incision, le sang de la veine porte. La poitrine étant ouverte, on a pris le sang du ventricule droit et celui de la veine cave inférieure. La digestion était presque entièrement terminée, car l’estomac ne contenait plus que quelques morceaux de viande au milieu d’une masse demi-liquide et pultacée qui n’occupait qu’une partie du viscère. En procédant à l’analyse comparée de ces deux sangs, j’ai obtenu les résultats qui suivent :

Sang de la veine porte. Le sang recueilli pesait 76 grammes. A la seconde évaporation (l’évaporation du liquide aqueux), il a laissé un résidu du poids de 0,39. J’ai trouvé, en analysant un poids connu de ce résidu avec la liqueur cupro-potassique titrée, qu’il renfermait 0,231 pour 100 de glucose.

Sang pris au-dessus du foie. Ce sang pesait 25 grammes. Le résidu alcoolique pesait 0,165. On a trouvé, par le même procédé d’analyse, que ce sang contenait 0,304 pour 100 de glucose.

Le foie renfermait une quantité notable de sucre.

Ainsi, chez un chien nourri de viande crue, et tué quatre heures après le repas, on trouve du glucose dans le sang de la veine porte, et le sang qui sort du foie renferme alors une quantité de glucose plus considérable que quand on l’a recueilli deux heures seulement après le repas.

Examinons maintenant les conséquences auxquelles conduisent ces deux expériences si importantes dans la question qui nous occupe.

Ce que tout le monde remarquera certainement dans leur résultat, c’est la démonstration de ce fait capital, que le sang qui pénètre dans le foie pendant la digestion renferme déjà du sucre, et que par conséquent le foie ne joue point dans la production de ce principe le rôle qui lui est attribué.

Une seconde particularité, qui ressort des mêmes expériences, frappera peut-être moins que la précédente, mais elle est pour nous tout aussi précieuse, car elle démontre avec évidence que le foie est bien, comme nous l’avons dit, un organe dans lequel les produits de la digestion viennent séjourner un certain temps, s’y accumuler, s’y réunir, pour être ensuite répandus et distribués dans la circulation générale.

Rapprochons, en effet, les résultats de ces deux expériences. Dans la première, quand on recueille le sang deux heures après le repas, le sang qui provient du foie ne renferme encore qu’une quantité insignifiante de sucre, bien que cet organe soit rempli de matière sucrée. Dans la seconde expérience, faite quatre heures après le repas, le sang qui s’échappe du foie contient des proportions notables de glucose. Ne voit-on pas là la démonstration évidente de ce fait, que le foie arrête quelque temps dans son tissu les matières qui lui sont apportées de l’intestin ? Par suite de l’extrême lenteur de la circulation dans l’organe hépatique, par la nature même du tissu spongieux de cette glande, le sang est contraint de subir dans le foie une stagnation qui a pour effet d’y retenir ces produits un temps plus ou moins long. Aussi, lorsque, dans la première expérience, nous avons recueilli le sang deux heures seulement après le repas, nous avons saisi le moment précis où le sucre, arrivant du tube intestinal par suite de la digestion, avait pénétré dans le foie, mais n’avait pas eu le temps d’en sortir, et se trouvait encore arrêté dans le réseau vasculaire de cette glande. Et c’était un spectacle remarquable et plein d’enseignements physiologiques que de voir s’échapper d’un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit ! Mais lorsque, dans la seconde expérience, on a recueilli le sang quatre heures après le repas, on a laissé au glucose le temps de s’échapper par les vaisseaux sus-hépatiques, et l’analyse a permis de constater dans le sang de ces vaisseaux l’existence d’une notable proportion de matière sucrée.

J’ai reproduit textuellement les paroles de l’auteur, parce qu’il faut avoir lu, de ses yeux, de semblables résultats, pour croire qu’on les ait avancés d’après une expérience faite une seule fois. On comprend, jusqu’à un certain point, que l’illusion puisse se glisser dans le raisonnement sous l’influence de certaines idées préconçues, mais il est plus difficile de comprendre que l’on trouve et que l’on dose du sucre dans le sang de la veine porte, quand il n’y en a pas, et que l’on n’en voie pas dans le sang des veines hépatiques où il y en a. La possibilité de semblables contradictions doit attrister les hommes qui recherchent la vérité.

