(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Chapitre XIII

Suite de la 6e période, de 1650 à 1660. — Sociétés d’élite qui prennent la place de l’hôtel de Rambouillet.

Après 1645, quand la société de Rambouillet commença à se dissoudre, comme nous l’avons vu, il s’en forma de nouvelles de l’élite des personnes qui la composaient ; il s’en forma de son rebut, il s’en forma de mêlées ; il s’en forma même des partis opposés de la cour et de la ville ; la pruderie et la galanterie se mêlèrent. Le mouvement était donné à l’esprit social ; la conversation était devenue le besoin général ; il fallait à tout prix le satisfaire ; ce besoin remontait à des causes plus anciennes et plus puissantes que l’hôtel de Rambouillet, qui, lui-même, leur dut son origine et ses progrès, et il ne fit qu’en favoriser le développement et l’éclat. En 1650, la société de tous les rangs, de toutes les opinions, s’était formée en cercles et en coteries. Avant de parler des ruelles et des alcôves établies par les coteries, nous chercherons à connaître les cercles de la bonne compagnie qui existèrent entre 1560 et 1660 ; mais auparavant disons encore quelque chose de l’ombre qui resta de la société de Rambouillet, après sa dispersion.

Nous avons vu à quoi se réduisait la famille de la marquise de Rambouillet, depuis l’absence de la duchesse de Montausier : toutefois, j’ai omis, par inadvertance, de parler de la plus jeune sœur de la duchesse, Angélique Claire d’Angennes, mariée en 1658 au comte de Grignan, le même qui, après un second mariage, épousa en troisièmes noces, en 1669, mademoiselle de Sévigné, avec qui sa mère lia cette correspondance si charmante qui est entre les mains de tout le monde. Nous connaissons très bien ce comte de Grignan par les lettres de madame de Sévigné à sa fille. C’était un homme de qualité, un homme d’esprit, de belle figure, un homme de cour, mais non un de ces courtisans de profession, qui bornant leur ambition à obtenir une parole ou un regard du prince, se pâmaient de joie en s’entendant nommer pour un voyage de Mari y ou Ce Fontainebleau. C’était un homme de cour ambitieux de grandes places et de grandes occasions de paraître ou de servir ; au reste, fort dépensier, et propre à faire un magnifique seigneur ; aussi opposé par son brillant et par sa jeunesse, à la préciosité, que le duc de Montausier, par la rigidité de son esprit et de son caractère. Les maris que la marquise de Rambouillet donnait à ses filles, prouvent mieux son bon goût que le contraire n’est prouvé par la fréquentation de quelques écrivains ridicules dans sa maison qui était ouverte à tout le monde.

De 1650 à 1660, nous voyons donc la marquise, âgée de 70 à 80 ans, sa seconde fille mariée au comte de Grignan et de temps à autre madame de Montausier ; mais on ne retrouve que rarement, à l’hôtel Rambouillet, madame de Longueville, sa fille, madame de Nemours ; madame de Sablé, les Scudéry même.

Descartes était mort en 1650, Sarrazin et Balzac en 1654. Il ne restait en hommes, à madame de Rambouillet, que ses plus anciens amis, Chapelain, Cottin, Ménage, Vaugelas, Montausier quelquefois ; le comte de Grignan demeurait avec sa belle-mère, mais homme du monde fort dissipé, il n’était nulle part plus rarement que chez elle.

Cette maison n’était plus que la réunion très bornée de la famille et ces vieux amis ; ce n’était plus le fameux hôtel de Rambouillet, c’était la demeure peu fréquentée d’une femme qui se survit à elle-même, entre la caducité et la décrépitude ; c’était le séjour de ces souffrances et de ces infirmités dont le ciel, dit La Bruyère, a pourvu la vieillesse pour la consolation de ceux qui partent et de ceux qui restent.

En nommant Chapelain, Cottin, Ménage entre les amis qui demeurèrent attachés à la marquise octogénaire, je ne m’inquiète guère pour sa mémoire, des satires de Boileau contre les deux premiers, et je suis fort rassuré sur leur compte par les éloges que Boileau lui-même a mêlés à ses épigrammes, par restitue de Montausier, par celle de Voltaire, et surtout par leurs œuvres. C’est en parlant des satires de Boileau contre eux, que Montausier mécontent avait prononcé ce jugement mis en vers par Boileau lui-même :

                         Tout n’en irait que mieux,
Quand de ces médisants l’engeance tout entière
Irait, la tête en bas, rimer dans la rivière.

