A. P. Floquet
Études sur la vie de Bossuet jusqu’à son entrée en fonctions en qualité de précepteur du Dauphin.
I
C’est en 1814 que le cardinal de Bausset publia cette Vie de Bossuet qui le conduisit à l’Académie. En ce temps-là, les études historiques et biographiques n’avaient pas le degré d’importance et de profondeur qu’elles ont acquis depuis cette époque, et que, grâce à Dieu ! elles ne perdront plus. À toutes les vies qu’on publiait alors, ce qui manquait, c’était précisément la vie ! Le xviiie siècle n’avait qu’une phrase. Nul souffle puissant ne passait donc sur ces faits qui sont comme les os de l’histoire, et ils restaient inanimés. De niveau avec ses contemporains, l’ancien évêque d’Alais n’avait rien du prophète qu’il aurait fallu pour faire lever de leur tombe les grands ossements de Bossuet et leur donner une seconde fois la vie dans une biographie tout ensemble ardente et lumineuse. Esprit médiocre, n’ayant pour tout talent que la gravité de son état, âme de rhéteur, doctrine trop souvent erronée, le cardinal de Bausset pouvait nous raconter Bossuet, mais le montrer vivant ou le juger, cela lui était impossible. Terrible condition de l’histoire ! Sous peine de retomber dans les redites de la vulgarité, un grand homme est presque nécessaire pour juger un grand homme… Du moins, un certain plain-pied doit-il exister entre l’historien et son héros, pour que l’histoire soit entendue. Si une disproportion trop choquante subsiste entre eux, le jugement devient▶ une insolence, même quand l’admiration l’aurait dicté. L’admiration n’est pas la moindre des insolences que la médiocrité, qui se permet tout, se permette envers le génie, lorsqu’elle croit pouvoir se mesurer avec des sujets plus grands qu’elle.
Cependant, la Vie de l’Aigle de Meaux, tout oppressive qu’elle fût pour le faible talent de Bausset, eut un succès réel quand elle parut, et ce succès s’immobilisa dans l’espèce de considération qu’elle a gardée, mais dont les causes ne sauraient échapper qu’à une critique sans pénétration et sans regard. La Vie en question était la première mise en œuvre, régulière et suivie, des nombreux documents qu’on avait sur Bossuet, et, de plus, c’était l’ouvrage d’un homme qui, vu par les dehors de son état, avait qualité pour parler congrûment d’un évêque, puisque cet homme était cardinal. Voilà ce qui donna une notoriété presque éclatante à un livre qui, littérairement, ne méritait pas tant de bruit. Voilà ce qui sauva de l’oubli un homme pour qui l’Église romaine se montra plus que généreuse, mais pour qui la Fortune, à force de bontés, finissait par se retrouver cruelle. Écrasé par le sujet auquel il avait osé mettre la main, l’historien n’en avait pas moins écrit son nom à la suite du nom de Bossuet, et les rayons du nom flamboyant se projetaient sur le nom fait pour rester obscur. Mais pour qui savait voir, ils en éclairaient mieux le néant. Pour qui savait lire, il était évident que c’était là une histoire à refaire, et que ce livre de Bausset n’était pas un monument qui pût effrayer ou désespérer personne. La difficulté n’était pas de faire mieux, c’était de faire bien ; c’était de peindre ressemblant ce qu’il y a de plus difficile à peindre, c’est-à-dire un homme dont toutes les imaginations sont remplies, et d’appuyer un ferme regard sur la personnalité la plus capable de décontenancer qui la juge.
