Première partie, des tropes en général
Article 1, idée générale des figures
Avant que de parler des tropes en particulier, je dois dire un mot des figures en général ; puisque les tropes ne sont qu’une espéce de figures.
On dit comunément que les figures sont des maniéres de parler éloignées de celles qui sont naturéles et ordinaires : que ce sont de certains tours et de certaines façons de s’exprimer, qui s’éloignent en quelque chose de la maniére comune et simple de parler : ce qui ne veut dire autre chose, sinon que les figures sont des maniéres de parler éloignées de celles qui ne sont pas figurées, et qu’en un mot les figures sont des figures, et ne sont pas ce qui n’est pas figures.
D’ailleurs, bien loin que les figures soient des maniéres de parler éloignées de celles qui sont naturéles et ordinaires, il n’y a rien de si naturel, de si ordinaire, et de si comun que les figures dans le langage des homes.
M. de Bretteville après avoir dit que les figures ne sont autre chose que etc.
En éfet, je suis persuadé qu’il se fait plus de figures un jour de marché à la halle, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques. Ainsi, bien loin que les figures s’éloignent du langage ordinaire des homes, ce seroient au contraire les façons de parler sans figures qui s’en éloigneroient, s’il étoit possible de faire un discours où il n’y eut que des expressions non figurées. Ce sont encore les façons de parler recherchées, les figures déplacées, et tirées de loin, qui s’écartent de la maniére comune et simple de parler ; come les parures afectées s’éloignent de la maniére de s’habiller, qui est en usage parmi les honêtes gens.
Les apôtres étoient persécutés, et ils soufroient patienment les persécutions : qu’y a-t’il de plus naturel et de moins éloigné du langage ordinaire, que la peinture que fait S. Paul de cette situation et de cette conduite des apôtres ? « on nous maudit, etc. » quoiqu’il y ait dans ces paroles de la simplicité, de la naïveté, et qu’elles ne s’éloignent en rien du langage ordinaire ; cependant elles contiènent une fort belle figure qu’on apèle antithèse, c’est-à-dire, oposition : maudire est oposé à benir : persécuter à soufrir : blasphèmes à priéres.
Il n’y a rien de plus comun que d’adresser la parole à ceux à qui l’on parle, et de leur faire des reproches quand on n’est pas content de leur conduite. ô nation incrédule et méchante ! s’écrie Jesus-Christ, jusques à quand serai-je avec vous ! Jusques à quand aurai-je à vous soufrir ! c’est une figure très-simple qu’on apèle apostrophe.
M. Flêchier au comencement de son oraison funébre de M. de Turène, voulant doner une idée générale des exploits de son héros, dit « conduites d’armées, etc. » il me semble qu’il n’y a rien dans ces paroles qui s’éloigne du langage militaire le plus simple ; c’est là cependant une figure qu’on apèle congeries, amas, assemblage. M. Flêchier la termine en cet éxemple, par une autre figure qu’on apèle interrogation, qui est encore une façon de parler fort triviale dans le langage ordinaire.
Dans l’Andriène de Térence, Simon se croyant trompé par son fils, lui dit, (…) que dis-tu le plus… vous voyez que la proposition n’est point entiére, mais le sens fait voir que ce pére vouloit dire à son fils, que dis-tu le plus méchant de tous les homes ? ces façons de parler dans lesquelles il est évident qu’il faut supléer des mots, pour achever d’exprimer une pensée que la vivacité de la passion se contente de faire entendre, sont fort ordinaires dans le langage des homes. On apèle cette figure ellipse, c’est-à-dire, omission.
Il y a, à la vérité, quelques figures qui ne sont usitées que dans le stile sublime : telle est la prosopopée, qui consiste à faire parler un mort, une persone absente, ou même les choses inanimées. « ce tombeau s’ouvriroit, etc. » c’est ainsi que M. Flêchier prévient ses auditeurs, et les assure, par cette prosopopée, que la flaterie n’aura point de part dans l’éloge qu’il va faire de M. Le Duc De Montausier.
Hors un petit nombre de figures semblables, reservées pour le stile élevé, les autres se trouvent tous les jours dans le stile le plus simple, et dans le langage le plus comun.
Qu’est-ce donc que les figures ? Ce mot se prend ici dans un sens métaphorique. figure dans le sens propre, c’est la forme extérieure d’un corps. Tous les corps sont étendus, mais outre cette propriété générale d’être étendus, ils ont encore chacun leur figure et leur forme particuliére, qui fait que chaque corps paroit à nos yeux diférent d’un autre corps : il en est de même des expressions figurées, elles font d’abord conoitre ce qu’on pense ; elles ont d’abord cette propriété générale qui convient à toutes les phrases et à tous les assemblages de mots, et qui consiste à signifier quelque chose, en vertu de la construction grammaticale ; mais de plus les expressions figurées ont encore une modification particuliére qui leur est propre, et c’est en vertu de cette modification particuliére, que l’on fait une espéce à part de chaque sorte de figure.
L’antithèse, par exemple, est distinguée des autres maniéres de parler, en ce que dans cet assemblage de mots qui forment l’antithèse, les mots sont oposés les uns aux autres ; ainsi quand on rencontre des exemples de ces sortes d’opositions de mots, on les raporte à l’antithèse.
L’apostrophe est diférente des autres figures, parce que ce n’est que dans l’apostrophe qu’on adresse tout d’un coup la parole à quelque persone présente, ou absente, etc.
Ce n’est que dans la prosopopée que l’on fait parler les morts, les absens, ou les êtres inanimés : il en est de même des autres figures, elles ont chacune leur caractére particulier, qui les distingue des autres assemblages de mots, qui font un sens dans le langage ordinaire des homes.
Les grammairiens et les rhéteurs ayant fait des observations sur les diférentes maniéres de parler, ils ont fait des classes particuliéres de ces diférentes maniéres, afin de mettre plus d’ordre et d’arangement dans leurs réfléxions. Les maniéres de parler dans lesquelles ils n’ont remarqué d’autre propriété que celle de faire conoitre ce qu’on pense, sont apelées simplement phrases, expressions, périodes ; mais celles qui expriment non seulement des pensées, mais encore des pensées énoncées d’une maniére particuliére qui leur done un caractére propre, celles-là, dis-je, sont apelées figures, parce qu’elles paroissent, pour ainsi dire, sous une forme particuliére, et avec ce caractére propre qui les distingue les unes des autres, et de tout ce qui n’est que phrase ou expression.
M. de La Bruyére dit « qu’il y a de certaines choses dont la médiocrité est insuportable : la poésie, la musique, la peinture, et le discours public. » il n’y a point là de figure ; c’est-à-dire, que toute cette phrase ne fait autre chose qu’exprimer la pensée de M. de La Bruyére, sans avoir de plus un de ces tours qui ont un caractére particulier : mais quand il ajoute, « quel suplice que d’entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec emphase ! » c’est la même pensée ; mais de plus elle est exprimée sous la forme particuliére de la surprise de l’admiration, c’est une figure.
Imaginez-vous pour un moment une multitude de soldats, dont les uns n’ont que l’habit ordinaire qu’ils avoient avant leur engagement, et les autres ont l’habit uniforme de leur régiment : ceux-ci ont tous un habit qui les distingue, et qui fait conoitre de quel régiment ils sont : les uns sont habillés de rouge, les autres de bleu, de blanc, de jaune, etc. Il en est de même des assemblages de mots qui composent le discours ; un lecteur instruit raporte un tel mot, une telle phrase à une telle espéce de figure, selon qu’il y reconoit la forme, le signe, le caractére de cette figure ; les phrases et les mots, qui n’ont la marque d’aucune figure particuliére, sont come les soldats qui n’ont l’habit d’aucun régiment : elles n’ont d’autres modifications que celles qui sont nécessaires pour faire conoitre ce qu’on pense.
Il ne faut point s’étoner si les figures, quand elles sont employées à propos, donent de la vivacité, de la force, ou de la grace au discours ; car outre la propriété d’exprimer les pensées, come tous les autres assemblages de mots, elles ont encore, si j’ose parler ainsi, l’avantage de leur habit, je veux dire, de leur modification particuliére, qui sert à réveiller l’atention, à plaire, ou à toucher.
Mais, quoique les figures bien placées embélissent le discours, et qu’elles soient, pour ainsi dire, le langage de l’imagination et des passions ; il ne faut pas croire que le discours ne tire ses beautés que des figures. Nous avons plusieurs exemples en tout genre d’écrire, où toute la beauté consiste dans la pensée exprimée sans figure : le pére des trois Horaces ne sachant point encore le motif de la fuite de son fils, aprend avec douleur qu’il n’a pas résisté aux trois Curiaces : que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? lui dit Julie, qu’il mourut, répond le pére.
Dans une autre tragédie de Corneille, Prusias dit qu’en une ocasion dont il s’agit, il veut se conduire en pére, en mari. Ne soyez ni l’un ni l’autre, lui dit Nicoméde :
Prusias et que dois-je être ?
Nicoméde roi.
Il n’y a point là de figure, et il y a cependant beaucoup de sublime dans ce seul mot : voici un exemple plus simple.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies, etc.
Je pourois raporter un grand nombre d’exemples pareils, énoncés sans figure, et dont la pensée seule fait le prix. Ainsi, quand on dit que les figures embélissent le discours, on veut dire seulement, que dans les ocasions où les figures ne seroient point déplacées, le même fonds de pensée sera exprimé d’une maniére ou plus vive ou plus noble, ou plus agréable par le secours des figures, que si on l’exprimoit sans figure.
De tout ce que je viens de dire, on peut former cette définition des figures : les figures sont des maniéres de parler distinguées des autres par une modification particuliére, qui fait qu’on les réduit chacune à une espéce à part, et qui les rend, ou plus vives, ou plus nobles, ou plus agréables que les maniéres de parler, qui expriment le même fonds de pensée, sans avoir d’autre modification particuliére.
Article 2, division des figures
On divise les figures en figures de pensées, (…) ; et en figures de mots, (…). Il y a cette diférence, dit Ciceron, entre les figures de pensées et les figures de mots, que les figures de pensées dépendent uniquement du tour de l’imagination ; elles ne consistent que dans la maniére particuliére de penser ou de sentir, ensorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu’on viène à changer les mots qui l’expriment : de quelque maniére que M. Flêchier eût fait parler M. de Montausier dans la prosopopée que j’ai raportée ci-dessus, il auroit fait une prosopopée : au contraire, les figures de mots sont telles que si vous changez les paroles, la figure s’évanouit ; par exemple, lorsque parlant d’une armée navale, je dis qu’elle étoit composée de cent voiles ; c’est une figure de mots dont nous parlerons dans la suite ; voiles est là pour vaisseaux : que si je substitue le mot de vaisseaux à celui de voiles, j’exprime également ma pensée ; mais il n’y a plus de figure.
Article 3, division des figures de mots
Il y a quatre diférentes sortes de figures qui regardent les mots.
- Celles que les grammairiens apèlent figures de diction : elles regardent les changemens qui arivent dans les lettres ou dans les sylabes des mots ; telle est, par exemple, la syncope, c’est le retranchement d’une lettre ou d’une sylabe au milieu d’un mot, (…).
- Celles qui regardent uniquement la construction ; par exemple : lorsqu’Horace parlant de Cléopatre, dit (…) nous disons en françois la plupart des homes disent, et non pas dit : on fait alors la construction selon le sens. Cette figure s’apèle syllepse. J’ai traité ailleurs de ces sortes de figures, ainsi je n’en parlerai point ici.
- Il y a quelques figures de mots, dans lesquelles les mots conservent leur signification propre, telle est la répétition, etc. C’est aux rhéteurs à parler de ces sortes de figures, aussi bien que des figures de pensées. Dans les unes et dans les autres, la figure ne consiste point dans le changement de signification des mots, ainsi elles ne sont point de mon sujet.
- Enfin il y a des figures de mots qu’on apèle tropes, les mots prènent par ces figures des significations diférentes de leur signification propre. Ce sont là les figures dont j’entreprens de parler dans cette partie de la grammaire.
Article 4, définition des tropes
Les tropes sont des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification, qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot : ainsi pour entendre ce que c’est qu’un trope, il faut comencer par bien comprendre ce que c’est que la signification propre d’un mot ; nous l’expliquerons bien-tôt.
Ces figures sont apelées tropes du grec (…), etc.
Elles sont ainsi apelées, parce que quand on prend un mot dans le sens figuré, on le tourne, pour ainsi dire, afin de lui faire signifier ce qu’il ne signifie point dans le sens propre : voiles dans le sens propre ne signifie point vaisseaux, les voiles ne sont qu’une partie du vaisseau : cependant voiles se dit quelquefois pour vaisseaux, come nous l’avons déja remarqué.
Les tropes sont des figures, puisque ce sont des maniéres de parler, qui, outre la propriété de faire conoitre ce qu’on pense, sont encore distinguées par quelque diférence particuliére, qui fait qu’on les raporte chacune à une espéce à part.
Il y a dans les tropes une modification ou diférence générale qui les rend tropes, et qui les distingue des autres figures : elle consiste en ce qu’un mot est pris dans une signification qui n’est pas précisément sa signification propre : mais de plus chaque trope difére d’un autre trope, et cette diférence particuliére consiste dans la maniére dont un mot s’écarte de sa signification propre ; par exemple : il n’y a plus de Pyrénées , dit Louis XIV d’immortèle mémoire, lorsque son petit-fils le Duc D’Anjou, aujourd’hui Philipe V fut apelé à la courone d’Espagne. Louis XIV vouloit-il dire que les Pyrénées avoient été abimées ou anéanties ? Nulement : persone n’entendit cette expression à la lettre, et dans le sens propre : elle avoit un sens figuré. Boileau faisant allusion, à ce qu’en 1664 le roi envoya au secours de l’empereur des troupes qui défirent les turcs, et encore à ce que sa majesté établit la compagnie des Indes, dit : quand je vois ta sagesse… etc.
Ni l’Aigle ni Neptune ne se prènent point là dans le sens propre. Telle est la modification ou diférence générale, qui fait que ces façons de parler sont des tropes.
Mais quelle espéce particuliére de trope ?
Cela dépend de la maniére dont un mot s’écarte de sa signification propre pour en prendre une autre. Les Pyrénées dans le sens propre sont de hautes montagnes qui séparent la France et l’Espagne : il n’y a plus de Pyrénées , c’est-à-dire, plus de séparation, plus de division, plus de guerre : il n’y aura à l’avenir qu’une bone intelligence entre la France et l’Espagne : c’est une métonymie du signe, ou une métalepse : les Pyrénées ne seront plus un signe de séparation.
L’aigle est le symbole de l’empire ; l’empereur porte un aigle à deux têtes dans ses armoiries : ainsi, dans l’exemple que je viens de raporter, l’aigle signifie l’Allemagne. C’est le signe pour la chose signifiée : c’est une métonymie.
Neptune étoit le dieu de la mer, il est pris dans le même exemple pour l’ocean, pour la mer des Indes Orientales et Occidentales : c’est encore une métonymie. Nous remarquerons dans la suite ces diférences particuliéres qui font les diférentes espéces de tropes.
Il y a autant de tropes qu’il y a de maniéres diférentes, par lesquelles on done à un mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot : aveugle dans le sens propre, signifie une persone qui est privée de l’usage de la vue : si je me sers de ce mot pour marquer ceux qui ont été guéris de leur aveuglement, come quand Jesus-Christ a dit, les aveugles voient, alors aveugles n’est plus dans le sens propre, il est dans un sens que les philosophes apèlent sens divisé : ce sens divisé est un trope, puisqu’alors aveugles signifie ceux qui ont été aveugles, et non pas ceux qui le sont. Ainsi outre les tropes dont on parle ordinairement, j’ai cru qu’il ne seroit pas inutile ni étranger à mon sujet, d’expliquer encore ici les autres sens dans lesquels un même mot peut être pris dans le discours.
Article 5, le traité des tropes est du ressort de la grammaire
on doit conoitre les tropes pour bien entendre les auteurs, et pour avoir des conoissances exactes dans l’art de parler et d’écrire. au reste ce traité me paroit être une partie essentièle de la grammaire, puisqu’il est du ressort de la grammaire de faire entendre la véritable signification des mots, et en quel sens ils sont employés dans le discours.
Il n’est pas possible de bien expliquer l’auteur même le plus facile, sans avoir recours aux conoissances dont je parle ici. Les livres que l’on met d’abord entre les mains des començans, aussi-bien que les autres livres, sont pleins de mots pris dans des sens détournés et éloignés de la premiére signification de ces mots ; par exemple : (…). vous méditez une muse, c’est-à-dire, une chanson, vous vous exercez à chanter. Les muses étoient regardées dans le paganisme come les déesses qui inspiroient les poétes et les musiciens, ainsi muse se prend ici pour la chanson même, c’est la cause pour l’éfet, c’est une métonymie particuliére, qui étoit en usage en latin ; nous l’expliquerons dans la suite. avéna dans le sens propre, veut dire de l’aveine, mais parce que les bergers se servirent de petits tuyaux de blé ou d’aveine pour en faire une sorte de flute, come font encore les enfans à la campagne ; delà par extension on a apelé avéna un chalumeau, une flute de berger.
On trouve un grand nombre de ces sortes de figures dans le nouveau testament, dans l’imitation de J. C. Dans les fables de Phédre, en un mot, dans les livres mêmes qui sont écrits le plus simplement, et par lesquels on comence : ainsi je demeure toujours convaincu que cette partie n’est point étrangére à la grammaire, et qu’un grammairien doit avoir une conoissance détaillée des tropes.
Je conviens, si l’on veut, qu’on peut bien parler sans jamais avoir apris les noms particuliers de ces figures. Combien de persones se servent d’expressions métaphoriques, sans savoir précisément ce que c’est que métaphore ? C’est ainsi qu’il y avoit plus de quarante ans que le bourgeois-gentilhome disoit de la prose, sans qu’il en sut rien. Ces conoissances ne sont d’aucun usage pour faire un compte, ni pour bien conduire une maison, come dit Me Jourdain, mais elles sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de savoir l’art de parler et d’écrire ; elles mettent de l’ordre dans les idées qu’on se forme des mots ; elles servent à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donent de la précision et de la justesse.
Les sciences et les arts ne sont que des observations sur la pratique : l’usage et la pratique ont précédé toutes les sciences et tous les arts ; mais les sciences et les arts ont ensuite perfectioné la pratique. Si Moliére n’avoit pas étudié lui-même les observations détaillées de l’art de parler et d’écrire, ses pièces n’auroient été que des pièces informes, où le génie, à la vérité, auroit paru quelquefois : mais qu’on auroit renvoyées à l’enfance de la comédie : ses talens ont été perfectionés par les observations, et c’est l’art même qui lui a apris à saisir le ridicule d’un art déplacé.
On voit tous les jours des persones qui chantent agréablement, sans conoitre les notes, les clés, ni les régles de la musique, elles ont chanté pendant bien des années des sol et des fa, sans le savoir ; faut-il pour cela qu’elles rejettent les secours qu’elles peuvent tirer de la musique, pour perfectioner leur talent ?
Nos péres ont vêcu sans conoitre la circulation du sang ; faut-il négliger la conoissance de l’anatomie ? Et ne faut-il plus étudier la physique, parce qu’on a respiré pendant plusieurs siécles sans savoir que l’air eut de la pesanteur et de l’élasticité ? Tout a son tems et ses usages, et Moliére nous déclare dans ses préfaces, qu’il ne se moque que des abus et du ridicule.
Article 6, sens propre, sens figuré
Avant que d’entrer dans le détail de chaque trope, il est nécessaire de bien comprendre la diférence qu’il y a entre le sens propre et le sens figuré.
Un mot est employé dans le discours, ou dans le sens propre, ou en général dans un sens figuré, quel que puisse être le nom que les rhéteurs donent ensuite à ce sens figuré.
Le sens propre d’un mot, c’est la première signification du mot : un mot est pris dans le sens propre, lorsqu’il signifie ce pourquoi il a été premiérement établi ; par exemple : le feu brûle, la lumiére nous éclaire, tous ces mots-là sont dans le sens propre.
Mais, quand un mot est pris dans un autre sens, il paroit alors, pour ainsi dire, sous une forme empruntée, sous une figure qui n’est pas sa figure naturèle, c’est-à-dire, celle qu’il a eue d’abord ; alors on dit que ce mot est au figuré ; par exemple : le feu de vos yeux, le feu de l’imagination, la lumiére de l’esprit, la clarté d’un discours. masque dans le sens propre, signifie une sorte de couverture de toile cirée ou de quelque autre matiére, qu’on se met sur le visage pour se déguiser ou pour se garantir des injures de l’air. Ce n’est point dans ce sens propre que Malherbe prenoit le mot de masque, lorsqu’il disoit qu’à la cour il y avoit plus de masques que de visages : masques est là dans un sens figuré, et se prend pour persones dissimulées, pour ceux qui cachent leurs véritables sentimens, qui se démontent, pour ainsi dire, le visage, et prènent des mines propres à marquer une situation d’esprit et de coeur toute autre que celle où ils sont éfectivement.
Ce mot voix, (vox) a été d’abord établi pour signifier le son qui sort de la bouche des animaux, et surtout de la bouche des homes : on dit d’un home, qu’il a la voix mâle ou féminine, douce ou rude, claire ou enrouée, foible ou forte, enfin aiguë, flexible, grêle, cassée, etc. En toutes ces ocasions voix est pris dans le sens propre, c’est-à-dire, dans le sens pour lequel ce mot a été d’abord établi : mais quand on dit que le mensonge ne sauroit étoufer la voix de la vérité dans le fond de nos coeurs, alors voix est au figuré, il se prend pour inspiration intérieure, remords, etc. On dit aussi que tant que le peuple juif écouta la voix de Dieu , c’est-à-dire, tant qu’il obéït à ses comandemens, il en fut assisté. Les brebis entendent la voix du pasteur, on ne veut pas dire seulement qu’elles reconoissent sa voix et la distinguent de la voix d’un autre home, ce qui seroit le sens propre ; on veut marquer principalement qu’elles lui obéissent, ce qui est le sens figuré. la voix du sang, la voix de la nature, c’est-à-dire, les mouvemens intérieurs que nous ressentons à l’ocasion de quelque accident arivé à un parent, etc. la voix du peuple est la voix de Dieu , c’est-à-dire, que le sentiment du peuple, dans les matiéres qui sont de son ressort, est le véritable sentiment.
C’est par la voix qu’on dit son avis dans les délibérations, dans les élections, dans les assemblées où il s’agit de juger ; ensuite, par extension, on a apelé voix, le sentiment d’un particulier, d’un juge ; ainsi en ce sens, voix signifie avis, opinion, sufrage : il a eu toutes les voix, c’est-à-dire, tous les sufrages ; briguer les voix, la pluralité des voix ; il vaudroit mieux, s’il étoit possible, peser les voix que de les compter, c’est-à-dire, qu’il vaudroit mieux suivre l’avis de ceux qui sont les plus savans et les plus sensés, que de se laisser entrainer au sentiment aveugle du plus grand nombre. voix signifie aussi dans un sens étendu, gémissement, priére. Dieu a écouté la voix de son peuple, etc.
Tous ces diférens sens du mot voix, qui ne sont pas précisément le premier sens, qui seul est le sens propre, sont autant de sens figurés.
Article 7, réfléxions générales sur le sens figuré
-
origine du sens figuré.
La liaison qu’il y a entre les idées accessoires, je veux dire, entre les idées qui ont raport les unes aux autres, est la source et le principe des divers sens figurés que l’on done aux mots. Les objets qui font sur nous des impressions, sont toujours acompagnés de diférentes circonstances qui nous frapent, et par lesquelles nous désignons souvent, ou les objets mêmes qu’elles n’ont fait qu’acompagner, ou ceux dont elles nous réveillent le souvenir. Le nom propre de l’idée accessoire est souvent plus présent à l’imagination que le nom de l’idée principale, et souvent aussi ces idées accessoires, désignant les objets avec plus de circonstances que ne feroient les noms propres de ces objets, les peignent ou avec plus d’énergie, ou avec plus d’agrément. Delà le signe pour la chose signifiée, la cause pour l’éfet, la partie pour le tout, l’antécédent pour le conséquent, et les autres sortes de tropes dont je parlerai dans la suite. Come l’une de ces idées ne sauroit être réveillée sans exciter l’autre, il arive que l’expression figurée est aussi facilement entendue que si l’on se servoit du mot propre ; elle est même ordinairement plus vive et plus agréable quand elle est employée à propos, parce qu’elle réveille plus d’une image ; elle atache ou amuse l’imagination et done aisément à deviner à l’esprit.
-
usages ou éfets des tropes.
- Un des plus fréquens usages des tropes c’est de réveiller une idée principale, par le moyen de quelque idée accessoire : c’est ainsi qu’on dit cent voiles pour cent vaisseaux ; cent feux pour cent maisons ; il aime la bouteille, c’est-à-dire, il aime le vin ; le fer pour l’épée ; la plume ou le stile pour la maniére d’écrire, etc.
- Les tropes donent plus d’énergie à nos expressions. Quand nous somes vivement frapés de quelque pensée, nous nous exprimons rarement avec simplicité ; l’objet qui nous ocupe se présente à nous, avec les idées accessoires qui l’acompagnent, nous prononçons les noms de ces images qui nous frapent, ainsi nous avons naturèlement recours aux tropes, d’où il arrive que nous fesons mieux sentir aux autres ce que nous sentons nous-mêmes : delà viènent ces façons de parler, il est enflamé de colére, il est tombé dans une erreur grossiére, flêtrir la réputation, s’enivrer de plaisir, etc.
- Les tropes ornent le discours. Mr Fléchier voulant parler de l’instruction qui disposa Mr Le Duc De Montausier à faire abjuration de l’hérésie, au lieu de dire simplement qu’il se fit instruire, que les ministres de J. C. Lui aprirent les dogmes de la religion catholique, et lui découvrirent les erreurs de l’hérésie, s’exprime en ces termes : « tombez, tombez, voiles importuns etc. ? » outre l’apostrophe, figure de pensée, qui se trouve dans ces paroles, les tropes en font le principal ornement : tombez, voiles, couvrez, prenez le glaive, coupez jusqu’aux racines, croitre, liens, retenu : toutes ces expressions sont autant de tropes qui forment des images, dont l’imagination est agréablement ocupée.
- Les tropes rendent le discours plus noble : les idées comunes ausquelles nous somes acoutumés, n’excitent point en nous ce sentiment d’admiration et de surprise, qui élève l’ame : en ces ocasions on a recours aux idées accessoires, qui prêtent, pour ainsi dire, des habits plus nobles à ces idées comunes : tous les homes meurent également ; voilà une pensée comune : … etc. On sait la périphrase simple et naturèle que Malherbe a faite de ces vers. La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles, etc. Au lieu de dire que c’est un phénicien, qui a inventé les caractéres de l’écriture, ce qui seroit une expression trop simple pour la poésie, Brébeuf a dit : c’est de lui que nous vient etc.
- Les tropes sont d’un grand usage pour déguiser des idées dures, desagréables, tristes, ou contraires à la modestie ; on en trouvera des exemples dans l’article de l’euphémisme et dans celui de la périphrase.
- Enfin les tropes enrichissent une langue en multipliant l’usage d’un même mot, ils donent à un mot une signification nouvèle, soit parce qu’on l’unit avec d’autres mots, ausquels souvent il ne se peut joindre dans le sens propre, soit parce qu’on s’en sert par extension et par ressemblance, pour supléer aux termes qui manquent dans la langue.
Mais il ne faut pas croire avec quelques savans, que les tropes n’aient d’abord été inventés que par nécessité, à cause du défaut et de la disette des mots propres, et qu’ils aient contribué depuis à la beauté et à l’ornement du discours, de même à peu près que les vêtemens ont été employés dans le comencement pour couvrir le corps et le défendre contre le froid, et ensuite ont servi à l’embèlir et à l’orner. Je ne crois pas qu’il y ait un assez grand nombre de mots qui supléent à ceux qui manquent, pour pouvoir dire que tel ait été le premier et le principal usage des tropes. D’ailleurs ce n’est point là, ce me semble, la marche, pour ainsi dire, de la nature, l’imagination a trop de part dans le langage et dans la conduite des homes, pour avoir été précédée en ce point par la nécessité. Si nous disons d’un home qui marche avec trop de lenteur, qu’il va plus lentement qu’une tortue, d’un autre, qu’il va plus vite que le vent, d’un passioné, qu’il se laisse emporter au torrent de ses passions, etc. C’est que la vivacité avec laquelle nous ressentons ce que nous voulons exprimer, excite en nous ces images, nous en somes ocupés les premiers, et nous nous en servons ensuite pour métre en quelque sorte devant les yeux des autres ce que nous voulons leur faire entendre. Les homes n’ont point consulté, s’ils avoient ou s’ils n’avoient pas des termes propres pour exprimer ces idées, ni si l’expression figurée seroit plus agréable que l’expression propre, ils ont suivi les mouvemens de leur imagination, et ce que leur inspiroit le desir de faire sentir vivement aux autres ce qu’ils sentoient eux mêmes vivement.
Les rhéteurs ont ensuite remarqué que telle expression étoit plus noble, telle autre plus énergique, celle-là plus agréable, celle-ci moins dure ; en un mot, ils ont fait leurs observations sur le langage des homes.
Je prendrai la liberté à ce sujet, de m’arêter un moment sur une remarque de peu d’importance : c’est que pour faire voir que l’on substitue quelquefois des termes figurés à la place des mots propres qui manquent, ce qui est très véritable, Ciceron, Quintilien et Mr Rollin, qui pense et qui parle come ces grands homes, disent que c’est par emprunt et par métaphore qu’on a apelé gemma le bourgeon de la vigne : parce, disent-ils, qu’il n’y avoit point de mot propre pour l’exprimer. Mais si nous en croyons les etymologistes, gemma est le mot propre pour signifier le bourgeon de la vigne, et ç’a été ensuite par figure que les latins ont doné ce nom aux perles et aux pierres précieuses. En éfet, c’est toujours le plus comun et le plus conu qui est le propre, et qui se prête ensuite au sens figuré. Les laboureurs du pays latin conoissoient les bourgeons des vignes et des arbres, et leur avoient doné un nom avant que d’avoir vu des perles et des pierres précieuses : mais come on dona ensuite par figure et par imitation ce même nom aux perles et aux pierres précieuses, et qu’aparemment Cicéron, Quintilien et Mr Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de ce qui leur étoit plus conu étoit le nom propre, et que le figuré étoit celui de ce qu’ils conoissoient moins.
-
ce qu’on doit observer, et ce qu’on doit éviter dans l’usage des tropes, et pourquoi ils plaisent.
les tropes qui ne produisent pas les éfets que je viens de remarquer, sont défectueux.
Ils doivent surtout être clairs, faciles, se présenter naturèlement et n’être mis en oeuvre qu’en tems et lieu. Il n’y a rien de plus ridicule en tout genre que l’afectation et le défaut de convenance. Moliére dans ses précieuses, nous fournit un grand nombre d’exemples de ces expressions recherchées et déplacées.
La convenance demande qu’on dise simplement à un laquais, donez des siéges, sans aler chercher le détour de lui dire ; voiturez-nous ici les comodités de la conversation.
De plus, les idées accessoires ne jouent point, si j’ose parler ainsi, dans le langage des précieuses de Moliére, ou ne jouent point come elles jouent dans l’imagination d’un home sensé : le conseiller des graces, pour dire le miroir : contentez l’envie qu’a ce fauteuil de vous embrasser, pour dire asséyez-vous.
Toutes ces expressions tirées de loin et hors de leur place, marquent une trop grande contention d’esprit, et font sentir toute la peine qu’on a eue à les rechercher : elles ne sont pas, s’il est permis de parler ainsi, à l’unisson du bon sens, je veux dire qu’elles sont trop éloignées de la maniére de penser, de ceux qui ont l’esprit droit et juste, et qui sentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l’ornement dans le discours tombent souvent dans ce défaut, sans s’en apercevoir ; ils se savent bon gré d’une expression qui leur paroit brillante et qui leur a couté, et se persuadent que les autres en doivent être aussi satisfaits qu’ils le sont eux mêmes.
On ne doit donc se servir de tropes que lorsqu’ils se présentent naturèlement à l’esprit ; qu’ils sont tirés du sujet ; que les idées accessoires les font naitre ; ou que les bienséances les inspirent : ils plaisent alors, mais il ne faut point les aler chercher dans la vue de plaire.