Le résultat énoncé, à savoir, qu’il y a plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques, est tellement opposé à ce que tout le monde a vu, que j’avais cru d’abord à quelque erreur anatomique et à quelque confusion de vaisseaux. On remarque, en effet, de l’ambiguïté dans les désignations anatomiques. On parle, d’une part, du sang recueilli dans la veine porte et du sang recueilli dans les veines mésentériques, distinction qui n’a pas sa raison d’être, puisque la veine porte n’est que la réunion de toutes les veines mésentériques. D’autre part, on dit qu’on a recueilli du sang au-dessus du foie, et puis, dans le détail de l’expérience, on ajoute que l’on a ouvert la veine cave à son embouchure dans l’oreillette droite du cœur. L’auteur n’a sans doute pas voulu désigner par cette expression : sang pris au-dessus du foie, le sang du cœur droit provenant de tout le système veineux du corps, car il sait bien que c’est dans les veines hépatiques, immédiatement à la sortie du tissu du foie, qu’il faut prendre le sang sus-hépatique pour le comparer au sang de la veine porte qui entre dans l’organe. Du reste, dans ses conclusions, l’auteur s’explique plus clairement quand il s’écrie, dans l’étonnement et l’admiration où il est de ses propres résultats : « Et c’était un spectacle remarquable et plein d’enseignements physiologiques que de voir s’échapper d’un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit ! »

Or, si l’auteur a vu sur un chien le sang s’échapper du foie, il n’a pu le voir s’échapper que par les veines hépatiques qui s’abouchent dans la veine cave au-dessous du diaphragme, et non à l’entrée de l’oreillette droite du cœur. Enfin, l’auteur ajoute, deux lignes plus bas : « On a laissé au glucose le temps de s’échapper par les vaisseaux sus-hépatiques. » D’après tout cela, je crois bien que notre contradicteur a pris du sang des veines hépatiques et du sang de la veine porte ; mais ce que je n’admettrai jamais, pas plus que personne, c’est ce qu’on a avancé, à savoir, que, deux heures après un repas de viande crue, il y a plus de sucre dans le dernier sang que dans le premier.

Sans rechercher la cause des erreurs matérielles qui ont pu se glisser dans les expériences, je ferai seulement sur la direction d’idées de l’auteur une remarque générale qui me semble assez explicative.

Il est bien clair que, dans toute cette discussion, l’auteur en question, sans s’en apercevoir, et de très bonne foi sans aucun doute, se place toujours en dehors du point de vue scientifique, en ce qu’il traite la question comme un avocat qui soutient un plaidoyer, mais non comme un savant qui cherche la vérité. Cette méthode de procéder est surtout dangereuse dans les sciences complexes comme la physiologie, et il est d’autant plus important de la signaler ici, que, pour ne pas y être trompé, il faut être bien au courant des questions dont il s’agit. En effet, une fois le point de départ admis, les raisonnements s’enchaînent logiquement, et les personnes étrangères aux faits sont séduites par cet enchaînement, sans se douter que c’est précisément le point de départ qui pèche, et que c’est là ce qu’il faut déterminer exactement. Or, je dis que, dans le travail que nous examinons, l’auteur se préoccupe beaucoup plus de rechercher des apparences d’arguments pour le besoin de sa cause que de s’enquérir si les arguments qui servent de point de départ à ses raisonnements sont solidement établis.

Voyons, en effet, ce qui est arrivé. Dans son premier Mémoire, l’auteur se pose en défenseur d’une théorie en vertu de laquelle le sucre trouvé dans le foie des carnivores doit provenir des végétaux. Alors il imagine, pour son explication, qu’il y a du sucre dans la viande des animaux de boucherie, qui sont herbivores, et là-dessus il construit tout un échafaudage de considérations pour prouver que l’origine du sucre n’est pas dans le foie.

Mais on lui dit que d’abord le fait de la présence du sucre dans la viande est erroné. Ensuite, pour démontrer que le foie ne fait pas de sucre, et que cette substance vient de l’aliment, il faudrait prouver qu’il y a du sucre dans le sang de la veine porte qui entre dans l’organe ; et enfin, pour établir que le sucre se condense dans le foie, il faudrait encore montrer qu’il entre plus de sucre dans le foie qu’il n’en sort.

L’auteur n’est pas embarrassé pour résoudre ces objections qu’on lui oppose. La présence du sucre dans la viande n’est pas exacte : il n’en parle plus. Il faudrait, pour prouver ce qu’il a avancé, qu’il y eût plus de sucre dans la veine porte que dans le sang des veines hépatiques : immédiatement paraît le Mémoire précédemment rapporté, dans lequel il croit avoir vu ces résultats, qui sans doute peuvent constituer un bon argument, mais qui, malheureusement pour la théorie qu’on soutient, est tout aussi illusoire que la présence du sucre dans la viande. D’après cette disposition d’esprit de l’auteur, il est probable que, quand on lui aura prouvé qu’il n’y a pas, comme il le croit, du sucre dans le sang de la veine porte en plus grande quantité que dans le sang des veines hépatiques, il abandonnera cet argument pour en imaginer un ou plusieurs autres à la discussion desquels il espérera qu’on puisse s’arrêter.

