(1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »
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(1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Le vers populaire

Il y a dans les traditions littéraires un double fleuve. Le premier coule à découvert ; le second, occulte, fut jusqu’en ces dernières années insoupçonné. Ces deux littératures roulent sur le même fond de sable : l’homme et ses vieux malheurs ; très souvent, ils s’en vont, parallèles, l’un à fleur de terre, l’autre dedans, — portant au même but, le définitif oubli, d’identiques barques.

Voici un antique sujet « à mettre en vers » : Héro et Léandre . Ovide le broda, et Musée, et d’autres, et hier encore, sans aucun doute, tel poète. Or, en même temps qu’Ovide, en même temps que Musée, en même temps, sans aucun doute, que tel poète d’aujourd’hui, — un rapsode inconnu, ignorant Ovide, Musée et tout ce qui est écrit, puisant dans une tradition strictement orale chantait, lui aussi, mais pour un autre public, « Héro et Léandre ».

Allez en France, allez en Flandre, en Allemagne ou en Suède, priez la vieille qui tricote ou la jeune fille qui bêche de vous chanter « l’histoire de l’amoureux qui se noya en nageant vers sa belle, l’histoire où il y a une tour et dans la tour un flambeau  » : si elle daigne ou si elle ose, la vieille ou la jeune vous chantera, version flamande214 :

« Ils étaient deux enfants de roi, ils s’aimaient si tendrement. Ils ne pouvaient se rejoindre. L’eau était trop profonde. Que fit-elle ? Elle alluma trois flambeaux, le soir, quand le jour eut disparu.

« O mon ami, viens, viens et nage vers moi ! Ainsi fit le fils du roi, il était jeune.

« Une vieille femme le vit, bien mauvaise mégère. Elle alla souffler les lumières et le jeune brave fut noyé. — Ô mère, mère chérie, ma tête me fait si mal, laissez-moi aller me promener quelque temps, me promener le long de la mer.

« Ô fille, ma fille chérie, seule tu n’iras point là, mais éveille ta jeune sœur, qu’elle aille se promener avec toi. — Ô mère, ma jeune sœur est encore une si jeune enfant, elle cueille toutes les fleurs qu’elle trouve sur le chemin.

« Elle cueille toutes les fleurs, elle laisse les feuilles. Alors, les gens se plaignent et disent : voilà ce qu’ont fait les enfants du roi ! — Ô fille, ô ma fille chérie, seule tu n’iras point là, mais éveille ton plus jeune frère, qu’il aille se promener avec toi.

« Ô mère, mon jeune frère est encore un si jeune enfant ! Il court après tous les oiseaux qu’il trouve sur son chemin. — La mère alla à l’église, la fille se mit en chemin, jusqu’à ce que, au bord de l’eau, un pêcheur, le pêcheur de son père elle trouva.

« Ô pêcheur, dit-elle, pêcheur, pêcheur de mon père, pêche donc une fois pour moi, tu en seras récompensé. — Il jeta ses filets dans l’eau, les plombs touchaient le fond. En un instant, il pêcha le fils du roi, il était jeune.

« Que retira-t-elle de sa main ? Une bague d’or rouge. — Prends, dit-elle, brave pêcheur, cette bague d’or rouge. — Alors, elle prit son amant dans ses bras et le baisa à la bouche. — Ô bouche, si tu pouvais parler, ô cœur, si tu étais en vie !

« Elle retint son amant dans ses bras et sauta avec lui dans la mer. — Adieu, dit-elle, beau monde, vous ne me reverrez plus. Adieu, ô mes père et mère, adieu tous mes amis, je m’en vais au ciel. »

Une telle ballade ne provient ni des latins, ni des grecs, ni des poètes d’académie, ni d’aucune littérature écrite ; l’art en est très spécial, si spécial que nul poète, même un poète allemand, n’en pourrait faire un pastiche acceptable . La ballade de Lénore si médiocrement sentimentale chez Burger, se révèle, au contraire, dans sa forme orale, telle qu’une admirable vision fantastique ; et le Plongeur, — une des plus populaires des chansons connues, comme il y a loin de celle de Schiller, qu’apprennent les écoliers, à celles que chantent les vieilles « le soir à la chandelle » !