Je ne crois donc pas que ces sortes de figures plaisent extrémement, par l’ingénieuse hardiesse qu’il y a d’aler au loin chercher des expressions étrangères à la place des naturéles, qui sont sous la main, si l’on peut parler ainsi. Quoique ce soit là une pensée de Cicéron, adoptée par Mr Rollin, je crois plutot que les expressions figurées donent de la grace au discours, parce-que, come ces deux grands homes le remarquent, elles donent du corps, pour ainsi dire, aux choses les plus spirituéles, et les font presque toucher au doit et à l’oeil par les images qu’elles en tracent à l’imagination ; en un mot, par les idées sensibles et accessoires.
-
suite des réflexions générales sur le sens figuré.
-
Il n’y a peut-être point de mot qui ne se prène en quelque sens figuré, c’est-à-dire, éloigné de sa signification propre et primitive.
Les mots les plus comuns et qui reviènent souvent dans le discours, sont ceux qui sont pris le plus fréquemment dans un sens figuré, et qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens : tels sont corps, ame, tête, couleur, avoir, faire, etc.
-
Un mot ne conserve pas dans la traduction tous les sens figurés qu’il a dans la langue originale : chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulières, soit parce que ces expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays et inconus dans un autre : soit par quelque autre raison purement arbitraire. Les diférens sens figurés du mot voix, que nous avons remarqués, ne sont pas tous en usage en latin, on ne dit point vox pour sufrage. Nous disons porter envie, ce qui ne seroit pas entendu en latin par (…) : au contraire, (…) est une façon de parler latine, qui ne seroit pas entendue en françois, si on se contentoit de la rendre mot à mot, et que l’on traduisit, porter la coutume à quelqu’un, au lieu de dire, faire voir à quelqu’un qu’on se conforme à son gout, à sa maniére de vivre, être complaisant, lui obéïr. Il en est de même de (…), et d’un grand nombre d’autres façons de parler que j’ai remarquées ailleurs, et que la pratique de la version interlineaire aprendra.
Ainsi, quand il s’agit de traduire en une autre langue quelque expression figurée, le traducteur trouve souvent que sa langue n’adopte point la figure de la langue originale, alors il doit avoir recours à quelque autre expression figurée de sa propre langue, qui réponde, s’il est possible, à celle de son auteur.
Le but de ces sortes de traductions n’est que de faire entendre la pensée d’un auteur ; ainsi on doit alors s’atacher à la pensée et non à la lettre, et parler come l’auteur lui même auroit parlé, si la langue dans laquelle on le traduit avoit été sa langue naturèle. Mais quand il s’agit de faire entendre une langue étrangère, on doit alors traduire litéralement, afin de faire comprendre le tour original de cette langue.
-
-
Observation sur les dictionaires latins-françois.
Nos dictionaires n’ont point assés remarqué ces diférences ; je veux dire, les divers sens que l’on done par figure à un même mot dans une même langue ; et les diférentes significations que celui qui traduit est obligé de doner à un même mot ou à une même expression, pour faire entendre la pensée de son auteur.
Ce sont deux idées fort diférentes que nos dictionaires confondent ; ce qui les rend moins utiles et souvent nuisibles aux començans.
Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple. porter, se rend en latin dans le sens propre par ferre : mais quand nous disons porter envie, porter la parole, se porter bien ou mal, etc., on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons de parler en latin : la langue latine a ses expressions particuliéres pour les exprimer ; porter ou ferre ne sont plus alors dans l’imagination de celui qui parle latin : ainsi, quand on considère porter tout seul et séparé des autres mots qui lui donent un sens figuré, on manqueroit d’exactitude dans les dictionaires françois-latins, si l’on disoit d’abord simplement que porter se rend en latin par (…).
Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les dictionaires latins-françois, quand il s’agit de traduire un mot latin ? Pourquoi joint-on à la signification propre d’un mot, quelqu’autre signification figurée qu’il n’a jamais tout seul en latin ? La figure n’est que dans notre tour françois, parce que nous nous servons d’une autre image, et par conséquent de mots tout diférens ; par exemple : (…) signifie, dit-on, envoyer, retenir, arêter, écrire, n’est-ce pas come si l’on disoit dans le dictionaire françois-latin, que porter se rend en latin par (…) ?
Jamais (…) n’a eu la signification de retenir, d’arêter, d’écrire dans l’imagination d’un home qui parloit latin. Quand Térence a dit : (…) avoit toujours dans son esprit la signification d’envoyer : envoyez loin de vous vos larmes, votre colère, come on renvoye tout ce dont on veut se défaire. Que si en ces ocasions nous disons plutot, retenez vos larmes, retenez votre colére, c’est que pour exprimer ce sens, nous avons recours à une métaphore prise de l’action que l’on fait quand on retient un cheval avec le frein, ou quand on empêche qu’une chose ne tombe ou ne s’échape. Ainsi il faut toujours distinguer les deux sortes de traductions dont j’ai parlé ailleurs. Quand on ne traduit que pour faire entendre la pensée d’un auteur, on doit rendre, s’il est possible, figure par figure, sans s’atacher à traduire litéralement ; mais quand il s’agit de doner l’intelligence d’une langue, ce qui est le but des dictionaires, on doit traduire litéralement, afin de faire entendre le sens figuré qui est en usage en cette langue à l’égard d’un certain mot ; autrement c’est tout confondre ; les dictionaires nous diront que aqua signifie le feu, de la même manière qu’ils nous disent que (…) ; car enfin les latins crioient (…), quand le feu avoit pris à la maison, et nous crions alors au feu, c’est-à-dire, acourez au feu pour aider à l’éteindre. Ainsi quand il s’agit d’aprendre la langue d’un auteur, il faut d’abord doner à un mot sa signification propre, c’est-à-dire, celle qu’il avoit dans l’imagination de l’auteur qui s’en est servi, et ensuite on le traduit, si l’on veut, selon la traduction des pensées, c’est-à-dire, à la manière dont on rend le même fonds de pensée, selon l’usage d’une autre langue. (…) etc.
Chassez les larmes de Créüse, c’est-à-dire, les larmes que vous répandez pour l’amour de Créüse, cessez de pleurer votre chére Créüse, retenez les larmes que vous répandez pour l’amour d’elle, consolez-vous. (…) etc. Je ne finirois point si je voulois raporter ici un plus grand nombre d’exemples du peu d’exactitude de nos meilleurs dictionaires ; (…).
Je voudrois donc que nos dictionaires donassent d’abord à un mot latin la signification propre que ce mot avoit dans l’imagination des auteurs latins : qu’ensuite ils ajoutassent les divers sens figurés que les latins donoient à ce mot. Mais quand il arive qu’un mot joint à un autre, forme une expression figurée, un sens, une pensée que nous rendons en notre langue, par une image diférente de celle qui étoit en usage en latin : alors je voudrois distinguer :
-
si l’explication litérale qu’on a dèja donée du mot latin, sufit pour faire entendre à la lettre l’expression figurée, ou la pensée litérale du latin ; en ce cas, je me contenterois de rendre la pensée à notre manière ; (…) etc.
On dit dans le sens propre, (…), prendre le gouvernement d’une province, en être fait gouverneur ; et on dit par métaphore, (…), être dans un emploi, dans une fonction, faire quelque entreprise. (…), tu t’es chargé d’une mauvaise comission, d’un emploi dificile.
-
mais lorsque la façon de parler latine est trop éloignée de la françoise, et que la lettre n’en peut pas aisément être entendue, les dictionaires devroient l’expliquer d’abord litéralement, et ensuite ajouter la phrase françoise qui répond à la latine ; par exemple : (…), laver une brique crue, c’est-à-dire, perdre son tems et sa peine, perdre son latin. Qui laveroit une brique avant qu’elle fût cuite, ne feroit que de la boue et perdroit la brique. On ne doit pas conclure de cet exemple, que jamais (…) ait signifié en latin perdre, ni later tems ou peine.
Au reste, il est évident que ces diverses significations qu’une langue done à un même mot d’une autre langue, sont étrangères à ce mot dans la langue originale ; ainsi elles ne sont point de mon sujet : je traite seulement ici des diférens sens que l’on done à un même mot dans une même langue, et non pas des diférentes images dont on peut se servir en traduisant, pour exprimer le même fonds de pensée.
-
Seconde partie, des tropes en particulier
La catachrese
abus, extension, ou imitation. les langues les plus riches n’ont point un assez grand nombre de mots pour exprimer chaque idée particulière, par un terme qui ne soit que le signe propre de cette idée ; ainsi l’on est souvent obligé d’emprunter le mot propre de quelqu’autre idée, qui a le plus de raport à celle qu’on veut exprimer ; par exemple : l’usage ordinaire est de clouer des fers sous les piés des chevaux, ce qui s’apèle ferrer un cheval : que s’il arive qu’au lieu de fer on se serve d’argent, on dit alors que les chevaux sont ferrés d’argent, plutot que d’inventer un nouveau mot qui ne seroit pas entendu : on ferre aussi d’argent une cassette, etc. Alors ferrer signifie par extension, garnir d’argent au lieu de fer. On dit de même aler à cheval sur un bâton, c’est-à-dire, se mettre sur un bâton de la même manière qu’on se place à cheval. (…).
Dans les ports de mer on dit bâtir un vaisseau, quoique le mot de bâtir ne se dise proprement que des maisons ou autres édifices : Virgile s’est servi (…), bâtir, en parlant du cheval de Troie ; et Cicéron a dit, (…), bâtir une flote. Dieu dit à Moïse, je ferai pleuvoir pour vous des pains du ciel, et ces pains c’étoit la mâne : Moïse en la montrant dit aux juifs, voila le pain que Dieu vous a doné pour vivre. Ainsi la mâne fut apelée pain par extension. (…), paricide, se dit en latin et en françois, non seulement de celui qui tue son pére, ce qui est le premier usage de ce mot ; mais il se dit encore par extension de celui qui fait mourir sa mére, ou quelqu’un de ses parens, ou enfin quelque persone sacrée.
Ainsi la catachrése est, pour ainsi dire, un écart que certains mots font de leur premiére signification, pour en prendre une autre qui y a quelque raport, et c’est aussi ce qu’on apèle extension : par exemple ; feuille se dit par extension ou imitation des choses qui sont plates et minces, come les feuilles des plantes ; on dit une feuille de papier, une feuille de fer blanc, une feuille d’or, une feuille d’étain, qu’on met derière les miroirs : une feuille de carton ; le talc se léve par feuilles ; les feuilles d’un paravent, etc.
La langue, qui est le principal organe de la parole, a doné son nom par métonymie et par extension au mot générique dont on se sert pour marquer les idiomes, le langage des diférentes nations : langue latine, langue françoise. glace, dans le sens propre, c’est de l’eau gelée : ce mot signifie ensuite par imitation, par extension, un verre poli, une glace de miroir, une glace de carosse. glace signifie encore une sorte de composition de sucre et de blanc d’oeuf, que l’on coule sur les biscuits, ou que l’on met sur les fruits confits.
Enfin, glace se dit encore au plurier, d’une sorte de liqueur congelée.
Il y a même des mots qui ont perdu leur premiére signification, et n’ont retenu que celle qu’ils ont eue par extension : florir, florissant, se disoient autrefois des arbres et des plantes qui sont en fleurs ; aujourd’hui on dit plus ordinairement fleurir au propre et florir au figuré ; si ce n’est à l’infinitif, c’est au moins dans les autres modes de ce verbe ; alors il signifie être en crédit, en honeur, en réputation : Pétrarque florissoit vers le milieu du 14 siécle : une armée florissante, un empire florissant. " la langue grèque, dit Madame Dacier, se maintint encore assez florissante jusqu’à la prise de Constantinople, en 1453. " prince, (…), signifioit seulement autrefois, premier, principal ; mais aujourd’hui en françois il signifie, un souverain ou une persone de maison souveraine.
Le mot (…), empereur, ne fut d’abord qu’un titre d’honeur que les soldats donoient dans le camp à leur général, quand il s’étoit distingué par quelque expédition mémorable : on n’avoit ataché à ce mot aucune idée de souveraineté, du tems même de Jules César, qui avoit bien la réalité de souverain, mais qui gouvernoit sous la forme de l’anciène république. Ce mot perdit son anciène signification vers la fin du regne d’Auguste, ou peut-être même plus tard.
Le mot latin (…) que nous traduisons par secourir, veut dire proprement courir sous ou sur. Cicéron s’en est servi plusieurs fois en ce sens ; (…), et Sénéque dit, (…) ;
« lorsque nous rencontrons quelqu’un, et que son nom ne nous vient pas dans l’esprit, nous l’apelons monsieur. » cependant come il faut souvent se hâter et courir pour venir au secours de quelqu’un, on a doné insensiblement à ce mot par extension le sens d’aider ou secourir. (…), selon Perizonius, vient du grec (…), dont le premier signifie tomber, et l’autre voler ; ensorte que ces verbes marquent une action qui se fait avec éfort et mouvement vers quelque objet : ainsi :
- le premier sens de (…), c’est aler vers, se porter avec ardeur vers un objet ; ensuite on done à ce mot par extension plusieurs autres sens, qui sont une suite du premier.
- il signifie souhaiter d’avoir, briguer, demander ; (…), briguer le consulat ; (…), rechercher une persone en mariage.
- aler prendre ; (…).
- aler vers quelqu’un ; et en conséquence le fraper, l’ataquer. Virgile etc.
- enfin (…) veut dire par extension aler en quelque lieu, ensorte que ce lieu soit l’objet de nos demandes et de nos mouvemens. Les compagnons d’Enée, après leur naufrage, demandent à Didon qu’il leur soit permis de se mettre en état d’aler en Italie, dans le Latium, ou du moins d’aler trouver le roi Aceste.
(…).
Mais parce qu’on tourne son esprit, son ressentiment, vers ceux qui nous ont ofensés, et qu’on veut punir ; on a doné ensuite par extension le sens de (…) ; ils tournoient leur ressentiment, leur colère, avec des verges contre les citoyens, c’est-à-dire, qu’ils condânoient au fouet les citoyens. Remarquez qu’(…) se prend alors dans le sens de colère. (…).
Ces sortes d’extensions doivent être autorisées par l’usage d’une langue, et ne sont pas toujours réciproques dans une autre langue ; c’est-à-dire que le mot françois ou alemand, qui répond au mot latin, selon le sens propre, ne se prend pas toujours en françois ou en alemand dans le même sens figuré que l’on done au mot latin : etc. (…). Les laboureurs en s’entretenant ensemble, dit Festus, se demandoient l’un à l’autre, avez vous fait bone récolte ? (…), j’en aurois pour nourir toute la ville : etc. dont vient de (…), donez lui un peu d’argent dont-il puisse vivre en le metant à profit : ce mot ne se prend plus aujourd’hui dans sa signification primitive ; on ne dit pas la ville dont je viens, mais d’où je viens. (…), boire à la santé de quelqu’un, est un mot purement grec, qui veut dire à la lettre boire le premier. Quand les anciens vouloient exciter quelqu’un à boire, et faire à peu près à son égard ce que nous apelons boire à la santé ; ils prenoient une coupe pleine de vin, ils en buvoient un peu les premiers, et ensuite ils présentoient la coupe à celui qu’ils vouloient exciter à boire. Cet usage s’est conservé en Flandre, en Holande, et dans le Nord : on fait l’essai, c’est-à-dire, qu’avant que de vous présenter le vase, on en boit un peu, pour vous marquer que vous pouvez en boire sans rien craindre. Delà, par extension, par imitation, on s’est servi de (…) pour livrer quelqu’un, le trahir pour faire plaisir à un autre ; le livrer, le doner come on done la coupe à boire après avoir fait l’essai. je vous le livre, dit Térence, en etc.
Nous avons vu dans la cinquiéme partie de cette grammaire, que la préposition supléoit aux raports qu’on ne sauroit marquer par les terminaisons des mots ; qu’elle marquoit un raport général ou une circonstance générale, qui étoit ensuite déterminée par le mot qui suit la préposition : or, ces raports ou circonstances générales sont presque infinies, et le nombre des prépositions est extrèmement borné ; mais pour supléer à celles qui manquent, on done divers usages à la même préposition.
Chaque préposition a sa première signification ; elle a sa destination principale, son premier sens propre ; et ensuite par extension, par imitation, par abus, en un mot par catachrèse, on la fait servir à marquer d’autres raports qui ont quelque analogie avec la destination principale de la préposition, et qui sont sufisamment indiqués par le sens du mot qui est lié à cette préposition ; par exemple : la préposition in est une préposition de lieu, c’est-à-dire, que son premier usage est de marquer la circonstance générale d’être dans un lieu : César fut tué dans le sénat, entrer dans une maison, serrer dans une cassette.
Ensuite on considère par métaphore les diférentes situations de l’esprit et du corps, les diférens états de la fortune, en un mot les diférentes maniéres d’être, come autant de lieux où l’home peut se trouver ; et alors on dit par extension, être dans la joie, dans la crainte, dans le dessein, dans la bone ou dans la mauvaise fortune, dans une parfaite santé, dans le desordre, dans l’épée, dans la robe, dans le doute, etc.
On se sert aussi de cette préposition pour marquer le tems : c’est encore par extension, par imitation ; on considère le tems come un lieu, (…). ubi et ibi sont des adverbes de lieu ; on les fait servir aussi par imitation pour marquer le tems, (…), après que ces mots furent dits, après ces paroles. (…) n’alâtes-vous pas sur le champ gronder votre fils ? Ne lui dites-vous rien alors ?
On peut faire de pareilles observations sur les autres prépositions, et sur un grand nombre d’autres mots.
" la préposition après, dit m. L’abé de Dangeau, etc. " le mot d’heures (…), n’a signifié d’abord que le tems ; ensuite par extension il a signifié les quatre saisons de l’année. Lorsqu’Homére dit que depuis le comencement des tems les heures veillent à la garde du haut olympe, et que le soin des portes du ciel leur est confié, Madame Dacier remarque qu’Homére apèle les heures ce que nous apelons les saisons.
Herodote dit que les grecs ont pris des babiloniens l’usage de diviser le jour en douze parties. Les romains prirent ensuite cet usage des grecs, il ne fut introduit chez les romains qu’après la premiére guerre punique : ce fut vers ces tems-là que par une autre extension l’on dona le nom d’heures aux douze parties du jour, et aux douze parties de la nuit ; celles-ci étoient divisées en quatre veilles, dont chacune comprenoit trois heures.
Dans le langage de l’eglise, les jours de la semaine qui suivent le dimanche sont apelés féries par extension.
Il y avoit parmi les anciens des fêtes et des féries, les fêtes étoient des jours solemnels où l’on faisoit des jeux et des sacrifices avec pompe : les féries étoient seulement des jours de repos où l’on s’abstenoit du travail. (…).
L’année chrétiène començoit autrefois au jour de pâques ; ce qui étoit fondé sur ce passage de S. Paul : (…).
L’empereur Constantin ordona que l’on s’abstiendroit de toute oeuvre servile pendant la quinzaine de pâques, et que ces quinze jours seroient féries : cela fut exécuté du moins pour la premiére semaine ; ainsi tous les jours de cette premiére semaine furent féries. Le lendemain du dimanche d’après pâques fut la seconde férie ; ainsi des autres. L’on dona ensuite par extension, par imitation, le nom de férie seconde, troisiéme, quatriéme, etc., aux autres jours des semaines suivantes, pour éviter de leur doner les noms profanes des dieux des payens.
C’est ainsi que chez les juifs, le nom de sabat (…) qui signifie repos, fut doné au septiéme jour de la semaine, en mémoire de ce qu’en ce jour Dieu se reposa, pour ainsi dire, en cessant de créer de nouveaux êtres : ensuite par extension on dona le même nom à tous les jours de la semaine, en ajoutant premier, second, troisiéme, etc. (…).
On dona encore ce nom à chaque septième année, qu’on apela année sabatique, et enfin à l’année qui arivoit après sept fois sept ans, et c’étoit le jubilé des juifs ; tems de rémission, de restitution, où chaque particulier rentroit dans ses anciens héritages aliénés, et où les esclaves devenoient libres.
Notre verbe aler signifie dans le sens propre se transporter d’un lieu à un autre : mais ensuite dans combien de sens figurés n’est-il pas employé par extension ! Tout mouvement qui aboutit à quelque fin ; toute maniére de procéder, de se conduire, d’ateindre à quelque but ; enfin tout ce qui peut être comparé à des voyageurs qui vont ensemble, s’exprime par le verbe aler ; je vais, ou je vas ; aler à ses fins, aler droit au but : il ira loin, c’est-à-dire, il fera de grands progrès, aler étudier, aler lire, etc. devoir veut dire dans le sens propre être obligé par les loix à payer ou à faire quelque chose : on le dit ensuite par extension de tout ce qu’on doit faire par bienséance, par politesse, nous devons aprendre ce que nous devons aux autres et ce que les autres nous doivent.devoir se dit encore par extension de ce qui arivera, come si c’étoit une dette qui dût être payée : je dois sortir : instruisez-vous de ce que vous êtes, de ce que vous n’êtes pas, et de ce que vous devez être, c’est-à-dire, de ce que vous serez, de ce à quoi vous êtes destiné.
Notre verbe auxiliaire avoir, que nous avons pris des italiens, vient dans son origine du verbe habére, avoir, posséder. César a dit qu’il envoya au devant toute la cavalerie qu’il avoit assemblée de toute la province, (…). Il dit encore dans le même sens avoir les fermes tenues à bon marché, c’est-à-dire, avoir pris les fermes à bon marché, les tenir à bas prix. Dans la suite on s’est écarté de cette signification propre d’avoir, et on a joint ce verbe par métaphore et par abus, à un supin, à un participe ou adjectif ; ce sont des termes abstraits dont on parle come de choses réelles : (…), j’ai aimé, (…) ; aimé est alors un supin, un nom qui marque le sentiment que le verbe signifie ; je posséde le sentiment d’aimer, come un autre posséde sa montre. On est si fort acoutumé à ces façons de parler, qu’on ne fait plus atention à l’anciène signification propre d’avoir ; on lui en done une autre qui ne signifie avoir que par figure, et qui marque en deux mots le même sens que les latins exprimoient en un seul mot. Nos grammairiens qui ont toujours raporté notre grammaire à la grammaire latine, disent qu’alors avoir est un verbe auxiliaire, parce qu’il aide le supin ou le participe du verbe à marquer le même tems que le verbe latin signifie en un seul mot. être, avoir, faire, sont les idées les plus simples, les plus comunes, et les plus intéressantes pour l’home : or les homes parlent toujours de tout par comparaison à eux mêmes ; delà vient que ces mots ont été le plus détournés à des usages diférens : être assis, être aimé, etc. avoir de l’argent, avoir peur, avoir honte ; avoir quelque chose faite, et en moins de mots avoir fait.
De plus, les homes réalisent leurs abstractions ; ils en parlent par imitation, come ils parlent des objets réels : ainsi ils se sont servis du mot avoir en parlant de choses inanimées et de choses abstraites. On dit cette ville a deux lieues de tour, cet ouvrage a des défauts ; les passions ont leur usage ; il a de l’esprit, il a de la vertu : et ensuite par imitation et par abus, il a aimé, il a lu, etc.
Remarquez en passant que le verbe a est alors au présent, et que la signification du prétérit n’est que dans le supin ou participe.
On a fait aussi du mot il un terme abstrait qui représente une idée générale, l’être en général : il y a des homes qui disent, (…), dans la bone latinité on prend un autre tour, come nous l’avons remarqué ailleurs.
Notre il dans ces façons de parler répond au res des latins : (…), la chose avoit été proche de la crainte : c’est-à-dire, il y avoit eu sujet de craindre. (…).
Ce n’est pas seulement la propriété d’avoir qu’on a atribuée à des êtres inanimés et à des idées abstraites, on leur a aussi atribué celle de vouloir : on dit cela veut dire, au lieu de cela signifie ; un tel verbe veut un tel cas ; ce bois ne veut pas bruler ; cette clé ne veut pas tourner, etc. Ces façons de parler figurées sont si ordinaires, qu’on ne s’aperçoit pas même de la figure.
La signification des mots ne leur a pas été donée dans une assemblée générale de chaque peuple, dont le résultat ait été signifié à chaque particulier qui est venu dans le monde ; cela s’est fait insensiblement et par l’éducation : les enfans ont lié la signification des mots aux idées que l’usage leur a fait conoitre que ces mots signifioient.
- À mesure qu’on nous a doné du pain, et qu’on nous a prononcé le mot pain ; d’un côté le pain a gravé par les yeux son image dans notre cerveau, et en a excité l’idée : d’un autre côté le son du mot pain a fait aussi son impression par les oreilles, de sorte que ces deux idées accessoires, c’est-à-dire, excitées en nous en même tems, ne sauroient se réveiller séparément sans que l’une excite l’autre.
- Mais parce que la conoissance des autres mots qui signifient des abstractions ou des opérations de l’esprit, ne nous a pas été donée d’une maniére aussi sensible ; que d’ailleurs la vie des homes est courte, et qu’ils sont plus ocupés de leurs besoins et de leur bien être, que de cultiver leur esprit et de perfectioner leur langage ; come il y a tant de variété et d’inconstance dans leur situation, dans leur état, dans leur imagination, dans les diférentes rélations qu’ils ont les uns avec les autres ; que par la dificulté que les homes trouvent à prendre les idées précises de ceux qui parlent, ils retranchent ou ajoutent presque toujours à ce qu’on leur dit ; que d’ailleurs la mémoire n’est ni assez fidèle ni assez scrupuleuse pour retenir et rendre exactement les mêmes mots et les mêmes sons, et que les organes de la parole n’ont pas dans tous les homes une conformation assez uniforme pour exprimer les sons précisément de la même manière ; enfin come les langues ne sont point assez fécondes pour fournir à chaque idée un mot précis qui y réponde : de tout cela il est arivé que les enfans se sont insensiblement écartés de la manière de parler de leurs péres, come ils se sont écartés de leur manière de vivre et de s’habiller ; ils ont lié au même mot des idées diférentes et éloignées, ils ont doné à ce même mot des significations empruntées, et y ont ataché un tour diférent d’imagination ; ainsi les mots n’ont pu garder long-tems une simplicité qui les restraignit à un seul usage ; c’est ce qui a causé plusieurs irrégularités aparentes dans la grammaire et dans le régime des mots ; on n’en peut rendre raison que par la conoissance de leur première origine, et de l’écart, pour ainsi dire, qu’un mot a fait de sa première signification et de son premier usage : ainsi cette figure mérite une atention particulière ; elle regne en quelque sorte sur toutes les autres figures.
Avant que de finir cet article, je crois qu’il n’est pas inutile d’observer que la catachrèse n’est pas toujours de la même espéce.
- Il y a la catachrèse qui se fait lorsqu’on done à un mot une signification éloignée, qui n’est qu’une suite de la signification primitive : c’est ainsi etc. : ce qui peut souvent être raporté à la métalepse, dont nous parlerons dans la suite.
- La seconde espéce de catachrèse n’est proprement qu’une sorte de métaphore, c’est lorsqu’il y a imitation et comparaison, come quand on dit ferrer d’argent, feuille de papier, etc.
La metonymie
Le mot de métonymie signifie transposition ou changement de nom, un nom pour un autre.
En ce sens cette figure comprend tous les autres tropes ; car dans tous les tropes, un mot n’étant pas pris dans le sens qui lui est propre, il réveille une idée qui pouroit être exprimée par un autre mot. Nous remarquerons dans la suite ce qui distingue proprement la métonymie des autres tropes.
Les maitres de l’art restraignent la métonymie aux usages suivans.
-
La cause pour l’efet ; par exemple : vivre de son travail, c’est-à-dire, vivre de ce qu’on gagne en travaillant.
Les païens regardoient Cérès come la déesse qui avoit fait sortir le blé de la terre, et qui avoit apris aux homes la manière d’en faire du pain : ils croioient que Bacchus étoit le dieu qui avoit trouvé l’usage du vin ; ainsi ils donoient au blé le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus ; on en trouve un grand nombre d’exemples dans les poètes : Virgile a dit, un vieux Bacchus , pour dire du vin vieux. (…). Madame Des Houliéres a fait une balade dont le refrein est, l’amour languit sans Bacchus et Cérès.
C’est la traduction de ce passage de Térence, (…). C’est-à-dire, qu’on ne songe guére à faire l’amour quand on n’a pas dequoi vivre. Virgile a dit : (…).
Scarron, dans sa traduction burlesque, se sert d’abord de la même figure ; mais voyant bien que cette façon de parler ne seroit point entendue en notre langue, il en ajoute l’explication : lors fut des vaisseaux etc.
Ovide a dit, qu’une lampe prête à s’éteindre se ralume quand on y verse Pallas, c’est-à-dire de l’huile, ce fut Pallas, selon la fable, qui la première fit sortir l’olivier de la terre, et enseigna aux homes l’art de faire de l’huile ; ainsi Pallas se prend pour l’huile, come Bacchus pour le vin.
On raporte à la même espèce de figure les façons de parler où le nom des dieux du paganisme se prend pour la chose à quoi ils présidoient, quoiqu’ils n’en fussent pas les inventeurs : Jupiter se prend pour l’air, Vulcain pour le feu : ainsi pour dire, où vas-tu avec ta lanterne ? Plaute a dit, (…) ? Où vas-tu toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne ? Et Virgile, (…) ; et encore au premier livre des géorgiques, voulant parler du vin cuit ou du résiné que fait une ménagère de la campagne, il dit qu’elle se sert de Vulcain pour dissiper l’humidité du vin doux. (…).
Neptune se prend pour la mer ; Mars le dieu de la guerre se prend souvent pour la guerre même, ou pour la fortune de la guerre, pour l’événement des combats, l’ardeur, l’avantage des combatans : les historiens disent souvent qu’on a combatu avec un Mars égal, (…), c’est-à-dire, avec un avantage égal ; (…), avec un succès douteux : (…), quand l’avantage est tantot d’un côté et tantot de l’autre.
C’est encore prendre la cause pour l’éfet que de dire d’un général ce qui, à la lettre, ne doit être entendu que de son armée ; il en est de même lorsqu’on done le nom de l’auteur à ses ouvrages : il a lu Cicéron, Horace, Virgile ; c’est-à-dire, les ouvrages de Cicéron, etc.
Jésus-Christ lui-même s’est servi de la métonymie en ce sens, lorsqu’il a dit, parlant des juifs : ils ont Moïse et les prophètes, c’est-à-dire, ils ont les livres de Moïse et ceux des prophètes.
On done souvent le nom de l’ouvrier à l’ouvrage ; on dit d’un drap que c’est un Van-Robais, un Rousseau, un Pagnon, c’est-à-dire, un drap de la manufacture de Van-Robais, ou de celle de Rousseau, etc. C’est ainsi qu’on done le nom du peintre au tableau : on dit j’ai vu un beau Rembrant, pour dire un beau tableau fait par le Rembrant. On dit d’un curieux en estampes, qu’il a un grand nombre de Callots, c’est-à-dire, un grand nombre d’estampes gravées par Callot.
On trouve souvent dans l’ecriture sainte Jacob, Israel, Juda, qui sont des noms de patriarches, pris dans un sens étendu pour marquer tout le peuple juif. M. Fléchier, parlant du sage et vaillant Machabée, auquel il compare M. de Turène, a dit « cet home qui réjouissoit Jacob par ses vertus et par ses exploits. » Jacob, c’est-à-dire le peuple juif.
Au lieu du nom de l’éfet, on se sert souvent du nom de la cause instrumentale qui sert à le produire : ainsi pour dire, que quelqu’un écrit bien, c’est-à-dire, qu’il forme bien les caractères de l’écriture, on dit qu’il a une belle main.
La plume est aussi une cause instrumentale de l’ecriture, et par conséquent de la composition ; ainsi plume se dit par métonymie de la manière de former les caractères de l’écriture et de la manière de composer. plume se prend aussi pour l’auteur même, c’est une bone plume, c’est-à-dire, c’est un auteur qui écrit bien : c’est une de nos meilleures plumes, c’est-à-dire, un de nos meilleurs auteurs. stile signifie aussi par figure la manière d’exprimer les pensées.
Les anciens avoient deux manières de former les caractères de l’écriture ; l’une étoit pingendo, en peignant les lettres, ou sur des feuilles d’arbres, ou sur des peaux préparées, ou sur la petite membrane intérieure de l’écorce de certains arbres ; cette membrane s’apèle en latin liber, d’où vient livre ; ou sur de petites tablètes faites de l’arbrisseau papyrus, ou sur de la toile, etc. Ils écrivoient alors avec de petits roseaux, et dans la suite ils se servirent aussi de plumes come nous.
