XXIX
un catéchisme, par m. cousin. — importance croissante du parti catholique. — ses relations dynastiques. — politique d’atermoiement du roi louis-philippe. — la france catholique par ambition. — programme de la liberté de l’enseignement réclamée par les jésuites. — janin. — gautier. — delphine gay. — m. patin, etc.
La politique est à plat, les ministres sont en vacances, les reines voyagent, le duc de Nemours voyage ; on harangue, on danse et l’on passe des revues. La seule chose sérieuse qui ait l’air de s’agiter en ce moment est la querelle toujours très-vive entre l’Université et le clergé au sujet de la liberté de l’enseignement. Cela m’a tout l’air d’une question qui vient se poser et se fonder pour longtemps et sur laquelle on n’est pas près de s’entendre. Pour la gravité, elle en vaut une autre ; c’est comme chez vous cette question de la séparation de l’Église et de l’État. Mais si la question qui se pose en France a son importance extrême, elle est bien désagréable par toutes les grossièretés qu’elle soulève de la part de notre parti prêtre et de ses écrivains, les plus injurieux de tous les insulteurs en un temps et dans un pays où il y en a tant.
Le lendemain de la révolution de Juillet, Lamennais, avec son esprit rapide et impétueux, avait très-bien compris tout le parti qu’il y avait, pour le clergé, à tirer de la situation nouvelle : il voulut le ranger autour de ce drapeau de la liberté de l’enseignement : il voulut l’organiser en grand parti un peu démocratique à la manière du clergé belge. Mais notre clergé n’était pas assez prompt pour se prêter aussitôt à une évolution aussi hardie ; il venait d’exercer et d’accaparer le pouvoir, il fut tout étourdi de le perdre, et ne s’avisa que lentement des moyens de le regagner. Lamennais s’impatienta, se lassa et décampa. Cependant son idée a fructifié, et aujourd’hui, sans qu’il y ait un vrai général digne de ce nom, l’armée catholique est assez bien rangée en bataille, réclamant cette liberté d’enseignement qui, une fois obtenue, lui rendrait toute sa sphère d’action et sa carrière d’avenir.
Que les gens du siècle et les philosophes, et les chrétiens dissidents, ne s’étonnent pas trop de retrouver le clergé français si puissant : un tel corps ne s’écrase pas aisément, il renaît bien des fois ; c’est déjà beaucoup que ce clergé et les intérêts d’ambition encore plus que de conscience qu’il représente, ne soient plus qu’à l’état de parti. Mais ce sera un parti considérable, formidable même, qu’on aura longtemps en présence et avec lequel il faut s’attendre avoir à compter ou à lutter, selon les moments et selon le courage.
Il faut rendre aux chefs de l’Université cette justice que, depuis douze ans, ils n’ont pas abusé contre le clergé de la situation défavorable qu’avait faite d’abord à celui-ci la révolution de Juillet. Il n’est pas d’égards, de condescendances, que MM. Guizot, Salvandy, Cousin, Villemain, n’aient témoignés et eus aux divers moments pour les personnes et les établissements ecclésiastiques. Cela a paru même aller quelquefois jusqu’à la faiblesse et à la peur ; ils en sont bien mal payés aujourd’hui.
On se souvient encore et l’on raconte que, dans son zèle pour la christianisation au moins apparente et officielle de l’Université, Cousin avait, il y a quelques années, rédigé, — oui, rédigé de sa propre et belle plume un catéchisme : cet édifiant catéchisme était achevé, imprimé déjà et allait se lancer dans tous les rayons de la sphère universitaire, quand on s’est aperçu tout d’un coup avec effroi qu’on n’y avait oublié que d’y parler d’une chose, d’une seule petite chose assez essentielle chez les catholiques : quoi donc ? du purgatoire. Il fallut vite tout arrêter, détruire toute l’édition ; les philosophes, en fait de théologie, ne pensent pas à tout.