Les discussions dans lesquelles on se laisse conduire par ses idées en dehors de l’examen sérieux des faits ne peuvent avoir aucun résultat scientifique. Pour ces raisons, je me serais abstenu, pour mon compte, de poursuivre cette espèce de procès qu’on a voulu intenter à la fonction glycogénique du foie ; mais je suis ici professeur de physiologie expérimentale, j’ai foi dans la méthode expérimentale et dans l’invariabilité des expériences bien faites. Il est de mon devoir de m’élever contre ceux qui, par la manière dont ils traitent les questions, peuvent jeter du doute dans les esprits sur la constance des résultats physiologiques, et retarder cette belle science dans son développement aujourd’hui si brillant. Je ne dois d’ailleurs laisser échapper aucune source d’instruction pour les élèves. Or, on instruit à la fois en mettant sous les yeux les méthodes d’investigation qui conduisent à la vérité, afin de les suivre, et en signalant celles qui conduisent à l’erreur, afin de les éviter. C’est comme exemple de ce dernier genre que j’ai eu à indiquer la manière de procéder de l’auteur dont nous nous occupons, et c’est pour montrer jusqu’où cette manière de raisonner peut conduire, que j’ai voulu poursuivre la question dans cet appendice.

Au point de vue de la physiologie, il aurait pu y avoir inconvénient à ne pas suivre la discussion jusqu’au bout. En effet, à voir l’assurance et la facilité avec lesquelles l’auteur explique tout, et rétorque les objections, certaines personnes pouvaient croire à l’exactitude des faits contradictoires avancés, et en tirer cette conclusion, que les expériences de physiologie sont des expériences incertaines qui donnent des résultats variables et même opposés, et que les conclusions qu’on en tire ne doivent conséquemment avoir aucune valeur absolue. Or, cette conclusion serait essentiellement injuste, comme je l’ai prouvé dans maintes circonstances, et j’ai expliqué dans la première leçon de ce cours que les expériences physiologiques sont aussi certaines et aussi positives que celles de chimie et de physique, pourvu que l’on ait soigneusement étudié les conditions de l’expérience pour reproduire les phénomènes toujours dans des conditions identiques.

Quand on dit, par exemple, que chez un carnivore il n’y a pas de sucre dans le sang de la veine porte, et qu’il y en a dans le sang des veines hépatiques, ce n’est pas là un résultat moyen fourni par beaucoup d’expériences, dans lesquelles on aurait trouvé quelquefois des résultats opposés. C’est une expérience constante et absolue, et jamais, quand elle est bien faite et dans les conditions indiquées, il n’y a de sucre dans le sang de la veine porte. C’est à cause de cette foi scientifique que j’ai dans la certitude et l’invariabilité des expériences physiologiques, dont les conditions sont bien étudiées, que je crois de mon devoir, comme professeur de physiologie expérimentale, de m’élever non contre les personnes, que je laisse toujours en dehors, mais contre les travaux, dont la légèreté inspire de la défiance à l’égard de la physiologie expérimentale, en apportant dans une question des résultats qui n’ont pas même été constatés, comme la présence du sucre dans la viande. C’est pour toutes ces raisons, et uniquement dans l’intérêt de la science, que je crus qu’il fallait protester contre les faits avancés dans le Mémoire que nous examinons ; c’est ce que je fis dans la séance de l’Académie du 2 avril, dans les termes suivants :

Dans la séance de l’Académie du 12 mars dernier, j’ai rappelé que M. le professeur Lehmann, de Leipzig, venait encore, avec une autorité des plus considérables en pareille matière, confirmer une de mes expériences fondamentales à l’aide desquelles j’ai établi depuis longtemps que le foie fabrique du sucre. Cette expérience consiste, comme on sait, à montrer que chez des animaux carnivores à jeun ou en digestion de viande, il n’existe pas de sucre dans le sang de la veine porte qui circule des intestins vers le foie, tandis qu’il en existe constamment et en notable proportion dans le sang qui sort du foie par les veines hépatiques pour circuler vers le cœur.

Dans la dernière séance de l’Académie, on a nié l’exactitude de ces faits constatés et vérifiés par les hommes les plus compétents et les plus habiles.

L’auteur qui a émis cette négation est arrivé non seulement à dire que chez les animaux carnivores, à certaines périodes de la digestion, il y a du sucre dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines hépatiques, mais il n’a pas craint d’avancer que, deux heures après le repas, on trouve chez un chien qui a mangé de la viande de bœuf crue une plus forte proportion de sucre dans le sang de la veine porte que dans le sang pris au-dessus du foie.

L’assurance avec laquelle une pareille assertion a été avancée pourrait peut-être en imposer à certaines personnes. C’est pourquoi je crois de mon devoir de venir déclarer ici que ces résultats sont entièrement inexacts.

Par suite d’expériences très nombreuses faites depuis six années et que j’ai répétées devant des savants de tous les pays, je ne pouvais avoir aucun doute à cet égard. Je viens même encore cette semaine de refaire mon expérience devant différents physiologistes ou chimistes, en plaçant les animaux dans les diverses conditions de digestion, et spécialement dans celles indiquées par l’auteur du Mémoire, soit relativement à la nature de l’alimentation, soit relativement à l’époque de la digestion, soit enfin relativement à la manière dont le sang a été traité, pour y rechercher la matière sucrée. Or, je déclare de nouveau que j’ai toujours obtenu le résultat que j’avais annoncé, à savoir, que chez un chien en digestion de viande cuite ou crue il n’y a pas de sucre dans la veine porte, ni une heure, ni deux heures, ni trois heures, etc., après le repas, et qu’il y en a au contraire dans les mêmes circonstances, constamment et en notable proportion, dans le sang des veines hépatiques.