Ce fut Chapelain qui attira sur Racine les premiers bienfaits de Louis XIV, rédigea la critique du Cid, conçut le plan du Dictionnaire de l’Académie. Il était plein d’érudition. Boileau trouvait fort bon que l’on vantât dans Chapelain, l’honneur, la foi, la probité. Ce qu’il ne pouvait souffrir, c’était qu’il fut le mieux renté de tous les beaux esprits, qu’en tous lieux on vantât ses écrits. Voltaire aussi le déclare mauvais poète, mais homme fort savant, et, ce qui est étonnant, bon critique.

Voltaire s’exprime ainsi sur Cottin : Non moins plat poète (que Chapelain), et, de plus, plat prédicateur, mais homme de lettres et aimable dans la société. Il blâme Boileau de l’avoir accablé, ainsi que Chapelain, sous ses satires, bien qu’ils ne lui eusse ni donné aucun sujet de plainte . Voltaire ne tenait donc pas l’hôtel de Rambouillet pour déprécié par la fréquentation de Chapelain et de Cottin.

Cependant je ne puis dissimuler que dans son épitre à Boileau il accuse la société de Rambouillet d’avoir réuni les sots ennemis du poète :

Je veux t’écrire encor sur tes sots ennemis,
À l’hôtel Rambouillet contre toi réunis.

L’auteur dit en note que l’hôtel de Rambouillet se déchaîna longtemps contre Boileau qui avait accablé Chapelain et Cottin par ses satires.

Voltaire est évidemment dans l’erreur : c’est seulement en 1664 et 1665 que Boileau, pour la première fois, a publié des épigrammes contre Chapelain. Or, en cette année 1665, est morte la marquise de Rambouillet, âgée de 81 ou 82 ans. On ne voit pas la possibilité du déchaînement supposé de l’hôtel Rambouillet en représaille des épigrammes et satires de Boileau, durant les derniers jours d’une femme de 82 ans.

C’est pourtant sur cet anachronisme de Voltaire que se sont établis les principaux détracteurs de l’hôtel Rambouillet ; c’est sur la foi du poète, inexact chronologiste, que les biographies et les commentaires se sont à qui mieux épuisés en mépris sur l’hôtel Rambouillet.

Revenant à Cottin, je dirai qu’en 1663 il fit imprimer des Œuvres galantes en vers et en prose. Cette collection renferme, en grande partie, des lettres qui lui ont été écrites par des dames. « Il les publie, dît-il dans sa préface, pour faire valoir l’esprit de ses illustres amies, et pour ne rien ôter à si reconnaissance et à leur gloire. » Il ajoute : « Je leur dois rendre le témoignage que leurs innocentes faveurs ont adouci tout le chagrin de ma vie et m’ont mis en état de me passer plus aisément de ce qu’on appelle fortune… Les femmes de qualité ont poli mes mœurs et cultivé mon esprit ; et comme je ne leur ai jamais eu d’obligation pour ma fortune, je n’ai jamais souffert auprès d’elles de servitude ni de contrainte. » Ces paroles ne sont pas d’un homme méprisable.

Ici l’ordre des faits amène sur la scène une personne dont le nom rappelle les plus agréables souvenirs, c’est madame de Sévigné. Elle fit son entrée dans le monde dans cette même année 1654, où l’abbé d’Aubignac et Molière faisaient la guerre aux précieuses, l’un à Paris, l’autre en province. Orpheline depuis l’âge de 5 ans, élevée par un oncle respectable, instruite par Ménage, mariée à 18 ans, veuve à 26, retirée pendant deux années qu’elle emploie à l’éducation de ses enfants et à l’arrangement de leur fortune, sachant le latin, l’espagnol, l’italien et la littérature, ses premiers pus dans la société se tournent vers l’hôtel de Rambouillet ; la marquise, âgée, isolée par le mariage de sa fille, désolée de la mort de son mari et de celle d’un fils de 31 ans arrivées à un an de distance, fut la première personne dont madame de Sévigné, belle, brillante de jeunesse, d’esprit et de savoir, rechercha la société et ambitionna la confiance. Elle se dévoua à consoler de respectables douleurs, au lieu de rechercher des plaisirs ou des avantages personnels : en entrant dans le monde, elle sembla vouloir s’y placer sous un vénérable patronage qui la préservât des écarts et des calomnies. L’entrée à l’hôtel Rambouillet de cette femme charmante, dont l’esprit et la grâce n’ont pas vieilli depuis deux siècles, dont la vertu a été aussi souvent citée que sa grâce et son esprit, n’est pas moins un hommage à la pureté de principes et de goût de la marquise de Rambouillet, que ne l’ont été la noble sagesse et l’austère vérité de Montausier, quand il s’y est établi.