L’enthousiasme ne sait pas trembler, un écrivain qui a voué à Bossuet un culte véritable et qui, pour mieux vivre tête à tête avec lui, s’est retiré intellectuellement de son siècle et n’a plus habité que celui de cet imposant génie, Floquet, a entrepris de nous donner un livre nouveau sur Bossuet, et, quoique sa modestie le cache avec un goût parfait sous ce nom respectueux d’Études, ce livre, d’une érudition vaste et détaillée, n’en est pas moins une biographie. Il ne nous donne cette fois que les trois premiers volumes de cette histoire, qui doit absorber dans son flot grossi de renseignements les notions incomplètes du livre de Bausset sur le grand évêque. Le récit du nouvel historien s’arrête au moment où Bossuet est nommé précepteur de Monseigneur le Dauphin et met son pied sur la première marche de l’escalier de Versailles. Si l’on en juge par ce qu’il publie là et ce qui lui reste à publier encore, Floquet ne serait guères plus qu’au tiers de la tâche qu’il s’est imposée. Mais cette première partie est peut-être la plus curieuse, la plus réellement biographique de la vie de Bossuet, parce qu’elle était la plus obscure, — s’il est permis pourtant de dire qu’il y eût jamais de l’obscurité dans la vie de Bossuet, de ce soleil pour qui Dieu a essuyé l’azur dans lequel il devait monter avec une splendeur si tranquille, et préparé un firmament.
II
Tout lui fut facile, en effet. L’histoire des grands hommes, qui, d’ordinaire, est une horrible lutte, contre les choses, la société et eux-mêmes, reçut de Bossuet cet éclatant démenti d’un bonheur égal au génie. Pour une fois, Dieu voulut qu’on pût être grand sans souffrir. Bossuet a sur le front le signe des heureux, et, le croira-t-on ? ce front n’en est pas moins auguste. Nul, dans le siècle et hors du siècle, parmi les saints et parmi les hommes, n’a eu jamais, je crois, de destinée d’une plus complète harmonie. Prenez l’histoire ou la légende, et comparez. Quel ne sera pas votre étonnement ! Goethe peut-être, dans ces derniers temps, eut un bonheur qui rappelle celui de Bossuet par l’éclat soudain et par la constance. Mais le bonheur de Goethe tient surtout à l’insensibilité de son âme, tandis que sous la croix pectorale de Bossuet il y avait un cœur qui pouvait être déchiré… Cette incroyable félicité de Bossuet commença pour lui avec la vie. Fleuve magnifique et pur dès sa source, il entra aisément et fortement dans l’existence, comme ces fleuves qui roulent sur des pentes et qui n’ont pas besoin de surmonter des résistances pour creuser un lit à leurs eaux. Issu d’une famille profondément religieuse, qui l’avait destiné, dès son plus bas âge, au sacerdoce, il n’eut pas besoin pour aller à Dieu de passer, comme saint Colomban, par-dessus le corps de sa mère. Famille, vocation, facultés, mouvement naturel à son âme, tout était d’accord et le poussait du même côté, — du côté de Dieu. Dieu, qui l’attendait, ne lui envoya pas les épreuves qui auraient retardé sa venue vers lui. Nommé, dès treize ans, à un canonicat de l’Église de Metz, s’il ne grandit pas, comme Éliacin, dans le sanctuaire, il grandit du moins pour le sanctuaire, au sein duquel se trouvait la place qu’il devait occuper un jour.
Il fut presque un enfant célèbre. Doué de facultés prodigieuses, ce furent ces facultés qui le conduisirent vers les Sciences sacrées, à la recherche de la Vérité éternelle, comme l’étoile mystérieuse conduisit les Mages à la Crèche. Chose étrange ! on ne discuta pas l’étoile. On la vit et on s’écria. L’enfant fut plus heureux que bien des hommes. On ne lui nia pas sa supériorité précoce, douleur amère par laquelle toute supériorité commence ! On salua la sienne, au contraire, et on y applaudit avec sympathie. Il était donc puissant, et il n’était pas solitaire ! Apôtre futur de Celui qui à douze ans enseignait dans le temple, il jaillit docteur par la force seule du génie, à l’âge où les autres jeunes gens ne sont que des bégayeurs de sciences apprises, mais non pénétrées. Que sont les succès de collège ? Blé de l’esprit que trop souvent on mange en herbe, c’est la gloire rétrospective des sots. Mais les succès de Bossuet à Navarre furent assez grands pour préoccuper les plus hautes compagnies d’une des plus hautes époques qui planent dans l’histoire. Cet imberbe écolier dans lequel Condé semblait reconnaître quelque chose de son jeune génie à Rocroy, fut, dès les premiers pas, le lion de son époque, ainsi que nous disons maintenant, et cette faveur méritée qui s’accrut toujours et qui ne défaillit jamais, le suivit jusque dans la vieillesse. En cela plus heureux que ce Louis XIV lui-même, qui est aussi un des plus grands Heureux de l’Histoire, mais qui eut ses jours de revers. Si Bossuet fit des fautes, du moins il ne les paya pas, comme Louis XIV, à même sa gloire et son bonheur.