L’autre manière d’écrire des anciens étoit (…), en gravant les lettres sur des lames de plomb ou de cuivre ; ou bien sur des tablètes de bois, enduites de cire. Or pour graver les lettres sur ces lames, ou sur ces tablètes, ils se servoient d’un poinçon, qui étoit pointu par un bout et aplati par l’autre : la pointe servoit à graver, et l’extrémité aplatie servoit à éfacer ; et c’est pour cela qu’Horace a dit (…), tourner le stile, pour dire, éfacer, coriger, retoucher à un ouvrage. Ce poinçon s’apeloit stilus, stile : tel est le sens propre de ce mot ; dans le sens figuré, il signifie la manière d’exprimer les pensées. C’est en ce sens que l’on dit, le stile sublime, le stile simple, le stile médiocre, le stile soutenu, le stile grave, le stile comique, le stile historique, le stile poétique, le stile de la conversation, etc.
Outre toutes ces manières diférentes d’exprimer les pensées, manières qui doivent convenir aux sujets dont on parle, et que pour cela on apèle stile de convenance ; il y a encore le stile personel ; c’est la manière particulière dont chacun exprime ses pensées. On dit d’un auteur que son stile est clair et facile, ou au contraire que son stile est obscur, embarassé, etc. : on reconoit un auteur à son stile, c’est-à-dire, à sa manière d’écrire, come on reconoit un home à sa voix, à ses gestes, et à sa démarche. stile se prend encore pour les diférentes manières de faire les procédures selon les diférens usages établis en chaque jurisdiction : le stile du palais, le stile du conseil, le stile des notaires, etc. Ce mot a encore plusieurs autres usages qui viènent par extension de ceux dont nous venons de parler. pinceau, outre son sens propre, se dit aussi quelquefois par métonymie, come plume et stile : on dit d’un habile peintre, que c’est un savant pinceau.
Voici encore quelques exemples tirés de l’ecriture sainte où la cause est prise pour l’éfet. (…), elle portera son iniquité, c’est-à-dire, la peine de son iniquité. (…), où vous voyez que par la colère du seigneur, il faut entendre la peine qui est une suite de la colère. (…), c’est-à-dire, le salaire, la récompense qui est due à l’ouvrier à cause de son travail. Tobie a dit la même chose à son fils tout simplement : (…). Le prophète Osée dit, que les prêtres mangeront les péchés du peuple, (…), c’est-à-dire, les victimes ofertes pour les péchés.
-
L’efet pour la cause : come lorsqu’Ovide dit que le mont Pélion n’a point d’ombres, (…) ; c’est-à-dire, qu’il n’a point d’arbres, qui sont la cause de l’ombre ; l’ombre, qui est l’éfet des arbres, est prise ici pour les arbres mêmes.
Dans la génése, il est dit de Rébecca que deux nations étoient en elle ; c’est-à-dire, Esaü et Jacob, les péres de deux nations ; Jacob des juifs, Esaü des iduméens.
Les poètes disent la pâle mort, les pâles maladies, la mort et les maladies rendent pâle. (…), la pâle fontaine de Pyrène : c’étoit une fontaine consacrée aux muses.
L’aplication à la poésie rend pâle, come toute autre aplication violente. Par la même raison Virgile a dit la triste vieillesse. (…). La mort, la maladie, et les fontaines consacrées aux muses ne sont point pâles ; mais elles produisent la pâleur : ainsi on done à la cause une épitète qui ne convient qu’à l’éfet.
-
Le contenant pour le contenu : come quand on dit, il aime la bouteille, c’est-à-dire, il aime le vin. Virgile dit que Didon ayant présenté à Bitias une coupe d’or pleine de vin, Bitias la prit et se lava, s’arosa de cet or plein ; c’est-à-dire, de la liqueur contenue dans cette coupe d’or. (…). auro est pris pour la coupe, c’est la matière pour la chose qui en est faite, nous parlerons bientot de cette espèce de figure, ensuite la coupe est prise pour le vin.
Le ciel, où les anges et les saints jouissent de la présence de Dieu, se prend souvent pour Dieu même : implorer le secours du ciel ; grace au ciel : j’ai péché contre le ciel et contre vous, dit l’enfant prodigue à son pére. le ciel se prend aussi pour les dieux du paganisme. la terre se tut devant Alexandre ; c’est-à-dire, les peuples de la terre se soumirent à lui : Rome desaprouva la conduite d’Appius , c’est-à-dire, les romains désaprouvèrent : toute l’Europe s’est réjouie à la naissance du Dauphin ; c’est-à-dire, tous les souverains, tous les peuples de l’Europe se sont réjouis.
Lucrèce a dit que les chiens de chasse mettoient une forest en mouvement ; où l’on voit qu’il prend la forest pour les animaux qui sont dans la forest.
Un nid se prend aussi pour les petits oiseaux qui sont encore au nid. carcer, prison, se dit en latin d’un home qui mérite la prison.
-
Le nom du lieu, où une chose se fait, se prend pour la chose même : on dit un Caudebec, au lieu de dire, un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie.
On dit de certaines étofes, c’est une Marseille , c’est-à-dire, une étofe de la manufacture de Marseille : c’est une Perse , c’est-à-dire, une toile peinte qui vient de Perse. à propos de ces sortes de noms, j’observerai ici une méprise de M. Ménage, qui a été suivie par les auteurs du dictionaire universel, apelé comunément dictionaire de Trévoux ; c’est au sujet d’une sorte de lame d’épée qu’on apèle olinde : les olindes nous viènent d’Alemagne, et surtout de la ville de Solingen, dans le cercle de Westphalie : on prononce Solingue.
Il y a aparence que c’est du nom de cette ville que les épées dont je parle, ont été apelées des olindes par abus. Le nom d’olinde, nom romanesque, étoit dèja conu, come le nom de silvie ; ces sortes d’abus sont assez ordinaires en fait d’étimologie : quoiqu’il en soit, M. Ménage et les auteurs du dictionaire de Trévoux n’ont point rencontré heureusement, quand ils ont dit que les olindes ont été ainsi apelées de la ville d’Olinde dans le Brésil, d’où ils nous disent que ces sortes de lames sont venues. Les ouvrages de fer ne viènent point de ce pays-là : il nous vient du Brésil une sorte de bois que nous apelons brésil, il en vient aussi du sucre du tabac, du baume, de l’or, de l’argent, etc. : mais on y porte le fer de l’Europe, et surtout le fer travaillé.
La ville de Damas en Syrie, au pié du mont Liban, a doné son nom à une sorte de sabres et de couteaux qu’on y fait : il a un vrai damas, c’est-à-dire, un sabre ou un couteau qui a été fait à Damas.
On done aussi le nom de damas à une sorte d’étofe de soie, qui a été fabriquée originairement dans la ville de Damas ; on a depuis imité cette sorte d’étofe à Venise, à Gènes, à Lion, etc. Ainsi on dit damas de venise, de lion, etc. On done encore ce nom à une sorte de prune, dont la peau est fleurie de façon qu’elle imite l’étofe dont nous venons de parler.
Faïance est une ville d’Italie dans la Romagne : on y a trouvé la manière de faire une sorte de vaissèle de terre vernissée qu’on apèle de la faïance ; on a dit ensuite par métonymie qu’on fait de fort belles faïances en Holande, à Nevers, à Rouen, etc.
C’est ainsi que le lycée se prend pour les disciples d’Aristote, ou pour la doctrine qu’Aristote enseignoit dans le lycée. le portique se prend pour la philosophie que Zénon enseignoit à ses disciples dans le portique.
Le lycée étoit un lieu près d’Athènes, où Aristote enseignoit la philosophie en se promenant avec ses disciples ; ils furent apelés péripatéticiens du grec (…), je me promène : on ne pense point ainsi dans le lycée, c’est-à-dire, que les disciples d’Aristote ne sont point de ce sentiment.
Les anciens avoient de magnifiques portiques publics où ils aloient se promener, c’étoient des galeries basses soutenues par des colones ou par des arcades, à peu près come la place royale de Paris, et come les cloitres de certaines grandes maisons religieuses. Il y en avoit un entr’autres fort célèbre à Athènes, où le philosophe Zénon tenoit son école : ainsi par le portique on entend souvent la philosophie de Zénon, la doctrine des stoïciens ; car les disciples de Zénon furent apelés stoïciens du grec (…), qui signifie portique. Le portique n’est pas toujours d’acord avec le lycée, c’est-à-dire, que les sentimens de Zénon ne sont pas toujours conformes à ceux d’Aristote.
Rousseau, pour dire que Cicéron dans sa maison de campagne méditoit la philosophie d’Aristote et celle de Zénon, s’explique en ces termes : c’est là que ce romain, etc.
Académus laissa près d’Athènes un héritage où Platon enseigna la philosophie. Ce lieu fut apelé académie, du nom de son ancien possesseur ; delà la doctrine de Platon fut apelée l’académie. On done aussi par extension le nom d’académie à diférentes assemblées de savans qui s’apliquent à cultiver les langues, les sciences, ou les beaux arts.
Robert Sorbon, confesseur et aumonier de S. Louis, institua dans l’université de Paris cette fameuse école de théologie, qui du nom de son fondateur est apelée sorbone : le nom de sorbone se prend aussi par figure pour les docteurs de Sorbone, ou pour les sentimens qu’on y enseigne : la sorbone enseigne que la puissance ecclésiastique ne peut ôter aux rois les courones que Dieu a mises sur leurs têtes, ni dispenser leurs sujets du serment de fidélité. (…).
-
Le signe pour la chose signifiée, dans ma vieillesse languissante, le septre que je tiens pèse à ma main tremblante.
C’est-à-dire, je ne suis plus dans un âge convenable pour me bien aquiter des soins que demande la royauté. Ainsi le septre se prend pour l’autorité royale ; le bâton de marêchal de France , pour la dignité de marêchal de France ; le chapeau de cardinal, et même simplement le chapeau se dit pour le cardinalat. l’épée se prend pour la profession militaire ; la robe pour la magistrature, et pour l’état de ceux qui suivent le barreau. à la fin j’ai quité la robe pour l’epée.
Cicéron a dit que les armes doivent céder à la robe. (…).
C’est-à-dire, come il l’explique lui même, que la paix l’emporte sur la guerre, et que les vertus civiles et pacifiques sont préférables aux vertus militaires.
« la lance, dit Mézerai, étoit autrefois la plus noble de toutes les armes dont se servissent les gentilshomes françois » : la quenouille étoit aussi plus souvent qu’aujourd’hui entre les mains des femmes : delà on dit en plusieurs ocasions lance pour signifier un home, et quenouille pour marquer une femme : fief qui tombe de lance en quenouille, c’est-à-dire, fief qui passe des mâles aux femmes. le royaume de France ne tombe point en quenouille, c’est-à-dire, qu’en France les femmes ne succèdent point à la courone : mais les royaumes d’Espagne, d’Angleterre, et de Suède, tombent en quenouille : les femmes peuvent aussi succéder à l’empire de Moscovie.
C’est ainsi que du tems des romains les faisceaux se prenoient pour l’autorité consulaire ; les aigles romaines, pour les armées des romains qui avoient des aigles pour enseignes.
L’aigle qui est le plus fort des oiseaux de proie, étoit le symbole de la victoire chez les egyptiens.
Saluste a dit que Catilina, après avoir rangé son armée en bataille, fit un corps de reserve des autres enseignes, c’est-à-dire des autres troupes qui lui restoient, (…).
On trouve souvent dans les auteurs latins pubes poil folet, pour dire la jeunesse, les jeunes gens ; c’est ainsi que nous disons familiérement à un jeune home, vous êtes une jeune barbe ; c’est-à-dire, vous n’avez pas encore assez d’expérience. (…) les cheveux blancs, se prend aussi pour la vieillesse. (…).
Les divers symboles dont les anciens se sont servis et dont nous nous servons encore quelquefois pour marquer ou certaines divinités, ou certaines nations, ou enfin les vices et les vertus, ces symboles, dis-je, sont souvent employés pour marquer la chose dont ils sont le symbole.
Envain etc.
Par le lion belgique le poète entend les provinces unies des pays bas : par l’aigle germanique, il entend l’Allemagne ; et par les léopards il désigne l’Angleterre qui a des léopards dans ses armoiries.
Mais qui fait etc. ?
Sous les jumeaux, c’est-à-dire, à la fin du mois de mai et au comencement du mois de juin.
Le roi assiégea Namur le 26 de mai 1692 et la ville fut prise au mois de juin suivant.
Chaque mois de l’année est désigné par un signe vis-à-vis duquel le soleil se trouve depuis le 21 d’un mois ou environ, jusqu’au 21 du mois suivant.
(…). (…), le bélier comence vers le 21 du mois de mars, ainsi de suite.
« les villes, les fleuves, etc. » le trident est le symbole de Neptune : le pan est le symbole de Junon : l’olive ou l’olivier est le symbole de la paix et de Minerve, déesse des beaux arts : le laurier étoit le symbole de la victoire ; les vainqueurs étoient couronés de laurier, même les vainqueurs dans les arts et dans les sciences, c’est-à-dire, ceux qui s’y distinguoient au dessus des autres.
Peut-être qu’on en usoit ainsi à l’égard de ces derniers, parce que le laurier étoit consacré à Apollon dieu de la poésie et des beaux arts. Les poètes étoient sous la protection d’Apollon et de Bacchus ; ainsi ils étoient couronés, quelquefois de laurier, et quelquefois de lierre, (…).
La palme étoit aussi le symbole de la victoire.
On dit d’un saint qu’il a remporté la palme du martire. Il y a dans cette expression une métonymie, palme se prend pour victoire, et de plus l’expression est métaphorique ; la victoire dont on veut parler est une victoire spirituèle.
« à l’autel de Jupiter, dit le p. De Montfaucon, etc. »
-
Le nom abstrait pour le concret.
J’explique dans un article exprès le sens abstrait et le sens concret, j’observerai seulement ici que blancheur est un terme abstrait ; mais quand je dis que ce papier est blanc, blanc est alors un terme concret. un nouvel esclavage se forme tous les jours pour vous, dit Horace, c’est-à-dire, vous avez tous les jours de nouveaux esclaves. Etc.
(…), l’espérance, se dit souvent pour ce qu’on espère. (…), demande, se dit aussi pour la chose demandée. (…).
C’est ainsi que Phèdre a dit, etc.
-
Les parties du corps qui sont regardées come le siège des passions et des sentimens intérieurs, se prènent pour les sentimens mêmes : c’est ainsi qu’on dit il a du coeur, c’est-à-dire, du courage.
Observez que les anciens regardoient le coeur come le siège de la sagesse, de l’esprit, de l’adresse : ainsi (…) dans Plaute, ne veut pas dire come parmi nous, elle a du courage, mais elle a de l’esprit ; etc.
Cornutus, philosophe stoïcien, qui fut le maitre de Perse, et qui a été ensuite le comentateur de ce poète, fait cette remarque sur ces paroles de la première satire : etc.
Aujourd’hui on a d’autres lumières.
Perse dit que le ventre c’est-à-dire, la faim, le besoin, a fait aprendre aux pies et aux corbeaux à parler.
La cervèle se prend aussi pour l’esprit, le jugement ; ô la belle tête ! s’écrie le renard dans Phédre, quel domage, elle n’a point de cervèle ! on dit d’un étourdi que c’est une tête sans cervèle : Ulysse dit à Uryale, selon la traduction de Madame Dacier, jeune home vous avez tout l’air d’un écervelé : c’est-à-dire, come elle l’explique dans ses savantes remarques, vous avez tout l’air d’un home peu sage. Au contraire, quand on dit, c’est un home de tête, c’est une bone tête, on veut dire que celui dont on parle, est un habile home, un home de jugement. la tête lui a tourné, c’est-à-dire, qu’il a perdu le bon sens, la présence d’esprit. avoir de la tête, se dit aussi figurément d’un opiniatre : tête de fer, se dit d’un home apliqué sans relâche, et encore d’un entêté. la langue, qui est le principal organe de la parole, se prend pour la parole : c’est une méchante langue, c’est-à-dire, c’est un médisant avoir la langue bien pendue, c’est avoir le talent de la parole, c’est parler facilement.
-
Le nom du maitre de la maison se prend aussi pour la maison qu’il ocupe : Virgile a dit, (…), c’est-à-dire, le feu a déja pris à la maison d’Ucalégon.
On done aussi aux pièces de monoie le nom du souverain dont elles portent l’empreinte. (…) : qu’elle rende deux cens philipes d’or : nous dirions deux cens louis d’or.
Voilà les principales espèces de métonymie.
Quelques uns y ajoutent la métonymie par laquelle on nome ce qui précède pour ce qui suit, ou ce qui suit pour ce qui précède ; c’est ce qu’on apèle l’antecedent pour le consequent ou le consequent pour l’antecedent, on en trouvera des exemples dans la métalepse qui n’est qu’une espèce de métonymie à laquelle on a doné un nom particulier : au lieu qu’à l’égard des autres espèces de métonymie, dont nous venons de parler, on se contente de dire métonymie de la cause pour l’éfet, métonymie du contenant pour le contenu, métonymie du signe, etc.
La metalepse
La métalepse est une espèce de métonymie, par laquelle on exprime ce qui suit pour faire entendre ce qui précède ; ou ce qui précède pour faire entendre ce qui suit ; elle ouvre, pour ainsi dire, la porte, dit Quintilien, afin que vous passiez d’une idée à une autre, (…) ; c’est l’antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l’antécédent, et c’est toujours le jeu des idées accessoires dont l’une réveille l’autre.
Le partage des biens se fesoit souvent et se fait encore aujourd’hui, en tirant au sort : Josué se servit de cette manière de partager.
Le sort précède le partage ; delà vient que sors en latin se prend souvent pour la partage même, pour la portion qui est échue en partage ; c’est le nom de l’antécédent qui est doné au conséquent.
sors signifie encore jugement, arrêt, c’étoit le sort qui décidoit chez les romains, du rang dans lequel chaque cause devoit être plaidée : ainsi quand on a dit sors pour jugement, on a pris l’antécédent pour le conséquent. sortes en latin se prend encore pour un oracle, soit parce qu’il y avoit des oracles qui se rendoient par le sort, soit parce que les réponses des oracles étoient come autant de jugemens qui régloient la destinée, le partage, l’état de ceux qui les consultoient.
On croit avant que de parler ; je crois, dit le prophète, et c’est pour cela que je parle : il n’y a point là de métalepse : mais il y a une métalepse quand on se sert de parler ou de dire pour signifier croire ; direz-vous après cela que je ne suis pas de vos amis ?
C’est-à-dire, croirez-vous ? Aurez vous sujet de dire ? cedo veut dire dans le sens propre, je cède, je me rens ; cependant, par une métalepse de l’antécédent pour le conséquent ; cedo signifie souvent dans les meilleurs auteurs dites ou donez : cette signification vient de ce que quand quelqu’un veut nous parler et que nous parlons toujours nous mêmes, nous ne lui donons pas le tems de s’expliquer : écoutez-moi, nous dit-il ; hé bien je vous céde, je vous écoute, parlez ; (…).
Quand on veut nous doner quelque chose, nous refusons souvent par civilité, on nous presse d’accepter, et enfin nous répondons je vous céde, je vous obéïs, je me rens, donez, (…) qui est le plus poli de ces deux mots, est demeuré tout seul dans le langage ordinaire sans être suivi de dic ou de da qu’on suprime par ellipse : cedo signifie alors ou l’un ou l’autre de ces deux mots, selon le sens ; c’est ce qui précède pour ce qui suit ; et voilà pourquoi on dit également cedo, soit qu’on parle à une seule persone, ou à plusieurs : car tout l’usage de ce mot, dit un ancien grammairien, c’est de demander pour soi, (…).
On raporte de même à la métalepse ces façons de parler, il oublie les bienfaits, c’est-à-dire, il n’est pas reconoissant. souvenez-vous de notre convention, c’est-à-dire, observez notre convention : Seigneur, ne vous ressouvenez point de nos fautes, c’est-à-dire, ne nous en punissez point, acordez nous en le pardon : je ne vous conois pas, c’est-à-dire, je ne fais aucun cas de vous, je vous méprise, vous êtes à mon égard come n’étant point. il a été, il a vêcu, veut dire souvent il est mort ; c’est l’antécédent pour le conséquent.
… c’en est fait, madame, et j’ai vêcu, c’est-à-dire, je me meurs.
Un mort est regreté par ses amis, ils voudroient qu’il fut encore en vie, ils souhaitent celui qu’ils ont perdu, ils le desirent : ce sentiment supose la mort, ou du moins l’absence de la persone qu’on regrète. Ainsi la mort, la perte ou l’absence sont l’antécédent ; et le desir, le regret sont le conséquent. Or, en latin (…) être souhaité se prend pour être mort, être perdu, être absent, c’est le conséquent pour l’antécédent, c’est une métalepse. (…) ; du côté d’Alexandre il n’y eut en tout que trois cens fantassins de tués, Alexandre ne perdit que trois cens homes d’infanterie. (…) : aucun vaisseau n’étoit désiré, c’est-à-dire, aucun vaisseau ne périt, il n’y eut aucun vaisseau de perdu.
« je vous avois promis etc. » (…).
Où vous voyez que (…) veut dire par métalepse, je suis absent de Rome, je me tiens à la campagne.
Par la même figure (…) signifie encore manquer (…) être tel que les autres aient besoin de nous. « les thébains, etc. » Cornelius Nepos dit encore que Ménéclide jaloux de la gloire d’Epaminondas, exhortoit continuèlement les thébains à la paix, afin qu’ils ne sentissent point le besoin qu’ils avoient de ce général. (…).
La métalepse se fait donc lorsqu’on passe come par degrés d’une signification à une autre : par exemple, quand Virgile a dit, après quelques épis, c’est-à-dire, aprés quelques années : les épis suposent le tems de la moisson, le tems de la moisson supose l’été, et l’été supose la révolution de l’année. Les poètes prènent les hivers, les étés, les moissons, les autones, et tout ce qui n’arrive qu’une fois en une année, pour l’année même.
Nous disons dans le discours ordinaire, c’est un vin de quatre feuilles, pour dire, c’est un vin de quatre ans ; et dans les coutumes on trouve bois de quatre feuilles, c’est-à-dire, bois de quatre années.
Ainsi le nom des diférentes opérations de l’agriculture se prend pour le tems de ces opérations, c’est le conséquent pour l’antécédent, la moisson se prend pour le tems de la moisson, la vendange pour le tems de la vendange ; il est mort pendant la moisson, c’est-à-dire, dans le tems de la moisson. La moisson se fait ordinairement dans le mois d’aout, ainsi par métonymie ou métalepse, on apèle la moisson l’août qu’on prononce l’oû, alors le tems dans lequel une chose se fait se prend pour la chose même, et toujours à cause de la liaison que les idées accessoires ont entre elles.
On raporte aussi à cette figure ces façons de parler des poètes, par lesquelles ils prènent l’antécédent pour le conséquent, lorsqu’au lieu d’une description, ils nous mettent devant les yeux le fait que la description supose.
« ô Menalque ! Si nous vous perdions, dit Virgile, etc. ? » c’est-à-dire, qui chanteroit la terre émaillée de fleurs ? Qui nous en feroit des descriptions aussi vives et aussi riantes que celles que vous en faites ? Qui nous peindroit come vous ces ruisseaux qui coulent sous une ombre verte ?
Le même poète a dit, que « Silène envelopa etc. » ; c’est-à-dire, que Silène chanta d’une manière si vive la métamorphose des soeurs de Phaéton en peupliers qu’on croyoit voir ce changement. Ces façons de parler peuvent être raportées à l’hypotypose dont nous parlerons dans la suite.
La synecdoque
Le terme de synecdoque signifie compréhension, conception : en éfet dans la synecdoque on fait concevoir à l’esprit plus ou moins que le mot dont on se sert ne signifie dans le sens propre.
Quand au lieu de dire d’un home qu’il aime le vin, je dis qu’il aime la bouteille, c’est une simple métonymie, c’est un nom pour un autre : mais quand je dis cent voiles pour cent vaisseaux, non seulement je prens un nom pour un autre, mais je done au mot voiles une signification plus étendue que celle qu’il a dans le sens propre ; je prens la partie pour le tout.
La synecdoque est donc une espèce de métonymie, par laquelle on done une signification particulière à un mot, qui dans le sens propre a une signification plus générale ; ou au contraire, on done une signification générale à un mot qui dans le sens propre n’a qu’une signification particulière. En un mot, dans la métonymie je prens un nom pour un autre, au lieu que dans la synecdoque, je prens le plus pour le moins, ou le moins pour le plus.
Voici les diférentes sortes de synecdoques que les grammairiens ont remarquées.
-
Synecdoque du genre : come quand on dit les mortels pour les homes, le terme de mortels devroit pourtant comprendre aussi les animaux qui sont sujets à la mort aussi bien que nous : ainsi, quand par les mortels on n’entend que les homes, c’est une synecdoque du genre : on dit le plus pour le moins.
Dans l’ecriture sainte, créature ne signifie ordinairement que les homes ; c’est encore ce qu’on apèle la synecdoque du genre, parce qu’alors un mot générique ne s’entend que d’une espèce particulière : créature est un mot générique, puisqu’il comprend toutes les espéces de choses créées, les arbres, les animaux, les métaux, etc. Ainsi lorsqu’il ne s’entend que des homes, c’est une synecdoque du genre, c’est-à-dire, que sous le nom du genre, on ne conçoit, on n’exprime qu’une espèce particulière ; on restraint le mot générique à la simple signification d’un mot qui ne marque qu’une espèce. nombre est un mot qui se dit de tout assemblage d’unités : les latins se sont quelquefois servis de ce mot en le restraignant à une espèce particulière.
- Pour marquer l’harmonie, le chant : il y a dans le chant une proportion qui se compte. Les grecs apèlent aussi (…) tout ce qui se fait avec une certaine proportion.
- Se prend encore en particulier pour les vers ; parce qu’en éfet les vers sont composés d’un certain nombre de piés ou de sylabes : (…), nous fesons des vers.
- En françois nous nous servons aussi de nombre et de nombreux, pour marquer une certaine harmonie, certaines mesures, proportions ou cadences, qui rendent agréables à l’oreille un air, un vers, une période, un discours. Il y a un certain nombre qui rend les périodes harmonieuses. On dit d’une période qu’elle est fort nombreuse, (…) ; c’est-à-dire, que le nombre des sylabes qui la composent est si bien distribué, que l’oreille en est frapée agréablement : (…) a aussi cette signification en latin. (…).
Aristote ne veut point qu’il se trouve un vers dans la prose, c’est-à-dire, qu’il ne veut point que lorsqu’on écrit en prose il se trouve dans le discours le même assemblage de piés, ou le même nombre de sylabes qui forment un vers. Il veut cependant que la prose ait de l’harmonie ; mais une harmonie qui lui soit particulière, quoiqu’elle dépende également du nombre des sylabes et de l’arangement des mots.
-
Il y a au contraire la synecdoque de l’espece : c’est lorsqu’un mot, qui dans le sens propre ne signifie qu’une espèce particulière, se prend pour le genre ; c’est ainsi qu’on apèle quelquefois voleur un méchant home. C’est alors prendre le moins pour marquer le plus.
Il y avoit dans la Thessalie, entre le mont Ossa et le mont Olympe, une fameuse plaine apelée Tempé, qui passoit pour un des plus beaux lieux de la Grèce, les poètes grecs et latins se sont servis de ce mot particulier pour marquer toutes sortes de belles campagnes.
« le doux someil, dit Horace, etc. » le mot de corps et le mot d’ame se prènent aussi quelquefois séparément pour tout l’home : on dit populairement, surtout dans les provinces, ce corps là pour cet home là ; voilà un plaisant corps, pour dire un plaisant personage. On dit aussi qu’il y a cent mile ames dans une vile, c’est-à-dire, cent mile habitans. (…).
-
Synecdoque dans le nombre.
C’est lorsqu’on met un singulier pour un plurier, ou un plurier pour un singulier.
- Le germain revolté, c’est-à-dire, les germains, les alemans, l’énemi vient à nous, c’est-à-dire, les énemis. Dans les historiens latins on trouve souvent pedes pour pédites ; le fantassin pour les fantassins, l’infanterie.
- Le plurier pour le singulier. Souvent dans le stile sérieux on dit nous au lieu de je, et de même, il est écrit dans les prophètes, c’est-à-dire, dans un des livres de quelqu’un des prophètes.
- Un nombre certain pour un nombre incertain. il me l’a dit, dix fois, vint fois, cent fois, mile fois, c’est-à-dire, plusieurs fois.
- Souvent pour faire un compte rond, on ajoute ou l’on retranche ce qui empêche que le compte ne soit rond : ainsi on dit la version des septante, au lieu de dire la version des soixante et douze interprètes, qui, selon les péres de l’eglise, traduisirent l’ecriture sainte en grec, à la prière de Ptolomée Philadelphe roi d’Egypte, environ trois cens ans avant Jésus-Christ. Vous voyez que c’est toujours ou le plus pour le moins, ou au contraire le moins pour le plus.
-
La partie pour le tout, et le tout pour la partie. Ainsi la tête se prend quelquefois pour tout l’home : c’est ainsi qu’on dit comunément, on a payé tant par tête, c’est-à-dire, tant pour chaque persone ; une tête si chère, c’est-à-dire, une persone si précieuse, si fort aimée.
Quand les poètes disent après quelques moissons, quelques étés, quelques hivers, c’est-à-dire, après quelques années.
l’onde, dans le sens propre signifie une vague, un flot ; cependant les poètes prènent ce mot ou pour la mer, ou pour l’eau d’une rivière, ou pour la rivière même.
Vous juriez autrefois que cette onde rebèle etc.
Dans les poètes latins la poupe ou la proue d’un vaisseau se prènent pour tout le vaisseau. On dit en françois cent voiles, pour dire cent vaisseaux. (…), le toit, se prend en latin pour toute la maison : (…). la porte, et même le seuil de la porte, se prènent aussi en latin pour toute la maison, tout le palais, tout le temple. C’est peut-être par cette espèce de synecdoque qu’on peut doner un sens raisonable à ces vers de Virgile : (…).
Si Didon étoit assise à la porte du temple, (…), coment pouvoit-elle être assise en même tems sous le milieu de la voute, (…) ? C’est que par (…), il faut entendre d’abord en général le temple ; elle vint au temple et se plaça sous la voute.
Lorsqu’un citoyen romain étoit fait esclave, ses biens apartenoient à ses héritiers ; mais s’il revenoit dans sa patrie, il rentroit dans la possession et jouissance de tous ses biens : ce droit, qui est une espèce de droit de retour, etc. porte, par synecdoque et par antonomase, signifie aussi la cour du grand seigneur, de l’empereur turc. On dit faire un traité avec la porte, c’est-à-dire avec la cour ottomane.
C’est une façon de parler qui nous vient des turcs : ils noment porte par excélence la porte du sérail, c’est le palais du sultan ou empereur turc, et ils entendent par ce mot ce que nous apelons la cour.
Nous disons il y a cent feux dans ce vilage, c’est-à-dire, cent familles.
On trouve aussi des noms de viles, de fleuves, ou de pays particuliers, pour des noms de provinces et de nations. Les pélasgiens, les argiens, les doriens, peuples particuliers de la Grèce, se prènent pour tous les grecs, dans Virgile et dans les autres poètes anciens.
On voit souvent dans les poètes le Tibre pour les romains ; le Nil pour les egyptiens ; la Seine pour les françois.
Chaque climat etc.
Par le Tage il entend les espagnols, le Tage est une des plus célèbres rivières d’Espagne.
-
On se sert souvent du nom de la matiere pour marquer la chose qui en est faite, le pin ou quelqu’autre arbre se prend dans les poètes pour un vaisseau ; on dit comunément de l’argent pour des pièces d’argent, de la monoie. le fer se prend pour l’épée : périr par le fer. Virgile s’est servi de ce mot pour le soc de la charue : (…).
M. Boileau dans son ode sur la prise de Namur, a dit l’airain pour dire les canons : etc. l’airain en latin (…), se prend aussi fréquenment pour la monoie, les richesses : la première monoie des romains étoit de cuivre : (…), le cuivre d’autrui, c’est-à-dire, le bien d’autrui, qui est entre nos mains, nos dettes, ce que nous devons.
Enfin (…) se prend pour des vases de cuivre, pour des trompètes, des armes, en un mot, pour tout ce qui se fait de cuivre.
Dieu dit à Adam, tu es poussière et tu retourneras en poussière, (…), c’est-à-dire, tu as été fait de poussière, tu as été formé d’un peu de terre.