Une poésie non écrite doit avoir des règles de versification toutes différentes des règles de la poésie littéraire, naguère admises sans révolte, aujourd’hui, il est vrai, presque démodées.

 

Le vers populaire français est un vers syllabique. Les plus communs comportent quatre, cinq, six, sept, huit, dix syllabes :

(4) La belle Hélène
(6) Dans la mer est tombée…
(5) Il n’a pas vaillant
La fleur d’une épine…
(5) Tu n’es plus fillette
A l’âge de quinze ans…
(6) Tambour, joli tambour,
Donne-moi ta fleur de rose…
(7) Il la mène sous une ente.
Oh ! qui graine sans fleurir.
Quand ils furent sous cette ente :
— C’est ici qu’il faut mourir !
(8) Le Rossignol prend sa volée,
(7) Au château d’Amour s’en va.
(8) J’ai vu passer la belle Hélène
Qui paît ses moutons dans la plaine.
(10) J’ai bien aussi des châteaux par douzaines
Et sur la mer deux ou trois cents navires.

C’est une question de savoir s’il ne faut pas considérer comme ne faisant qu’un vers ou deux vers les strophes ou couplets composés de deux ou de quatre petits vers. M. Doncieux dans ses savantes études critiques215 sur la chanson populaire va jusqu’à ne considérer que comme un couplet de deux vers, la suite de quatre vers de huit syllabes, dont deux sans rimes. Il a restitué ainsi un curieux chant monorime de la Passion :

La passion du doux Jésus, | qu’est moult triste et [dolente],
Ecoutez-la, petits et grands, | s’il vous plaît de [l’entendre].

L’hiatus n’est jamais évité ; très souvent des liaisons inattendues le suppriment :

Mon bon ami de cœur
S’en va-t-aller en guerre…

Le rejet est inconnu : la répétition le remplace, soit formée d’un mot, soit d’un vers entier :

Beau pommier, beau pommier
Aussi chargé de fleurs.
Que mon cœur l’est d’amour…

Ces vers ne sont strictement rimés que par hasard :

Vous avez pâle mine,
Je vois à vos jolis yeux bleus
Que l’amour vous domine,

L’assonance remplace la rime.

Va me porter cette lettre
A ma mie qui est seulette…
J’ai laissé tomber mon panier,
Un beau monsieur l’a ramassé…

Montagne et langage sont des assonances ; serpe et veste ; chèvre et mère ; souci, jalousie ;

logis, famille ; mise, mille ; ville, fille ; noces, homme ; morte, folle ; gorge, rose ; œuf, pleut,

etc.

 

On rencontre des pièces entières sans rime, ni assonance, ainsi la ballade qui commence ainsi :

J’ai fait l’amour sept ans,
Sept ans sans en rien dire,
Ô beau rossignolet,
J’ai fait l’amour sept ans,
Sept ans sans en rien dire.

On voit cependant que, dans ce cas, la répétition y supplée.

La synérèse se rencontre à chaque instant : quand une syllabe muette gêne pour la mesure, on la laisse tomber dans la prononciation ;

(6) Il ne faut qu’un petit vent
(6) Pour envoler les fleurs…
(8) Elle fait l’hiver, elle fait l’été
(6) Sous le pli de sa mante…
(8) Elle fait le rossignol chanter
(6) A minuit dans sa chambre
(8) Elle fait la terre reverdir
(6) Sous ses pieds, quand elle danse…
(5) Gentil coquelicot
Mesdames
(5) Gentil coquelicot
Nouveau

(Les syllabes soulignées ne comptent pas dans la mesure du vers.)

Si le vers manque d’une syllabe on y supplée :

J’irai me plaindre
J’irai me plaindre
(6) Au duc de Bourbon (duque)

Mais de par la musique ces trois derniers petits vers n’en forment en réalité qu’un seul

de 15 syllabes :

J’irai me plaindre, j’irai me plaindre au duque de [Bourbon]216.

Je crois que l’on peut noter, d’après les derniers vers cités, deux rythmes particuliers dans la poésie populaire, l’un binaire, rythme de marche, l’autre ternaire, rythme de danse :

Elle fait || l’hiver || elle fait || l’été
Dans le pli || de sa mante.

