(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »
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(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »

Épilogue

Il faut finir ici cette première série des Bas-bleus au xixe  siècle, qui sera suivie de plusieurs autres, si le mouvement qui emporte les femmes vers la littérature, ne s’arrête pas… Et il ne s’arrêtera pas. Il est trop dans le vice de ce temps pour ne pas, au contraire, s’accélérer, et le nombre des Bas-bleus s’accroître. Dans la plupart d’entre eux, ce mouvement n’est que l’enragement de l’orgueil et la révolte contre leurs propres facultés, qu’ils méconnaissent, et contre leur fonction sociale, dont nulle femme n’a maintenant ni le souci ni l’idée. Les Bas-bleus sont trop d’un monde qui a perdu sa virilité pour ne pas croire, en se regardant et en se comparant, que les femmes sont égales aux hommes comme X est égal à X en algèbre, et pour craindre le ridicule devant lequel, — avec une pareille prétention, — elles auraient tremblé autrefois.

Et défait, aujourd’hui, pourquoi trembleraient-elles ?… Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison, a dit Mirabeau, qui en disant cela disait, il est vrai, une bêtise de tribune (et ce sont les meilleures !). Il eût été plus vrai de dire que quand tout le monde est ridicule, personne ne l’est… Or presque tout le monde actuellement a le ridicule de penser que l’homme et la femme ont la même tête, le même cœur, la même puissance et le même droit. C’est stupide, ignorant et anarchique qu’une telle idée ; mais cela n’est plus ridicule par la raison que cela tend à devenir une croyance et une opinion universelle. Le ridicule est toujours le viol d’une convention ou d’une convenance sociales — d’une manière générale de sentir et de penser ; et les Bas-bleus, avec leurs livres, leurs thèses et leurs affectations, ont tant bleui le monde, que le monde ne s’apercevra bientôt plus de la couleur de leurs bas !

Mais les époques ne sont qu’un jour dans la durée, et le ridicule individuel qui se perd dans le ridicule de toute une société et y devient imperceptible, l’Histoire le voit, le ramasse et le soufflette de sa lumière, L’Histoire ne fait pas toujours aux hommes l’honneur d’être sévère… Il est des décadences qui ne méritent que le rire de son mépris. Tomber n’est pas toujours tragique. Il y a pour les nations comme pour les hommes des chutes grotesques. Toutes n’ont pas la grandeur du Vice, la poésie de la Monstruosité. Il y a de petites décadences, disait Galiani. Mais je ne crois pas que dans l’histoire, il y en ait une plus petite que celle qui nous menace. Je ne crois pas qu’il y en ait de plus honteuse que celle d’un peuple qui fut mâle et qui va mourir en proie aux femelles de son espèce… Rome mourut en proie aux Gladiateurs ; la Grèce, aux Sophistes ; Byzance, aux Eunuques : mais les Eunuques sont encore des débris d’hommes. Il peut rester à ces mutilés une tête virile, comme celle de Narsès, tandis que nous, nous mourons en proie aux femmes, et émasculés par elles, pour être mieux en égalité avec elles… Beaucoup de peuples sont morts pourris par des courtisanes, mais les courtisanes sont dans la nature et les Bas-bleus n’y sont pas ! Ils sont dans une civilisation dépravée, dégradée, qui meurt de l’être, et telle que, dans l’histoire, on n’en avait pas vu encore. Jusqu’ici, les sociétés les plus avancées comme les plus sauvages avaient accepté ou subi les hiérarchies sans lesquelles les sociétés ne sauraient vivre, et maintenant on n’en supporte plus… C’est la gloire du Progrès ! L’Orgueil, ce vice des hommes, est descendu jusque dans le cœur de la femme, qui s’est mise debout pour montrer qu’elle nous atteignait et nous ne l’avons pas rassise à sa place, comme un enfant révolté qui mérite le fouet ! Alors, impunies, elles ont débordé… C’a été une invasion de pédantes au lieu d’une invasion de Barbares. Du moins les Barbares apportaient un sang neuf et pur au sang corrompu du vieux monde ; mais les pédantes qui, dans la décrépitude de ce monde, ont remplacé les Barbares, ne sont pas capables, ces bréhaignes ! de le féconder !

Et prochainement, il crèvera d’elles dans un Trissotinisme universel. La « comédie sanglante » de Pascal finira par de l’encre, aux éclats de rire des Tacites de l’avenir. La Démocratie, mère du Bas-bleuisme, le culot mal venu de tous les bâtards qu’elle a faits, la Démocratie qui, pour avant-dernier chef-d’œuvre, a métamorphosé des êtres humains en unités arithmétiques, et mis en poussière ce qui fut, dès le commencement de l’univers, le ciment social, est arrivée, par la femme, au dernier atome de cette poussière. Après celui-là, la matière que l’on croyait divisible à l’infini ne se divisera plus…

À moins pourtant que dans ce monde du devenir d’Hegel et du Ça ira des Sans-Culottes, il n’entre dans la caboche humaine l’idée — très digne d’elle — qu’à l’aide de l’éducation et de la science, on peut tirer de la fange de leur animalité les chiens et les singes et les faire entrer avec nous — et au même titre que nous, — dans l’immense et imbécile farandole du Suffrage universel !