Oui ! encore une fois, on cherche l’obscurité du commencement inhérente à toute destinée, dans ces premières années de la vie de Bossuet, — racontées par son nouveau biographe avec le détail le plus circonstancié, et, j’ose dire, le plus épuisé maintenant, — on ne la trouve pas ! Il y a des différences dans la gloire de Bossuet, comme il y a des places plus rayonnantes, plus condensées, plus blanches dans la lumière, mais de l’absence de lumière, mais de l’ombre positive à un seul endroit de cette vie étonnante, on la cherche en vain… Seulement, cette lumière qui partout l’inonde, et dont l’écrivain qui la retrace finirait par être ébloui, passant à travers les mœurs simples et fortes de cet homme trop grand pour n’être pas un bon homme, donne à cette vie, aveuglante d’éclat, des tons doux, charmants, attendris, qui nous reposent et qui nous touchent, et qui ont influé, sans qu’on s’en soit rendu bien compte jusqu’ici, sur ce qu’il y avait de plus beau et de plus profond dans sa pensée.
Car Bossuet, le Bossuet de la critique, qu’il faut aller chercher sous le Bossuet de l’histoire et je dirais presque de la légende, est victime de sa propre renommée. Comme la plupart des grands hommes acceptés par l’opinion des siècles, il s’est moulé dans un de ces types d’une trivialité sublime auxquels il est difficile d’ajouter ou de retrancher quelque chose. La tête humaine n’est pas conformée de manière à ce que l’admiration y pénètre par plus d’un côté à la fois. Elle retourne malaisément les médailles qu’elle a gravées pour les frapper dans un autre sens et en compléter la figure. Bossuet, reconnu sans conteste pour le plus grand écrivain et le plus grand orateur du grand siècle Bossuet, l’Ézéchiel ou l’Isaïe de l’histoire, n’a, a-t-on dit, que les dons qui tiennent à la grandeur, à l’élévation, à la véhémence. Quand il s’agit de la tendresse, il est reçu de lui opposer Fénelon. Bossuet et Fénelon adossés, appuyés l’un à l’autre, formeraient, ajoute-t-on, le génie complet, l’idéal du génie chrétien dans sa douceur et dans sa puissance. Ni la lecture des œuvres de Bossuet, ni ses lettres, ni ses Élévations, ni ses écrits mystiques, ni cent passages de ses sermons, n’ont pu modifier ce jugement faux, coulé en plomb dans le moule à bêtises de la tête des sots, lequel jugement vient de la gloire de Bossuet et de l’éclat extérieur de sa vie, mais qu’une autre partie de cette vie pourrait réfuter, comme ses œuvres, si l’on prenait la peine de l’invoquer !
Eh bien, c’est cette partie de la vie de Bossuet que j’appelle la plus biographique et la plus utile à connaître pour nous expliquer ce grand homme, que Floquet a particulièrement étudiée. Avec un regard très fin et très juste de critique qu’on ne s’attendait pas à trouver embusqué dans le fourré d’une érudition si profonde, Floquet a très bien vu l’influence de la vie intime et cachée sur le génie de Bossuet et sur son âme. Il ne s’est pas contenté de répondre par d’admirables citations à l’opinion qui rapetisse Bossuet en ne faisant tenir son talent d’orateur que dans les Oraisons funèbres (c’était l’opinion de cet ignorant et fat xviiie siècle, qui estimait aussi que tout Massillon était dans son Petit Carême) ; l’auteur des Études est allé plus loin. Il a montré, par une foule de passages qu’il aurait pu multiplier, que les cordes tendres, mélodieuses, divinement brisées, ne manquaient pas plus à Bossuet que la fierté des cris, et il nous explique qu’il les eut et qu’il aima à les faire résonner ! Après ses succès du collège de Navarre et en Sorbonne, Bossuet, prêtre et déjà prédicateur célèbre, se retira tout à coup à Metz, traînant après lui tous les regards de la France. Là, il vécut préoccupé des soins de son canonicat et d’études dont le fond n’a jamais peut-être été touché que par lui seul. Là, il eut son désert, sa Pathmos, mais une Pathmos tranquille, ce Carmel dont il parla un jour dans son oraison de Marie-Thérèse avec un accent qui troubla ces gens de la cour et leur fit entrevoir tout à coup la douceur des pieuses retraites dans des horizons éloignés. Là, enfin il s’enveloppa dans sa fonction de simple chanoine, vivant entre sa maison studieuse et sa cathédrale, embrassant tous les soirs sa sœur et la quittant pour s’en aller à matines ; et cette vie régulière et cachée, racontée pour la première fois par Floquet, cette vie ◀devenue▶ de l’inconnu par l’éloignement et par le temps, cette pénombre au fond de la gloire, cette brune draperie tirée contre le jour, qui tombe toujours plus fort par la fenêtre de cette cellule, tout cela nous prend au cœur et nous fait entrevoir un Bossuet inattendu et touchant.