Maintenant, quant à apprécier les causes de l’erreur dans laquelle est tombé l’auteur du Mémoire en question, ce rôle appartient à la Commission qui, je l’espère, ne tardera pas à faire son rapport.

Mais, par un sentiment que l’Académie comprendra, j’ai l’honneur de prier M. le Président de vouloir bien nommer en ma place un autre commissaire pour examiner les Mémoires de M. Figuier.

Je n’ai pas à m’occuper dans cette note de la question de savoir si les causes d’erreur provenaient des moyens employés pour reconnaître le sucre, car il est probable que l’auteur, voulant répéter nos expériences et celles de M. Lehmann, a dû les reproduire dans les mêmes circonstances et avec les mêmes réactifs, car sans cela ce serait d’autres expériences.

Quant aux réactifs dont il faut se servir pour reconnaître le sucre, nous nous sommes déjà expliqué suffisamment à ce sujet. On sait que nous ne nous servons comme caractère certain que de la fermentation au contact de la levure de bière, avec production d’acide carbonique et d’alcool. Nous devons ajouter que nous agissons quelquefois en mélangeant directement la levure avec du sang frais sucré, comme cela a lieu dans les veines hépatiques. La fermentation s’établit rapidement au bout de dix minutes, pour peu que la chaleur soit de 30 à 40 degrés, et elle dure généralement cinq ou six heures, tandis que jamais le sang frais de la veine porte, mélangé de même à de la levure de bière, ne fermente dans le même temps. Quand on emploie de la levure de bière prise chez les boulangers, il importe de ne pas laisser la fermentation durer plus de vingt-quatre heures, car alors la fécule pourrait, sous l’influence des matières animales du sang, se transformer en sucre et donner de l’alcool et de l’acide carbonique, comme nous nous en sommes assuré. Au lieu de faire fermenter directement le sang, on peut le traiter par quatre ou cinq fois son volume d’alcool, et reprendre le résidu par l’eau, qu’on soumet alors à la fermentation. Mais, soit qu’on prenne directement le sang des veines portes et des veines hépatiques, soit qu’on le traite par l’alcool préalablement, on voit constamment dans tous les cas la fermentation s’établir avec le sang des veines hépatiques, et jamais avec le sang de la veine porte.

Nous n’avons pas besoin de répéter ici que, pour obtenir ces résultats, il faut recueillir le sang dans des conditions physiologiques. On ne peut avoir le sang qui circule dans des conditions normales dans la veine porte, ou dans les veines hépatiques, qu’en opérant par le procédé que nous avons indiqué, qui consiste à tuer l’animal par la section du bulbe rachidien, et à recueillir immédiatement le sang contenu dans la veine porte et celui contenu dans les veines hépatiques, après avoir placé des ligatures sur ces vaisseaux. De cette manière, on est bien sûr que le sang recueilli dans la veine porte est celui qui allait entrer dans le foie au moment de la mort de l’animal.

Quand, à la suite de la fermentation, on veut obtenir de l’alcool, ce qui est, suivant nous, une condition indispensable de l’expérience, il faut se procurer d’assez grandes quantités de sang et sacrifier un certain nombre d’animaux dans les mêmes conditions. On réunit tous les sangs des veines hépatiques et ceux des veines portes qu’on traite comparativement à quantités égales.

Dans ces circonstances, on recueille les plus grandes quantités de sang possible, en faisant l’expérience sur l’animal vivant, comme nous l’avons souvent pratiquée, que l’on veuille obtenir le sang de la veine porte ou le sang des veines sus-hépatiques.

Pour obtenir le sang de la veine porte, il suffit de faire la ligature du tronc de cette veine, d’ouvrir l’abdomen, et de piquer au-dessous de la ligature. On fait jaillir ainsi du sang circulant dans la veine porte chez l’animal vivant. Mais on comprendra, que, pour que ce sang soit dans des conditions physiologiques, il ne faut en prendre qu’une petite quantité ; car, si l’on fait mourir l’animal d’hémorragie en ouvrant la veine porte, par exemple le sang de toutes les parties du corps se trouvant évacué, le foie comprimé par les convulsions de l’animal, le sucre que contient cet organe passe avec les dernières portions de sang, qui alors ne sont plus identiques avec les premières, qu’on peut seules considérer comme recueillies dans des conditions physiologiques.