En général, le vers populaire est très fortement scandé, et garde, même sans musique, une allure de chant :

Je voudrais || que la rose
Fût encore || au rosier…
Ma mè || re j’ai || une au || tre sœur,
Une au || tre sœur || qu’est tant jolie…

Les strophes ou couplets varient de un jusqu’à huit vers, le refrain y joue un grand rôle, mais c’est une étude trop spéciale, trop intimement liée à la musique des chansons pour qu’il soit possible de l’introduire ici : au premier abord, la question paraît inextricable de savoir si paroles et musiques sont nées ensemble, si la musique, dans tel ou tel cas, a été faite pour les paroles, ou les paroles pour la musique.

La poésie populaire est le pays de la licence, de toutes les licences : on pourrait même dire que la licence est la seule vraie règle de sa versification. Nous venons déparier de la synérèse, qui est fondamentale : en voici bien d’autres. Vous rencontrerez des formes verbales, — déformations exigées par l’assonance, en des chansons monorimes, aussi étranges que : je cherchis, je me couchis, il s’endorma, il vena :

J’ai descendu dans mon jardin
Cueillire la lavande…
Je prends mon échalette (échelle).
Mon panier sous mon bras.
M’en vais de branche en branche,
Les plus belles, je cueillas…
Il la prit par sa main blanche,
Dans son jardin la menit….
Vous avez la main teindue (teinte)
De couleur de violette…

Ce n’est pas d’un effet bien désagréable. Un tel procédé se retrouve dans l’ancienne poésie italienne. Dante, notamment, n’écrit-il pas, en vue de la rime : dolve pour dolse ; vui pour voi ; morisse pour morissi : soso pour suso ; diede pour diedi ; lome pour lume, etc.

Pas désagréable, non plus, l’emploi de certains mots désuets ou forgés :

Le premier mois de l’année,
Que me donnerez-vous, ma mie ?
— Une perdrisolle (perdrix),
Qui va, qui vient, qui vole
Qui vole dans les bois…

Il l’envoyait au bois
Cueillire la noisille (noisette)…

Il fait virer les ouailles
Quand elles sont dans le blé…

A toutes les virées
Demande à m’embrasser…

et dans la jolie ronde Quand Byron voulut danser :

Son chapeau fit apporter,
Son chapeau en clabot…

Certaines de ces déformations sont exquises :

telle la féminisation du mot cœur :

Dors-tu, cœure mignonne,
Dors-tu, cœure jolie ?

Des expressions qui semblent de terribles lieux communs reviennent avec insistance ; il faut les comprendre : Dans la bouche des filles, mon cœur volage, mon cœur en gage, mon avantage, etc., sont toujours un euphémisme pour un mot trop clair et devenu trop brutal, que le vieux français traitait avec moins de réserve.

Ce système, d’une simplicité toute barbare et primitive, peut aboutir à des effets remarquables de rythme, de pas marqué, de mouvement fortement scandé ; il est assez rare qu’une harmonie bien notoire de diction puisse en sortir. D’ailleurs, presque tout ce qui, de la chanson populaire, arrive au jour, se compose de fragments informes, pleins de trous, de grossiers rafistolages ; il n’y a, en langue française, du moins, que très peu de ces ballades entièrement belles et sans bavures217. Quelques-unes sont d’une étrange obscurité et l’on s’étonne que la mémoire les garde aussi fidèlement. En voici une de ce genre qui est fort agréable :

Mon père a fait faire un étang,
C’est le vent qui va frivolant
Il est petit, il n’est pas grand,
C’est le vent qui vole, qui frivole
C’est le vent qui va frivolant.

Il est petit, il n’est pas grand.
Trois canards blancs s’y vont baignant.

Trois canards blancs s’y vont baignant.
Le fils du roi les va chassant.

Le fils du roi les va chassant
Avec un p’tit fusil d’argent.

Avec un p’tit fusil d’argent
Tira sur celui de devant.

Tira sur celui de devant.
Visa le noir, tua le blanc.

Visa le noir, tua le blanc,
fils du roi, qu’tu es méchant,

Ô fils du roi, qu’tu es méchant,
D’avoir tué mon canard blanc.

D’avoir tué mon canard blanc,
Après la plume vint le sang.

Après la plume vint le sang.
Après le sang l’or et l’argent.

Après le sang l’or et l’argent,
C’est le vent qui va frivolant.
Après le sang, l’or et l’argent,
C’est le vent qui vole, qui frivole,
C’est le vent qui va frivolant.