Virgile s’est servi du nom de l’éléphant, pour marquer simplement de l’ivoire ; c’est ainsi que nous disons tous les jours un castor, pour dire un chapeau fait de poil de castor, etc.
Le pieux Enée, dit Virgile, lança sa haste avec tant de force contre Mézence, qu’elle perça le bouclier fait de trois plaques de cuivre, et qu’elle traversa les piquures de toile, et l’ouvrage fait de trois taureaux, c’est-à-dire, de trois cuirs. Cette façon de parler ne seroit pas entendue en notre langue.
Mais il ne faut pas croire qu’il soit permis de prendre indiférenment un nom pour un autre, soit par métonymie, soit par synecdoque : il faut, encore un coup, que les expressions figurées soient autorisées par l’usage ; ou du moins que le sens litéral qu’on veut faire entendre, se présente naturèlement à l’esprit sans révolter la droite raison, et sans blesser les oreilles acoutumées à la pureté du langage. Si l’on disoit qu’une armée navale étoit composée de cent mats, ou de cent avirons, au lieu de dire de cent voiles pour cent vaisseaux, on se rendroit ridicule : chaque partie ne se prend pas pour le tout, et chaque nom générique ne se prend pas pour une espèce particulière, ni tout nom d’espèce pour le genre : c’est l’usage seul qui done à son gré ce privilège à un mot plutot qu’à un autre.
Ainsi, quand Horace a dit que les combats sont en horreur aux méres, (…) ; je suis persuadé que ce poète n’a voulu parler précisément que des méres. Je vois une mére alarmée pour son fils, qu’elle sait être à la guerre, ou dans un combat, dont on vient de lui aprendre la nouvèle : Horace excite ma sensibilité en me fesant penser aux alarmes où les méres sont alors pour leurs enfans ; il me semble même que cette tendresse des méres est ici le seul sentiment qui ne soit pas susceptible de foiblesse ou de quelqu’autre interprétation peu favorable : les alarmes d’une maitresse pour son amant, n’oseroient pas toujours se montrer avec la même liberté, que la tendresse d’une mére pour son fils. Ainsi quelque déférence que j’aie pour le savant P. Sanadon, j’avoue que je ne saurois trouver une synecdoque de l’espèce dans (…). Le P. Sanadon croit que (…) comprend ici, même les jeunes filles : voici sa traduction : les combats, qui sont pour les femmes un objet d’horreur. Et dans les remarques il dit, que « les méres redoutent la guerre etc. » il ne s’agit pas de doner ici des instructions aux jeunes filles, ni de leur aprendre ce qu’elles doivent faire, lorsque la gloire leur enlève les objets de leur tendresse, en les rangeant sous les drapeaux de mars ; c’est-à-dire, lorsque leurs amans sont à la guerre ; il s’agit de ce qu’Horace a pensé : or, il me semble que le terme de méres n’est rélatif qu’à enfans ; il ne l’est pas même à époux, encore moins aux objets d’une tendresse légitime. J’ajouterois volontiers, que les jeunes filles s’oposent à ce qu’on les confonde sous le nom de méres ; mais pour parler plus sérieusement, j’avoue que lorsque je lis dans la traduction du p. Sanadon, que les combats sont pour les femmes un objet d’horreur, je ne vois que des femmes épouvantées ; au lieu que les paroles d’Horace me font voir une mére atendrie : ainsi je ne sens point que l’une de ces expressions puisse jamais être l’image de l’autre ; et bien loin que la traduction du p. Sanadon fasse sur moi un plus bel éfet, je regrète le sentiment tendre qu’elle me fait perdre. Mais revenons à la synecdoque.
Come il est facile de confondre cette figure avec la métonymie, je crois qu’il ne sera pas inutile d’observer que ce qui distingue la synecdoque de la métonymie, c’est :
- que la synecdoque fait entendre le plus par un mot qui dans le sens propre signifie le moins, ou au contraire elle fait entendre le moins par un mot qui dans le sens propre marque le plus.
- dans l’une et dans l’autre figure il y a une rélation entre l’objet dont on veut parler et celui dont on emprunte le nom ; car s’il n’y avoit point de raport entre ces objets, il n’y auroit aucune idée accessoire, et par conséquent point de trope : mais la rélation qu’il y a entre les objets, dans la métonymie, est de telle sorte, que l’objet dont on emprunte le nom subsiste indépendanment de celui dont il réveille l’idée, et ne forme point un ensemble avec lui : tel est le raport qui se trouve entre la cause et l’éfet, entre l’auteur et son ouvrage, entre Cérès et le blé ; entre le contenant et le contenu, come entre la bouteille et le vin : au lieu que la liaison qui se trouve entre les objets, dans la synecdoque, supose que ces objets forment un ensemble come le tout et la partie ; leur union n’est point un simple raport, elle est plus intérieure et plus dépendante : c’est ce qu’on peut remarquer dans les exemples de l’une et de l’autre de ces figures.
L’antonomase
L’antonomase est une espèce de synecdoque, par laquelle on met un nom comun pour un nom propre, ou bien un nom propre pour un nom comun. Dans le premier cas, on veut faire entendre que la persone ou la chose dont on parle excèle sur toutes celles qui peuvent être comprises sous le nom comun : et dans le second cas, on fait entendre que celui dont on parle ressemble à ceux dont le nom propre est célèbre par quelque vice ou par quelque vertu.
-
Philosophe, orateur, poète, roi, vile, monsieur, sont des noms comuns ; cependant l’antonomase en fait des noms particuliers qui équivalent à des noms propres.
Quand les anciens disent le philosophe, ils entendent Aristote.
Quand les latins disent l’orateur, ils entendent Cicéron.
Quand ils disent le poète, ils entendent Virgile.
Les grecs entendoient parler de Démosthène, quand ils disoient l’orateur, et d’Homère quand ils disoient le poète.
Quand nos théologiens disent le docteur angélique, ou l’ange de l’ecole, ils veulent parler de S. Thomas. Scot est apelé le docteur subtil, S. Augustin le docteur de la grace.
Ainsi on done par excèlence et par antonomase, le nom de la science ou de l’art à ceux qui s’y sont le plus distingués.
Dans chaque royaume, quand on dit simplement le roi, on entend le roi du pays où l’on est ; quand on dit la vile, on entend la capitale du royaume, de la province ou du pays dans lequel on demeure. (…) en cet endroit veut dire la vile de Mantoue : ces bergers parlent par raport au territoire où ils demeurent. Mais quand les anciens parloient par raport à l’empire romain, alors par (…) ils entendoient la vile de Rome.
Dans les comédies grèques, ou tirées du grec, la vile astu veut dire Athènes : (…) ?
Est-il venu à la vile ? Cornélius Népos parlant de Thémistocle et d’Alcibiade, s’est servi plus d’une fois de ce mot en ce sens.
Dans chaque famille, monsieur, veut dire le maitre de la maison.
Les adjectifs ou épitètes sont des noms comuns que l’on peut apliquer aux diférens objets ausquels ils conviènent, l’antonomase en fait des noms particuliers : l’invincible, le conquérant, le grand, le juste, le sage, se disent par antonomase de certains princes ou d’autres persones particulières.
Tite-Live apèle souvent Annibal le carthaginois ; le carthaginois, dit-il, avoit un grand nombre d’homes : (…). Didon dit à sa soeur * vous mettrez sur le bucher les armes que le perfide a laissées, et par ce perfide elle entend Enée. le destructeur de Cartage et de Numance , signifie par antonomase Scipion Emilien.
Il en est de même des noms patronymiques dont j’ai parlé ailleurs, ce sont des noms tirés du nom du pére ou d’un ayeul, et qu’on done aux descendans ; par exemple, quand Virgile apèle Enée (…), ce nom est doné à Enée par antonomase, il est tiré du nom de son pére, qui s’apeloit Anchise.
Diomède, héros célèbre dans l’antiquité fabuleuse, est souvent apelé (…), parce qu’il étoit fils de Tydée, roi des etoliens.
Nous avons un recueil ou abrégé des loix des anciens françois, qui a pour titre, (…) : parmi ces loix il y a un article qui exclut les femmes de la succession aux terres saliques, c’est-à-dire, aux fiefs : c’est une loi qu’on n’a observée inviolablement dans la suite qu’à l’égard des femmes qu’on a toujours excluses de la succession à la courone. Cet usage toujours observé est ce qu’on apèle aujourd’hui loi salique par antonomase, c’est-à-dire, que nous donons à la loi particulière d’exclure les femmes de la courone, un nom que nos péres donèrent autrefois à un recueil général de loix.
-
La seconde espèce d’antonomase est lorsqu’on prend un nom propre pour un nom comun, ou pour un adjectif.
Sardanapale dernier roi des assyriens vivoit dans une extrème molesse ; du moins tel est le sentiment comun : delà on dit d’un voluptueux, c’est un sardanapale.
L’empereur Néron fut un prince de mauvaises moeurs, et barbare jusqu’à faire mourir sa propre mére ; delà on a dit des princes qui lui ont ressemblé, c’est un néron.
Caton, au contraire, fut recomandable par l’austérité de ses moeurs : delà S. Jerome a dit d’un hipocrite, c’est un caton au dehors, et un néron au dedans, (…).
Mécénas favori de l’empereur Auguste, protégeoit les gens de lettres : on dit aujourd’hui d’un seigneur qui leur acorde sa protection, c’est un mécénas.
Mais sans un mécénas à quoi sert un auguste ?
C’est-à-dire, sans un protecteur.
Irus étoit un pauvre de l’ile d’Itaque qui étoit à la suite des amans de Pénélope, il a doné lieu au proverbe des anciens, plus pauvre qu’Irus . Au contraire Crésus roi de Lydie fut un prince extrèmement riche ; delà on trouve dans les poètes Irus pour un pauvre et Crésus pour un riche : (…).
Zoïle fut un critique passioné et jaloux : son nom se dit encore d’un home qui a les mêmes défauts ; Aristarque, au contraire, fut un critique judicieux : l’un et l’autre ont critiqué Homère : Zoïle l’a censuré avec aigreur et avec passion, mais Aristarque l’a critiqué avec un sage dicernement, qui l’a fait regarder come le modèle des critiques : on a dit de ceux qui l’ont imité qu’ils étoient des aristarques.
Etc.
Lisez vos ouvrages, dit Horace, à un ami judicieux : il vous en fera sentir les défauts, il sera pour vous un aristarque.
Thersite fut le plus malfait, le plus lâche, le plus ridicule de tous les grecs : Homère a rendu les défauts de ce grec si célèbres et si conus, que les anciens ont souvent dit un thersite pour un home diforme, un home méprisable.
C’est dans ce dernier sens que M. de La Bruyère a dit, « jetez moi dans les troupes come un simple soldat, je suis Thersite ; etc. »
Edipe célèbre dans les tems fabuleux pour avoir deviné l’énigme du sphinx, a doné lieu à ce mot de Térence, (…).
C’est-à-dire, je ne sai point deviner les discours énigmatiques. Dans notre Andriène françoise on a traduit, je suis Dave, monsieur, et ne suis pas devin : ce qui fait perdre l’agrément et la justesse de l’oposition entre Dave et Edipe : je suis Dave , donc je ne suis pas Edipe , la conclusion est juste ; au lieu que, je suis Dave , donc je ne suis pas devin, la conséquence n’est pas bien tirée, car il pouroit être Dave et devin.
M. Saumaise a été un fameux critique dans le dixseptième siècle : c’est ce qui a doné lieu à ce vers de Boileau, aux saumaises futurs préparer des tortures, c’est-à-dire, aux critiques, aux comentateurs à venir.
Xantipe, femme du philosophe Socrate, étoit d’une humeur fâcheuse et incomode : on a doné son nom à plusieurs femmes de ce caractère.
Pénélope et Lucrèce se sont distinguées par leur vertu, telle est du moins leur comune réputation : on a doné leur nom aux femmes qui leur ont ressemblé : au contraire, les femmes débauchées ont été apelées des Phrynès ou des Laïs, ce sont les noms de deux fameuses courtisanes de l’anciène Grèce. Etc.
Typhis fut le pilote des Argonautes ; Automédon fut l’écuyer d’Achile, c’étoit lui qui menoit son char : delà on a doné les noms de Typhis et d’Automédon à un home qui par des préceptes mène et conduit à quelque science ou à quelque art. C’est ainsi qu’Ovide a dit qu’il étoit le Typhis et l’Automédon de l’art d’aimer. (…).
Sous le regne de Philipes De Valois le Dauphiné fut réüni à la courone. Humbert Dauphin De Viennois, etc.
On fait allusion au dauphin lorsque dans les familles des particuliers on apèle dauphin le fils ainé de la maison, ou celui qui est le plus aimé : on dit que c’est le dauphin par antonomase, par allusion, par métaphore, ou par ironie. On dit aussi un benjamin, faisant allusion au fils bien aimé de Jacob.
Comunication, paroles
Les rhéteurs parlent d’une figure apelée simplement comunication ; c’est lorsque l’orateur s’adressant à ceux à qui il parle, paroit se comuniquer, s’ouvrir à eux, les prendre eux mêmes pour juges ; par exemple : en quoi vous ai-je doné lieu de vous plaindre ? répondez moi, que pouvois-je faire de plus ? qu’auriez vous fait en ma place ? etc. En ce sens la comunication est une figure de pensée, et par conséquent elle n’est pas de mon sujet.
La figure dont je veux parler est un trope, par lequel on fait tomber sur soi-même ou sur les autres, une partie de ce qu’on dit : par exemple, un maitre dit quelquefois à ses disciples, nous perdons tout notre tems, au lieu de dire vous ne faites que vous amuser. Qu’avons-nous fait ? Veut dire en ces ocasions, qu’avez vous fait ? ainsi nous dans ces exemples n’est pas dans le sens propre, il ne renferme point celui qui parle. On ménage par ces expressions l’amour propre de ceux à qui on adresse la parole, en paroissant partager avec eux le blame de ce qu’on leur reproche ; la remontrance étant moins personèle, et paroissant comprendre celui qui la fait, en est moins aigre et devient▶ souvent plus utile.
Les louanges qu’on se done blessent toujours l’amour propre de ceux à qui l’on parle : il y a plus de modestie à s’énoncer d’une manière qui fasse retomber sur d’autres une partie du bien qu’on veut dire de soi : ainsi un capitaine dit quelquefois que sa compagnie a fait telle ou telle action, plutot que d’en faire retomber la gloire sur sa seule persone.
On peut regarder cette figure come une espèce particulière de synecdoque, puisqu’on dit le plus pour tourner l’atention au moins.
La litote
La litote ou diminution est un trope par lequel on se sert de mots, qui, à la lettre, paroissent afoiblir une pensée dont on sait bien que les idées accessoires feront sentir toute la force : on dit le moins par modestie ou par égard ; mais on sait bien que ce moins réveillera l’idée du plus.
Quand Chimène dit à Rodrigue, va, je ne te hais point, elle lui fait entendre bien plus que ces mots là ne signifient dans leur sens propre.
Il en est de même de ces façons de parler, je ne puis vous louer, c’est-à-dire, je blame votre conduite : je ne méprise pas vos présens, signifie que j’en fais beaucoup de cas : il n’est pas sot, veut dire, qu’il a plus d’esprit que vous ne croyez : il n’est pas poltron fait entendre qu’il a du courage : Pythagore n’est pas un auteur méprisable, c’est-à-dire, que Pythagore est un auteur qui mérite d’être estimé. je ne suis pas si diforme, veut dire modestement qu’on est bienfait, ou du moins qu’on le croit ainsi.
On apèle aussi cette figure exténuation : elle est oposée à l’hyperbole.
L’hyperbole
Lorsque nous somes vivement frapés de quelque idée que nous voulons représenter, et que les termes ordinaires nous paroissent trop foibles pour exprimer ce que nous voulons dire ; nous nous servons de mots, qui, à les prendre à la lettre, vont au-delà de la vérité et représentent le plus ou le moins pour faire entendre quelque excès en grand ou en petit. Ceux qui nous entendent rabatent de notre expression ce qu’il en faut rabatre, et il se forme dans leur esprit une idée plus conforme à celle que nous voulons y exciter, que si nous nous étions servis de mots propres : par exemple, si nous voulons faire comprendre la légéreté d’un cheval qui court extrèmement vite, nous disons qu’il va plus vite que le vent. Cette figure s’apèle hyperbole, mot grec qui signifie excès.
Julius Solinus dit qu’un certain Lada étoit d’une si grande légéreté, qu’il ne laissoit sur le sable aucun vestige de ses piés.
Virgile dit de la princesse Camile, qu’elle surpassoit les vents à la course ; et qu’elle eut couru sur des épis de blé sans les faire plier, ou sur les flots de la mer sans y enfoncer, et même sans se mouiller la plante des piés.
Au contraire, si l’on veut faire entendre qu’une persone marche avec une extrème lenteur, on dit qu’elle marche plus lentement qu’une tortue.
Il y a plusieurs hyperboles dans l’ecriture sainte ; par exemple, je vous donerai une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel, c’est-à-dire, une terre fertile : et dans la genèse il est dit, je multiplierai tes enfans en aussi grand nombre, que les grains de poussière de la terre.
S. Jean à la fin de son evangile dit que si l’on racontoit en détail les actions et les miracles de Jésus-Christ, il ne croit pas que le monde entier put contenir les livres qu’on en pouroit faire.
L’hyperbole est ordinaire aux orientaux.
Les jeunes gens en font plus souvent usage que les persones avancées en age. On doit en user sobrement et avec quelque correctif ; par exemple, en ajoutant, pour ainsi dire ; si l’on peut parler ainsi.
« les esprits vifs, etc. », dit M. de La Bruyère.
Excepté quelques façons de parler comunes et proverbiales, nous usons très rarement d’hyperboles en françois. On en trouve quelques exemples dans le stile satirique et badin, et quelquefois même dans le stile sublime et poétique : des ruisseaux de larmes coulérent des yeux de tous les habitans.
" les grecs avoient une grande passion pour l’hyperbole, etc.
L’hypotypose
L’hypotypose est un mot grec qui signifie image, tableau. C’est lorsque dans les descriptions on peint les faits dont on parle, come si ce qu’on dit étoit actuèlement devant les yeux ; on montre, pour ainsi dire, ce qu’on ne fait que raconter ; on done en quelque sorte l’original pour la copie, les objets pour les tableaux : vous en trouverez un bel exemple dans le récit de la mort d’Hyppolite.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide, etc.
Ce dernier vers a paru afecté ; on a dit que les flots de la mer aloient et venoient sans le motif de l’épouvante, et que dans une ocasion aussi triste que celle de la mort d’un fils, il ne convenoit point de badiner avec une fiction aussi peu naturèle. Il est vrai que nous avons plusieurs exemples d’une semblable prosopopée ; mais il est mieux de n’en faire usage que dans les ocasions où il ne s’agit que d’amuser l’imagination, et non quand il faut toucher le coeur. Les figures qui plaisent dans un épithalame, déplaisent dans une oraison funèbre ; la tristesse doit parler plus simplement, si elle veut nous intéresser : mais revenons à l’hypotypose.
Remarquez que tous les verbes de cette narration sont au présent, l’onde aproche, se brise, etc. C’est ce qui fait l’hypotypose, l’image, la peinture ; il semble que l’action se passe sous vos yeux.
M. L’abé Ségui, dans son panégyrique de S. Louis, prononcé en présence de l’académie françoise, nous fournit encore un bel exemple d’hypotypose, dans la description qu’il fait du départ de S. Louis, du voyage de ce prince, et de son arivée en Afrique.
« il part baigné de pleurs, etc. » je ne mets ici cette figure au rang des tropes, que parce qu’il y a quelque sorte de trope à parler du passé come s’il étoit présent ; car d’ailleurs les mots qui sont employés dans cette figure conservent leur signification propre. De plus, elle est si ordinaire, que j’ai cru qu’il n’étoit pas inutile de la remarquer ici.
La metaphore
La métaphore est une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un nom à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit. Un mot pris dans un sens métaphorique perd sa signification propre, et en prend une nouvèle qui ne se présente à l’esprit que par la comparaison que l’on fait entre le sens propre de ce mot, et ce qu’on lui compare, par exemple, quand on dit que le mensonge se pare souvent des couleurs de la vérité : en cette phrase couleurs n’a plus sa signification propre et primitive ; ce mot ne marque plus cette lumière modifiée qui nous fait voir les objets ou blancs, ou rouges, ou jaunes, etc. : il signifie les dehors, les aparences ; et cela par comparaison entre le sens propre de couleurs et les dehors que prend un home qui nous en impose sous le masque de la sincérité. Les couleurs font conoitre les objets sensibles, elles en font voir les dehors et les aparences : un home qui ment, imite quelquefois si bien la contenance et les discours de celui qui ne ment pas, que lui trouvant les mêmes dehors, et pour ainsi dire, les mêmes couleurs, nous croyons qu’il nous dit la vérité : ainsi come nous jugeons qu’un objet qui nous paroit blanc est blanc, de même nous somes souvent la dupe d’une sincérité aparente, et dans le tems qu’un imposteur ne fait que prendre les dehors d’home sincère, nous croyons qu’il nous parle sincérement.
Quand on dit la lumière de l’esprit, ce mot de lumière est pris métaphoriquement ; car come la lumière dans le sens propre nous fait voir les objets corporels, de même la faculté de conoitre et d’apercevoir éclaire l’esprit et le met en état de porter des jugemens sains.
La métaphore est donc une espèce de trope, le mot dont on se sert dans la métaphore est pris dans un autre sens que dans le sens propre, il est, pour ainsi dire, dans une demeure empruntée, dit un ancien, ce qui est comun et essentiel à tous les tropes.
De plus, il y a une sorte de comparaison ou quelque raport équivalent entre le mot auquel on done un sens métaphorique, et l’objet à quoi l’on veut l’apliquer ; par exemple, quand on dit d’un home en colère, c’est un lion, lion est pris alors dans un sens métaphorique, on compare l’home en colère au lion, et voilà ce qui distingue la métaphore des autres figures.
Il y a cette diférence entre la métaphore et la comparaison, que dans la comparaison on se sert de termes qui font conoitre que l’on compare une chose à une autre ; par exemple, si l’on dit d’un home en colère qu’il est come un lion, c’est une comparaison, mais quand on dit simplement c’est un lion, la comparaison n’est qu’implicite, c’est-à-dire, que la comparaison n’est alors que dans l’esprit et non dans les termes ; c’est une métaphore. mesurer dans le sens propre, c’est juger d’une quantité inconue par une quantité conue, soit par le secours du compas, de la règle, ou de quelqu’autre instrument qu’on apèle mesure. Ceux qui prènent bien toutes leurs précautions pour ariver à leurs fins, sont comparés à ceux qui mesurent quelque quantité, ainsi on dit par métaphore qu’ils ont bien pris leurs mesures. Par la même raison on dit que les persones d’une condition médiocre ne doivent pas se mesurer avec les grands, c’est-à-dire, vivre come les grands, se comparer à eux, come on compare une mesure avec ce qu’on veut mesurer. on doit mesurer sa dépense à son revenu ; c’est-à-dire, qu’il faut régler sa dépense sur son revenu ; la quantité du revenu doit être come la mesure de la quantité de la dépense.
Come une clé ouvre la porte d’un apartement, et nous en done l’entrée, de même, il y a des conoissances préliminaires qui ouvrent, pour ainsi dire, l’entrée aux sciences plus profondes : ces conoissances ou principes sont apelés clés par métaphore ; la grammaire est la clé des sciences : la logique est la clé de la philosophie.
On dit aussi d’une vile fortifiée, qui est sur une frontière, qu’elle est la clé du royaume, c’est-à-dire, que l’énemi qui se rendroit maitre de cette vile, seroit à portée d’entrer ensuite avec moins de peine dans le royaume dont on parle.
Par la même raison l’on done le nom de clé en termes de musique à certaines marques ou caractères que l’on met au comencement des lignes de musique : ces marques font conoitre le nom que l’on doit doner aux notes ; elles donent, pour ainsi dire, l’entrée du chant.
Quand les métaphores sont régulières il n’est pas dificile de trouver le raport de comparaison.
La métaphore est donc aussi étendue que la comparaison ; et lorsque la comparaison ne seroit pas juste ou seroit trop recherchée, la métaphore ne seroit pas régulière.
Nous avons dèja remarqué que les langues n’ont pas autant de mots que nous avons d’idées ; cette disète de mots a doné lieu à plusieurs métaphores ; par exemple : le coeur tendre, le coeur dur, un rayon de miel, les rayons d’une roue, etc : l’imagination vient, pour ainsi dire, au secours de cette disète ; elle suplée par les images et par les idées accessoires aux mots que la langue ne peut lui fournir, et il arive même, come nous l’avons dèja dit, que ces images et ces idées accessoires ocupent l’esprit plus agréablement que si l’on se servoit de mots propres, et qu’elles rendent le discours plus énergique ; par exemple, quand on dit d’un home endormi qu’il est enseveli dans le someil, cette métaphore dit plus que si l’on disoit simplement qu’il dort : les grecs surprirent Troie ensevelie dans le vin et dans le someil. (…).
Remarquez,
- que dans cet exemple (…) a un sens tout nouveau et diférent de son sens propre.
- (…) n’a ce nouveau sens, que parce qu’il est joint à (…), avec lesquels il ne sauroit être uni dans le sens propre ; car ce n’est que par une nouvèle union des termes, que les mots se donent le sens métaphorique.
lumière n’est uni dans le sens propre qu’avec le feu, le soleil et les autres objets lumineux ; celui qui le premier a uni lumière à esprit, a doné à lumière un sens métaphorique, et en a fait un mot nouveau par ce nouveau sens. Je voudrois que l’on put doner cette interprétation à ces paroles d’Horace : (…).
La métaphore est très ordinaire : en voici encore quelques exemples : on dit dans le sens propre s’enivrer de quelque liqueur ; et l’on dit par métaphore s’enivrer de plaisirs : la bone fortune enivre les sots, c’est-à-dire, qu’elle leur fait perdre la raison, et leur fait oublier leur premier état.
Ne vous enivrez point etc. doner un frein à ses passions ; c’est-à-dire, n’en pas suivre tous les mouvemens, les modérer, les retenir come on retient un cheval avec le frein, qui est un morceau de fer qu’on met dans la bouche du cheval.
Mézerai, parlant de l’hérésie, dit qu’il étoit nécessaire d’aracher cette zizanie, c’est-à-dire, cette semence de division, zizanie est là dans un sens métaphorique : c’est un mot grec qui veut dire ivroie, mauvaise herbe qui croît parmi les blés et qui leur est nuisible. zizanie n’est point en usage au propre, mais il se dit par métaphore pour discorde, mésintelligence, division : semer la zizanie dans une famille. matéria, matière, se dit dans le sens propre de la substance étendue considérée come principe de tous les corps ; ensuite on a apelé matière, par imitation et par métaphore, ce qui est le sujet, l’argument, le thème d’un discours, d’un poème, ou de quelqu’autre ouvrage d’esprit. (…). j’ai poli la matière, c’est-à-dire, j’ai doné l’agrément de la poésie aux fables qu’Esope a inventées avant moi. cette maison est bien riante, c’est-à-dire, elle inspire de la gaieté come les persones qui rient. la fleur de la jeunesse ; le feu de l’amour ; l’aveuglement de l’esprit ; le fil d’un discours ; le fil des afaires. c’est par métaphore que les diférentes classes, ou considérations, ausquelles se réduit tout ce qu’on peut dire d’un sujet, sont apelées lieux comuns en rhétorique et en logique, (…). Le genre, l’espèce, la cause, les éfets, etc. Sont des lieux comuns, c’est-à-dire, que ce sont come autant de célules où tout le monde peut aler prendre, pour ainsi dire, la matière d’un discours, et des argumens sur toutes sortes de sujets. L’atention que l’on fait sur ces diférentes classes réveille des pensées que l’on n’auroit peut-être pas sans ce secours.
Quoique ces lieux comuns ne soient pas d’un grand usage dans la pratique, il n’est pourtant pas inutile de les conoitre ; on en peut faire usage pour réduire un discours à certains chefs ; mais ce qu’on peut dire pour et contre sur ce point n’est pas de mon sujet.
On apèle aussi en théologie par métaphore, (…), les diférentes sources où les théologiens puisent leurs argumens. Telles sont l’ecriture sainte, la tradition contenue dans les écrits des saints péres, les conciles, etc.
En termes de chimie, regne se dit par métaphore de chacune des trois classes sous lesquelles les chimistes rangent les êtres naturels.
- Sous le regne animal ils comprènent les animaux.
- Sous le regne végétal, les végétaux, c’est-à-dire, ce qui croît, ce qui produit ; come les arbres et les plantes.
- Enfin, sous le regne minéral ils comprènent tout ce qui vient dans les mines.
On dit aussi par métaphore que la géographie et la chronologie sont les deux yeux de l’histoire.
On personifie l’histoire, et on dit que la géographie et la chronologie sont à l’égard de l’histoire, ce que les yeux sont à l’égard d’une persone vivante ; par l’une elle voit, pour ainsi dire, les lieux, et par l’autre les tems : c’est-à-dire, qu’un historien doit s’apliquer à faire conoitre les lieux et les tems dans lesquels se sont passés les faits dont il décrit l’histoire.
Les mots primitifs d’où les autres sont dérivés ou dont ils sont composés, sont apelés racines, par métaphore : il y a des dictionaires où les mots sont rangés par racines. On dit aussi par métaphore, parlant des vices ou des vertus, jeter de profondes racines, pour dire s’afermir. calus, dureté, durillon, en latin callum ; se prend souvent dans un sens métaphorique : (…), dit Cicéron : le travail fait come une espèce de calus à la douleur, c’est-à-dire, que le travail nous rend moins sensibles à la douleur. Et au troisième livre des tusculanes il s’exprime de cette sorte : (…).
Je fus plus touché de voir tout d’un coup les murailles ruinées de Corinthe, que ne l’étoient les corinthiens même, ausquels l’habitude de voir tous les jours depuis longtems leurs murailles abatues avoit aporté le calus de l’anciéneté. C’est-à-dire, que les corinthiens, acoutumés à voir leurs murailles ruinées, n’étoient plus touchés de ce malheur.
C’est ainsi que callere, qui dans le sens propre veut dire avoir des durillons, être endurci, signifie ensuite, par extension et par métaphore, savoir bien, conoitre parfaitement, ensorte qu’il se soit fait come un calus dans l’esprit par raport à quelque conoissance. (…).
La manière dont cela se fait a fait calus dans mon esprit ; j’ai médité sur cela, je sai à merveille coment cela se fait ; je suis maitre passé, dit Madame Dacier. (…), j’ai étudié son humeur ; je suis acoutumé à ses manières, je sai le prendre come il faut. vue se dit au propre de la faculté de voir, et par extension de la manière de regarder les objets : ensuite on done par métaphore le nom de vue aux pensées, aux projets, aux desseins : avoir de grandes vues, perdre de vue une entreprise, n’y plus penser. gout se dit au propre du sens par lequel nous recevons les impressions des saveurs. La langue est l’organe du gout ; avoir le gout dépravé, c’est-à-dire, trouver bon ce que comunément les autres trouvent mauvais, et trouver mauvais ce que les autres trouvent bon.
Ensuite on se sert du terme de gout par métaphore, pour marquer le sentiment intérieur dont l’esprit est afecté à l’ocasion de quelque ouvrage de la nature ou de l’art.
L’ouvrage plaît ou déplaît, on l’aprouve ou on le desaprouve ; c’est le cerveau qui est l’organe de ce gout là : le gout de Paris s’est trouvé conforme au gout d’Athènes , dit Racine dans sa préface d’Iphigénie ; c’est-à-dire come il le dit lui même, que les spectateurs ont été émus à Paris des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce.
Il en est du gout pris dans le sens figuré, come du gout pris dans le sens propre.
Les viandes plaisent ou déplaisent au gout, sans qu’on soit obligé de dire pourquoi : un ouvrage d’esprit, une pensée, une expression, plaît ou déplaît, sans que nous soyons obligés de pénétrer la raison du sentiment dont nous somes afectés.
Pour se bien conoitre en mets et avoir un gout sur, il faut deux choses ; 1 un organe délicat ; 2 de l’expérience, s’être trouvé souvent dans les bones tables, etc. : on est alors plus en état de dire pourquoi un mets est bon ou mauvais : pour être conoisseur en ouvrages d’esprit, il faut un bon jugement, c’est un présent de la nature ; cela dépend de la disposition des organes ; il faut encore avoir fait des observations sur ce qui plaît et sur ce qui déplaît ; il faut avoir su alier l’étude et la méditation avec le comerce des persones éclairées : alors on est en état de rendre raison des règles et du gout.