Ce n’est plus là le grand portail officiel que l’imagination idéalise, cette apothéose du plafond que la postérité regarde d’en bas et admire ; ce n’est plus le Bossuet de Versailles dont la main, brillant de l’émeraude donnée dans la mort par Madame Henriette, s’étend haut de la chaire sur le front pensif ou pénitent de Louis XIV ; ni ce prélat majestueux, ce grand artiste en dignité extérieure, qui ordonnait qu’on changeât dans ses jardins de Meaux un escalier en pente adoucie, pour que les flots moirés de sa robe violette traînassent derrière lui avec une décence plus grandiose. C’est un autre Bossuet, moins sculptural et plus humain, moins radieux, mais certainement plus poétique, ainsi trouvé et saisi qu’il est dans ce clair-obscur que tous les biographes avaient fait de six ans à peine, et qui fut, au compte de Floquet, de dix-sept, — de 1652 à 1669. Le Bossuet de la stalle en chêne de l’antique église de Metz, digne d’inspirer un poète comme Byron quand Byron ◀devenait▶ catholique et pleurait en entendant l’orgue, ce Bossuet ponctuel comme le Devoir et comme l’Humilité, qui arrivait, quarantième manteau noir, pour l’office de nuit, pendant dix-sept ans, à sa place accoutumée dans le chœur de l’église assombrie, a beaucoup frappé Floquet, qui n’est pas un rêveur, mais un esprit solide. Aussi se demande-t-il, en vrai psychologue et en observateur profond, ce que dut gagner l’esprit de Bossuet dans ces longues heures passées au chœur, dans les loisirs vigilants de la Contemplation et de la Prière ; et il se répond comme se répondrait Sainte-Beuve, le grand critique des influences : qu’il y apprenait la mélancolie.
Destiné à un bonheur immuable, aux pompes triomphantes et joyeuses de Versailles et de Saint-Germain, Bossuet, cet homme à la vertu robuste, qui ne devait connaître ni nos passions ni nos douleurs, ce cœur vierge qui n’avait soif et convoitise que du salut des âmes, ce front pur à force de hauteur, cet œil d’aigle qui ne voyait que Dieu dans les choses humaines, s’accomplissait alors jusque dans le fond le plus intime de son génie. En psalmodiant David ou en méditant Jérémie, sous ces vitraux ◀devenus▶ obscurs, au déclin de complies où l’Esprit de Ténèbres — dit le Psaume — rôde de plus près autour de nous, Bossuet s’assimilait par l’intelligence une tristesse qui ne devait jamais atteindre la sérénité de son âme, et qu’il devait pourtant exprimer ! Il importait dans sa pensée cette profondeur de rêverie que ne s’expliquait pas Chateaubriand et que Floquet explique, et ces couleurs mornes et désolées qu’il devait retrouver dans ses souvenirs. Enfin, il se faisait lentement ce Bossuet dont un moine de ces derniers temps a pu dire, pour montrer qu’il avait aussi bien en lui la douceur résignée, le sentiment de l’immolation, — toute la mélancolie chrétienne qu’on lui refuse, — que la force qu’on ne lui nie pas : « Il avait la main droite sur le lion de Juda, et la gauche sur l’Agneau immolé avant tous les siècles. »
Mot le plus plein et le plus résumant qui ait été dit sur Bossuet !