On a peu de lettres de madame de Sévigné antérieures à 1661. Les anciens recueils ne commencent même qu’à 1661. On doit aux recherches de M. de Monmerqué les lettres qui ont précédé ; et celles-ci nous apprennent qu’une multitude d’autres sont perdues. On pourrait assurer, sans les connaître, que ce sont les plus curieuses, les plus piquantes, les plus variées, les plus charmantes. Dans les lettres publiées on voit un peu trop peut-être la mère de madame de Grignan ; et malgré le charme des narrations, la justesse des observations, la finesse naïve des expressions, la grâce des tours, et enfin la solidité des pensées que répand en courant sa plume légère, on ne peut se dissimuler qu’il y règne au fond un peu de monotonie. Au contraire, les lettres qui nous manquent nous montreraient madame de Sévigné livrée à elle-même, jetant ses premiers regards sur la société, sur ses connaissances, sur ses amis ; réglant son esprit à mesure qu’il se développe, sa conduite, à mesure qu’elle avance entre les écueils du grand monde ; répandant l’admiration, faisant naître l’amour dans tout ce qui l’entoure, et restant attentive et vigilante sur elle-même. Qui ne serait charmé de voir les lettres qu’elle écrivait étant encore mademoiselle de Chantai, à Ménage, son maître de latin et d’italien, qui était devenu amoureux d’elle, et dont elle ne voulait ni enivrer la folle passion ni rebuter les soins dignes de sa reconnaissance ? Quelles devaient être ses lettres à son cousin le comte de Bussy-Rabutin, qui avait aspiré à devenir son amant et qu’elle avait amené à se contenter de son amitié ? Il lui écrivait le 30 juillet 1654 : « Mon Dieu, que vous avez d’esprit, ma belle cousine, que vous écrivez bien, que vous êtes aimable ! » Le 7 octobre 1655, à propos de l’estime que M. de Turenne lui avait témoignée pour elle : « … Il faut que je vous dise, madame, que je ne pense pas qu’il y ait au monde une personne si généralement estimée que vous… On s’accorde à dire qu’il n’y a point de femme de votre âge plus vertueuse et plus aimable que vous. Je connais des princes du sang38, des princes étrangers39, de grands seigneurs façon de prince, de grands capitaines40, des gentilshommes, des ministres d’état41, des magistrats et des philosophes qui fileraient pour vous, si vous les laissiez faire. »

Quelles devaient être les lettres de madame de Sévigné au surintendant Fouquet, lorsqu’en 1654, il se mit en tête de la séduire ! Elle était veuve depuis 1651, et avait 27 ans. Elle ne voulait point Fouquet pour amant ; elle ne voulait point s’en faire un ennemi. N’être ni prude ni coquette avec un surintendant : quelle difficulté ! Qu’il serait curieux de voir comment elle lui écrivait ! En 1661, quand Louis XIV fit arrêter Fouquet, on saisit une cassette où l’on supposait renfermées des preuves des délits qui lui étaient imputés. On n’y trouva une des lettres d’amour, parmi lesquelles étaient celles de madame de Sévigné. « Le roi prit un grand plaisir à les lire, parce qu’elles contrastaient avec les douceurs fades des autres lettres. » Le Tellier, qui les avait lues avec le roi, dit que le surintendant avait mal à propos mêlé l’amour et l’amitié42.

L’entrée de madame de Sévigné dans la société intime de la marquise de Rambouillet la lia d’une étroite amitié avec la duchesse de Montausier, qui revenait son vent faire des visites à sa mère et faisait à chaque visite un séjour de quelque temps à Paris.

Je remarque ces circonstances pour que le lecteur ait une idée juste de l’état de la maison de Rambouillet depuis plusieurs années, Lorsque Molière mit ses Précieuses au théâtre de la capitale.

Dans la période de 1650 à 1660, nous ne revoyons plus que dans d’autres sociétés, la marquise de Sablé, âgée de 42 à 52 ans, la comtesse de la Suze, âgée de 38 à 48, madame de la Fayette, âgée de 18 à 28.