Les viandes et les assaisonemens qui plaisent aux uns, déplaisent aux autres ; c’est un éfet de la diférente constitution des organes du gout : il y a cependant sur ce point un gout général auquel il faut avoir égard, c’est-à-dire, qu’il y a des viandes et des mets qui sont plus généralement au gout des persones délicates : il en est de même des ouvrages d’esprit ; un auteur ne doit pas se flater d’atirer à lui tous les sufrages, mais il doit se conformer au gout général des persones éclairées qui sont au fait.
Le gout par raport aux viandes dépend beaucoup de l’habitude et de l’éducation : il en est de même du gout de l’esprit : les idées exemplaires que nous avons reçues dans notre jeunesse nous servent de règle dans un age plus avancé ; telle est la force de l’éducation, de l’habitude, et du préjugé. Les organes, acoutumés à une telle impression, en sont flatés de telle sorte, qu’une impression diférente ou contraire les aflige, ainsi malgré l’examen et les discussions, nous continuons souvent à admirer ce qu’on nous a fait admirer dans les premières années de notre vie ; et delà peut-être les deux partis, l’un des anciens, l’autre des modernes. remarques sur le mauvais usage des métaphores. les métaphores sont défectueuses,
- Quand elles sont tirées de sujets bas. Le P. De Colonia reproche à Tertulien d’avoir dit que le déluge universel fut la lessive de la nature.
- Quand elles sont forcées, prises de loin et que le raport n’est point assez naturel ni la comparaison assez sensible : come quand Théophile a dit, je baignerai mes mains dans les ondes de tes cheveux : et dans un autre endroit il dit que la charue écorche la plaine. Théophile, dit M. de La Bruyère, etc. " on peut raporter à la même espèce les métaphores qui sont tirées de sujets peu conus.
-
Il faut aussi avoir égard aux convenances des diférens stiles, il y a des métaphores qui conviènent au stile poétique, qui seroient déplacées dans le stile oratoire : Boileau a dit : acourez etc.
On ne diroit pas en prose qu’une lyre enfante des sons. Cette observation a lieu aussi à l’égard des autres tropes ; par exemple : lumen dans le sens propre signifie lumière : les poètes latins ont doné ce nom à l’oeil par métonymie, les yeux sont l’organe de la lumière, et sont, pour ainsi dire, le flambeau de notre corps. Un jeune garçon fort aimable étoit borgne ; il avoit une soeur fort belle, qui avoit le même défaut ; on leur apliqua ce distique, qui fut fait à une autre ocasion sous le regne de Philipe Second roi d’Espagne. (…).
Où vous voyez que lumen signifie l’oeil, il n’y a rien de si ordinaire dans les poètes latins que de trouver (…) pour les yeux ; mais ce mot ne se prend point en ce sens dans la prose.
-
On peut quelquefois adoucir une métaphore, en la changeant en comparaison, ou bien en ajoutant quelque corectif : par exemple, en disant pour ainsi dire, si l’on peut parler ainsi, etc. « l’art doit être, pour ainsi dire, enté sur la nature ; la nature soutient l’art et lui sert de base ; et l’art embèlit et perfectione la nature. »
-
Lorsqu’il y a plusieurs métaphores de suite, il n’est pas toujours nécessaire qu’elles soient tirées exactement du même sujet, come on vient de le voir dans l’exemple précédent : enté est pris de la culture des arbres ; soutient, base, sont pris de l’architecture ; mais il ne faut pas qu’on les prène de sujets oposés, ni que les termes métaphoriques dont l’un est dit de l’autre excitent des idées qui ne puissent point être liées, come si l’on disoit d’un orateur, c’est un torrent qui s’alume, au lieu de dire, c’est un torrent qui entraine. On a reproché à Malherbe d’avoir dit : prens ta foudre Louis et va come un lion. Il faloit plutot dire come Jupiter .
Dans les premières éditions du cid Chimène disoit : malgré des feux si beaux qui rompent ma colère. feux et rompent ne vont point ensemble : c’est une observation de l’académie sur les vers du cid. Dans les éditions suivantes on a mis troublent au lieu de rompent ; je ne sai si cette correction répare la première faute. écorce, dans le sens propre, est la partie extérieure des arbres et des fruits ; c’est leur couverture : ce mot se dit fort bien dans un sens métaphorique, pour marquer les dehors, l’aparence des choses ; ainsi l’on dit que les ignorans s’arêtent à l’écorce, qu’ils s’atachent, qu’ils s’amusent à l’écorce : remarquez que tous ces verbes s’arêtent, s’atachent, s’amusent, conviènent fort bien avec écorce pris au propre ; mais vous ne diriez pas au propre fondre l’écorce ; fondre se dit de la glace ou du métal, vous ne devez donc pas dire au figuré fondre l’écorce. J’avoue que cette expression me paroit trop hardie dans une ode de Rousseau : pour dire que l’hiver est passé et que les glaces sont fondues, il s’exprime de cette sorte : l’hiver, etc.
-
Chaque langue a des métaphores particulières qui ne sont point en usage dans les autres langues ; par exemple : les latins disoient d’une armée (…), et nous disons l’aile droite et l’aile gauche.
Il est si vrai que chaque langue a ses métaphores propres et consacrées par l’usage, que si vous en changez les termes par les équivalans même qui en aprochent le plus, vous vous rendez ridicule.
Un étranger, qui depuis ◀devenu▶ un de nos citoyens, s’est rendu célèbre par ses ouvrages, écrivant dans les premiers tems de son arivée en France, à son protecteur, lui disoit, monseigneur, vous avez pour moi des boyaux de pére ; il vouloit dire des entrailles.
On dit mettre la lumière sous le boisseau, pour dire cacher ses talens, les rendre inutiles, l’auteur du poème de la Madeleine ne devoit donc pas dire mettre le flambeau sous le mui.
La syllepse oratoire
La syllepse oratoire est une espèce de métaphore ou de comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la même phrase, l’un au propre, l’autre au figuré ; par exemple, Corydon dit que Galathée est pour lui plus douce que le thym du mont Hybla ; ainsi parle ce berger dans une églogue de Virgile : le mot doux est au propre par raport au thym, et il est au figuré par raport à l’impression que ce berger dit que Galathée fait sur lui. Virgile fait dire ensuite à un autre berger, et moi quoique je paroisse à Galathée plus amer que les herbes de Sardaigne , etc. Nos bergers disent plus aigre qu’un citron verd.
Pyrrhus fils d’Achile, l’un des principaux chefs des grecs, et qui eut le plus de part à l’embrasement de la vile de Troie, s’exprime en ces termes dans l’une des plus belles pièces de Racine : je soufre tous les maux etc. brulé est au propre par raport aux feux que Pyrrhus aluma dans la vile de Troie ; et il est au figuré, par raport à la passion violente que Pyrrhus dit qu’il ressentoit pour Andromaque.
Il y a un pareil jeu de mots dans le distique qui est gravé sur le tombeau de Despautère : (…). visu est au propre par raport à Argus, à qui la fable done cent yeux ; et il est au figuré par raport à Despautère : l’auteur de l’épitaphe a voulu parler de la vue de l’esprit.
Au reste cette figure joue trop sur les mots pour ne pas demander bien de la circonspection ; il faut éviter les jeux de mots trop afectés et tirés de loin.
L’allegorie
L’allégorie a beaucoup de raport avec la métaphore ; l’allégorie n’est même qu’une métaphore continuée.
L’allégorie est un discours, qui est d’abord présenté sous un sens propre, qui paroit toute autre chose que ce qu’on a dessein de faire entendre, et qui cependant ne sert que de comparaison, pour doner l’intelligence d’un autre sens qu’on n’exprime point.
La métaphore joint le mot figuré à quelque terme propre ; par exemple, le feu de vos yeux ; yeux est au propre : au lieu que dans l’allégorie tous les mots ont d’abord un sens figuré ; c’est-à-dire, que tous les mots d’une phrase ou d’un discours allégorique forment d’abord un sens litéral qui n’est pas celui qu’on a dessein de faire entendre : les idées accessoires dévoilent ensuite facilement le véritable sens qu’on veut exciter dans l’esprit, elles démasquent, pour ainsi dire, le sens litéral étroit, elles en font l’aplication.
Quand on a comencé une allégorie, on doit conserver dans la suite du discours, l’image dont on a emprunté les premières expressions.
Madame Des Houlières, sous l’image d’une bergère qui parle à ses brebis, rend compte à ses enfans de tout ce qu’elle a fait pour leur procurer des établissemens ; et se plaint tendrement sous cette image de la dureté de la fortune : dans ces prés fleuris etc.
Cette allégorie est toujours soutenue par des images qui toutes ont raport à l’image principale par où la figure a comencé : ce qui est essenciel à l’allégorie. Vous pouvez entendre à la lettre tout ce discours d’une bergère, qui touchée de ne pouvoir mener ses brebis dans de bons paturages, ni les préserver de ce qui peut leur nuire, leur adresseroit la parole, et se plaindroit à elles de son impuissance : mais ce sens, tout vrai qu’il paroit, n’est pas celui que Madame Des houlières avoit dans l’esprit : elle étoit ocupée des besoins de ses enfans, voilà ses brebis ; le chien dont elle parle, c’est son mari qu’elle avoit perdu : le dieu Pan c’est le roi.
Cet exemple fait voir combien est peu juste la remarque de M. Dacier, qui prétend qu’une allégorie qui rempliroit toute une pièce est un monstre ; et qu’ainsi l’ode 14 du I livre d’Horace, (…) n’est point allégorique, quoiqu’en ait cru Quintilien et les comentateurs.
Nous avons des pièces entières toutes allégoriques. On peut voir dans l’oraison de Cicéron contre Pison, un exemple de l’allégorie, où, come Horace, Cicéron compare la république romaine à un vaisseau agité par la tempête.
L’allégorie est fort en usage dans les proverbes.
Les proverbes allégoriques ont d’abord un sens propre qui est vrai, mais qui n’est pas ce qu’on veut principalement faire entendre : on dit familièrement tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se brise ; c’est-à-dire, que, quand on afronte trop souvent les dangers, à la fin on y périt ; ou que, quand on s’expose fréquenment aux ocasions de pécher, on finit par y succomber.
Les fictions que l’on débite come des histoires pour en tirer quelque moralité, sont des allégories qu’on apèle apologues, paraboles, ou fables morales ; telles sont les fables d’Esope.
Ce fut par un apologue que Ménénius Agrippa rapela autrefois la populace romaine, qui mécontente du senat s’étoit retirée sur une montagne. Ce que ni l’autorité des loix, ni la dignité des magistrats romains, n’avoient pu faire, se fit par les charmes de l’apologue.
Souvent les anciens ont expliqué par une histoire fabuleuse les éfets naturels dont ils ignoroient les causes ; et dans la suite on a doné des sens allégoriques à ces histoires.
Ce n’est plus la vapeur etc.
Cette manière de philosopher flate l’imagination ; elle amuse le peuple, qui aime le merveilleux ; et elle est bien plus facile que les recherches exactes que l’esprit méthodique a introduites dans ces derniers tems. Les amateurs de la simple vérité aiment bien mieux avouer qu’ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à des illusions.
Les chercheurs de la pierre philosophale s’expriment aussi par allégorie dans leurs livres ; ce qui done à ces livres un air de mistère et de profondeur que la simplicité de la vérité ne pouroit jamais leur concilier. Ainsi ils couvrent sous les voiles mistérieux de l’allégorie, les uns leur fourberie, et les autres leur fanatisme, je veux dire, leur fole persuasion. En éfet, la nature n’a qu’une voie dans ses opérations ; voie unique que l’art peut contrefaire, à la vérité, mais qu’il ne peut jamais imiter parfaitement. Il est aussi impossible de faire de l’or par un moyen diférent de celui dont la nature se sert pour former l’or, qu’il est impossible de faire un grain de blé d’une manière diférente de celle qu’elle emploie pour produire le blé.
Le terme de matière générale n’est qu’une idée abstraite qui n’exprime rien de réel, c’est-à-dire, rien qui existe hors de notre imagination.
Il n’y a point dans la nature une matière générale dont l’art puisse faire tout ce qu’il veut : c’est ainsi qu’il n’y a point une blancheur générale d’où l’on puisse former des objets blancs. C’est des divers objets blancs qu’est venue l’idée de blancheur, come nous l’expliquerons dans la suite ; et c’est des divers corps particuliers, dont nous somes afectés en tant de manières diférentes, que s’est formée en nous l’idée abstraite de matière générale. C’est passer de l’ordre idéal à l’ordre physique que d’imaginer un autre système.
Les énigmes sont aussi une espèce d’allégorie : nous en avons de fort belles en vers françois. L’énigme est un discours qui ne fait point conoitre l’objet à quoi il convient, et c’est cet objet qu’on propose à deviner. Ce discours ne doit point renfermer de circonstance qui ne conviène pas au mot de l’énigme.
Observez que l’énigme cache avec soin ce qui peut la dévoiler, mais les autres espèces d’allégories ne doivent point être des énigmes, elles doivent être exprimées de manière qu’on puisse aisément en faire l’aplication.
L’allusion
Les allusions et les jeux de mots ont encore du raport avec l’allégorie : l’allégorie présente un sens, et en fait entendre un autre : c’est ce qui arive aussi dans les allusions, et dans la plupart des jeux de mots, (…).
On fait allusion à l’histoire, à la fable, aux coutumes ; et quelquefois même on joue sur les mots.
Ton roi, jeune Biron, etc.
Ce dernier vers fait allusion à la malheureuse conspiration du maréchal De Biron ; il en rapèle le souvenir.
Voiture étoit fils d’un marchand de vin : un jour qu’il jouoit aux proverbes avec des dames, Madame Des Loges lui dit, celui-là ne vaut rien, percez-nous en d’un autre : on voit que cette dame fesoit une maligne allusion aux toneaux de vin ; car percer se dit d’un toneau, et non pas d’un proverbe : ainsi elle réveilloit malicieusement dans l’esprit de l’assemblée le souvenir humiliant de la naissance de Voiture. C’est en cela que consiste l’allusion ; elle réveille des idées accessoires. à l’égard des allusions qui ne consistent que dans un jeu de mots, il vaut mieux parler et écrire simplement, que de s’amuser à des jeux de mots puériles, froids, et fades : en voici un exemple dans cette épitaphe de Despautère : (…).
Vous voyez que l’auteur joue sur la double signification de (…).
Il sut la grammaire, il l’enseigna pendant plusieurs années, et cependant il ne put décliner le mot (…). Selon cette traduction, la pensée est fausse ; car Despautère savoit fort bien décliner (…).
Que si l’on ne prend point (…) matérièlement, et qu’on le prène pour ce qu’il signifie, c’est-à-dire, pour le tombeau, et par métonymie pour la mort ; alors il faudra traduire que malgré toute la conoissance que Despautère avoit de la grammaire, il ne put éviter la mort ; ce qui n’a ni sel, ni raison ; car on sait bien que la grammaire n’exente pas de la nécessité de mourir.
La traduction est l’écueil de ces sortes de pensées : quand une pensée est solide, tout ce qu’elle a de réalité se conserve dans la traduction ; mais quand toute sa valeur ne consiste que dans un jeu de mots, ce faux brillant se dissipe par la traduction.
Ce n’est pas toutefois etc.
Dans le placet que M. Robin présenta au roi pour être maintenu dans la possession d’une ile qu’il avoit dans le Rhone, il s’exprime en ces termes : qu’est-ce en éfet pour toi, etc. saules est pris dans le sens propre, et laurier dans le sens figuré : mais ce jeu présente à l’esprit une pensée très fine et très solide. Il faut pourtant observer qu’elle n’a de vérité que parmi les nations où le laurier est regardé come le simbole de la victoire.
Les allusions doivent être facilement aperçues.
Celles que nos poètes font à la fable sont défectueuses, quand le sujet auquel elles ont raport n’est pas assez conu. Malherbe dans ses stances à M. Du Périer, pour le consoler de la mort de sa fille, lui dit :
Tithon n’a plus les ans etc.
Il y a peu de lecteurs qui conoissent Archemore, c’est un enfant du tems fabuleux. Sa nourice l’ayant quitté pour quelques momens, un serpent vint et l’étoufa. Malherbe veut dire que Tithon après une longue vie, s’est trouvé à la mort au même point qu’Archemore, qui ne vêcut que peu de jours.
L’auteur du poème de la Madeleine, dans une apostrophe à l’amour prophane, dit, parlant de Jésus Christ : puisque cet antéros t’a si bien desarmé : le mot d’antéros n’est guère conu que des savans, c’est un mot grec qui signifie contre-amour : c’étoit une divinité du paganisme ; le dieu vengeur d’un amour méprisé.
Ce poème de la Madeleine est rempli de jeux de mots, et d’allusions si recherchées, que malgré le respect du au sujet, et la bone intention de l’auteur, il est dificile qu’en lisant cet ouvrage on ne soit point afecté come on l’est à la lecture d’un ouvrage burlesque. Les figures doivent venir, pour ainsi dire, d’elles mêmes ; elles doivent naitre du sujet, et se présenter naturèlement à l’esprit, come nous l’avons remarqué ailleurs : quand c’est l’esprit qui va les chercher, elles déplaisent, elles étonent, et souvent font rire par l’union bizare de deux idées, dont l’une ne devoit jamais être assortie avec l’autre. Qui croiroit, par exemple, que jamais le jeu de piquet dut entrer dans un poème fait pour décrire la pénitence et la charité de sainte Madeleine ; et que ce jeu dut faire naitre la pensée de se doner la discipline !
Piquez-vous seulement etc.
On ne s’atend pas non plus à trouver les termes de grammaire détaillés dans un ouvrage qui porte pour titre, le nom de Sainte Madeleine ; ni que l’auteur imagine je ne sai quel raport entre la grammaire et les exercices de cette sainte ; cependant une tète de mort et une discipline sont les rudimens de Madeleine.
Et regardant toujours ce têt de trépassé etc.
Vous voyez qu’il n’oublie rien. Cet ouvrage est rempli d’un nombre infini d’allusions aussi recherchées, pour ne pas dire, aussi puériles.
Le défaut de jugement qui empêche de sentir ce qui est ou ce qui n’est pas à propos, et le desir mal entendu de montrer de l’esprit et de faire parade de ce qu’on sait, enfantent ces productions ridicules.
Ce stile figuré, etc.
J’ajouterai encore ici une remarque, à propos de l’allusion : c’est que nous avons en notre langue un grand nombre de chansons, dont le sens litéral, sous une aparence de simplicité, est rempli d’allusions obscènes. Les auteurs de ces productions sont coupables d’une infinité de pensées dont ils salissent l’imagination ; et d’ailleurs ils se deshonorent dans l’esprit des honètes gens. Ceux qui dans des ouvrages sérieux tombent par simplicité dans le même inconvénient que les feseurs de chansons, ne sont guère moins répréhensibles, et se rendent plus ridicules.
Quintilien, tout païen qu’il étoit, veut que non seulement on évite les paroles obscènes, mais encore tout ce qui peut réveiller des idées d’obscénité. (…).
« on doit éviter avec soin en écrivant, dit-il ailleurs, etc. »
L’ironie
l’ironie est une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu’on dit : ainsi les mots dont on se sert dans l’ironie ne sont pas pris dans le sens propre et litéral.
M. Boileau, qui n’a pas rendu à Quinault toute la justice que le public lui a rendue depuis, a dit par ironie : je le déclare donc, Quinault est un Virgile.
Il vouloit dire un mauvais poète.
Les idées accessoires sont d’un grand usage dans l’ironie : le ton de la voix, et plus encore la conoissance du mérite ou du démérite personel de quelqu’un, et de la façon de penser de celui qui parle, servent plus à faire conoitre l’ironie, que les paroles dont on se sert.
Un home s’écrie, oh le bel esprit ! parle-t-il de Cicéron, d’Horace ? Il n’y a point là d’ironie ; les mots sont pris dans le sens propre : parle-t-il de Zoïle ? C’est une ironie. Ainsi l’ironie fait une satire, avec les mêmes paroles dont le discours ordinaire fait un éloge.
Tout le monde sait ce vers du pére de Chimène dans le cid : à de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre.
C’est une ironie. On en peut remarquer plusieurs exemples dans Balzac et dans Voiture.
Je ne sai si l’usage que ces auteurs ont fait de cette figure seroit aujourd’hui aussi bien reçu, qu’il l’a été de leur tems.
Cicéron comence par une ironie l’oraison pour Ligarius. (…). Il y a aussi dans l’oraison contre Pison un fort bel exemple de l’ironie : c’est à l’ocasion de ce que Pison disoit que s’il n’avoit pas triomphé de la Macédoine, c’étoit parce qu’il n’avoit jamais souhaité les honeurs du triomphe. « que Pompée est malheureux, dit Cicéron, etc. »
L’euphemisme
l’euphémisme est une figure par laquelle on déguise des idées desagréables, odieuses, ou tristes, sous des noms qui ne sont point les noms propres de ces idées : ils leur servent come de voile, et ils en expriment en aparence de plus agréables, de moins choquantes, ou de plus honêtes, selon le besoin ; par exemple : ce seroit reprocher à un ouvrier ou à un valet la bassesse de son état, que de l’apeler ouvrier ou valet ; on leur done d’autres noms plus honètes qui ne doivent pas être pris dans le sens propre. C’est ainsi que le bourreau est apelé par honeur, le maitre des hautes oeuvres.
C’est par la même raison qu’on done à certaines étofes grossières le nom d’étofes plus fines ; par exemple : on apèle velours de mauriène une sorte de gros drap qu’on fait en Mauriène, province de Savoie, et dont les pauvres savoyards sont habillés. Il y a aussi une sorte d’étofe de fil, dont on fait des meubles de campagne ; on honore cette étofe du nom de damas de caux, parce qu’elle se fabrique au pays de Caux en Normandie.
Un ouvrier qui a fait la besogne pour laquelle on l’a fait venir, et qui n’atend plus que son payement pour se retirer, au lieu de dire payez moi, dit par euphémisme, n’avez vous plus rien à m’ordoner.
Nous disons aussi, Dieu vous assiste, Dieu vous benisse, plutot que de dire, je n’ai rien à vous doner.
Souvent pour congédier quelqu’un on lui dit, voilà qui est bien, je vous remercie, plutot que de lui dire alez vous-en.
Les latins se servoient dans le même sens de leur (…), qui à la lettre signifie bien, au lieu de répondre qu’ils n’avoient rien à dire.
« quand nous ne voulons pas dire etc. »
Sostrata, dans Térence, dit à son fils Pamphile, pourquoi pleurez-vous ? Qu’avez-vous, mon fils ? il répond, (…). tout va bien, ma mére, Madame Dacier traduit, rien, ma mére, tel est le tour françois.
Dans une autre comédie de Térence, Clitiphon dit que quand sa maitresse lui demande de l’argent, il se tire d’afaire en lui répondant (…), c’est-à-dire, en lui donant de belles espèrances : car, dit-il, je n’oserois lui avouer que je n’ai rien ; le mot de rien est un mot funeste.
Madame Dacier a mieux aimé traduire, lorsqu’elle me demande de l’argent, je ne fais que marmoter entre les dents ; car je n’ai garde de lui dire que je n’ai pas le sou.
Si Madame Dacier eut été plus entendue qu’elle ne l’étoit en galanterie, elle auroit bien senti que marmoter entre les dents, n’étoit pas une contenance trop propre à faire naitre dans une coquète l’espérance d’un présent.
Il y avoit toujours un verbe sous-entendu avec (…). à l’égard du (…) de la 2e scène du III acte de l’Hécyre, il faut sous-entendre (…), ou enfin quelqu’autre mot pareil, (…) :
Pamphile vouloit exciter cette idée dans l’esprit de sa mére pour en éluder la demande.
Pour ce qui est de l’autre (…), Clitiphon vouloit faire entendre à sa maitresse, qu’il avoit des ressources pour lui trouver de l’argent ; que tout iroit bien, et que ses desirs seroient enfin satisfaits.
Ainsi, quoique Madame Dacier nous dise que nous n’avons point de mot en notre langue qui puisse exprimer la force de ce (…), je crois qu’il répond à ces façons de parler, cela va bien, cela ne va pas si mal que vous pensez ; courage ; il y a espérance, cela est bon ; tout ira bien, etc.
Dans toutes les nations policées on a toujours évité les termes qui expriment des idées deshonètes. Les persones peu instruites croient que les latins n’avoient pas cette délicatesse : c’est une erreur. Il est vrai qu’aujourd’hui on a quelquefois recours au latin pour exprimer des idées dont on n’oseroit dire le mot propre en françois ; mais c’est que come nous n’avons apris les mots latins que dans les livres, ils se présentent à nous avec une idée accessoire d’érudition et de lecture, qui s’empare d’abord de l’imagination ; elle la partage, elle envelope, en quelque sorte, l’idée deshonète, elle l’écarte, et ne la fait voir que de loin : ce sont deux objets que l’on présente alors à l’imagination, dont le premier est le mot latin qui couvre l’idée qui le suit, ainsi ces mots servent come de voile et de périphrase à ces idées peu honètes : au lieu que come nous somes acoutumés aux mots de notre langue, l’esprit n’est pas partagé à les entendre : ainsi il ne s’ocupe que des objets qu’ils signifient ; il les regarde de plus près. Mais dans le tems que le latin et le grec étoient des langues vivantes, et que les grecs et les romains eurent ateint un certain degré de politesse, les honètes gens ménageoient les termes come nous les ménageons en françois, et leur scrupule aloit même quelquefois si loin, qu’ils évitoient la rencontre des sylabes, qui, jointes ensemble, auroient pu réveiller des idées deshonètes. (…), dit Cicéron, et Quintilien a fait la même remarque.
« ne devrois tu point mourir etc. » c’étoit par la même figure qu’au lieu de dire je vous abandone, je ne me mets point en peine de vous, je vous quite, les anciens disoient souvent, vivez, portez-vous bien. Vivez forêts, cette expression, dans l’endroit où Virgile s’en est servi, ne marque pas un souhait que le berger fasse aux forêts, il veut dire simplement qu’il les abandone.
Ils disoient aussi quelquefois, avoir vêcu, avoir été, s’en être alé, avoir passé par la vie, (…), au lieu de dire être mort, le terme de mourir leur paroissoit en certaines ocasions un mot funeste.
Les anciens portoient la superstition jusqu’à croire qu’il y avoit des mots de mauvais augure, dont la seule prononciation pouvoit atirer quelque malheur : come si les paroles, qui ne sont qu’un air mis en mouvement, pouvoient produire, par elles mêmes, quelqu’autre éfet dans la nature, que celui d’exciter dans l’air un ébranlement, qui, se comuniquant à l’organe de l’ouie, fait naitre dans l’esprit des homes les idées dont ils sont convenus par l’éducation qu’ils ont reçue.
Cette superstition paroissoit encore plus dans les cérémonies de la religion : on craignoit de doner aux dieux quelque nom qui leur fut desagréable. On étoit averti au comencement du sacrifice ou de la cérémonie, de prendre garde de prononcer aucun mot qui put atirer quelque malheur, de ne dire que de bones paroles, (…), enfin d’être favorable de la langue, (…) ; et de garder plutot le silence, que de prononcer quelque mot funeste qui put déplaire aux dieux : et c’est delà que (…) signifie par extension faites silence.
Par la même raison ou plutot par le même fanatisme, lorsqu’un oiseau avoit été de bon augure, et que ce qu’on devoit atendre de cet heureux présage étoit détruit par un augure contraire, ce second augure ne s’apeloit point mauvais augure ; mais simplement l’autre augure, ou l’autre oiseau. C’est pourquoi, dit Festus, ce terme alter, veut dire quelquefois contraire, mauvais.
Il y avoit des mots consacrés pour les sacrifices, dont le sens propre et litéral étoit bien diférent de ce qu’ils signifioient dans ces cérémonies superstitieuses ; par exemple : (…), qui veut dire (…), augmenter davantage, se disoit des victimes qu’on sacrifioit. On n’avoit garde de se servir alors d’un mot qui put faire naitre l’idée funeste de la mort ; on se servoit par euphémisme de (…), augmenter ; soit que les victimes augmentassent alors en honeur, soit que leur volume fut grossi par les ornemens dont on les paroit ; soit enfin que le sacrifice augmentat en quelque sorte l’honeur qu’on rendoit aux dieux. Nous avons sur ce point un beau passage de Varron que l’on peut voir ici au bas de la page.
De même, parce que (…), être brulé, auroit été un mot de mauvais augure, et que l’autel croissoit, pour ainsi dire, par les herbes, par les entrailles des victimes, et par tout ce qu’on metoit dessus pour ètre brulé ; au lieu de dire on brule sur les autels, ils disoient les autels croissent, car adolére et adoléscere signifient proprement croistre ; et ce n’est que par euphémisme que ces mots signifient bruler.
C’est ainsi que les persones du peuple disent quelquefois dans leur colère, que le bon Dieu vous emporte, n’osant prononcer le nom du malin esprit.
Dans l’ecriture sainte le mot de benir est mis quelquefois au lieu de maudire, qui est précisément le contraire. Come il n’y a rien de plus afreux à concevoir, que d’imaginer quelqu’un qui s’emporte jusqu’à des imprécations sacrilèges contre Dieu même ; au lieu du terme de maudire, on a mis le contraire par euphémisme.
Naboth n’aïant pas voulu vendre au roi Achab, une vigne qu’il possédoit, et qui étoit l’héritage de ses péres ; la reine Jézabel, femme d’Achab, suscita deux faux témoins qui déposèrent, que Naboth avoit blasphémé contre Dieu et contre le roi : or, l’ecriture pour exprimer ce blasphème, fait dire aux témoins que Naboth a beni Dieu et le roi.
Job dit dans le même sens, peut-être que mes enfans ont péché, et qu’ils ont beni Dieu dans leur coeur.
C’est ainsi que dans ces paroles de Virgile etc.
On peut encore raporter à l’euphémisme ces périphrases ou circonlocutions dont un orateur délicat envelope habilement une idée, qui toute simple exciteroit peut-être dans l’esprit de ceux à qui il parle, une image ou des sentimens peu favorables à son dessein principal. Cicéron n’a garde de dire au sénat que les domestiques de Milon tuèrent Clodius ; « ils firent, dit-il, ce etc. » de même, lorsqu’on ne done pas à un mercénaire tout l’argent qu’il demande, au lieu de lui dire je ne veux pas vous en doner davantage, souvent on lui dit par euphémisme, je vous en donerai davantage une autre fois ; cela se trouvera : je chercherai les occasions de vous récompenser : etc.
L’antiphrase
L’euphémisme et l’ironie ont doné lieu aux grammairiens d’inventer une figure qu’ils apèlent antiphrase, c’est-à-dire, contre-vérité ; par exemple : la mer Noire sujète à de fréquens naufrages, et dont les bords étoient habités par des homes extrèmement féroces, étoit apelée le Pont-Euxin , c’est-à-dire, mer favorable à ses hôtes, mer hospitalière. C’est pourquoi Ovide a dit que le nom de cette mer étoit un nom menteur. (…).
Sanctius et quelques autres ne veulent point mètre l’antiphrase au rang des figures.
Il y a en éfet je ne sai quoi d’oposé à l’ordre naturel, de nomer une chose par son contraire, d’apeler lumineux un objet parce qu’il est obscur ; l’antiphrase ne satisfait pas l’esprit.
Malgré les mauvaises qualités des objets, les anciens qui personifioient tout, leur donoient quelquefois des noms flateurs, come pour se les rendre favorables, ou pour se faire un bon augure, un bon présage.
Ainsi c’étoit par euphémisme, par superstition, et non par antiphrase, que ceux qui aloient à la mer que nous apelons aujourd’hui la mer Noire , la nomoient mer hospitalière, c’est-à-dire, mer qui ne nous sera point funeste, qui nous sera propice, où nous serons bien reçus, mer qui sera pour nous une mer hospitalière, quoiqu’elle soit comunément pour les autres une mer funeste.
Les trois déesses infernales, filles de l’Erèbe et de la nuit, qui, selon la fable, filent la trame de nos jours, étoient apelées les parques ; (…). Chacun trouve qu’elles ne lui filent pas assez de jours. D’autres disent qu’elles ont été ainsi apelées, parce que leurs fonctions sont partagées. (…).
Ce n’est donc point par antiphrase (…), qu’elles ont été apelées parques.