Celle-ci peut passer pour une des plus charmantes. Elle appartient au cycle de La fille qui fait trois jours la morte pour son honneur garder :

Où sont les rosiers blancs,
La belle s’y promène,
Blanche comme la neige,
Belle comme le jour,
A qui trois capitaines
Ont voulu faire l’amour.

Le plus jeune des trois
La prit par sa main blanche :
— Soupez, soupez la belle,
Ayez bon appétit,
Entre trois capitaines,
Vous passerez la nuit. — 

Au milieu du souper
La belle tombe morte.
— Sonnez, sonnez trompettes,
Violonnez doucement,
Voilà, ma mie est morte,
J’en ai le cœur dolent.

— Où l’enterrerons-nous,
Cette blanche princesse ?
Au logis de son père
Il y a trois fleurs de lys,
Nous prierons Dieu pour elle ;
Qu’elle aille en paradis. — 

Au milieu du convoi.
La belle se réveille,
Disant : — Courez, mon père,
Ah, courez me venger,
J’ai fait trois jours la morte,
Pour mon honneur garder.

La morale des chansons populaires est à la fois très légère et très sombre : le peuple y apparaît comme uniquement en quête du plaisir, et principalement de l’amour. Si l’amour est souvent tragique, le mariage est grotesque ou terrible : tromper ses parents, voilà l’affaire de la fille ; tromper son mari, voilà l’affaire de la femme ; tromper son amant, tromper sa maîtresse, voilà l’affaire des amantes et des amants. La vengeance est fréquente, fréquent le suicide. Les passions élémentaires surgissent violentes et cyniques, comme dans la chanson du Vieux Mari, dont sa femme attend la mort pour en porter au marché la peau, et avec le prix s’acheter un mari neuf et jeune. C’est partout la candeur et la férocité de la bête amoureuse. L’impudeur y est parfois charmante et la passion superbe (Marion, Jean Renaud). La fillette, spécialement, y apparaît à nu, tantôt se laissant mourir de désespoir, tantôt ne disant pas non au cavalier qui passe, pourvu qu’il ait bourse pleine, tantôt victime de sa paresse et de sa mauvaise conduite :

Les soldats l’ont laissée
Sans chemise et sans pain…

Telle chanson, comme la Mal Mariée, révèle le pessimisme résigné de gens qui sentent que la vie est mauvaise, et mauvaise sans remède ; mais telle autre dit bellement la joie héroïque de l’amour, comme la Fille dans la Tour, dont voici une version mutilée :

Le roi Louis est sur son pont,
Tenant sa fille en son giron.
Elle lui demande un timbalier
Qui n’a pas vaillant six deniers.

— Eh oui, mon père, oui je l’aurai,
Malgré ma mère qui m’a portée,
Je l’aime mieux que tous mes parents,
Vous, père et mère, qui m’aimez tant !

— Ma fille, il faut changer d’amour,
Ou bien vous irez dans la tour.
— J’aime mieux aller dans la tour
Que de jamais changer d’amour !

— Qu’on fasse venir mes estafiers,
Mes geôliers, mes guichetiers !
Qu’on mette ma fille dans la tour,
Elle n’y verra jamais le jour.

Elle est restée dans cette tour
Sept ans passés sans voir le jour.
Au bout de sa septième année,
Son père y vint la visiter.

— Eh bien, ma fille, comment vous va ?
— Ma foi, mon père, ça va bien bas.
J’ai les pieds pourris dans la terre
Et les côtés mangés des vers.

— Ma fille, il faut changer d’amour
Ou bien vous resterez dans la tour
— J’aime mieux rester dans la tour
Que de jamais changer d’amour !

La Triste Noce, assez peu connue, est, dans sa simplicité tragique, une des plus mémorables

parmi les grandes ballades françaises et, ce qui est fort rare, elle paraît intacte et complète :

J’ai fait l’amour sept ans,
Sept ans sans en rien dire,
Ô beau rossignolet,
J’ai fait l’amour sept ans
Sept ans sans en rien dire.

Mais au bout des sept ans
Voilà que je me marie,
Ô beau rossignolet,
Mais au bout des sept ans
Voilà que je me marie.