— Aujourd’hui que les questions et les passions politiques trop flagrantes sont apaisées, qu’il y a lieu à des débats plus théoriques et de principes, que le sac de l’archevêché est oublié, et que le clergé, en reparaissant, n’a plus peur de se faire lapider dans les rues, il ose extrêmement : il ose d’autant plus qu’une portion notable s’est ralliée à la dynastie de Juillet, et qu’en réclamant ce qu’il croit son droit, il le demande de plus presque au nom des services rendus. L'Univers, le journal religieux, a été le premier journal catholique doctrinaire et dynastique, et c’était même là son trait distinctif au début. Ce M. Louis Veuillot, qui est une des plus insolentes plumes du parti, a été d’abord le secrétaire intime du général Bugeaud, cet agent et cette créature si robuste du régime nouveau. — Saint-Chéron, l’ancien saint-simonien et l’un des fondateurs de l’Univers, était un des obséquieux et des affidés de M. Guizot. En un mot, cette opposition du clergé à l’Université n’est devenue▶ importante et considérable que depuis que le clergé se pose en auxiliaire plutôt qu’en adversaire de la dynastie de Juillet. Il a, au reste, des amis très-bien disposés et très-dévoués au sein du Château, dans la personne même de la reine, si pieuse, et tout autour d’elle : l’atmosphère intime des Tuileries est plutôt propice à certaines concessions et serait capable de les inspirer.
Le roi Louis-Philippe, dont les idées particulières sont celles du xviiie siècle, mais dont la politique vise bien plutôt à la paix du présent qu’à l’avenir et aux longues pensées, n’est pas fâché de cette grande querelle qui en ajourne de plus périlleuses et qui prouve que les temps ont changé. Puisqu’il faut un os à ronger, mieux vaut celui-là qu’un autre. Avec plus de lointaine prévoyance, peut-être il s’inquiéterait de ce qu’il y a de menaçant dans cette ambition du clergé qui se recrute de tant d’autres ambitions aujourd’hui disponibles. Mais, en homme pratique consommé, il est habitué à compter beaucoup sur le hasard qui, pour peu qu’on lui laisse de chances et d’espace, déjoue bien des prévisions et des espérances. Il ne paraît donc pas pressé de faire pencher toute la balance du côté de son Université, cette fille bien-aimée. En l’embrassant deux ou trois fois par an avec de grands témoignages dans les solennités, il est bien homme à la contenir tout doucement.
— Il peut paraître bizarre et il n’est qu’exact de dire que, dans le moment, l’indifférence même des croyances et le manque de convictions morales tournent plutôt au profit du clergé. Les carrières sont encombrées, les jeunes activités se pressent et ne trouvent pas de débouchés. Les ambitions sont excitées au plus haut degré, toutes les cupidités (irritamenta) fermentent. Dans un tel état des esprits, une foule de jeunes gens sont à la merci du parti qui les enrôlera et qui leur fournira carrière. Le clergé n’y manque pas ; il a des sociétés actives, des ramifications jusque dans la plus jeune France. Il a ses romanciers, ses poëtes, ses économistes : celui qui se laisse enrôler est à l’instant choyé, adopté, loué par toutes les trompettes catholiques ; de plus il se vend et se débite à merveille, et le grand nerf, la grande ficelle du jour, le pecunia, est au bout. — Tous les jours il arrive que tel jeune romancier, tel jeune économiste qui a passé par les feuilles et les feuilletons de la littérature courante vient vous déclarer qu’il ne peut plus continuer sa collaboration, parce qu’il est ◀devenu▶ catholique : cela veut dire qu’il a trouvé un meilleur placement. — Pour tout dire, les condottieri de plume abondent aujourd’hui, ils battent le pavé de Paris, et le clergé a moyen de les enrôler.
Louis Veuillot était un peu à l’origine de cette race des condottieri ; sans prétendre qu’il ne porte pas dans ses excès un fond de conviction sincère, il y garde du moins et y nourrit toutes les passions et les grossièretés humaines et inhumaines. On ne pousse pas plus loin l’insolence et l’injure. Sa lettre à Villemain sur la liberté de l’enseignement commence en ces termes :
« Vous n’aurez point de vacances cette année, monsieur le ministre, ni votre successeur l’année prochaine, s’il plaît à Dieu, car les catholiques ne veulent plus interrompre la guerre qu’ils livrent à l’enseignement de l’État… »
Au nom d’un article de la Charte, au nom des serments d’août 1830, voici en fait ce que les catholiques, par l’organe de Veuillot, réclament :
1° Liberté pour tout citoyen d’ouvrir école ;
2° Liberté pour tout citoyen de fréquenter telle école que bon lui semblera, et d’y envoyer ses enfants ;
3° Formation d’un jury d’examen pour le baccalauréat, réunissant aux garanties nécessaires de science et de sévérité, les garanties non moins indispensables de moralité et d’impartialité, afin que devant ce jury, tout citoyen, sous le seul patronage de sa capacité et de son honneur, puisse demander le diplôme, quelle que soit l’école qu’il ait fréquentée, et quand même il n’en aurait fréquenté aucune.
