(1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »
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(1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

Alcide Dusolier

I

Nos gens de lettres, leurs caractères et leurs œuvres [I].

Le livre très distingué d’Alcide Dusolier : Nos gens de lettres, leur caractère et leurs œuvres 25, promet un critique de plus à cette fin de siècle, dont le caractère intellectuel, qui se précise de plus en plus, tend à devenir éminemment critique.

Nous croyons que Dusolier a la vocation qu’il faut le mieux avoir, dans ce temps, pour se classer et réussir. Son livre atteste une sensibilité littéraire des plus rares et qui n’a peut-être pas longtemps à attendre pour devenir exquise, et une justesse de sens très ferme, sous tous les sourires de l’esprit. Avec de pareilles qualités, le critique existe déjà, — mais il ne sera tout à fait venu que quand Dusolier y ajoutera ces principes sans lesquels la critique n’est jamais que les préférences de l’esprit d’un monsieur quelconque, plus ou moins bien doué… Le critique qui doit juger les autres ne peut avoir de scepticisme, car la première qualité du juge, c’est la plus inébranlable certitude qu’il est dans le droit. Et comment trouverait-il la force de rédiger son jugement avec le scepticisme, qui n’a jamais été bon à rien qu’à faire trembler la main qui écrit ?

II

Propos littéraires et pittoresques [II-III].

Jolis propos, — et à propos ! C’est facile, animé, observé, senti, sans le moindre pédantisme, — le mal de notre âge où les plus vides sont les plus lourds. Ce n’est pas un livre, mais c’est mieux qu’un livre ; c’est la promesse de dix. Il y a, dans les Propos littéraires et pittoresques d’Alcide Dusolier26, trois sortes d’esprits, dont j’augure fort bien, et qui, plus tard, donneront des œuvres. Il y a le critique littéraire, le moraliste et le romancier.

J’ai dit ce que je pensais du critique littéraire en Dusolier, qui a débuté par un ouvrage intitulé Nos gens de lettres, un peu trop aimable pour nous tous, mais où l’œil trop bleu de l’auteur et trop noyé de bienveillance avait cependant des justesses et des pénétrations singulières. Mais le moraliste qui perce ! mais le romancier qui se révèle en ces Propos ! je ne les connaissais pas. Je ne les avais pas vus, et à présent je les vois et je vous les annonce. Renvoyons le moraliste à la maturité d’Alcide Dusolier, qui est très jeune, et qui, comme tout ce qui est distingué dans ce triste monde, accomplira la loi d’être un misanthrope à trente ans ; mais le romancier, je ne veux pas l’attendre ! Il nous faut un roman pour cet hiver !

Le romancier ! c’est là la vocation que je dégage des Propos littéraires et pittoresques. Je ne voudrais pas être trop fade, mais le romancier me semble là en bouton. Le romancier à la manière anglaise, et c’est la bonne, — le roman est la meilleure gloire de l’Angleterre, — le romancier de la vie familiale et des mœurs intimes, avec de la profondeur sous la bonhomie, de l’attendrissement sous la gaîté, il y a telles pages, comme un Paysage disparu et le Vieux salon, de ces Propos littéraires et pittoresques, que je vous donne et que vous prendrez pour des chapitres exquis — mon Dieu ! oui ! exquis déjà ! d’un roman inédit dont je ne sais encore ni la conception ni les caractères. Rien n’est plus charmant de coloris doux, de nuances fines et émues… Ce n’est, je le veux bien, que des dessus déportés, faits aux trois teintes, avec du gris de lin, du bleu de ciel et du rose pâle ; mais c’est délicieux, et qui peint ainsi le dessus de porte a droit au lambris !

III

L’attendrissement sous la gaîté, et la gaîté, non à grands éclats, non à grandes volées, mais la gaîté contenue de l’ironie, voilà le caractère du talent de peintre de Dusolier. C’est particulièrement un descriptif que Dusolier, et je le crois même trop préoccupé (théoriquement) de description ; mais le sentiment le sauve des affreuses matérialités contemporaines… En ce moment encore, ce qui l’attendrit, il est vrai, c’est plus les choses que les personnes » Le salon de son père est plus tendrement traité que son père dans son livre, et pourtant c’est le charme du père qui fait le charme de ce salon. Mais laissez-le faire ! laissez-le vieillir (hélas ! nous ne pouvons en empêcher personne) ! et vous verrez où il ira, ce voluptueux de la description, et si l’homme, l’âme de l’homme ne finira pas par s’emparer de son pinceau, et n’y coulera pas une vie supérieure. Quand je vous dis qu’il y a ici un romancier ! Le moraliste, que j’ai vu aussi dans ces Propos littéraires et pittoresques, où l’auteur tire les petits ridicules comme les bécassines, et en entretiendrait la cuisine du Nain Jaune s’il lui plaisait, le moraliste doublera parfaitement le peintre quand Dusolier voudra sérieusement être romancier et regarder dans les cœurs et dans le sien comme il sait regarder dans les choses extérieures, — les paysages de ses campagnes ou les êtres de son logis !

Dans tous les cas, quoi qu’il fasse et quoi qu’il devienne, ce qui est acquis, ce qu’il est présentement, l’auteur de ces propos, qui ne sont pas des caquets, non ! par Dieu ! mais des originalités d’un homme ayant son indépendance et sa manière de voir, — très lisible, au fond, à travers son ironie rieuse, — ce qu’il est présentement et ce qui ne changera pas, c’est un esprit qui a horreur de la vulgarité, du bourgeois, du mesquin, de toutes les choses qui règnent en ce monde. C’est une imagination vive et tendre, — plus tendre qu’elle ne le croit elle-même. C’est un talent enfin de touche ailée, tant elle est légère, et précise aussi quand il le faut. Demandez-le plutôt aux Impassibles (voir le volume des Propos), aux Impassibles, qui, depuis ce chapitre de critique, ne le sont plus !