III
Telle est la partie de l’histoire de Bossuet que Floquet restitue et qui lui appartiendra probablement beaucoup plus en propre que les autres parties de son travail. À côté de cette découverte et de cette interprétation qui nous fait voir une grande figure sous un angle oublié, nous n’avons rien trouvé dans ces trois volumes d’un mérite égal et d’un charme aussi pénétrant. La faute n’en est pas à l’auteur des Études, mais à Bossuet lui-même, à cette mine d’or fouillée et retournée depuis deux cents ans, et dans laquelle il est bien difficile de trouver un filon de plus. L’historien, obligé de revenir aux vulgarités d’une gloire qui force d’unir ces deux mots ensemble : « la popularité du respect », l’historien n’est plus que l’historiographe de cette gloire ouverte à tout venant. Seulement il l’est à sa manière, avec une abondance de notions, une appropriation de connaissances qui prouve à quel point l’enthousiasme touche à la patience et que rien n’est impossible à l’amour ! Floquet admire Bossuet comme Kepler admirait le monde. Aussi, dans son livre, quoique vous y voyiez passer les figures qui sont les éternelles tentations des peintres d’histoire : Richelieu, Mazarin, Louis XIV, le Grand Condé, saint Vincent de Paul, — j’allais presque dire saint Turenne, car ce grand converti de Bossuet, avant qu’un boulet de canon l’envoyât à Dieu, pensait à y aller autrement en se retirant à l’Oratoire, — tous ces personnages, tous ces grands hommes, n’y existent que dans le rapport qu’ils ont directement avec Bossuet. L’auteur, un normand qui a les qualités de sa race, un normand à front carré : « le signe de la sagesse »
, a dit saint Bonaventure, qui a devancé Lavater ; l’auteur des Études n’a aucune des ambitions qui n’auraient pas manqué d’égarer un esprit moins gouverné, moins réfléchi et moins mûr.
Bossuet est son sujet et non pas le xviie siècle, et voilà pourquoi on trouvera dans son livre tant de détails purement religieux et sacerdotaux, que les historiens à idées générales et à intentions pittoresques trouveront peut-être petits et inutiles. Mais je ne suis point, pour ma part, de ces dégoûtés. Ni les controverses du temps de Bossuet, mortes maintenant, ni les conversions dues à sa parole et qu’on a oubliées parce que tout le monde n’est pas Turenne, ni les commissions apostoliques dont il fut chargé pour la réformation des monastères, ni les fondations auxquelles il prit part, ces travaux immenses ne pouvaient être rejetés sur le second plan quand il s’agissait de Bossuet. C’étaient les faits de l’histoire générale, au contraire, qui devaient reculer et passer du centre à la circonférence. Floquet n’a pas hésité devant cette nécessité et cette rigueur de son sujet, qui auraient effrayé un esprit moins consciencieux et moins grave.
Au point où il a mené son histoire, Bossuet n’est encore qu’un grand sermonnaire, un grand controversiste, un prêtre de génie, mais un prêtre. Ce sont les œuvres et les travaux du prêtre qu’il fallait dire, et Floquet les a dits avec une phrase forgée un peu trop peut-être sur la phrase de Bossuet ; car l’amour aime la dépendance. À cette époque de son histoire, Bossuet réalise le jugement dit sur lui par un génie fastueux : « Il voyait tout, mais sans franchir les limites posées à sa raison et à sa splendeur, comme le soleil, qui roule entre deux bornes éclatantes, et que les Orientaux appellent pour cela l’Esclave de Dieu. »
Ne les franchit-il jamais ? C’est ce que Floquet nous dira plus tard. Quand Bossuet sera ◀devenu un grand évêque, quand la gloire l’aura apporté à la puissance, quand il sera presque un homme d’État, presque un ministre, l’intermédiaire entre Rome et la France, nous rentrerons dans les conditions de l’histoire générale et nous saurons si l’excellent biographe s’élèvera jusqu’à l’historien.