— Tout cela, en principe, semble assez raisonnable et ne doit pas laisser d’embarrasser les universitaires qui, tels que Dubois du Globe, par exemple, ont dans le temps réclamé pour tous la liberté de l’enseignement.
Il est de fait, en outre, que pour une certaine éducation morale, paternelle, un peu aristocratique, et qui continue doucement les traditions du foyer et de la famille, les pensionnats tenus par des Pères plus ou moins jésuites sont incomparablement plus sûrs que les colléges de l’Université : ceux-ci produisent des lycéens bien appris, éveillés, de bonnes manières, et qui ◀deviennent▶ très-aisément de gentils libertins. Le sentiment moral inspire peu les gros bonnets, les chefs, et tout le corps s’en ressent.
Dans l’exaltation où ils sont de leur importance sociale et de l’appui qu’ils apportent au pouvoir civil et politique, les catholiques, par l’organe de Veuillot, s’écrient à la fin de cette Épître outrecuidante à Villemain :
« Si vous savez l’heure de notre défaite ou de notre avilissement, mettez en sûreté vos trésors. Tout croule quand nous ne sommes plus là. — Vingt empires dorment dans les tombeaux qu’ils nous ont creusés. »
Voilà qui s’appelle parler de soi, et sinon croire, au moins ne pas douter.
Les pièces justificatives sont pleines d’horreurs touchant les mœurs et les principes prétendus de l’Université ; celle-ci en ◀devient presque intéressante, à titre de calomniée26 ; elle est pourtant bien assez puissante pour se défendre toute seule : laissons-la faire. — C'en est bien assez aujourd’hui sur cette grosse querelle.
— Cousin, toujours en quête et en action, a publié, dans la Revue des Deux Mondes du 15, un morceau inédit de Pascal sur l’amour : le morceau est beau dans sa subtilité et paraît bien authentique. Le préambule de Cousin a eu d’ailleurs peu de succès, il manque de sérieux, et on y sent trop la fanfare. Mais la trouvaille a du prix.
— On annonce d’Eugène Sue un nouveau roman en feuilletons, Le Juif errant, ce seront les mystères du monde et de tous les pays. La Presse et les Débats se disputent ce prochain roman et on est aux folles enchères.
— Vous avez pu lire dans la Revue de Paris, de dimanche 24, un article de Janin sur madame de Girardin ; s’il s’est réconcilié avec Dumas, il garde une dent à la Presse qui s’est posée en organe d’inimitié contre lui. La belle Delphine s’en est ressentie. L'article est joli, méchant ; au reste, elle a de quoi rendre : griffes contre griffes ; combat de chatte et de matou.
— Dans son feuilleton des Débats de lundi 25, le même Janin parle joliment d’un vaudeville de Théophile Gautier, le plus spirituel de nos cyniques. Janin, en faisant bon marché de lui-même, dit aux autres de bonnes vérités : on retrouve là tout son meilleur esprit malicieux et sa verve. Il excelle et il est maître toutes les fois qu’il parle du gaspillage de l’esprit.
— Le troisième volume des Études sur les tragiques grecs de Patin a paru et complète son ouvrage : c’est celui de Schlegel refait, sans invention, avec plus de détails et bien moins de grandeur. La littérature de Patin est classique, excellente, bien digérée : il aime le délicat, mais il ne hait pas le faible. Son ouvrage, utile, instructif, serait encore plus agréable s’il était écrit avec plus de concision et, pour tout dire, avec plus de points et moins de virgules. On est singulièrement frappé, en le lisant, de la longueur interminable des phrases ; Patin, qui professe avec distinction la poésie latine à la Faculté des Lettres, est un charmant et fluide improvisateur, mais il en porte trop les habitudes dans ce qu’il écrit. Ses phrases, à force de longueurs et d’incidences, ne présentent plus aucun courant. La parole et l’accent sont là pour déterminer le sens quand on a affaire à l’orateur ; mais un écrivain, c’est autre chose, et je cours risque de me noyer dans ces grandes flaques d’eau douce qui ne me portent plus en aucun sens. — Après tout, c’est un bon et méritant ouvrage, qui dispense de beaucoup d’autres et qu’il faut conseiller aux gens du métier.