Les furies, Alecto, Tisiphone et Mégère, ont été apelées Euménides, du grec (…), douces, bienfesantes. La comune opinion est que ce nom ne leur fut doné qu’après qu’elles eurent cessé de tourmenter Oreste qui avoit tué sa mére. Ce prince fut, dit-on, le premier qui les apela Euménides. Ce sentiment est adopté par le P. Sanadon. D’autres prétendent que les furies étoient apelées Euménides long-tems avant qu’Oreste vint au monde : mais d’ailleurs cette avanture d’Oreste est remplie de tant de circonstances fabuleuses, que j’aime mieux croire qu’on a apelé les furies Euménides par euphémisme, pour se les rendre favorables. C’est ainsi qu’on traite tous les jours de bones et de bienfesantes les persones les plus aigres et les plus dificiles dont on veut apaiser l’emportement, ou obtenir quelque bienfait.
On dit encore qu’un bois sacré est apelé (…), par antiphrase : car ces bois étoient fort sombres, (…), c’est par une raison contraire à l’antiphrase ; car come il n’étoit pas permis par respect de couper de ces bois, ils étoient fort épais et par conséquent fort sombres, ainsi le besoin, autant que la superstition avoit introduit l’usage d’y alumer des flambeaux. manes, les manes, c’est-à-dire, les ames des morts, et dans un sens plus étendu les habitans des enfers, est encore un mot qui a doné lieu à l’antiphrase. Ce mot etc.
Ceux qui prioient les manes les apeloient ainsi pour se les rendre favorables. (…) ; c’est ce que Virgile fait dire à Turnus. Ainsi tous les exemples dont on prétend autoriser l’antiphrase se raportent, ou à l’euphémisme, ou à l’ironie ; come quand on dit à Paris, c’est une muète des hales, c’est-à-dire une femme qui chante pouilles, une vraie harangère des hales ; muète est dit alors par ironie.
La periphrase
Quintilien met la périphrase au rang des tropes ; en éfet, puisque les tropes tiènent la place des expressions propres, la périphrase est un trope, car la périphrase tient la place, ou d’un mot ou d’une phrase.
Nous avons expliqué dans la première partie de cette grammaire ce que c’étoit qu’une phrase : c’est une expression, une manière de parler, un arangement de mots, qui fait un sens fini ou non fini.
La périphrase ou circonlocution est un assemblage de mots qui expriment en plusieurs paroles ce qu’on auroit pu dire en moins et souvent en un seul mot ; par exemple : le vainqueur de Darius , au lieu de dire, Alexandre : l’astre du jour, pour dire le soleil.
On se sert de périphrases, ou par bienséance, ou pour un plus grand éclaircissement, ou pour l’ornement du discours, ou enfin par nécessité.
- Par bienséance, lorsqu’on a recours à la périphrase, pour enveloper des idées basses ou peu honètes. Souvent aussi, au lieu de se servir d’une expression qui exciteroit une image trop dure, on l’adoucit par une périphrase, come nous l’avons remarqué dans l’euphémisme.
-
On se sert aussi de périphrase pour éclaircir ce qui est obscur, les définitions sont autant de périphrases : come lorsqu’au lieu de dire les Parques , on dit, les trois déesses infernales, qui selon la fable, filent la trame de nos jours.
Remarquez que quelquefois après qu’on a expliqué par une périphrase un mot obscur ou peu conu, on develope plus au long la pensée d’un auteur, en ajoutant des réflexions ou des circonstances qu’il auroit pu ajouter lui même ; mais alors ces sortes d’explications plus amples et conformes au sens de l’auteur, sont ce qu’on apèle des paraphrases, la paraphrase est une espèce de comentaire : on reprend le discours de celui qui a dèja parlé, on l’explique, on l’étend davantage en suivant toujours son esprit. Nous avons des paraphrases des pseaumes, du livre de Job, du nouveau testament, etc. Nous avons aussi des paraphrases de l’art poètique d’Horace, etc. La périphrase ne fait que tenir la place d’un mot ou d’une expression, au fond elle ne dit pas davantage ; au lieu que la paraphrase ajoute d’autres pensées, elle explique, elle develope.
-
On se sert de périphrases pour l’ornement du discours, et surtout en poésie. Le génie de la poésie consiste à amuser l’imagination par des images qui au fond se réduisent souvent à une pensée que le discours ordinaire exprimeroit avec plus de simplicité, mais d’une manière ou trop séche ou trop basse ; la périphrase poètique présente la pensée sous une forme plus gracieuse ou plus noble : c’est ainsi qu’au lieu de dire simplement à la pointe du jour, les poètes disent : l’aurore cependant etc.
Madame Dacier comence le XVII livre de l’odyssée d’Homère par ce vers : dès que la belle aurore eut anoncé le jour.
Et ailleurs elle dit, « la brillante aurore etc. » pour dire que le jour finit, qu’il est tard (…), Virgile dit qu’on voit dèja fumer de loin les cheminées, que dèja les ombres s’alongent et semblent tomber des montagnes. (…)
Boileau a dit par imitation : les ombres cependant etc.
On poura remarquer un plus grand nombre d’exemples pareils dans les auteurs. Je me contenterai d’observer ici qu’on ne doit se servir de périphrases que quand elles rendent le discours plus noble ou plus vif par le secours des images. Il faut éviter les périphrases qui ne présentent rien de nouveau, qui n’ajoutent aucune idée accessoire, elles ne servent qu’à rendre le discours languissant : si après avoir dit d’un home acablé de remords, qu’il est toujours triste, vous vous servez de quelque périphrase qui ne dise autre chose, sinon que cet home est toujours sombre, rèveur, mélancolique et de mauvaise humeur, vous ne rendez guère votre discours plus vif par de telles expressions. M. Boileau sur un sujet pareil a fait d’après Horace une espèce de périphrase qui tire tout son prix de la peinture dont elle ocupe l’imagination du lecteur.
Ce fou rempli d’erreurs etc.
Le même poète au lieu de dire pendant que je suis encore jeune, se sert de trois périphrases qui expriment cette même pensée sous trois images diférentes : tandis que libre encor, etc.
On doit aussi éviter les périphrases obscures et trop enflées. Celles qui ne servent ni à la clarté, ni à l’ornement du discours, sont défectueuses. C’est une inutilité desagréable qu’une périphrase à la suite d’une pensée vive, claire, solide et noble. L’esprit qui a été frapé d’une pensée bien exprimée, n’aime point à la retrouver sous d’autres formes moins agréables, qui ne lui aprènent rien de nouveau, ou rien qui l’intéresse. Après que le pére des trois Horaces, dans l’exemple que j’ai dèja raporté, a dit qu’il mourut, il devoit en demeurer là et ne pas ajouter : ou qu’un beau desespoir enfin le secourut.
Marot, dans une de ses plus belles épitres, raconte agréablement au roi François I le malheur qu’il a eu d’avoir été volé par son valet, qui lui avoit pris son argent, ses habits, et son cheval : ensuite il dit : et néantmoins ce que je vous en mande, etc.
Voilà où le génie conduisit Marot, et voilà où l’art devoit le faire arêter : ce qu’il dit ensuite que les deux princes lorains le pleigeront, et encore avisez donc, etc. : tout cela, dis-je, n’ajoute plus rien à la pensée : c’est ce que Cicéron apèle (…). Que s’il y avoit quelque chose de plus à dire, ce sont les douze derniers vers qui font un nouveau sens, et ne sont plus une périphrase qui regarde l’emprunt.
Voilà le point principal de ma lettre, etc.
-
On se sert de périphrase par nécessité, quand il s’agit de traduire et que la langue du traducteur n’a point d’expression propre qui réponde à la langue originale, par exemple, pour exprimer en latin une péruque, il faut dire (…), une chevelure empruntée, des cheveux qu’on s’est ajustés. Il y a en latin des verbes qui n’ont point de supin et par conséquent point de participe : ainsi au lieu de s’exprimer par le participe, on est obligé de recourir à la périphrase (…) ; j’en ai doné plusieurs exemples dans la syntaxe.
L’hypallage
Virgile, etc.
Cicéron, dans l’oraison pour Marcellus, dit à César qu’on n’a jamais vu dans la vile son épée vide du foureau, (…). Il ne s’agit pas du fonds de la pensée qui est de faire entendre que César n’avoit exercé aucune cruauté dans la vile de Rome, il s’agit de la combinaison des paroles qui ne paroissent pas liées entre elles come elles le sont dans le langage ordinaire, car (…) se dit plutot du foureau que de l’épée.
Ovide comence ses métamorphoses par ces paroles, (…).
Mon génie me porte à raconter les formes changées en de nouveaux corps : il étoit plus naturel de dire, à raconter les corps, c’est-à-dire, à parler des corps changés en de nouvèles formes.
Vous voyez que dans ces sortes d’expressions les mots ne sont pas construits ni combinés entr’eux come ils le devroient être selon la destination des terminaisons et de la construction ordinaire. C’est cette transposition ou changement de construction qu’on apèle hypallage, mot grec qui signifie changement.
Cette figure est bien malheureuse : les rhéteurs disent que c’est aux grammairiens à en parler, (…) ; et les grammairiens la renvoient aux rhéteurs : l’hypallage, à vrai dire, n’est point une figure de grammaire, dit la nouvèle méthode de P. R. c’est un trope ou une figure d’élocution. le changement qui se fait dans la construction des mots par cette figure ne regarde pas leur signification, ainsi en ce sens cette figure n’est point un trope et doit être mise dans la classe des idiotismes ou façons de parler particulières à la langue latine : mais j’ai cru qu’il n’étoit pas inutile d’en faire mention parmi les tropes : le changement que l’hypallage fait dans la combinaison et dans la construction des mots est une sorte de trope ou de conversion. Après tout, dans quelque rang qu’on juge à propos de placer l’hypallage, il est certain que c’est une figure très remarquable.
Souvent la vivacité de l’imagination nous fait parler de manière, que quand nous venons ensuite à considérer de sang froid l’arangement dans lequel nous avons construit les mots dont nous nous somes servis, nous trouvons que nous nous somes écartés de l’ordre naturel, et de la manière dont les autres homes construisent les mots quand ils veulent exprimer la même pensée ; c’est un manque d’exactitude dans les modernes ; mais les langues anciènes autorisent souvent ces transpositions ; ainsi dans les anciens la transposition dont nous parlons est une figure respectable qu’on apèle hypallage, c’est-à-dire, changement, transposition, ou renversement de construction. Le besoin d’une certaine mesure dans les vers a souvent obligé les anciens poètes d’avoir recours à ces façons de parler, et il faut convenir qu’elles ont quelquefois de la grace : aussi les a-t-on élevées à la dignité d’expressions figurées ; et en ceci les anciens l’emportent bien sur les modernes à qui on ne fera de long-tems le même honeur.
Je vais ajouter encore ici quelques exemples de cette figure, pour la faire mieux conoitre.
Virgile fait dire à Didon : (…). après que la froide mort aura séparé de mon ame les membres de mon corps, il est plus ordinaire de dire aura séparé mon ame de mon corps : le corps demeure et l’ame le quite ; ainsi Servius et la plupart des comentateurs trouvent une hypallage dans ces paroles de Virgile.
Le même poète parlant d’Enée et de la sibyle qui conduisit ce héros dans les enfers dit : (…).
Pour dire qu’ils marchoient tout seuls dans les ténèbres d’une nuit sombre. Servius et le p. De La Rue disent que c’est ici une hypallage (…).
On peut aussi regarder come une sorte d’hypallage, cette façon de parler selon laquelle on marque par un adjectif, une circonstance qui est ordinairement exprimée par un adverbe : c’est ainsi qu’au lieu de dire qu’Enée envoya promptement Achate . Virgile dit : (…).
Par tous ces exemples on peut observer :
- Qu’il ne faut point que l’hypallage aporte de l’obscurité ou de l’équivoque à la pensée. Il faut toujours qu’au travers du dérangement de construction, le fonds de la pensée puisse être aussi facilement démèlé, que si l’on se fut servi de l’arangement ordinaire. On ne doit parler que pour être entendu par ceux qui conoissent le génie d’une langue.
- Ainsi quand la construction est équivoque, ou que les paroles expriment un sens contraire à ce que l’auteur a voulu dire ; on doit convenir qu’il y a équivoque, que l’auteur a fait un contre-sens, et qu’en un mot, il s’est mal exprimé. Les anciens étoient homes, et par conséquent sujets à faire des fautes come nous. Il y a de la petitesse et une sorte de fanatisme à recourir aux figures pour excuser des expressions qu’ils condâneroient eux mêmes, et que leurs contemporains ont souvent condânées. L’hypallage ne prète pas son nom aux contre-sens et aux équivoques ; autrement tout seroit confondu, et cette figure deviendroit un azile pour l’erreur et pour l’obscurité.
- L’hypallage ne se fait que quand on ne suit point dans les mots l’arangement établi dans une langue ; mais il ne faut point juger de l’arangement et de la signification des mots d’une langue par l’usage établi en une autre langue pour exprimer la même pensée. Nous disons en françois je me repens, je m’aflige de ma faute : je est le sujet de la proposition, c’est le nominatif du verbe : en latin on prend un autre tour, les termes de la proposition ont un autre arangement, je ◀devient▶ le terme de l’action, ainsi, selon la destination des cas, je se met à l’acusatif ; le souvenir de ma faute m’aflige, m’afecte de repentir, tel est le tour latin,(…).
Il n’y a donc point d’hypallage dans (…), ni dans les autres façons de parler semblables ; je ne crois pas non plus, quoiqu’en disent les comentateurs d’Horace, qu’il y ait une hypallage dans ces vers de l’ode 17 du l. I. (…).
C’est-à-dire, que Faune prend souvent en échange le lucrétile pour le lycée, il vient souvent habiter le lucrétile auprès de la maison de campagne d’Horace, et quite pour cela le lycée sa demeure ordinaire. Tel est le sens d’Horace, come la suite de l’ode le done nécessairement à entendre. Ce sont les paroles du p. Sanadon, qui trouve dans cette façon de parler une vraie hypallage ou un renversement de construction.
Mais il me paroit que c’est juger du latin par le françois, que de trouver une hypallage dans ces paroles d’Horace (…).
On comence par atacher à (…) la même idée que nous atachons à notre verbe changer ; doner ce qu’on a pour ce qu’on n’a pas, ensuite sans avoir égard à la phrase latine, on traduit, Faune change le lucrétile pour le lycée : et come cette expression signifie en françois que Faune passe du lucrétile au lycée, et non du lycée au lucrétile, ce qui est pourtant ce qu’on sait bien qu’Horace a voulu dire, on est obligé de recourir à l’hypallage pour sauver le contre-sens que le françois seul présente : mais le renversement de construction ne doit jamais renverser le sens, come je viens de le remarquer ; c’est la phrase même, et non la suite du discours, qui doit faire entendre la pensée, si ce n’est dans toute son étendue, c’est au moins dans ce qu’elle présente d’abord à l’esprit de ceux qui savent la langue.
Jugeons donc du latin par le latin même, et nous ne trouverons ici ni contre-sens ni hypallage, nous ne verrons qu’une phrase latine fort ordinaire en prose et en vers.
On dit en latin etc.
Lorsqu’Ovide fait dire à Médée qu’elle voudroit avoir acheté Jason pour toutes les richesses de l’univers, il se sert de (…).
L’onomatopée
L’onomatopée est une figure par laquelle un mot imite le son naturel de ce qu’il signifie. On réduit sous cette figure les mots formés par imitation du son ; come le glouglou de la bouteille : le cliquetis, c’est-à-dire, le bruit que font les boucliers, les épées, et les autres armes en se choquant : le trictrac qu’on apeloit autrefois tictac ; sorte de jeu assez comun, ainsi nomé du bruit que font les dames et les dés dont on se sert à ce jeu : (…), tintement ; c’est le son clair et aigu des métaux. (…), la petite bouteille fait glou-glou, on le dit d’une petite bouteille dont le goulot est étroit. (…), c’est le bruit de la trompète. (…).
C’est un ancien vers d’Ennius au raport de Servius. Virgile en a changé le dernier hémistiche, qu’il n’a pas trouvé assez digne de la poésie épique ; voyez Servius sur ce vers de Virgile :
(…). (…), c’est un rire immodéré. (…), se dit d’un home qui rit sans retenue : ces deux mots sont formés du son ou bruit que l’on entend quand quelqu’un rit avec éclat.
Il y a aussi plusieurs mots qui expriment le cri des animaux, come bêler qui se dit des brebis. (…), aboyer, se dit des gros chiens. (…), aboyer, hurler, c’est le mot générique. (…), parler entre les dents, murmurer, gronder, come les chiens : (…).
Les noms de plusieurs animaux sont tirés de leurs cris, surtout dans les langues originales. upupa, etc.
Cette figure n’est point un trope, puisque le mot se prend dans le sens propre : mais j’ai cru qu’il n’étoit pas inutile de la remarquer ici.
Mot doublement figuré
Il est à observer que souvent un mot est doublement figuré ; c’est-à-dire, qu’en un certain sens il apartient à un certain trope et qu’en un autre sens il peut être rangé sous un autre trope. On peut avoir fait cette remarque dans quelques exemples que j’ai dèja raportés.
Quand Virgile dit de Bitias (…), c’est une synecdoque de la matière pour la chose qui en est faite, ensuite la coupe se prend pour la liqueur qui étoit contenue dans cette coupe : c’est une métonymie du contenant pour le contenu. nota, marque, signe, se dit en général de tout ce qui sert à faire conoitre ou remarquer quelque chose : mais lorsque nota, (note) se prend pour dédecus, marque d’infamie, tache dans la réputation, come quand on dit d’un militaire, il s’est enfui en une telle ocasion, c’est une note, il y a une métaphore et une synecdoque dans cette façon de parler.
Il y a métaphore, puisque cette note n’est pas une marque réèle, ou un signe sensible, qui soit sur la persone dont on parle ; ce n’est que par comparaison qu’on se sert de ce mot, on done à note un sens spirituel et métaphorique.
Il y a synecdoque, puisque note est restraint à la signification particulière de tache, dédecus.
Lorsque pour dire qu’il faut faire pénitence et réprimer ses passions, on dit qu’ il faut mortifier la chair ; c’est une expression figurée qui peut se raporter à la synecdoque et à la métaphore. chair ne se prend point alors dans le sens propre, ni dans toute son étendue ; il se prend pour le corps humain, et surtout pour les passions, les sens ; ainsi c’est une synecdoque ; mais mortifier est un terme métaphorique, on veut dire qu’il faut éloigner de nous toutes les délicatesses sensibles ; qu’il faut punir notre corps, le sevrer de ce qui le flate, afin d’afoiblir l’apétit charnel, la convoitise, les passions, les soumettre à l’esprit, et pour ainsi dire, les faire mourir.
Le changement d’état par lequel un citoyen romain perdoit la liberté, ou aloit en éxil, ou changeoit de famille, s’apeloit (…), diminution de tête : c’est encore une expression métaphorique qui peut aussi être raportée à la synecdoque. Je crois qu’en ces ocasions, on peut s’épargner la peine d’une exactitude trop recherchée, et qu’il sufit de remarquer que l’expression est figurée, et la ranger sous l’espèce de trope auquel elle a le plus de raport.
Subordination des tropes
Quintilien dit que les grammairiens aussi-bien que les philosophes disputent beaucoup entre eux pour savoir combien il y a de diférentes classes de tropes, combien chaque classe renferme d’espèces particulières, et enfin quel est l’ordre qu’on doit garder entre ces classes et ces espèces.
Vossius soutient qu’il n’y a que quatre tropes principaux, qui sont la métaphore, la métonymie, la synecdoque et l’ironie, les autres, à ce qu’il prétend, se raportent à ceux-là come les espèces aux genres ; mais toutes ces discutions sont assez inutiles dans la pratique, et il ne faut point s’amuser à des recherches qui souvent n’ont aucun objet certain.
Toutes les fois qu’il y a de la diférence dans le raport naturel qui done lieu à la signification empruntée, on peut dire que l’expression qui est fondée sur ce raport apartient à un trope particulier.
C’est le raport de ressemblance qui est le fondement de la catachrèse et de la métaphore ; on dit au propre une feuille d’arbre, et par catachrèse une feuille de papier, parce qu’une feuille de papier est à peu près aussi mince qu’une feuille d’arbre. La catachrèse est la première espèce de métaphore. On a recours à la catachrèse par nécessité, quand on ne trouve point de mot propre pour exprimer ce qu’on veut dire. Les autres espèces de métaphores se font par d’autres mouvemens de l’imagination qui ont toujours la ressemblance pour fondement.
L’ironie au contraire est fondée sur un raport d’oposition, de contrariété, de diférence, et, pour ainsi dire, sur le contraste qu’il y a, ou que nous imaginons entre un objet et un autre ; c’est ainsi que Boileau a dit, Quinault est un Virgile .
La métonymie et la synecdoque aussi-bien que les figures qui ne sont que des espèces de l’une ou de l’autre, sont fondées sur quelque autre sorte de raport qui n’est ni un raport de ressemblance, ni un raport du contraire. Tel est, par exemple, le raport de la cause à l’éfet, ainsi dans la métonymie et dans la synecdoque les objets ne sont considérés ni come semblables, ni come contraires, on les regarde seulement come aïant entr’eux quelque rélation, quelque liaison, quelque sorte d’union ; mais il y a cette diférence, que, dans la métonymie, l’union n’empèche pas qu’une chose ne subsiste indépendanment d’une autre ; au lieu que, dans la synecdoque, les objets dont l’un est dit pour l’autre, ont une liaison plus dépendante, come nous l’avons dèja remarqué, l’un est compris sous le nom de l’autre, ils forment un ensemble, un tout ; par exemple, quand je dis de quelqu’un, qu’il a lu Cicéron, Horace, Virgile , au lieu de dire, les ouvrages de Cicéron , etc. : je prens la cause pour l’éfet, c’est le raport qu’il y a entre un auteur et son livre, qui est le fondement de cette façon de parler : voilà une rélation, mais le livre subsiste sans son auteur et ne forme pas un tout avec lui ; au lieu que, lorsque je dis cent voiles pour cent vaisseaux, je prens la partie pour le tout, les voiles sont nécessaires à un vaisseau : il en est de même quand je dis qu’on a payé tant par tête, la tête est une partie essentièle à l’home. Enfin dans la synecdoque il y a plus d’union et de dépendance entre les objets dont le nom de l’un se met pour le nom de l’autre, qu’il n’y en a dans la métonymie.
L’allusion se sert de toutes les sortes de rélations, peu lui importe que les termes conviènent ou ne conviènent pas entre eux, pourvu que par la liaison qu’il y a entre les idées accessoires, ils réveillent celle qu’on a eu dessein de réveiller. Les circonstances qui acompagnent le sens litéral des mots dont on se sert dans l’allusion nous font conoitre que ce sens litéral n’est pas celui qu’on a eu dessein d’exciter dans notre esprit, et nous dévoilent facilement le sens figuré qu’on a voulu nous faire entendre.
L’euphémisme est une espèce d’allusion, avec cette diférence qu’on cherche à éviter les mots qui pouroient exciter quelque idée triste, dure, ou contraire à la bienséance.
Enfin chaque espèce de trope a son caractère propre qui le distingue d’un autre, come il a été facile de le remarquer par les observations qui ont été faites sur chaque trope en particulier.
Les persones qui trouveront ces observations ou trop abstraites, ou peu utiles dans la pratique, pouront se contenter de bien sentir par les exemples la diférence qu’il y a d’un trope à un autre. Les exemples les méneront insensiblement aux observations.
Des tropes
-
Come les figures ne sont que des manières de parler qui ont un caractère particulier auquel on a doné un nom ; que d’ailleurs chaque sorte de figure peut être variée en plusieurs manières diférentes, il est évident que si l’on vient à observer chacune de ces manières et à leur doner des noms particuliers, on en fera autant de figures. Delà les noms de (…), et autres pareils qu’on ne trouve guère que dans les ouvrages de ceux qui les ont imaginés.
Les expressions figurées qui ont doné lieu à ces sortes de noms peuvent aisément être réduites sous quelqu’une des classes de tropes dont j’ai dèja parlé : le sarcasme, par exemple, n’est autre chose qu’une ironie faite avec aigreur et avec emportement. On trouve l’infini partout : mais quand une fois on est parvenu au point de division où ce qu’on divise n’est plus palpable, c’est perdre son tems et sa peine que de s’amuser à diviser.
-
Les auteurs donent quelquefois des noms diférens à la même espèce d’expression figurée, je veux dire, que l’un apèle hypallage ce qu’un autre nome métonymie : les noms de ces sortes de figures étant arbitraires et quelques uns aïant beaucoup de raport à d’autres selon leur étimologie, il n’est pas étonant qu’on les ait souvent confondus. Aristote done le nom de métaphore à la plupart des tropes qui ont aujourdui des noms particuliers. (…). Cicéron remarque aussi que les rhéteurs noment hypallage la même figure que les grammairiens apèlent métonymie. Aujourd’hui que ces dénominations sont plus déterminées, on doit se conformer sur ce point à l’usage ordinaire des grammairiens et des rhéteurs. Un de nos poètes a dit : leurs cris remplissent l’air de leurs tendres souhaits.
Selon la construction ordinaire on diroit plutot que ce sont les souhaits qui font pousser des cris qui retentissent dans les airs.
L’auteur du dictionaire néologique done à cette expression le nom de métathèse : les façons de parler semblables qu’on trouve dans les anciens sont apelées des hypallages : le mot de métathèse n’est guère d’usage que lorsqu’il s’agit d’une transposition de lettres.
M. Gibert nous fournit encore un bel exemple de cette variété dans les dénominations des figures, il apèle métaphore ce que Quintilien et les autres noment antonomase.
« il y a, dit M. Gibert, etc. » : ce sont là cependant les exemples ordinaires que les rhéteurs donent de l’antonomase : mais, après tout, le nom ne fait rien à la chose ; le principal est de remarquer que l’expression est figurée, et en quoi elle est figurée.
Usage et abus des tropes
Une même cause dans les mêmes circonstances produit des éfets semblables.
Dans tous les tems et dans tous les lieux où il y a eu des homes, il y a eu de l’imagination, des passions, des idées accessoires, et par conséquent des tropes.
Il y a eu des tropes dans la langue des caldéens, dans celle des egyptiens, dans celle des grecs et dans celle des latins : on en fait usage aujourdui parmi les peuples même les plus barbares, parce qu’en un mot ces peuples sont des homes, ils ont de l’imagination et des idées accessoires.
Il est vrai que telle expression figurée en particulier n’a pas été en usage partout ; mais partout il y a eu des expressions figurées.
Quoique la nature soit uniforme dans le fonds des choses, il y a une variété infinie dans l’exécution, dans l’aplication, dans les circonstances, dans les manières.
Ainsi nous nous servons de tropes, non parce que les anciens s’en sont servis ; mais parce que nous somes homes come eux.
Il est dificile en parlant et en écrivant, d’aporter toujours l’atention et le discernement nécessaires pour rejeter les idées accessoires qui ne conviènent point au sujet, aux circonstances, et aux idées principales que l’on met en oeuvre : delà il est arivé dans tous les tems, que les écrivains se sont quelquefois servis d’expressions figurées qui ne doivent pas être prises pour modèle.
Les règles ne doivent point être faites sur l’ouvrage d’aucun particulier, elles doivent être puisées dans le bon sens et dans la nature : et alors quiconque s’en éloigne ne doit point être imité en ce point. Si l’on veut former le gout des jeunes gens, on doit leur faire remarquer les défauts, aussi bien que les beautés des auteurs qu’on leur fait lire. Il est plus facile d’admirer, j’en conviens ; mais une critique sage, éclairée, exemte de passion et de fanatisme est bien plus utile.
Ainsi l’on peut dire que chaque siècle a pu avoir ses critiques et son dictionaire néologique. Si quelques persones disent aujourdui avec raison ou sans fondement, qu’il règne dans le langage une afectation puérile : que le stile frivole et recherché passe jusqu’aux tribunaux les plus graves, Cicéron a fait la même plainte de son tems. (…).
« au plus beau siècle de Rome, etc. »
Horace se moque de l’un et de l’autre de ces auteurs ; mais il n’a pas été exemt lui même des fautes qu’il a reprochées à ses contemporains. il ne reste à la plupart des comentateurs d’autre liberté que pour louer, pour admirer, pour adorer ; mais ceux qui font usage de leurs lumières et qui ne se conduisent point par une prévention aveugle, etc. .
Quintilien après avoir repris dans les anciens quelques métaphores défectueuses, dit que ceux qui sont instruits du bon et du mauvais usage des figures, ne trouveront que trop d’exemples à reprendre. (…).
Au reste les fautes qui regardent les mots, ne sont pas celles que l’on doit remarquer avec le plus de soin : il est bien plus utile d’observer celles qui péchent contre la conduite, contre la justesse du raisonement, contre la probité, la droiture et les bones moeurs.
Il seroit à souhaiter que les exemples de ces dernieres sortes de fautes fussent moins rares, ou plutot qu’ils fussent inconus.
Troisième partie, des autres sens dans lesquels un même mot peut être employé dans le discours
Outre les tropes dont nous venons de parler et dont les grammairiens et les rhéteurs traitent ordinairement, il y a encore d’autres sens dans lesquels les mots peuvent être employés, et ces sens sont la plupart autant d’autres diférentes sortes de tropes : il me paroit qu’il est très utile de les conoitre pour mettre de l’ordre dans les pensées, pour rendre raison du discours et pour bien entendre les auteurs. C’est ce qui va faire la matière de cette troisième partie.
Subst., adj., adv.
substantifs pris adjectivement, adjectifs pris substantivement, substantifs et adjectifs pris adverbialement. un nom substantif se prend quelquefois adjectivement, c’est-à-dire, dans le sens d’un atribut ; par exemple : un pére est toujours pére, cela veut dire qu’un pére est toujours tendre pour ses enfans, et que malgré leurs mauvais procédés, il a toujours des sentimens de pére à leur égard ; alors ces substantifs se construisent come de véritables adjectifs.
« Dieu est notre ressource, notre lumière, notre vie, notre soutien, notre tout. L’home n’est qu’un néant. Etes-vous prince ? Etes-vous roi ? Etes-vous avocat ? » alors prince, roi, avocat, sont adjectifs.
Cette remarque sert à décider la question que font les grammairiens, savoir si ces mots roi, reine, pére, mére, etc., sont substantifs ou adjectifs ? Ils sont l’un et l’autre suivant l’usage qu’on en fait. Quand ils sont le sujet de la proposition, ils sont pris substantivement ; quand ils sont l’atribut de la proposition, ils sont pris adjectivement. Quand je dis le roi aime le peuple ; la reine a de la piété : roi, reine, sont des substantifs qui marquent un tel roi et une telle reine en particulier ; ou, come parlent les philosophes, ces mots marquent alors un individu qui est roi : mais quand je dis que Louis Quinze est roi, roi est pris alors adjectivement ; je dis de Louis qu’il est revêtu de la puissance royale.
Il y a quelques noms substantifs latins qui sont quelquefois pris adjectivement, par métonymie, par synecdoque ou par antonomase. scelus, crime, se dit d’un scélérat, d’un home qui est, pour ainsi dire, le crime même : (…) ?
Le scélérat de qui parle-t-il ? (…) ? Où est ce scélérat qui m’a perdu ? Où vous voyez que etc. : la construction se fait alors selon le sens, c’est-à-dire, par raport à la persone dont on parle, et non selon le mot qui est neutre. carcer, prison, se dit aussi par métonymie, de celui qui mérite la prison. (…) ?
Que dis-tu malheureux ? C’est peut être dans le même sens qu’Enée, dans Virgile, parlant des grecs à l’ocasion de la fourberie de Sinon, dit (…). Ce que nous ne saurions rendre en françois en conservant le même tour, un seul fourbe, une seule de leurs fourberies, vous fera conoitre le caractère de tous les grecs. Térence a dit etc.
Un adjectif se prend aussi quelquefois substantivement ; c’est-à-dire, qu’un mot qui est ordinairement atribut, est quelquefois sujet dans une proposition ; ce qui ne peut ariver que parce qu’il y a alors quelqu’autre nom sous-entendu qui est dans l’esprit ; par exemple : le vrai persuade, c’est-à-dire, ce qui est vrai, l’être vrai, ou la vérité : le tout puissant vangera les foibles qu’on oprime, c’est-à-dire, Dieu, qui est tout puissant, vangera les homes foibles.
Nous avons vu dans les préliminaires de la syntaxe, que l’adverbe est un mot qui renferme la préposition et le nom qui la détermine.
La préposition marque une circonstance générale, qui est ensuite déterminée par le nom qui suit la préposition selon l’ordre des idées : or l’adverbe renfermant la préposition et le nom, il marque une circonstance particulière du sujet, ou de l’atribut de la proposition : etc.