Les deux maisons principales qui s’ouvrirent à la bonne compagnie, quand l’hôtel de Rambouillet se ferma au grand monde, furent l’hôtel d’Albret et l’hôtel de Richelieu, vers 1655.

Le duc de Saint-Simon parle de l’hôtel d’Albret comme d’une maison somptueuse, où affluait la meilleure compagnie, et il en suppose l’existence du vivant de Scarron, mort en 1660. Ce fut chez Scarron que le maréchal d’Albret fit la connaissance de madame Scarron, et l’attira chez lui. Ce fait est attesté par madame de Caylus. « Madame d’Albret, dit-elle, eut le secret de s’attacher madame Scarron, que le maréchal avait connue chez son mari. » La maréchale d’Albret était une excellente personne de peu d’esprit, très dévote ; mais sa bonté jointe aux dignités du maréchal, à sa passion pour le bel esprit, au grand état de sa maison, y attirait la meilleure compagnie.

Madame de Caylus parle aussi de l’hôtel de Richelieu :

« Monsieur et madame de Richelieu avaient l’un et l’autre du goût pour les gens d’esprit. Ils rassemblaient, dit-elle, chez eux, comme le maréchal d’Albret, ce qu’il y avait de meilleur à Paris en hommes et en femmes ; et c’étaient à peu près les mêmes gens, excepté que l’abbé Testu, intime ami de madame de Richelieu, dominait à l’hôtel de Richelieu et s’en croyait le Voiture, Madame de Scarron y allait souvent, désirée partout également. Madame de Coulanges en augmentait la bonne compagnie Monsieur de Barillon, amoureux de madame Scarron, mais maltraité comme amant, fort estimé comme ami, n’était pas ce qu’il y avait de moins bon dans cette société.

« Le cardinal d’Estrées, monsieur de Guilleragues, aussi amoureux de madame Scarron, faisaient partie des cercles de Richelieu. »

On voit tous ces détails dans les Souvenirs de madame de Caylus, p. 140 et 141.

On y lit aussi que l’hôtel d’Albret et l’hôtel de Richelieu « étaient une suite et une imitation de l’hôtel de Rambouillet, quoiqu’avec des correctifs, et qu’il leur manquât un Voiture pour en faire passer à la postérité les plaisirs et les amusements. »

Avant les hôtels d’Albret et de Richelieu, j’aurais dû citer en première ligne les cercles de mademoiselle de Montpensier. Huet, évêque d’Avranches, était attaché à sa personne ainsi que Segrais. Ils nous apprennent que « dans le palais de Mademoiselle, ou faisait accueil au mérite, et que tout ce qu’il y avait de beaux esprits, y trouvaient leur place comme chez Mécénas. »

Les mémoires de la princesse et son petit roman allégorique de la princesse de Paphlagonie renferment les portraits d’une multitude de personnes célèbres par leur esprit. Mademoiselle affectionnait particulièrement madame de Montausier, et le désir de mériter son estime, comme femme spirituelle, est entré pour beaucoup dans le motif qui l’a déterminée à composer son petit ouvrage. Elle paraît avoir aussi fait grand cas de la marquise de Sablé et de la comtesse de Maure, fort recherchées alors comme beaux esprits.

Dans la période de 1650 à 1660, Mademoiselle était âgée de vingt-trois à trente-trois ans. Segrais, âgé de vingt-six à trente-six ans, était son secrétaire, sous le titre de son gentilhomme ordinaire, il paraît qu’il a revu les écrits de la princesse, sans en avoir fait néanmoins disparaître les imperfections et les négligences qui caractérisent d’ordinaire les ouvrages venant de si haut.

Le duc de La Rochefoucauld, âgé de quarante-huit ans en 1661, époque où madame de Longue ville commença à se retirer du monde, fréquemment attaqué de la goutte, réunissait chez lui, au moins quand la goutte l’y retenait, des personnes de son affection particulière, avec celles qui fréquentaient les maisons d’Albret et de Richelieu, et qui se partageaient entre elles et lui.