Pour obtenir une grande quantité de sang des veines hépatiques, nous avons employé le même procédé que pour constater la température du sang qui sort du foie. Ce procédé consiste à faire une grande incision dans le flanc droit, jusque dans l’angle de la dernière côte, et à placer deux ligatures sur la veine inférieure, au-dessus des veines rénales. Ces ligatures sont destinées l’une à arrêter le sang qui vient des parties inférieures, l’autre à lier un tube ouvert par les deux bouts, qu’on introduit dans la veine. Ensuite, lorsqu’on a placé ces deux ligatures d’attente dans le ventre, il s’agit de faire la ligature de la veine cave inférieure au-dessus du diaphragme, dans la poitrine. Pour cela, on fait une incision entre la dixième et la onzième côte du côté droit. On incise d’abord la peau, puis, en changeant le parallélisme, on fait une petite incision dans un espace intercostal, de façon à introduire le doigt pour qu’il bouche exactement l’ouverture, et empêche l’entrée de l’air ; ensuite on introduit le long du doigt, à l’aide d’un stylet, un fil qu’on passe au-dessous de la veine, on fait la ligature, et de cette façon le sang des parties inférieures ne peut plus remonter dans le cœur.

Pour éviter de faire cette ligature de la veine cave inférieure, qui est souvent assez laborieuse, on peut faire la première partie de l’opération comme nous l’avons décrite, après quoi on introduit dans la veine cave un tube qui est une espèce de sonde au bout de laquelle on peut souffler, au moyen d’un tube latéral, une petite vessie destinée à boucher le calibre de la veine inférieure (fig. 22).

On introduit la sonde par la veine cave inférieure, au-dessous des reins, dans l’abdomen, et l’on pousse l’instrument de façon que son extrémité soit au-dessus du diaphragme. Alors on souffle de l’air par le tube 0. L’air insufflé conduit par le petit tube t, va s’ouvrir en t’, et distendre la petite vessie de caoutchouc G ; alors on ferme le robinet r, et la vessie, restant distendue, bouche et obstrue la veine cave au-dessus du diaphragme, c’est-à-dire au-dessus du lieu d’abouchement des veines hépatiques. Alors ce sang, ne pouvant plus remonter dans le cœur, pénètre dans la sonde par l’ouverture latérale 0′, et vient s’écouler au dehors, par le pavillon 0 de la sonde, dont le robinet R a été ouvert.

Par l’un ou l’autre des deux procédés précédents, on peut avoir des quantités considérables de sang sucré, parce que la circulation continuant sur l’animal vivant, on recueille du sang qui ne peut s’échapper qu’après avoir traversé le foie. On possède assez de sang pour obtenir de l’alcool par la fermentation en distillant le liquide, ainsi que nous l’avons expliqué dans le cours de ces leçons. Or, la fermentation démontre toujours ce que nous avons indiqué, c’est-à-dire une grande quantité de sucre dans le sang des veines hépatiques, et absence complète ou traces très faibles dans le sang de la veine porte.

 

Fig. 22.

 

Par ces raisons, nous ne saurions comprendre comment l’auteur qui nous a contredit a pu arriver à trouver plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques. Nous ferons remarquer seulement qu’il ne mentionne pas la fermentation, qui est cependant le seul caractère absolu pour déceler le sucre. Si ce n’est pas là un oubli, et si réellement, c’est ce que l’on saura quand la commission aura fait son rapport, ce moyen n’avait pas été employé, on est en droit de refuser aux expériences de l’auteur toute espèce de valeur.

Après notre note du 12 mars, parurent plusieurs Mémoires pour venir corroborer de nouveau nos expériences ; car, ainsi que nous l’avons déjà dit, tous les hommes qui ont répété sérieusement les expériences ont retrouvé nos résultats, et aucun observateur n’a pu reproduire ce qu’a dit notre contradicteur.

Les Mémoires qui ont paru sont, le premier, de M. Poggiale, professeur de chimie au Val-de-Grâce, communiqué à l’Académie des sciences le 16 avril. Ce Mémoire est relatif à la formation du sucre dans le foie et dans la mamelle. Nous ne discuterons pas ici ce travail, nous n’en rapportons que ce qui se rattache à la formation du sucre dans le foie, et particulièrement à la question que nous examinons, à savoir, que chez les animaux carnivores il y a du sucre dans le sang des veines hépatiques, qui sort du foie, tandis qu’il n’y en a pas dans le sang de la veine porte, qui entre dans l’organe. Voici ce travail :

La matière sucrée se forme-t-elle, par l’action digestive, dans le foie et dans le torrent circulatoire ? par M. POGGIALE.

Première expérience. — Un chien adulte a été nourri pendant huit jours au pain arrosé de bouillon gras. Après deux jours d’une abstinence complète d’aliments, on lui a donné un kilogramme de pain et de l’eau. Trois heures après ce repas, l’abdomen ayant été ouvert et le sang des divers vaisseaux recueilli séparément, j’ai déterminé la quantité de sucre dans tous ces produits, et j’ai trouvé dans le sang de la veine porte 0,322 gr. de sucre pour 100 de sang ; dans le sang des veines hépatiques, 0,327 gr. ; dans le sang de la veine cave inférieure, 0,03 gr., et dans celui de l’artère carotide, 0,052 gr. Les matières contenues dans l’estomac et dans l’intestin renfermaient beaucoup de sucre. J’ai fait trois expériences dans les mêmes conditions, et les résultats généraux n’ont pas varié.