Il y a quelques noms substantifs qui sont pris adverbialement, c’est-à-dire qu’ils n’entrent dans une proposition que pour marquer une circonstance du sujet ou de l’atribut, en vertu de quelque préposition sous-entendue ; etc. (…) se prend aussi adverbialement, come nous l’avons remarqué plus haut. Quand on sait une fois la raison des terminaisons de ces sortes de mots, on peut se contenter de dire que ce sont des substantifs pris adverbialement.
Les adjectifs se prènent aussi fort souvent adverbialement, come je l’ai remarqué en parlant des adverbes ; par exemple : parler haut, parler bas, parler grec et latin, (…) : penser juste, sentir bon, sentir mauvais, marcher vite, voir clair, fraper fort, etc.
Ces adjectifs sont alors au neutre, et c’est une imitation des latins : (…).
Sens déterminé, indét.
Chaque mot a une certaine signification dans le discours ; autrement il ne signifieroit rien : mais ce sens, quoique déterminé, ne marque pas toujours précisément un tel individu, un tel particulier ; ainsi on apèle sens indéterminé, ou indéfini, celui qui marque une idée vague, une pensée générale, qu’on ne fait point tomber sur un objet particulier ; par exemple : on croit, on dit ; ces termes ne désignent persone en particulier qui croie ou qui dise : c’est le sens indéterminé, c’est-à-dire, que ces mots ne marquent point un tel particulier de qui l’on dise qu’il croit, ou qu’il dit.
Au contraire, le sens déterminé tombe sur un objet particulier ; il désigne une ou plusieurs persones, une ou plusieurs choses, come, les cartésiens croient que les animaux sont des machines : Cicéron dit dans ses offices, que la bone foi est le lien de la société.
On peut raporter ici le sens étendu et le sens étroit. Il y a bien des propositions qui sont vraies dans un sens étendu (…), et fausses lorsque les mots en sont pris à la rigueur, (…) : nous en donerons des exemples en parlant du sens litéral.
Sens actif, passif, neutre
actif vient de (…), pousser, agir, faire.
Un mot est pris dans un sens actif, quand il marque que l’objet qu’il exprime, ou dont il est dit, fait une action, ou qu’il a un sentiment, une sensation.
Il faut remarquer qu’il y a des actions et des sentimens qui passent sur un objet qui en est le terme. Les philosophes apèlent patient, ce qui reçoit l’action d’un autre ; ce qui est le terme ou l’objet du sentiment d’un autre. Ainsi patient ne veut pas dire ici celui qui ressent de la douleur ; mais ce qui est le terme d’une action ou d’un sentiment. Pierre bat Paul ; bat est pris dans un sens actif, puisqu’il marque une action que je dis que Pierre fait, et cette action a Paul pour objet ou pour patient. le roi aime le peuple ; aime est aussi dans un sens actif, et le peuple est le terme ou l’objet de ce sentiment.
Un mot est pris dans un sens passif, quand il marque que le sujet de la proposition, ou ce dont on parle est le terme ou le patient de l’action d’un autre : Paul est batu par Pierre ; batu est un terme passif : je juge de Paul qu’il est le terme de l’action de batre.
Je ne suis point batant, de peur d’être batu. batant est actif, et batu est passif.
Il y a des mots qui marquent de simples propriétés ou manières d’être, de simples situations, et même des actions, mais qui n’ont point de patient ou d’objet qui en soit le terme ; c’est ce qu’on apèle le sens neutre.neutre veut dire ni l’un ni l’autre, c’est-à-dire, ni actif ni passif. Un verbe qui ne marque ni une action qui ait un patient, ni une passion, c’est-à-dire, qui ne marque pas que l’objet dont on parle soit le terme d’une action, ce verbe, dis-je, n’est ni actif ni passif ; et par conséquent il est apelé neutre. (…), aimer, chérir ; (…), avoir de l’amitié, de l’afection, sont des verbes actifs. (…), être aimé, être chéri ; (…), être celui pour qui l’on a de l’amitié, sont des verbes passifs : mais (…), être assis, est un verbe neutre ; (…), être alumé ; être ardent, est aussi un verbe neutre.
Souvent les verbes actifs se prènent dans un sens neutre, et quelquefois les verbes neutres se prènent dans un sens actif : écrire une lettre est un sens actif ; mais quand on demande, que fait monsieur ? et qu’on répond, il écrit, il dort, il chante, il danse ; tous ces verbes là sont pris alors dans un sens neutre.
Quand Virgile dit que Turnus entra dans un emportement que rien ne put apaiser, (…) ; ardet est alors un verbe neutre : mais quand le même poète, pour dire que Coridon aimoit Alexis éperdument, se sert de cette expression, (…), alors ardébat est pris dans un sens actif, quoiqu’on etc. (…), se reposer, être oisif, être en repos, est un verbe neutre. Virgile l’a pris dans un sens actif lorsqu’il a dit : (…) : les fleuves changés, c’est-à-dire, contre leur usage, contre leur nature, arêtèrent le cours de leurs eaux, (…).
Simon dans l’Andriène rapèle à Sosie les bienfaits dont il l’a comblé : " me remettre ainsi vos bienfaits devant les yeux, lui dit Sosie, " c’est me reprocher que je les ai oubliés. (…). Les interprètes d’acord entre eux pour le fonds de la pensée, ne le sont pas etc.
que fait monsieur ? Il joue : jouer est pris alors dans un sens neutre : mais quand on dit, il joue gros jeu ; il joue est pris dans un sens actif, et gros jeu est le régime de il joue. danser est un verbe neutre ; mais danser une courante, danser un menuet ; danser est alors un verbe actif.
Les latins ont fait le même usage etc.
Cette remarque sert à expliquer ces façons de parler (…), ces verbes neutres se prènent alors en latin dans un sens passif, et marquent que l’action qu’ils signifient est faite ; (…). Voyez ce que nous en avons dit dans la syntaxe : l’action que le verbe signifie sert alors de nominatif au verbe même, selon la remarque des anciens grammairiens.
Sens absolu et relatif
Un mot est pris dans un sens absolu, lorsqu’il exprime une chose considérée en elle même sans aucun raport à une autre.
absolu vient (…), qui veut dire achevé, acompli, qui ne demande rien davantage ; par exemple, quand je dis que le soleil est lumineux, cette expression est dans un sens absolu ; celui à qui je parle n’atend rien de plus, par raport au sens de cette phrase.
Mais si je disois que le soleil est plus grand que la terre, alors je considérerois le soleil par raport à la terre, ce seroit un sens rélatif ou respectif. Le sens rélatif ou respectif est donc lorsqu’on parle d’une chose par raport à quelqu’autre : c’est pour cela que ce sens s’apèle aussi respectif, (…), regarder ; parce que la chose dont on parle, en regarde, pour ainsi dire, une autre ; elle en rapèle l’idée, elle y a du raport, elle s’y raporte ; delà vient rélatif, (…). Il y a des mots rélatifs, tels que pére, fils, époux, etc. ; nous en avons parlé ailleurs.
Sens collectif, distrib.
Collectif vient du latin (…), qui veut dire recueillir, assembler. Distributif vient de (…), qui veut dire distribuer, partager. la femme aime à parler : cela est vrai en parlant des femmes en général ; ainsi le mot de femme est pris là dans un sens collectif ; mais la proposition est fausse dans le sens distributif, c’est-à-dire, que cela n’est point vrai de chaque femme en particulier. l’home est sujet à la mort ; cela est vrai dans le sens collectif, et dans le sens distributif.
Au lieu de dire le sens collectif et le sens distributif, on dit aussi le sens général et le sens particulier.
Il y a des mots qui sont collectifs, c’est-à-dire, dont l’idée représente un tout en tant que composé de parties actuèlement séparées, et qui forment autant d’unités ou d’individus particuliers : tels sont armée, république, régiment.
Sens équivoque, louche
Il y a des mots et des propositions équivoques.
Un mot est équivoque, lorsqu’il signifie des choses diférentes : come choeur, assemblée de plusieurs persones qui chantent ; coeur, partie intérieure des animaux : autel, table sur quoi l’on fait des sacrifices aux dieux ; hôtel, grande maison. Ces mots sont équivoques, du moins dans la prononciation. lion, nom d’un animal ; lion, nom d’une constellation, d’un signe céleste ; lion, nom d’une vile. coin, sorte de fruit ; coin, angle, endroit ; coin, instrument avec quoi l’on marque les monoies et les médailles ; coin, instrument qui sert à fendre du bois : coin est encore un terme de manège, etc. de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi ? dit le docteur Pancrace, parlant à Sganarèle : de la langue que j’ai dans ma bouche, répond Sganarèle : où vous voyez que par langue l’un entend langage, idiome ; et l’autre entend, come il le dit, la langue que nous avons dans la bouche.
Dans la suite d’un raisonement, on doit toujours prendre un mot dans le même sens qu’on l’a pris d’abord ; autrement on ne raisoneroit pas juste ; parce que ce seroit ne dire qu’une même chose de deux choses diférentes : car, quoique les termes équivoques se ressemblent quant au son, ils signifient pourtant des idées diférentes ; ce qui est vrai de l’une n’est donc pas toujours vrai de l’autre.
Une proposition est équivoque, quand le sujet ou l’atribut présente deux sens à l’esprit ; ou quand il y a quelque terme qui peut se raporter ou à ce qui précède, ou à ce qui suit : c’est ce qu’il faut éviter avec soin, afin de s’acoutumer à des idées précises.
Il y a des mots qui ont une construction louche, c’est lorsqu’un mot paroit d’abord se raporter à ce qui précède et que cependant il se raporte à ce qui suit : par exemple, dans cette chanson si conue, d’un de nos meilleurs opéra, tu sais charmer, tu sais desarmer, le dieu de la guerre ; le dieu du tonerre se laisse enflamer. le dieu du tonerre paroit d’abord être le terme de l’action de charmer et de desarmer, aussi-bien que le dieu de la guerre : cependant, quand on continue à lire, on voit aisément que le dieu du tonerre est le nominatif ou le sujet de se laisse enflamer.
Toute construction ambiguë, qui peut signifier deux choses en même tems, ou avoir deux raports diférens, est apelée équivoque, ou louche. Louche est une sorte d’équivoque, souvent facile à démêler. louche est ici un terme métaphorique : car come les persones louches paroissent regarder d’un côté pendant qu’elles regardent d’un autre, de même dans les constructions louches, les mots semblent avoir un certain raport, pendant qu’ils en ont un autre ; mais quand on ne voit pas aisément quel raport on doit leur doner, on dit alors qu’une proposition est équivoque, plutot que de dire simplement qu’elle est louche.
Les pronoms de la troisième persone font souvent des sens équivoques ou louches, surtout quand ils ne se raportent pas au sujet de la proposition : je pourois en raporter un grand nombre d’exemples de nos meilleurs auteurs, je me contenterai de celui-ci :
« François I érigea Vendôme etc. » il n’y a que ceux qui sont dèja au fait de l’histoire qui puisse démêler les divers raports de ce prince et de tous ces il. Je croi qu’il vaut mieux répéter le mot, que de se servir d’un pronom dont le raport n’est aperçu que par ceux qui savent dèja ce qu’ils lisent. On évitoit facilement ces sens louches en latin, par les usages diférens de (…).
Quelquefois pour abréger, on se contente de faire une proposition de deux membres, dont l’un est négatif et l’autre afirmatif, et on les joint par une conjonction : cette sorte de construction n’est pas régulière, et fait souvent des équivoques ; par exemple : l’amour n’est qu’un plaisir, et l’honeur un devoir.
L’academie a remarqué que Corneille devoit dire : l’amour n’est qu’un plaisir, l’honeur est un devoir.
En éfet, ces mots n’est que, du premier membre, marquent une négation, ainsi ils ne peuvent pas se construire encore avec un devoir, qui est dans un sens afirmatif au second membre ; autrement il sembleroit que Corneille, contre son intention, eut voulu mépriser également l’amour et l’honeur.
On ne sauroit aporter trop d’atention pour éviter tous ces défauts : on ne doit écrire que pour se faire entendre ; la nèteté et la précision sont la fin et le fondement de l’art de parler et d’écrire.
Jeux de mots, paronomase
Il y a deux sortes de jeux de mots.
- Il y a des jeux de mots qui ne consistent que dans un équivoque ou dans une allusion : j’en ai parlé dans l’allusion, et j’en ai doné des exemples. Les bons mots qui n’ont d’autre sel que celui qu’ils tirent d’un équivoque ou d’une allusion fade et puérile, ne sont pas du gout des gens sensés, parce que ces mots là n’ont rien de vrai ni de solide.
- Il y a des mots dont la signification est diférente, et dont le son est presque le même : ce raport qui se trouve entre le son de deux mots, fait une espèce de jeu, dont les rhéteurs ont fait une figure qu’ils apèlent paronomase ; par exemple, (…), les amans sont des insensés : le jeu qui est dans le latin ne se retrouve pas dans le françois.
Aux funérailles de Marguerite D’Autriche, qui mourut en couche, on fit une devise dont le corps étoit une aurore qui aporte le jour au monde, avec ces paroles (…), je péris en donant le jour.
Pour marquer l’humilité d’un home de bien qui se cache en fesant de bones oeuvres, on peint un ver à soie qui s’enferme dans sa coque ; l’ame de cette devise est un jeu de mots ; (…). Dans ces exemples et dans plusieurs autres pareils, le sens subsiste indépendament des mots.
J’observerai à cette ocasion deux autres figures qui ont du raport à celle dont nous venons de parler : l’une s’apèle (…) ; c’est quand les diférens membres ou incises d’une période finissent par des cas ou des tems dont la terminaison est semblable : l’autre s’apèle (…), c’est lorsque les mots qui finissent les diférens membres ou incises d’une période ont la même terminaison, mais une terminaison qui n’est point une désinance de cas, de tems, ou de persone, come (…). Ces deux dernières figures sont proprement la même ; on en trouve un grand nombre d’exemples dans S. Augustin. On doit éviter les jeux de mots qui sont vides de sens : mais quand le sens subsiste indépendament du jeu de mots, ils ne perdent rien de leur mérite.
Sens composé divisé
Quand l’evangile dit les aveugles voient les boiteux marchent ; ces termes les aveugles, les boiteux, se prènent en cette ocasion dans le sens divisé, c’est-à-dire, que ce mot aveugles se dit là de ceux qui étoient aveugles et qui ne le sont plus ; ils sont divisés, pour ainsi dire, de leur aveuglement, car les aveugles en tant qu’aveugles, ce qui seroit le sens composé, ne voient pas.
L’evangile parle d’un certain Simon apelé le lépreux, parce qu’il l’avoit été, c’est le sens divisé.
Ainsi, quand S. Paul a dit que les idolatres n’entreront pas dans le royaume des cieux, il a parlé des idolatres dans le sens composé, c’est-à-dire, de ceux qui demeureront dans l’idolatrie. Les idolatres entant qu’idolatres n’entreront pas dans le royaume des cieux : c’est le sens composé ; mais les idolatres qui auront quité l’idolatrie et qui auront fait pénitence, entreront dans le royaume des cieux : c’est le sens divisé.
Apelles aïant exposé, selon sa coutume, un tableau à la critique du public, un cordonier censura la chaussure d’une figure de ce tableau : Apelles réforma ce que le cordonier avoit blâmé : mais le lendemain le cordonier aïant trouvé à redire à une jambe, Apelles lui dit qu’un cordonier ne devoit juger que de la chaussure ; etc.
La récusation qu’Apelles fit de ce cordonier, ètoit plus piquante que raisonable : un cordonier, en tant que cordonier, ne doit juger que de ce qui est de son métier ; mais, si ce cordonier a d’autres lumières, il ne doit point être récusé, par cela seul qu’il est cordonier : en tant que cordonier, ce qui est le sens composé, il juge si un soulier est bien fait et bien peint ; et entant qu’il a des conoissances supérieures à son métier, il est juge compétant sur d’autres points ; il juge alors dans le sens divisé, par raport à son métier de cordonier.
Ovide parlant du sacrifice d’Iphigénie, dit que l’intérêt public triompha de la tendresse paternèle, le roi vainquit le pére :
(…).
Ces dernières paroles sont dans un sens divisé : Agamemnon se regardant come roi, étoufe les sentimens qu’il ressent come pére.
Dans le sens composé, un mot conserve sa signification à tous égards, et cette signification entre dans la composition du sens de toute la phrase ; au lieu que dans le sens divisé, ce n’est qu’en un certain sens, et avec restriction, qu’un mot conserve son anciène signification : les aveugles voient, c’est-à-dire, ceux qui ont été aveugles.
Sens literal spirituel
le sens litéral est celui que les mots excitent d’abord dans l’esprit de ceux qui entendent une langue ; c’est le sens qui se présente naturèlement à l’esprit. Entendre une expression litéralement, c’est la prendre au pié de la lettre. (…) ; c’est le sens que les paroles signifient immédiatement, (…). le sens spirituel, est celui que le sens litéral renferme, il est enté, pour ainsi dire, sur le sens litéral ; c’est celui que les choses signifiées par le sens litéral font naitre dans l’esprit.
Ainsi dans les paraboles, dans les fables, dans les allégories, il y a d’abord un sens litéral : on dit, par exemple, qu’un loup et un agneau vinrent boire à un même ruisseau : que le loup aïant cherché querèle à l’agneau, il le dévora. Si vous vous atachez simplement à la lettre, vous ne verrez dans ces paroles qu’une simple avanture arivée à deux animaux : mais cette narration a un autre objet ; on a dessein de vous faire voir que les foibles sont quelquefois oprimés par ceux qui sont plus puissans ; et voilà le sens spirituel, qui est toujours fondé sur le sens litéral. division du sens litéral. le sens litéral est donc de deux sortes.
- Il y a un sens litéral-rigoureux ; c’est le sens propre d’un mot, c’est la lettre prise à la rigueur, strictè.
- La seconde espéce de sens litéral, c’est celui que les expressions figurées dont nous avons parlé présentent naturèlement à l’esprit de ceux qui entendent bien une langue, c’est un sens litéral-figuré ; par exemple, quand on dit d’un politique qu’il sème à propos la division entre ses propres énemis ; semer ne se doit pas entendre à la rigueur selon le sens propre, et de la même manière qu’on dit semer du blé : mais ce mot ne laisse pas d’avoir un sens litéral, qui est un sens figuré qui se présente naturèlement à l’esprit. La lettre ne doit pas toujours être prise à la rigueur, elle tue, dit S. Paul. On ne doit point exclure des termes toute signification métaphorique et figurée.
Il faut bien se garder, dit S. Augustin, de prendre à la lettre une façon de parler figurée, et c’est à cela qu’il faut apliquer ce passage de S. Paul, la lettre tue et l’esprit done la vie.
Il faut s’atacher au sens que les mots excitent naturèlement dans notre esprit, quand nous ne somes point prévenus, et que nous somes dans l’état tranquile de la raison : voilà le véritable sens litéral-figuré, c’est celui-là qu’il faut doner aux loix, aux canons, aux textes des coutumes, et même à l’ecriture sainte.
Quand J. C. a dit que celui qui met la main à la charue, et qui regarde derrière lui, n’est point propre pour le royaume de Dieu ; on voit bien qu’il n’a pas voulu dire qu’un laboureur qui en travaillant tourne quelquefois la tête n’est pas propre pour le ciel : le vrai sens que ces paroles présentent naturèlement à l’esprit, c’est que ceux qui ont comencé à mener une vie chrétiène, et à être les disciples de Jésus-Christ, ne doivent pas changer de conduite ni de doctrine, s’ils veulent être sauvés ; c’est donc là un sens litéral-figuré. Il en est de même de ces autres passages de l’evangile, où J. C. dit, de présenter la joue gauche à celui qui nous a frapés sur la droite, de s’aracher la main ou l’oeil qui est un sujet de scandale ; il faut entendre ces paroles de la même manière qu’on entend toutes les expressions métaphoriques et figurées : ce ne seroit pas leur doner leur véritable sens, que de les entendre selon le sens litéral pris à la rigueur ; elles doivent être entendues selon la seconde sorte de sens litéral qui réduit toutes ces façons de parler figurées à leur juste valeur, c’est-à-dire, au sens qu’elles avoient dans l’esprit de celui qui a parlé, et qu’elles excitent dans l’esprit de ceux qui entendent la langue où l’expression figurée est autorisée par l’usage.
« lorsque nous donons au blé le nom de Cérès, dit Cicéron, etc. » on se sert dans toutes les nations policées de certaines expressions ou formules de politesse, qui ne doivent point être prises dans le sens litéral-étroit. j’ai l’honeur de… je vous baise les mains : je suis votre très-humble et très-obéissant serviteur. Cette dernière façon de parler, dont on se sert pour finir les lettres, n’est jamais regardée que come une formule de politesse.
On dit de certaines persones, c’est un fou, c’est une fole : ces paroles ne marquent pas toujours que la persone dont on parle ait perdu l’esprit au point qu’il ne reste plus qu’à l’enfermer ; on veut dire seulement que c’est une persone qui suit ses caprices, qui ne se prête pas aux réfléxions des autres, qu’elle n’est pas toujours maitresse de son imagination, que dans le tems qu’on lui parle elle est ocupée ailleurs, et qu’ainsi on ne sauroit avoir avec elle ce comerce réciproque de pensées et de sentimens, qui fait l’agrément de la conversation et le lien de la société. L’home sage est toujours en état de tout écouter, de tout entendre, et de profiter des avis qu’on lui done.
Dans l’ironie, les paroles ne se prènent point dans le sens litéral proprement dit ; elles se prènent selon le sens litéral-figuré, c’est-à-dire, selon ce que signifient les mots acompagnés du ton de la voix et de toutes les autres circonstances.
Il y a souvent dans le langage des homes un sens litéral qui est caché, et que les circonstances des choses découvrent : ainsi il arive souvent que la même proposition a un tel sens dans la bouche ou dans les écrits d’un certain home, et qu’elle en a un autre dans les discours et dans les ouvrages d’un autre home : mais il ne faut pas légérement doner des sens desavantageux aux paroles de ceux qui ne pensent pas en tout come nous ; il faut que ces sens cachés soient si facilement developés par les circonstances, qu’un home de bon sens qui n’est pas prévenu ne puisse pas s’y méprendre.
Nos préventions nous rendent toujours injustes, et nous font souvent prêter aux autres des sentimens qu’ils détestent aussi sincérement que nous les détestons.
Au reste, je viens d’observer que le sens litéral-figuré est celui que les paroles excitent naturèlement dans l’esprit de ceux qui entendent la langue où l’expression figurée est autorisée par l’usage : ainsi pour bien entendre le véritable sens litéral d’un auteur, il ne sufit pas d’entendre les mots particuliers dont il s’est servi, il faut encore bien entendre les façons de parler usitées dans la langue de cet auteur ; sans quoi, ou l’on n’entendra point le passage, ou l’on tombera dans des contre-sens.
En françois doner parole veut dire promettre ; en latin etc.
Il n’est pas possible d’entendre le sens litéral de l’ecriture sainte, si l’on n’a aucune conoissance des hébraïsmes et des hellénismes, c’est-à-dire, des façons de parler de la langue hébraïque et de la langue grèque. Lorsque les interprètes traduisent à la rigueur de la lettre, ils rendent les mots et non le véritable sens : delà vient qu’il y a, par exemple, dans les pseaumes plusieurs versets qui ne sont pas intelligibles en latin. (…).
Dans le nouveau testament même il y a plusieurs passages qui ne sauroient être entendus, sans la conoissance des idiotismes, c’est-à-dire, des façons de parler des auteurs originaux.
Le mot hébreu qui répond au mot latin etc.
C’est dans ce même sens que Jésus-Christ a cité ce passage : le démon lui proposoit de changer les pierres en pain, il n’est pas nécessaire de faire ce changement, répond Jésus-Christ, car l’home ne vit pas seulement de pain, il se nourit encore de tout ce qu’il plaît à Dieu de lui doner pour nouriture, de tout ce que Dieu dit qui servira de nouriture ; voilà le sens litéral ; celui qu’on done comunément à ces paroles, n’est qu’un sens moral. division du sens spirituel. le sens spirituel est aussi de plusieurs sortes.
1° le sens moral, 2° le sens allégorique, 3° le sens anagogique.
-
sens moral.
Le sens moral est une interprétation selon laquelle on tire quelque instruction pour les moeurs. On tire un sens moral des histoires, des fables, etc. Il n’y a rien de si prophane dont on ne puisse tirer des moralités, ni rien de si sérieux qu’on ne puisse tourner en burlesque.
Telle est la liaison que les idées ont les unes avec les autres : le moindre raport réveille une idée de moralité dans un home dont le gout est tourné du côté de la morale ; et au contraire celui dont l’imagination aime le burlesque, trouve du burlesque partout.
Thomas Walleis, Jacobin Anglois, fit imprimer vers la fin du XV siècle, à l’usage des prédicateurs une explication morale des métamorphoses d’Ovide. Nous avons le Virgile travesti de Scaron. Ovide n’avoit point pensé à la morale que Walleis lui prête ; et Virgile n’a jamais eu les idées burlesques que Scaron a trouvées dans son Enéïde. Il n’en est pas de même des fables morales ; leurs auteurs mêmes nous en découvrent les moralités ; elles sont tirées du texte come une conséquence est tirée de son principe.
-
sens allégorique.
Le sens allégorique se tire d’un discours, qui, à le prendre dans son sens propre, signifie toute autre chose : c’est une histoire qui est l’image d’une autre histoire, ou de quelqu’autre pensée. Nous avons dèja parlé de l’allégorie.
L’esprit humain a bien de la peine à demeurer indéterminé sur les causes dont il voit, ou dont il ressent les éfets : ainsi lorsqu’il ne conoit pas les causes, il en imagine, et le voilà satisfait. Les païens imaginèrent d’abord des causes frivoles de la plupart des éfets naturels : l’amour fut l’éfet d’une divinité particulière : Prométhée vola le feu du ciel : Cérès inventa le blé : Bacchus le vin, etc. Les recherches exactes sont trop pénibles, et ne sont pas à la portée de tout le monde. Quoiqu’il en soit, le vulgaire superstitieux, dit le p. Sanadon, fut la dupe des visionaires qui inventèrent toutes ces fables.
Dans la suite quand les païens comencèrent à se policer et à faire des réflexions sur ces histoires fabuleuses, il se trouva parmi eux des mystiques qui en envelopèrent les absurdités sous le voile des allégories et des sens figurés, ausquels les premiers auteurs de ces fables n’avoient jamais pensé.
Il y a des pièces allégoriques en prose et en vers : les auteurs de ces ouvrages ont prétendu qu’on leur donat un sens allégorique ; mais dans les histoires, et dans les autres ouvrages dans lesquels il ne paroit pas que l’auteur ait songé à l’allégorie, il est inutile d’y en chercher. Il faut que les histoires dont on tire ensuite des allégories aient été composées dans la vue de l’allégorie ; autrement les explications allégoriques qu’on leur done ne prouvent rien ; et ne sont que des aplications arbitraires dont il est libre à chacun de s’amuser come il lui plaît, pourvu qu’on n’en tire pas des conséquences dangereuses.
Quelques auteurs ont trouvé une image des révolutions arivées à la langue latine, dans la statue que Nabuchodonosor vit en songe ; ils trouvent dans ce songe une allégorie de ce qui devoit ariver à la langue latine.
Cette statue étoit extraordinairement grande ; la langue latine n’étoit-elle pas répandue presque par tout.
La tête de cette statue étoit d’or, c’est le siècle d’or de la langue latine ; c’est le tems de Térence, de César, de Cicéron, de Virgile ; en un mot, c’est le siècle d’Auguste.
La poitrine et les bras de la statue étoient d’argent ; c’est le siècle d’argent de la langue latine ; c’est depuis la mort d’Auguste jusqu’à la mort de l’empereur Trajan, c’est-à-dire, jusqu’environ cent ans après Auguste.
Le ventre et les cuisses de la statue étoient d’airain ; c’est le siècle d’airain de la langue latine, qui comprend depuis la mort de Trajan jusqu’à la prise de Rome par les Gots, en 410.
Les jambes de la statue étoient de fer, et les piés partie de fer et partie de terre ; c’est le siècle de fer de la langue latine, pendant lequel les diférentes incursions des barbares plongèrent les homes dans une extrème ignorance ; à peine la langue latine se conserva-t-elle dans le langage de l’eglise.
Enfin une pierre abatit la statue ; c’est la langue latine qui cessa d’être une langue vivante.
C’est ainsi qu’on raporte tout aux idées dont on est préocupé.
Les sens allégoriques ont été autrefois fort à la mode, et ils le sont encore en Orient ; on en trouvoit partout jusques dans les nombres. Métrodore De Lampsaque, au raport de Tatien, avoit tourné Homère tout entier en allégories. On aime mieux aujourd’hui la réalité du sens litéral. Les explications mystiques de l’ecriture sainte, qui ne sont point fixées par les apotres, ni établies clairement par la révélation, sont sujètes à des illusions qui mènent au fanatisme.
-
sens anagogique.
Le sens anagogique n’est guère en usage, que lorsqu’il s’agit des diférens sens de l’ecriture sainte. Ce mot anagogique vient du grec (…) : ainsi le sens anagogique de l’ecriture sainte est un sens mystique, qui élève l’esprit aux objets célestes et divins de la vie éternèle dont les saints jouissent dans le ciel.
Le sens litéral est le fondement des autres sens de l’ecriture sainte. Si les explications qu’on en done ont raport aux moeurs, c’est le sens moral.
Si les explications des passages de l’ancien testament regardent l’eglise et les mystères de notre religion par analogie ou ressemblance, c’est le sens allégorique ; ainsi le sacrifice de l’agneau pascal, le serpent d’airain élevé dans le désert, étoient autant de figures du sacrifice de la croix.
Enfin, lorsque ces explications regardent l’eglise triomphante et la vie des bienheureux dans le ciel, c’est le sens anagogique ; c’est ainsi que le sabat des juifs est regardé come l’image du repos éternel des bienheureux.
Ces diférens sens, qui ne sont point le sens litéral, ni le sens moral, s’apèlent aussi en général sens tropologique, c’est-à-dire, sens figuré. Mais come je l’ai dèja remarqué, il faut suivre dans le sens allégorique et dans le sens anagogique ce que la révélation nous en aprend ; et s’apliquer surtout à l’intelligence du sens litéral, qui est la règle infaillible de ce que nous devons croire et pratiquer pour être sauvés.
Du sens adapté
Quelquefois on se sert des paroles de l’ecriture sainte ou de quelque auteur profane, pour en faire une aplication particulière qui convient au sujet dont on veut parler, mais qui n’est pas le sens naturel et litéral de l’auteur dont on les emprunte, c’est ce qu’on apèle (…), sens adapté.
Dans les panégiriques des saints et dans les oraisons funèbres, le texte du discours est pris ordinairement dans le sens dont nous parlons. M. Fléchier dans son oraison funèbre de M. de Turène, aplique à son héros ce qui est dit dans l’ecriture à l’ocasion de Judas Macabée qui fut tué dans une bataille.
Le p. Le Jeune de l’oratoire, fameux missionaire, s’apeloit Jean ; il étoit ◀devenu aveugle : il fut nomé pour prêcher le carême à Marseille aux acoules : voici le texte de son premier sermon : (…). On voit qu’il fesoit allusion à son nom et à son aveuglement. remarques sur quelques passages adaptés à contre-sens. il y a quelques passages des auteurs profanes qui sont come passés en proverbes, et ausquels on done comunément un sens détourné qui n’est pas précisément le même sens que celui qu’ils ont dans l’auteur d’où ils sont tirés : en voici des exemples :
- Quand on veut animer un jeune home à faire parade de ce qu’il sait, ou blamer un savant de ce qu’il se tient dans l’obscurité, on lui dit ce vers de Perse : (…) ? Toute votre science n’est rien, si les autres ne savent pas combien vous êtes savant. La pensée de Perse est pourtant de blamer ceux qui n’étudient que pour faire ensuite parade de ce qu’ils savent. ô tems ! ô moeurs ! s’écrie-t-il, etc. ? Il y a une intérogation et une surprise dans le texte, et l’on cite le vers dans un sens absolu.
- On dit d’un home qui parle avec amphase, d’un stile ampoulé et recherché, que (…) : il jète, il fait sortir de sa bouche des paroles enflées et des mots d’un pié et demi. Cependant ce vers a un sens tout contraire dans Horace. « la tragédie, dit ce poète, etc. » M. Boileau nous done le même précepte : que devant Troie etc. Cette remarque, qui se trouve dans la plupart des comentateurs d’Horace, ne devoit point échaper aux auteurs des dictionaires sur le mot (…).