En 1660, madame de Longueville était âgée de quarante-deux ans. Ses habitudes d’intrigue finirent en 1661, à la mort du cardinal Mazarin. Elle devint dévote. En 1663, quand elle perdit son mari, elle se voua à la retraite, ne conserva des liaisons d’amitié qu’avec mesdames de Rambouillet, fort retirées elles-mêmes ; elle les réunit quelquefois à l’hôtel qu’elle acheta alors rue Saint Thomas du Louvre, et qui prit le nom d’hôtel de Longueville. Après avoir perdu son fils au fameux passage du Rhin du 12 juin 1672, elle s’établit à Port-Royal-des-Champs. Là, les Arnauld, les Nicole, les de Sacy s’assemblaient chez elle et formèrent toute sa société.

En 1655, une nouvelle maison s’ouvrit ; ce fut celle de madame de La Fayette, de qui Boileau a dit : C’était la femme de France qui avait le plus d’esprit et qui écrivait le mieux 43. À l’époque de son mariage, elle était âgée de vingt-deux ans.

Du moment qu’elle fut établie, elle se plut à rassembler chez elle des hommes distingués dans les lettres, du nombre desquels était La Fontaine, que son goût portait vers toutes les femmes agréables, et qui leur savait plaire. Segrais y trouva plus tard un asile, quand mademoiselle de Montpensier l’éloigna d’elle comme désapprobateur de sa passion pour le duc de Lauzun. Le savant Huet, évêque d’Avranches, fut aussi de sa société habituelle ; mais l’ami le plus ancien et le plus intime fut le duc de La Rochefoucauld. Madame de la Sablière disait de lui : « Il m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. » C’était à l’occasion des Maximes, publiées en 1665, qu’ils faisaient l’utile échange de leurs sentiments et de leurs pensées. Plus tard, M. de La Rochefoucauld étant devenu goutteux et madame de La Fayette maladive, leur mauvaise santé les rendit nécessaires l’un à l’autre. « Je crois, disait madame de Sévigné, que nul amour ne peut surpasser la force d’une telle raison. » Madame de Sévigné date des lettres à sa fille, tantôt de chez M. de La Rochefoucauld où était madame de La Fayette, ou de chez madame de La Fayette où était M. de La Rochefoucauld. Quelquefois les trois amis se trouvaient ensemble à l’hôtel de Longueville. M. de La Rochefoucauld appelait madame de La Fayette la vraie. Ce fut pour elle que ce mot fut employé originairement comme désignation d’un caractère. En 1671, madame de Sévigné écrit à sa fille qu’elle a la première place dans son cœur, madame de La Fayette la seconde. Elle écrivait à madame de Guittaut, après la mort de madame de La Fayette, que leur amitié de quarante ans n’avait jamais eu le moindre nuage, que son goût pour madame de La Fayette avait toujours été vif et nouveau. Mais nous anticipons ici sur la période suivante.

Madame Cornuel, née en 1609, en 1650 avait quarante-un ans. Son mari était trésorier de l’extraordinaire des guerres, grand emploi de finance. Elle est morte en 1694 à quatre-vingt-cinq ans. Chaulieu nous apprend, par son épitaphe, que

« On vit chez elle incessamment
Des plus honnêtes gens l’élite. »

Voici ce qu’il dit de sa personne :

« Dans ses mœurs quelle politesse !
Quel tour, quelle délicatesse
Éclatait dans tous ses discours !
Ce sel tant vanté de la Grèce
En faisait l’assaisonnement ;
Et malgré la froide vieillesse, *
Son esprit léger et charmant,
Eut de la brillante jeunesse
Tout l’éclat et tout l’enjouement. »

Vigneul de Marville en parle ainsi : « Elle écoutait avec une attention qui débrouillait toutes choses, et répondait encore plus aux pensées qu’aux paroles de ceux qui l’interrogeaient. Quand elle considérait un objet, elle en voyait le fort et le faible, et l’exprimait en des termes vils et concis, comme les habiles dessinateurs, qui, en trois ou quatre coups de crayon, ont voir toute la perfection d’une figure. » (Mém. de litt., t. I, p. 341.)

Nous avons vu madame Cornuel dans la société du maréchal d’Albret, qui en fut amoureux. Plus tard nous en verrons beaucoup d’autres du même genre.

On peut ajouter aux femmes de bonne compagnie de cette période madame de Scudéry, personne si différente de sa belle-sœur Madeleine et de Georges de Scudéry son mari, âgée de 19 à 29 ans.

Ses lettres au comte de Bussy-Rabutin la placent entre les talents épistolaires ; elle avait des amis d’un rang et d’un mérite très distingués. Sa fortune ne lui permettait pas de tenir une maison, mais elle était accueillie dans les meilleures, et y figurait convenablement.