Deuxième expérience. — Un chien adulte et de forte taille fut soumis à l’action du chloroforme le troisième jour d’une abstinence absolue, et l’on recueillit du sang de la veine porte, du sang des veines sus-hépatiques, du sang de la veine cave inférieure et du sang de l’artère crurale. On obtint par l’analyse les résultats suivants : 0,025 gr. de sucre dans 100 parties de sang de la veine porte ; 0,049 gr. dans le sang des veines hépatiques ; 0,042 gr. dans le sang de la veine cave inférieure, et 0,023 gr. dans le sang de l’artère crurale.

Troisième expérience. — Un chien fut laissé sans nourriture pendant huit jours, puis sacrifié. L’examen du sang des différents vaisseaux donna les chiffres suivants : 0,022 gr. de sucre pour 100 de sang des veines hépatiques, et des traces seulement dans la veine cave inférieure. Le sang de la veine porte ne contenait pas de sucre. Chez un autre chien à jeun depuis quatre jours, on n’a pas trouvé de sucre dans le sang de la veine porte, tandis qu’on en a rencontré dans le sang des veines hépatiques.

Quatrième expérience. — Un chien nourri pendant huit jours avec de la viande cuite, puis, après une abstinence de trente-six heures, ayant reçu un repas copieux de viande cuite, fut sacrifié au moment de la digestion. Le sang de la veine porte ne renfermait pas de sucre. Le sang des veines hépatiques en contenait 0,340 gr. pour 100 ; le sang de la veine cave inférieure, 0,083 gr., et celui de l’artère crurale, 0,032 gr. On n’a pas constaté la présence du sucre dans les matières alimentaires. Dans deux autres expériences analogues, on eut les chiffres indiqués dans les deux dernières lignes du tableau suivant, qui offre les résultats des analyses pour les expériences appartenant à la troisième série.

Conclusions. — Il résulte des expériences consignées dans ce Mémoire :

1° Que le sucre peut se former dans l’économie aux dépens des aliments azotés, et peut-être des corps gras ;

2° Que l’alimentation absolue à la graisse ne semble pas diminuer la proportion du sucre dans l’organisme ;

3° Que les aliments amylacés se transforment en sucre par l’action digestive ;

4° Que, chez les animaux nourris avec des matières amylacées, le sang de la veine porte contient une proportion considérable de sucre ;

5° Que, chez les animaux nourris avec de la viande, il n’existe pas de sucre dans le sang de la veine porte ; qu’on en trouve, au contraire, une quantité notable dans les veines hépatiques, dans la veine cave inférieure, et même dans le sang artériel ;

6° Que le sang de la veine porte des animaux soumis à l’abstinence complète ne contient pas de sucre ;

7° Que, par conséquent, on est bien obligé d’admettre que, chez les animaux nourris avec des matières azotées et de la graisse, la production du sucre a lieu dans le foie.

La deuxième communication confirmative de nos expériences fut faite également dans la séance du 16 avril par M. Leconte, professeur agrégé de chimie à la Faculté de médecine. Voici ce travail, tel qu’il a été présenté à l’Académie.

Recherches sur la fonction glycogénique du foie, par M. LECONTE.

Attaché au Collège de France comme préparateur du cours de M. Magendie, il m’a été donné d’assister M. Cl. Bernard dans la plupart de ses expériences sur le foie, et de répéter un grand nombre de fois moi-même, soit pour les besoins du cours, soit dans d’autres circonstances, les recherches qui démontrent qu’il n’existe pas de sucre dans le sang de la veine porte d’animaux nourris de viande, tandis qu’il en existe dans le sang des veines hépatiques. La question étant aujourd’hui controversée, j’ai cru devoir soumettre à l’Académie les résultats de ces recherches.

Tous les animaux qui m’ont servi ont été rapidement sacrifiés par la section du bulbe rachidien. Une incision, pratiquée au flanc droit, permettait de lier la veine ; l’abdomen était alors ouvert. On liait la veine cave inférieure au-dessous du diaphragme ; puis, faisant une incision à ce muscle, on appliquait une seconde ligature sur la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme. Il était alors facile de recueillir sans mélange le sang des veines hépatiques en introduisant un tube de verre dans la portion de la veine cave comprise entre les deux ligatures. En introduisant de même un tube de verre dans la portion de la veine porte comprise entre la ligature et les intestins, on recueillait sans mélange le sang provenant de ces derniers organes.

L’expérience m’a démontré qu’en recueillant le sang entre la ligature et le foie, ce fluide contenait toujours une quantité notable de sucre, par suite d’un reflux depuis longtemps signalé par M. Cl. Bernard.