- Souvent pour excuser les fautes d’un habile home, on cite ce mot d’Horace : (…) ; come si Horace avoit voulu dire que le bon Homère s’endort quelquefois. Mais etc.
- Enfin pour s’excuser quand on est tombé dans quelque faute, on cite ce vers de Térence : (…), come si Térence avoit voulu dire je suis home, je ne suis point exemt des foiblesses de l’humanité, ce n’est pas là le sens de Térence.
Chrémès, touché de l’afliction où il voit Ménédème son voisin, vient lui demander quelle peut être la cause de son chagrin et des peines qu’il se done : Ménédème lui dit brusquement qu’il faut qu’il ait bien du loisir pour venir se mêler des afaires d’autrui. « je suis home, répond tranquilement Chrémès ; etc. » voici les paroles de Cicéron : (…). J’ajouterai un passage de Sénèque, qui est un comentaire encore plus clair de ces paroles de Térence. Sénèque, ce philosophe païen, explique dans une de ses lettres coment les homes doivent honorer la majesté des dieux : il dit que ce n’est qu’en croyant en eux, etc.
Il est vrai en général que les citations et les aplications doivent être justes autant qu’il est possible ; puisqu’autrement elles ne prouvent rien, et ne servent qu’à montrer une fausse érudition : mais il y auroit bien du rigorisme à condâner tout sens adapté.
Il y a bien de la diférence entre raporter un passage come une autorité qui prouve, ou simplement come des paroles conues, ausquelles on done un sens nouveau qui convient au sujet dont on veut parler : dans le premier cas, il faut conserver le sens de l’auteur ; mais dans le second cas, les passages, ausquels on done un sens diférent de celui qu’ils ont dans leur auteur, sont regardés come autant de parodies, et come une sorte de jeu dont il est souvent permis de faire usage. suite du sens adapté. de la parodie et des centons.
La parodie est aussi une sorte de sens adapté. Ce mot est grec, car les grecs ont fait des parodies.
Parodie signifie à la lettre un chant composé à l’imitation d’un autre, et par extension on done le nom de parodie à un ouvrage en vers, dans lequel on détourne dans un sens railleur des vers qu’un autre a faits dans une vue diférente. On a la liberté d’ajouter ou de retrancher ce qui est nécessaire au dessein qu’on se propose ; mais on doit conserver autant de mots qu’il est nécessaire pour rapeler le souvenir de l’original dont on emprunte les paroles. L’idée de cet original et l’aplication qu’on en fait à un sujet d’un ordre moins sérieux, forment dans l’imagination un contraste qui la surprend, et c’est en cela que consiste la plaisanterie de la parodie.
Corneille a dit dans le stile grave, parlant du pére de Chimène : ses rides sur son front ont gravé ses exploits.
Racine a parodié ce vers dans les plaideurs : l’intimé parlant de son pére qui étoit sergent, dit plaisament : il gagnoit en un jour plus qu’un autre en six mois, ses rides sur son front gravoient tous ses exploits.
Dans Corneille, exploits signifie actions mémorables, exploits militaires ; et dans les plaideurs exploits se prend pour les actes ou procédures que font les sergens. On dit que le grand Corneille fut offensé de cette plaisanterie du jeune Racine.
Au reste l’académie a observé que les rides marquent les années : mais ne gravent point les exploits.
Les vers les plus conus sont ceux qui sont le plus exposés à la parodie. On trouve dans les dernières éditions des oeuvres de Boileau une parodie ingénieuse de quelques scènes du Cid. On peut voir aussi dans les poésies de Mad. Des Houlières une parodie d’une scène de la même tragédie. Le théatre italien est riche en parodies. Le poème du vice puni est rempli d’aplications heureuses de vers de nos meilleurs poètes : ces aplications sont autant de parodies.
Les centons sont encore une sorte d’ouvrage qui a raport au sens adapté. cento en latin signifie, dans le sens propre, une pièce de drap qui doit être cousue à quelqu’autre pièce, et plus souvent un manteau ou un habit fait de diférentes pièces raportées : ensuite on a doné ce nom, par métaphore, à un ouvrage composé de plusieurs vers ou de plusieurs passages empruntés d’un ou de plusieurs auteurs.
On prend ordinairement la moitié d’un vers et on le lie par le sens avec la moitié d’un autre vers. On peut employer un vers tout entier et la moitié du suivant, mais on desaprouve qu’il y ait deux vers de suite d’un même auteur. Voici un exemple de cette sorte d’ouvrage, tiré des centons de Proba Falconia. Il s’agit de la défense que Dieu fit à Adam et à Eve de manger du fruit défendu : Proba Falconia fait parler le Seigneur en ces termes, au chapitre XVI. (…).
Nous avons aussi les centons d’Etiène De Pleurre et de quelques autres. L’empereur Valentinien, au raport d’Ausone, s’étoit aussi amusé à cette sorte de jeu : mais il vaut mieux s’ocuper à bien penser, et à bien exprimer ce qu’on pense, qu’à perdre le tems à un travail où l’esprit est toujours dans les entraves, où la pensée est subordonée aux mots, au lieu que ce sont les mots qu’il faut toujours subordoner aux pensées.
Ce n’étoit pas assez pour quelques écrivains, que la contrainte des centons, nous avons des ouvrages où l’auteur s’est interdit successivement par chapitres et selon l’ordre de l’alphabet l’usage d’une lettre, c’est-à-dire, que dans le premier chapitre il n’y a point d’a, dans le second point de b, ainsi de suite. Un autre a fait un poème dont tous les mots comencent par un p. (…).
Dans le Ix siècle Hubaud religieux bénédictin de S. Amand, dédia à l’empereur Charles Le Chauve un poème l’honeur des chauves, dont tous les mots comencent par la lettre c. (…).
Un autre s’est mis dans une contrainte encore plus grande, il a fait un poème de 2959 vers de six piés, dont le dernier seul est un spondée, les cinq autres sont autant de dactiles. Le second pié rime avec le quatrième, et le dernier mot d’un vers rime avec le dernier mot du vers qui le suit, à la manière de nos vers françois à rimes suivies : en voici le comencement : (…).
Les poèmes dont je viens de parler sont aujourd’hui au même rang que les acrostiches et les anagrames. Le gout de toutes ces sortes d’ouvrages, heureusement, est passé. Il y a eu un tems où les ouvrages d’esprit tiroient leur principal mérite de la peine qu’il y avoit à les produire, et souvent la montagne étoit récompensée de n’enfanter qu’une souris, pourvu qu’elle eut été long-tems en travail.
Aujourd’hui le tems et la dificulté ne font rien à l’afaire ; on aime ce qui est vrai, ce qui instruit, ce qui éclaire, ce qui intéresse, ce qui a un objet raisonable ; et l’on ne regarde plus les mots que come des signes ausquels on ne s’arête que pour aler droit à ce qu’ils signifient. La vie est si courte et il y a tant à aprendre à tout âge, que si l’on a le bonheur de pouvoir surmonter la paresse et l’indolence naturèle de l’esprit, on ne doit pas le mettre à la torture sur des riens, ni l’apliquer en pure perte.
Sens abstrait concret
Ce mot abstrait vient du latin (…), qui veut dire tirer, aracher, séparer de.
Tout corps est réèlement étendu en longueur, largeur et profondeur, mais souvent on pense à la longueur sans faire atention à la largeur ni à la profondeur, c’est ce qu’on apèle faire abstraction de la largeur et de la profondeur ; c’est considérer la longueur dans un sens abstrait : c’est ainsi qu’en géométrie on considère le point, la ligne, le cercle, sans avoir égard ni à un tel point, ni à une telle ligne, ni à un tel cercle physique.
Ainsi en général le sens abstrait est celui par lequel on s’ocupe d’une idée sans faire atention aux autres idées qui ont un raport naturel et nécessaire avec cette idée.
- On peut considérer le corps en général sans penser à la figure ni à toutes les autres propriétés particulières du corps physique : c’est considérer le corps dans un sens abstrait, c’est considérer la chose sans le mode, come parlent les philosophes, (…).
- On peut au contraire considérer les propriétés des objets sans faire atention à aucun sujet particulier auquel elles soient atachées, (…). C’est ainsi qu’on parle de la blancheur, du mouvement, du repos, sans faire aucune atention particulière à quelque objet blanc, ni à quelque corps qui soit en mouvement ou en repos.
L’idée dont on s’ocupe par abstraction, est tirée, pour ainsi dire, des autres idées qui ont raport à celle-là, elle en est come séparée, et c’est pour cela qu’on l’apèle idée abstraite.
L’abstraction est donc une sorte de séparation qui se fait par la pensée. Souvent on considère un tout par parties, c’est une espèce d’abstraction, c’est ainsi qu’en anatomie on fait des démonstrations particulières de la tête, ensuite de la poitrine, etc. Mais c’est plutot diviser qu’abstraire ; on apèle plus particulièrement faire abstraction, lorsque l’on considère quelque propriété des objets sans faire atention ni à l’objet, ni aux autres propriétés, ou lorsque l’on considère l’objet sans les propriétés.
Le sens concret au contraire, c’est lorsque l’on considère le sujet uni au mode, ou le mode uni au sujet ; c’est lorsque l’on regarde un sujet tel qu’il est, et que l’on pense que ce sujet et sa qualité ne font ensemble qu’une même chose, et forment un être particulier ; par exemple : ce papier blanc, cette table quarrée, cette boite ronde ; blanc, quarée, ronde sont dits alors dans un sens concret.
Ce mot concret vient du latin (…) croitre ensemble, s’épaissir, se coaguler, être composé de ; en éfet, dans le sens concret, les adjectifs ne forment qu’un tout avec leurs sujets, on ne les sépare point l’un de l’autre par la pensée.
Le concret renferme donc toujours deux idées, celle du sujet, et celle de la propriété.
Tous les substantifs qui sont pris adjectivement sont alors des termes concrets, etc.
Observez qu’il y a de la diférence entre faire abstraction et se servir d’un terme abstrait.
On peut se servir de mots qui expriment des objets réels et faire abstraction, come quand on examine quelque partie d’un tout, sans avoir égard aux autres parties : on peut au contraire se servir de termes abstraits sans faire abstraction, come quand on dit que la fortune est aveugle. des termes abstraits. dans le langage ordinaire abstrait se prend pour subtil, métaphysique : ces idées sont abstraites, c’est-à-dire, qu’elles demandent de la méditation, qu’elles ne sont pas aisées à comprendre, qu’elles ne tombent point sous les sens.
On dit aussi d’un home qu’il est abstrait quand il ne s’ocupe que de ce qu’il a dans l’esprit sans se prêter à ce qu’on lui dit. Mais ce que j’entens ici par termes abstraits, ce sont les mots qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination.
Que les homes pensent au soleil, ou qu’ils n’y pensent point, le soleil existe, ainsi le mot de soleil n’est point un terme abstrait.
Mais beauté, laideur, etc., sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent et que nous trouvons beaux, il y en a d’autres au contraire qui nous afectent d’une manière desagréable, et que nous apelons laids ; mais il n’y a aucun être réel qui soit la beauté ou la laideur. Il y a des homes, mais l’humanité n’est point, c’est-à-dire, qu’il n’y a point un être qui soit l’humanité.
Les abstractions ou idées abstraites suposent les impressions particulières des objets, et la méditation, c’est-à-dire, les réfléxions que nous fesons naturèlement sur ces impressions.
C’est à l’ocasion de ces impressions que nous considérons ensuite séparément, et indépendament des objets, les diférentes afections qu’elles ont fait naitre dans notre esprit, c’est ce que nous apelons les propriétés des objets : je ne considérerois pas le mouvement en lui même, si je n’avois jamais vu de corps en mouvement.
Nous somes acoutumés à doner des noms particuliers aux objets réels et sensibles, nous en donons aussi par imitation aux idées abstraites, come si elles représentoient des êtres réels ; nous n’avons point de moyen plus facile pour nous comuniquer nos pensées.
Ce qui a surtout doné lieu aux idées abstraites, c’est l’uniformité des impressions qui ont été excitées dans notre cerveau par des objets diférens et pourtant semblables en un certain point : les homes ont inventé des mots particuliers pour exprimer cette ressemblance, cette uniformité d’impression dont ils se sont formé une idée abstraite.
Les mots qui expriment ces idées nous servent à abréger le discours, et à nous faire entendre avec plus de facilité ; par exemple, nous avons vu plusieurs objets blans, ensuite pour exprimer l’impression uniforme que ces diférens objets nous ont causée, et pour marquer le point dans lequel ils se ressemblent, nous nous servons du mot de blancheur.
Nous somes acoutumés dès notre enfance à voir des corps qui passent successivement d’une place à une autre, ensuite pour exprimer cette propriété et la réduire à une sorte d’idée générale, nous nous servons du terme de mouvement. Ce que je veux dire s’entendra encore mieux par cet exemple.
Les noms que l’on done aux tropes ou figures dont nous avons parlé, ne représentent point des êtres réels ; il n’y a point d’être, point de substance, qui soit une métaphore, ni une métonymie ; ce sont les diférentes expressions métaphoriques et les autres façons de parler figurées qui ont doné lieu aux maitres de l’art d’inventer le terme de métaphore et les autres noms des figures : par là ils réduisent à une espèce, à une classe particulière les expressions qui ont un tour pareil selon lequel elles se ressemblent, et c’est sous ce raport de ressemblance qu’elles sont comprises dans chaque sorte particulière de figure, c’est-à-dire, dans la même manière d’exprimer les pensées : toutes les expressions métaphoriques sont comprises sous la métaphore, elles s’y raportent ; l’idée de métaphore est donc une idée abstraite qui ne représente aucune expression métaphorique en particulier, mais seulement cette sorte d’idée générale que les homes se sont faite pour réduire à une classe à part les expressions figurées d’une même espèce, ce qui met de l’ordre et de la nèteté dans nos pensées et abrège nos discours.
Il en est de même de tous les autres noms d’arts et de sciences : la physique, par exemple, n’existe point, c’est-à-dire, qu’il n’y a point un être particulier qui soit la physique : mais les homes ont fait un grand nombre de réflexions sur les diférentes opérations de la nature ; et ensuite ils ont doné le nom de science physique au recueil ou assemblage de ces réflexions, ou plutot à l’idée abstraite à laquelle ils raportent toutes les observations qui regardent les êtres naturels.
Il en est de même de douceur, amertume, être, néant, vie, mort, mouvement, repos, etc. Chacune de ces idées générales, quoiqu’on en dise, est aussi positive que l’autre, puisqu’elle peut être également le sujet d’une proposition.
Come les diférens objets blans ont doné lieu à notre esprit de se former l’idée de blancheur, idée abstraite, qui ne marque qu’une sorte d’afection de l’esprit ; de même, les divers objets, qui nous afectent en tant de manières diférentes, nous ont doné lieu de nous former l’idée d’être, de substance, d’existance ; surtout, lorsque nous ne considérons les objets que come existans, sans avoir égard à leurs autres propriétés particulières : c’est le point dans lequel les êtres particuliers se ressemblent le plus.
Les objets réels ne sont pas toujours dans la même situation, ils changent de place, ils disparoissent, et nous sentons réèlement ce changement et cette absence : alors il se passe en nous une afection réèle par laquelle nous sentons que nous ne recevons aucune impression d’un objet dont la présence excitoit en nous des éfets sensibles : delà l’idée d’absence, de privation, de néant : de sorte que quoique le néant ne soit rien en lui même, cependant ce mot marque une afection réèle de l’esprit, c’est une idée abstraite que nous aquérons par l’usage de la vie, à l’ocasion de l’absence des objets, et de tant de privations qui nous font plaisir ou qui nous afligent.
Dès que nous avons eu quelque usage de notre faculté de consentir ou de ne pas consentir à ce qu’on nous proposoit, nous avons consenti, ou nous n’avons pas consenti, nous avons dit oui, ou nous avons dit non : ensuite à mesure que nous avons réfléchi sur nos propres sentimens intérieurs, et que nous les avons réduits à certaines classes, nous avons apelé afirmation cette manière uniforme dont notre esprit est afecté quand il aquiesce, quand il consent, et nous avons apelé négation la manière dont notre esprit est afecté quand il sent qu’il refuse de consentir à quelque jugement.
Les termes abstraits, qui sont en très grand nombre, ne marquent donc que des afections de l’entendement ; ce sont des opérations naturèles de l’esprit, par lesquelles nous nous formons autant de classes diférentes des diverses sortes d’impressions particulières, dont nous somes afectés par l’usage de la vie. Tel est l’home. Les noms de ces classes diférentes ne désignent point des êtres réels qui subsistent hors de nous : les objets blans sont des êtres réels ; mais la blancheur n’est qu’une idée abstraite : les expressions métaphoriques sont tous les jours en usage dans le langage des homes, mais la métaphore n’est que dans l’esprit des grammairiens et des rhéteurs.
Les idées abstraites que nous aquérons par l’usage de la vie, sont en nous autant d’idées exemplaires qui nous servent ensuite de règle et de modèle pour juger si un objet a ou n’a pas telle ou telle propriété, c’est-à-dire, s’il fait ou s’il ne fait pas en nous une impression semblable à celle que d’autres objets nous ont causée, et dont ils nous ont laissé l’idée ou afection habituèle. Nous réduisons chaque sorte d’impression que nous recevons, à la classe à laquelle il nous paroit qu’elle se raporte ; nous raportons toujours les nouvèles impressions aux anciènes ; et si nous ne trouvons pas qu’elles puissent s’y raporter, nous en fesons une classe nouvèle ou une classe à part, et c’est delà que viènent tous les noms apellatifs, qui marquent des genres ou des espèces particulières, ce sont autant de termes abstraits quand on n’en fait pas l’aplication à quelque individu particulier ; ainsi quand on considère en général le cercle, une vile, cercle et vile sont des termes abstraits ; mais s’il s’agit d’un tel cercle, ou d’une telle vile en particulier, le terme n’est plus abstrait.
Ce que nous venons de dire, que nous aquérons ces idées exemplaires par l’usage de la vie, fait bien voir qu’il ne faut point élever les jeunes gens dans des solitudes, et qu’on doit ne leur montrer que du bon et du beau autant qu’il est possible. C’est un avantage que les enfans des grans ont au dessus des enfans des autres homes ; ils voient un plus grand nombre d’objets, et il y a plus de choix dans ce qu’on leur montre ; ainsi ils ont plus d’idées exemplaires, et c’est de ces idées que se forme le gout. Un jeune home qui n’auroit vu que d’excélens tableaux n’admireroit guère les médiocres.
En termes d’aritmétique, quand on dit trois louis, dix homes, en un mot, quand on aplique le nombre à quelque sujet particulier, ce nombre est apelé concret, au lieu que si l’on dit deux et deux font quatre, ce sont là des nombres abstraits, qui ne sont unis à aucun sujet particulier. On considère alors par abstraction le nombre en lui même, ou plutot l’idée de nombre que nous avons aquise par l’usage de la vie.
Tous les objets qui nous environent et dont nous recevons des impressions, sont autant d’êtres particuliers que les philosophes apèlent des individus. Parmi cette multitude innombrable d’individus, les uns sont semblables aux autres en certains points : delà les idées abstraites de genre et d’espèce.
Remarquez qu’un individu est un être réel que vous ne sauriez diviser en un autre lui même : Platon ne peut être que Platon : un diamant de mile écus peut être divisé en plusieurs autres diamans, mais il ne sera plus le diamant de mile écus : cette table, si vous la divisez, ne sera plus cette table : delà l’idée d’unité, c’est-à-dire, l’afection de l’esprit qui conçoit l’individu dans un sens abstrait.
Observez encore qu’il n’est pas nécessaire que j’aie vu tous les objets blans pour me former l’idée abstraite de blancheur ; un seul objet blanc pouroit me faire naitre cette idée, et dans la suite je n’apèlerois blanc que ce qui y seroit conforme, come le peuple n’atribue les propriétés du soleil qu’à l’astre qui fait le jour. Ainsi il n’est pas nécessaire que j’aie vu tous les cercles possibles, pour vérifier si dans tout cercle les lignes tirées du centre à la circonférence sont égales, un objet qui n’a pas cette propriété n’est point un cercle, parce qu’il n’est pas conforme à l’idée exemplaire que j’ai aquise du cercle, par l’usage de la vie, et par les réflexions que cet usage a fait naitre dans mon esprit.
La fortune, le hazard et la destinée, que l’on personifie si souvent dans le langage ordinaire, ne sont que des termes abstraits. Cette multitude d’événemens, qui nous arivent tous les jours, sans que la cause particulière qui les produit nous soit conue, a afecté notre esprit de manière, qu’elle a excité en nous l’idée indéterminée d’une cause inconue que le vulgaire a apelée fortune, hazard, ou destinée : ce sont des idées d’imitation formées à l’exemple des idées que nous avons des causes réèles.
Les impressions que nous recevons des objets, et les réflexions que nous fesons sur ces impressions par l’usage de la vie et par la méditation, sont la source de toutes nos idées, c’est-à-dire, de toutes les afections de notre esprit quand il conçoit quelque chose, de quelque manière qu’il la conçoive : c’est ainsi que l’idée de Dieu nous vient par les créatures qui nous anoncent son existance et ses perfections : (…). Une montre nous dit qu’il y a un ouvrier qui l’a faite, l’idée qu’elle fait naitre en moi de cet ouvrier, quelque indéterminée qu’elle soit, n’est point l’idée d’un être abstrait, elle est l’idée d’un être réel qui doit avoir de l’intelligence et de l’adresse : ainsi l’univers nous aprend qu’il y a un créateur qui l’a tiré du néant, qui le conserve, qu’il doit avoir des perfections infinies, et qu’il exige de nous de la reconoissance et des adorations.
Les abstractions sont une faculté particulière de notre esprit, qui doit nous faire reconoitre combien nous somes élevés au dessus des êtres purement corporels.
Dans le langage ordinaire on parle des abstractions de l’esprit come on parle des réalités, les termes abstraits n’ont même été inventés qu’à l’imitation des mots qui expriment des êtres physiques. C’est peut-être ce qui a doné lieu à un grand nombre d’erreurs où les homes sont tombés, faute d’avoir reconu que les mots dont ils se servoient en ces ocasions n’étoient que les signes des afections de leur esprit, en un mot, de leurs abstractions, et non l’expression d’objets réels ; delà l’ordre idéal confondu avec l’ordre physique ; delà enfin l’erreur de ceux qui croient savoir ce qu’ils ignorent, et qui parlent de leurs imaginations métaphysiques avec la même assurance que les autres homes parlent des objets réels.
Les abstractions sont un pays où il y a encore bien des découvertes à faire, et dans lequel on feroit quelques progrès, si l’on ne prenoit pas pour lumière ce qui n’est qu’une séduction délicate de l’imagination, et si l’on pouvoit se rapeler sans prévention la manière dont nous avons aquis nos idées et nos conoissances dans les premières années de notre vie ; mais cela n’est pas maintenant de mon sujet.
réflexions sur les abstractions, par raport à la manière d’enseigner. come c’est aux maitres que j’adresse cet ouvrage, je crois pouvoir ajouter ici quelques réflexions par raport à la manière d’enseigner.
Le grand art de la didactique, c’est de savoir profiter des conoissances qui sont dèja dans l’esprit de ceux qu’on veut instruire, pour les mener à celles qu’ils n’ont point ; c’est ce qu’on apèle aler du conu à l’inconu. Tout le monde convient du principe, mais dans la pratique on s’en écarte, ou faute d’atention, ou parce qu’on supose dans les jeunes gens des conoissances qu’ils n’ont point encore aquises. Un métaphysicien qui a médité sur l’infini, sur l’être en général, etc., persuadé, que ce sont là autant d’idées innées, parce qu’elles sont faciles à aquérir et qu’elles lui sont familières, ne doute point que ces conoissances ne soient aussi familières au jeune home qu’il instruit, qu’elles le sont à lui même ; sur ce fondement, il parle toujours ; on ne l’entend point, il s’en étone ; il élève la voix, il s’épuise, et on l’entend encore moins. Que ne se rapèle-t-il les premières années de son enfance ? Avoit-il à cet âge des conoissances ausquelles il n’a pensé que dans la suite, par le secours des réflexions, et après que son cerveau a eu aquis un certain degré de consistance ? En un mot, conoissoit-il alors ce qu’il ne conoissoit pas encore, et ce qui lui a paru nouveau dans la suite, quelque facilité qu’il ait eue à le concevoir ?
Nous avons besoin d’impressions particulières, et pour ainsi dire, préliminaires, pour nous élever ensuite par le secours de l’expérience et des réflexions, jusqu’à la sublimité des idées abstraites : parmi celles-ci, les unes sont plus faciles à aquérir que les autres, l’usage de la vie nous mène à quelques-unes presque sans réflexion, et quand nous venons ensuite à nous apercevoir que nous les avons aquises, nous les regardons come nées avec nous.
Ainsi il me paroit qu’après qu’on a aquis un grand nombre de conoissances particulières dans quelque art ou dans quelque science que ce soit, on ne sauroit rien faire de plus utile pour soi même, que de se former des principes d’après ces conoissances particulières, et de mettre par cette voie, de la néteté, de l’ordre, et de l’arangement dans ses pensées.
Mais quand il s’agit d’instruire les autres, il faut imiter la nature ; elle ne comence point par les principes et par les idées abstraites : ce seroit comencer par l’inconu ; elle ne nous done point l’idée d’animal avant que de nous montrer des oiseaux, des chiens, des chevaux, etc. Il faut des principes : oui sans doute ; mais il en faut en tems et lieu.
Si par principes vous entendez des règles, des maximes, des notions générales, des idées abstraites qui renferment des conoissances particulières, alors je dis qu’il ne faut point comencer par de tels principes.
Que si par principes vous entendez des notions comunes, des pratiques faciles, des opérations aisées qui ne suposent dans votre élève d’autre pouvoir ni d’autres conoissances que celles que vous savez bien qu’il a dèja ; alors, je conviens qu’il faut des principes, et ces principes ne sont autre chose que les idées particulières qu’il faut leur doner, avant que de passer aux règles et aux idées abstraites.
Les règles n’aprènent qu’à ceux qui savent dèja, parce que les règles ne sont que des observations sur l’usage, ainsi comencez par faire lire les exemples des figures avant que d’en doner la définition.
Il n’y a rien de si naturel que la logique et les principes sur lesquels elle est fondée ; cependant les jeunes logiciens se trouvent come dans un monde nouveau dans les premiers tems qu’ils étudient la logique, lorsqu’ils ont des maitres qui comencent par leur doner en abrégé le plan général de toute la philosophie ; qui parlent de science, de percéption, d’idée, de jugement, de fin, de cause, de catégorie, d’universaux, de degrés métaphysiques, etc., come si c’étoient là autant d’êtres réels, et non de pures abstractions de l’esprit. Je suis persuadé que c’est se conduire avec beaucoup plus de méthode, de comencer par mètre, pour ainsi dire, devant les yeux quelques-unes des pensées particulières qui ont doné lieu de former chacune de ces idées abstraites.
J’espère traiter quelque jour cet article plus en détail et faire voir que la méthode analitique est la vraie mèthode d’enseigner, et que celle qu’on apèle synthétique ou de doctrine, qui comence par les principes, n’est bone que pour mètre de l’ordre dans ce qu’on sait dèja ou dans quelques autres ocasions qui ne sont pas maintenant de mon sujet.
Derniere observation
s’il y a des mots synonimes. nous avons vu qu’un même mot peut avoir par figure d’autres significations que celle qu’il a dans le sens propre et primitif : voiles peut signifier vaisseaux. Ne suit-il pas delà qu’il y a des mots synonimes, et que voiles est synonime à vaisseaux ?
Monsieur l’abé Girard a dèja examiné cette question, dans le discours préliminaire qu’il a mis à la tête de son traité de la justesse de la langue françoise. Je ne ferai guère ici qu’un extrait de ses raisons, et je prendrai même la liberté de me servir souvent de ses termes ; me contentant de tirer mes exemples de la langue latine. Le lecteur trouvera dans le livre de m. L’abé Girard dequoi se satisfaire pleinement sur ce qui regarde le françois.
" on entend comunément par synonimes etc. " malgré ces diférences, il arive souvent que dans la pratique on emploie ces mots l’un pour l’autre par figure, en conservant toujours l’idée principale et en aïant égard à l’usage de la langue ; mais ce qui fait voir qu’à parler exactement ces mots ne sont pas synonimes, c’est qu’il n’est pas toujours permis de mètre indiférament l’un pour l’autre.
Ainsi quoi qu’on dise etc.
Les latins sentoient mieux que nous ces diférences délicates, dans le tems même qu’ils ne pouvoient les exprimer, etc.
On peut encore consulter un autre recueil qui a pour titre (…). De plus, nous avons un grand nombre d’observations répandues dans Varron (…), dans les comentaires de Donat et de Servius : elles font voir les diférences qu’il y a entre plusieurs mots que l’on prend comunément pour synonimes.
Quelques auteurs modernes ont fait aussi des réflexions sur le même sujet, tels sont le p. Vavasseur jésuite dans ses remarques sur la langue latine, Sciopius, Henri Etiène, (…), et plusieurs autres.
On tire aussi la même conséquence de plusieurs passages des meilleurs auteurs ; voici deux exemples tirés de Cicéron, qui font voir la diférence qu’il y a entre etc.
Les savans ont observé de pareilles diférences entre plusieurs autres mots, que les jeunes gens et ceux qui manquent de gout et de réflexion regardent come autant de synonimes.
Ce qui fait voir qu’il n’est peut-être pas aussi utile qu’on le pense de faire le thème en deux façons.
M. de La Bruyère remarque “qu’entre toutes les diférentes expressions etc.” .
Ainsi ceux qui se sont doné la peine de traduire les auteurs latins en un autre latin, en afectant d’éviter les termes dont ces auteurs se sont servis, auroient pu s’épargner un travail qui gâte plus le gout qu’il n’aporte de lumière. L’une et l’autre pratique est une fécondité stérile qui empêche de sentir la propriété des termes, leur énergie, et la finesse de la langue, come je l’ai remarqué ailleurs. lucus veut dire etc.
Je pourois raporter un grand nombre d’exemples pareils : je me contenterai d’observer que plus on fera de progrès, plus on reconoitra cet usage propre des termes, et par conséquent l’inutilité de ces versions qui ne sont ni latines ni françoises. Ce n’est que pour inspirer le gout de cette propriété des mots, que je fais ici cette remarque.
Voici les principales raisons pour lesquelles il n’y a point de synonimes parfaits.
- S’il y avoit des synonimes parfaits, il y auroit deux langues dans une même langue. Quand on a trouvé le signe éxact d’une idée, on n’en cherche pas un autre. Les mots anciens, et les mots nouveaux d’une langue sont synonimes : maints est synonime de plusieurs ; mais le premier n’est plus en usage : c’est la grande ressemblance de signification qui est cause que l’usage n’a conservé que l’un de ces termes, et qu’il a rejeté l’autre come inutile. L’usage, ce tiran des langues, y opère souvent des merveilles que l’autorité de tous les souverains ne pouroit jamais y opérer.
- Il est fort inutile d’avoir plusieurs mots pour une seule idée ; mais il est très avantageux d’avoir des mots particuliers pour toutes les idées qui ont quelque raport entre elles.
- On doit juger de la richesse d’une langue par le nombre des pensées qu’elle peut exprimer, et non par le nombre des articulations de la voix. Une langue sera véritablement riche, si elle a des termes pour distinguer, non seulement les idées principales, mais encore leurs diférences, leurs délicatesses, le plus et le moins d’énergie, d’étendue, de précision, de simplicité, et de composition.
- Il y a des ocasions, où il est indiférent de se servir d’un de ces mots qu’on apèle synonimes, plutot que d’un autre ; mais aussi il y a des ocasions, où il est beaucoup mieux de faire un choix : il y a donc de la diférence entre ces mots ; ils ne sont donc pas exactement synonimes.
Lorsqu’il ne s’agit que de faire entendre l’idée comune, sans y joindre ou sans en exclure les idées accessoires ; on peut employer indistinctement l’un ou l’autre de ces mots, puisqu’ils sont tous deux propres à exprimer ce qu’on veut faire entendre ; mais cela n’empêche pas que chacun d’eux n’ait une force particulière qui le distingue de l’autre ; et à laquelle il faut avoir égard selon le plus ou le moins de précision que demande ce que l’on veut exprimer.
Ce choix est un éfet de la finesse de l’esprit, et supose une grande conoissance de la langue.