J’ai cueilli-z-une rose
Pour porter à ma mie,
Ô beau rossignolet,
J’ai cueilli-z-une rose
Pour porter à ma mie.

La rose que j’apporte.
C’est une triste nouvelle,
Ô beau rossignolet,
La rose que j’apporte,
C’est une triste nouvelle.

On veut me marier
Avec une autre fille,
Ô beau rossignolet.
On veut me marier
Avec une autre fille.

La fille que vous prenez,
Est-elle bien jolie ?
Ô beau rossignolet.
La fille que vous prenez
Est-elle bien jolie ?

Pas si jolie que vous
Mais elle est bien plus riche,
Ô beau rossignolet.
Pas si jolie que vous
Mais elle est plus riche.

La belle, si je me marie,
Viendrez-vous à la noce ?
Ô beau rossignolet,
La belle si je me marie
Viendrez-vous à la noce ?

Je n’irai pas à la noce
Mais j’irai-z-à-la danse,
Ô beau rossignolet.
Je n’irai pas à la noce
Mais j’irai-z-à la danse.

Oh ! si vous y venez
Venez-y bien parée,
Ô beau rossignolet,
Oh ! si vous y venez
Venez-y bien parée.

Quel habit veux-je prendre
Est-ce ma robe verte ?
Ô beau rossignolet,
Quel habit veux-je prendre
Est-ce ma robe verte ?

Oh ! la couleur violette
Est encore la plus belle,
Ô beau rossignolet,
Oh ! la couleur violette
Est encore la plus belle.

Entrant à la maison,
Salut, les gens de la noce,
Ô beau rossignolet,
Entrant à la maison,
Salut, les gens de la noce.
Non pas la mariée,
Car je la devrais être,
Ô beau rossignolet,
Non pas la mariée,
Car je la devrais être.

Le marié la prend
Pour faire un tour de danse,
Ô beau rossignolet,
Le marié la prend
Pour faire un tour de danse.

Au premier tour de danse
La belle change de couleur,
Ô beau rossignolet,
Au premier tour de danse
La belle change de couleur.

Au deuxième tour de danse
La belle change encore,
Ô beau rossignolet,
Au deuxième tour de danse
La belle change encore.

Au troisième tour de danse
La belle est tombée morte,
Ô beau rossignolet,
Au troisième tour de danse
La belle est tombée morte.

Le marié la prend,
Dessus son lit la porte,
Ô beau rossignolet,
Le marié la prend,
Dessus son lit la porte.

Apportez de l’eau de rose
Aussi de l’eau-de-vie,
Ô beau rossignolet,
Apportez de l’eau de rose
Aussi de l’eau-de-vie.

Pour donner à ma mie,
Car je crois qu’elle est morte,
Ô beau rossignolet,
Pour donner à ma mie,
Car je crois qu’elle est morte.

Il va chez le sonneur
Pour faire sonner les cloches,
Ô beau rossignolet,
Il va chez le sonneur
Pour faire sonner les cloches.

Et sonnez-les si bien
Que chacun les entende,
Ô beau rossignolet,
Et sonnez-les si bien,
Que chacun les entende.

S’en va chez le fosseur
Pour faire creuser la fosse.
Ô beau rossignolet,
S’en va chez le fosseur
Pour faire creuser la fosse,

Faites la profonde et large
Que trois corps y reposent,
Ô beau rossignolet,
Faites-la profonde et large,
Que trois corps y reposent.

Celui de ma mie, le mien,
Celui de l’enfant qu’elle porte,
Ô beau rossignolet,
Celui de ma mie, le mien,
Celui de l’enfant qu’elle porte.

Il rentra dans sa chambre
Et se coupa la gorge,
Ô beau rossignolet,
Il rentra dans sa chambre
Et se coupa la gorge.

Les gens de la noce disent :
Grand Dieu ! quelle triste noce.
Ô beau rossignolet,
Les gens de la noce disent :
Grand Dieu ! quelle triste noce.

Les jeunes gens qui s’aiment
Mariez-les ensemble,
Ô beau rossignolet,
Les jeunes gens qui s’aiment
Mariez-les ensemble.

Que l’émotion esthétique que donne une telle complainte soit d’une nature un peu spéciale, je le veux bien ; mais il ne faut pas la dire vulgaire, car, après tout, il s’agit ici du drame humain élémentaire et nu.