Le sang, mêlé exactement avec trois fois son poids d’alcool à 36 degrés, était jeté sur des carrés de toile fine et fortement comprimé. Les liqueurs étaient filtrées ; le contenu des toiles, les vases et le filtre étaient lavés à l’alcool. Toutes les liqueurs étaient évaporées au bain-marie, après avoir été acidulées par l’acide acétique pur. Les extraits alcooliques étaient délayés dans l’eau, additionnés de 1 gramme de levure de bière fraîche, introduits dans des cloches graduées pleines de mercure, et placés à une douce température. 1 gramme de la même levure délayée dans l’eau distillée était placé dans le tube rempli de mercure, et servait à prouver que la levure seule ne produisait pas de gaz. Après dix-huit à vingt-quatre heures, on mesurait l’acide carbonique, et l’on opérait les corrections relatives à la pression et à la température. Le poids du sucre était calculé d’après la formule : C12H12O12 = 4C02 + 2(C4H6O2).

Avant de doser le sucre dans le sang, je fis les deux expériences qualitatives suivantes :

Première expérience. — Un chien de moyenne taille, laissé à jeun pendant vingt-quatre heures, fut sacrifié une heure après un repas composé de 1 kilogramme de viande de bœuf crue. L’extrait alcoolique du sang de la veine porte ne donna rien par la fermentation ni par le cupro-tartrate de potasse ; avec celui des veines hépatiques, réduction très notable avec le même réactif. La fermentation donna une quantité assez considérable d’acide carbonique.

Deuxième expérience. — Un jeune chien de trois mois fut nourri de viande cuite pendant dix jours ; on le sacrifia le onzième, deux heures après un repas composé de viande de bœuf crue. 33 grammes de sang de la veine porte donnèrent un extrait alcoolique qui donna une réduction douteuse avec le cupro-tartrate de potasse, et rien par la fermentation. 4 grammes de sang des veines hépatiques fournirent un extrait alcoolique qui donna une réduction abondante par le cupro-tartrate de potasse, et par la fermentation une quantité appréciable de gaz carbonique.

Troisième expérience. — Un chien de très forte taille fut nourri pendant quinze jours avec de la viande cuite ; le seizième jour on le sacrifia deux heures après un repas composé de 1 kilogramme de viande crue de bœuf. On recueillit : sang de la veine porte, 73 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique repris une seconde fois par l’alcool, 0,60 ; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties : extrait sec de la deuxième solution alcoolique, 8,22. Cet extrait alcoolique ne donna aucune trace de gaz par la fermentation. On obtint de même : sang des veines hépatiques, 49 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique repris une seconde fois par l’alcool, 0,70 gr. ; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties : extrait sec de la seconde solution alcoolique, 14,65. Cet extrait sec donna par la fermentation, après dix-huit heures, 21,39 cc. d’acide carbonique, qui représentent 0,0422 gr. de ce gaz, soit 0,0863 gr. de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 1,771, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 123 parties. Le tube ternaire ne donna pas de gaz.

Quatrième expérience. — Un épagneul de forte taille fut mis à la diète pendant vingt-quatre heures, puis nourri cinquante-huit jours à la viande cuite ; on le sacrifia deux heures et demie après son dernier repas. On obtint, sang de la veine porte, 149 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique, 2,059, soit pour sang frais, 1000 parties : extrait alcoolique sec, 13,74. Cet extrait ne donna rien par la fermentation. Le produit resté dans la toile, séché à 100 degrés, pesait 33 grammes ; en y ajoutant l’extrait alcoolique, 2,050, on obtint 35, 055 ; ce qui donne, pour sang de la veine porte, 1000 parties : eau, 766,26 ; substances sèches, 233,74. Le sang des veines hépatiques pesait 54,8 gr. ; il laissa, extrait alcoolique sec, 1,096, soit, pour sang frais, 1000 parties : extrait alcoolique sec, 21,82. Cet extrait, ainsi que le précédent, ne fut pas repris une seconde fois par l’alcool ; après dix heures de fermentation, il fournit 17,9 cc. d’acide carbonique, représentant 0,0726 gr. de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 1,334, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 66,2. Les substances restées sur la toile séchées à 100 degrés pesaient 13,21 gr. ; y ajoutant l’extrait alcoolique 1,096, on obtient 14,306 ; ce qui donne, pour sang des veines hépatiques, 1000 parties : eau, 737,20 ; substances sèches, 272,62. Donc, substances sèches des veines hépatiques, 1000 parties, contiennent : sucre, 5,11.

Cinquième expérience. — Un chien de très forte taille fut mis à jeun pendant vingt-quatre heures ; puis il fit un repas composé de 1250 grammes de viande crue ; on prit 61 grammes de sang de la veine porte et 51 grammes de sang des veines hépatiques. L’extrait alcoolique du premier ne donna rien par la fermentation ; celui des veines hépatiques, au contraire, donna par la fermentation 67 centimètres cubes d’acide carbonique, représentant 0,2715 gr. de sucre ; ce qui donne la composition suivante : sang frais des veines hépatiques, 1000 parties, sucre, 4,452.

Tableau résumant les quantités de sucre contenues dans 1000 parties de sang frais :

En résumé, il résulte des expériences précédentes :

1° Qu’en se plaçant dans les conditions indiquées plus haut, et en opérant rapidement la section du bulbe rachidien et la ligature des vaisseaux, on ne trouve pas de sucre dans le sang de la veine porte d’animaux nourris de viande crue ou cuite ;

2° Que, dans les mêmes circonstances, le sang frais des veines hépatiques contient d’un à quatre millièmes de son poids de sucre, ce qui prouve que l’intervention des substances amylacées n’est pas nécessaire à la formation du sucre dans le foie ;

3° Que le foie est bien un organe formateur du sucre, et non pas un organe condensateur, comme on l’avait avancé ;

4° Que le sang des veines hépatiques laisse plus de substances sèches, et fournit plus d’extrait alcoolique que la même quantité de sang de la veine porte.

Enfin, dans la séance du 30 avril, M. Moleschott, professeur de physiologie à Heidelberg, m’a prié de communiquer à l’Académie les résultats confirmatifs qui suivent :

Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie, par M. MOLESCHOTT.

En lisant vos intéressantes remarques sur la sécrétion du sucre dans le foie, faites à l’occasion d’une communication de M. Lehmann, je me suis rappelé les expériences que j’avais faites en 1852, et qui ne sont pas connues en France. Comme le résultat de ces recherches vient aussi prouver que le foie qui produit du sucre ne saurait être comparé aux reins qui excrètent l’urée, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous le communiquer.

J’ai, sur un grand nombre de grenouilles, extirpé du foie, qui, comme on le sait depuis vos travaux, contient du sucre tout aussi bien que celui des mammifères, et j’ai réussi à garder ces animaux vivants, pendant deux ou trois semaines après l’opération. Après ce laps de temps assez considérable, j’ai examiné le sang, les muscles, le sucre gastrique et l’urine de ces grenouilles, sans y pouvoir trouver aucune trace de bile ni de sucre. Or, c’est un fait avéré en physiologie, qu’après l’extirpation des reins, l’urée s’accumule dans le sang. On devrait donc s’attendre à trouver les acides organiques et la matière colorante de la bile, ainsi que du sucre, dans le sang ou dans le tissu d’animaux privés du foie, pendant quinze à vingt et un jours, si le foie n’était pour ces substances qu’un appareil de filtration. Puisqu’il n’en est rien, j’en conclus que la bile et le sucre sont formés dans le foie, ce qui vient appuyer un fait dont, pour le sucre, la science est redevable à vous, tandis que, pour la bile, M. J. Müller l’a fait connaître le premier, et MM. Kunde et Lehmann l’ont constaté avant moi ; mais, dans les expériences de ces savants, les grenouilles n’avaient survécu que trois ou quatre jours à l’opération, c’est-à-dire pendant un temps qui n’est que la quatrième ou même la cinquième partie de ce que j’ai pu atteindre chez mes animaux.

Après avoir rangé la fonction glycogénique du foie parmi les vérités les plus fécondes de la science, en démontrant que le sucre formé dans le foie est détruit par la respiration, vous accorderez peut-être quelque intérêt à ce que j’ai trouvé que le foie ne contribue pas peu à la métamorphose rétrograde des substances animales. Si l’on a ôté le foie aux grenouilles, ces animaux exhalent, pour la même unité de poids et de temps, beaucoup moins d’acide carbonique que des animaux intacts. J’ai comparé des grenouilles, chez lesquelles j’avais fait l’excision du foie, à d’autres auxquelles j’avais amputé les deux jambes pour leur faire perdre une quantité plus grande de sang qu’il ne s’en perdait par l’extirpation du foie. D’ailleurs, tous les animaux qui servaient à la comparaison, ceux qui étaient intacts et ceux qui avaient subi les deux genres d’opération, étaient pris le même jour dans les fossés et marais de nos environs ; ils étaient gardés dans la même eau, et de plus ils étaient du même sexe, et, autant que possible, du même poids et de la même grandeur. Les expériences, comparées entre elles, étaient exécutées le même jour, à peu près à la même température et à la même pression atmosphérique. Le nombre des expériences pour chacune des trois catégories n’est pas inférieur à vingt-six. Eh bien, 100 grammes de grenouilles intactes ont donné en moyenne, pour vingt-quatre heures, 0,566 gr. d’acide carbonique ; 100 grammes de grenouilles amputées en ont exhalé 0,457 gr., et 100 grammes de grenouilles sans foie n’en ont produit que 0,332 gr. On voit donc que l’excision du foie diminue la quantité d’acide carbonique exhalé par les grenouilles d’une manière plus intense que ne pourrait l’expliquer la perte du sang inévitable dans une opération si grande. Le rapport entre ce fait et la fonction glycogénique du foie me paraît assez bien établi pour oser vous prier de communiquer cette lettre à l’Académie des sciences.

Tels sont les travaux qui ont paru depuis la fin de notre cours. Ils confirment tous de la manière la plus complète nos propres expériences. Nous ne doutons pas que toutes les recherches sérieuses qui seront faites sur la même question n’aboutissent au même résultat.