(1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »
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(1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Louis XIV. Quinze ans de règne

Ernest Moret. Quinze ans du règne de Louis XIV : 1700-1715.

Une observation qui n’a pas été assez faite, — peut-être parce qu’elle était trop facile à faire, — c’est que, placés à tant d’années déjà du xviiie  siècle, nous n’avons pas encore son histoire. Nous avons bien des histoires de France, dues à des plumes de notre temps plus ou moins habiles, et dans lesquelles le xviiie  siècle est traversé et jugé, en passant, comme les autres siècles qui forment la longue vie de la monarchie et de la société françaises. Nous avons aussi des histoires dans l’histoire du xviiie  siècle. Ainsi, ne l’oublions pas et mettons-la au premier rang, l’histoire de la Régence, par Lémontey, cet esprit profond dans la finesse comme il y a des esprits fins dans la profondeur. Mais l’histoire intégrale du xviiie  siècle, une histoire allant d’une seule et forte venue d’une extrémité à l’autre de ce siècle, qui s’ouvre en 1700 aux affaires de la succession d’Espagne et qui se ferme en 1800 aux affaires d’une bien autre succession, — la succession de la Révolution française, — une pareille histoire, on la cherche en vain. Il n’y en a pas !

Ce n’est pourtant pas l’amour ou la préoccupation du xviiie  siècle qui nous a manqué pour l’écrire. Nous ne l’avions que trop. Dieu nous fasse merci ! Obstiné revenant, il a, depuis vingt ans14, assez dressé sa face de momie, peinte à l’égyptienne, dans toutes les œuvres de la littérature française, dans toutes les glaces où nous nous mirions. Drames, romans, comédies, anecdotes, biographies, et jusqu’aux modes (si souvent le mensonge des mœurs), tout n’a-t-il pas été et n’est-il pas encore rempli des souvenirs et des reflets de cet éternel xviiie  siècle ? Naguère, on y tendait comme à l’Idéal, car l’Idéal, c’est pour les peuples ce qui leur manque et le contraire de ce qu’ils ont. Il faut être juste : la philosophie, qui se moque des hypocrites religieux et qui a les siens, les révolutions, qui ont détruit les grandes fortunes et rendu la vie si exiguë, ne devaient-elles pas arriver à ce résultat de nous pousser l’imagination, de toute la force de l’ennui enragé qu’elles ont créé pour les peuples modernes, vers le temps passé des grandes existences et des plaisirs largement conçus et splendidement réalisés ? Il semblait donc vraiment que le xviiie  siècle, en nous jetant dans le monde, nous eût imprimé sur la tête — tant il nous avait inclinés vers lui — ce terrible coup de pouce du chirurgien qui gauchit le cerveau de l’enfant et décide de sa triste destinée ! Si on ajoute à cela qu’aucune époque n’affecta plus que la nôtre d’être éprise des travaux d’ensemble, qu’aucune ne rêva davantage l’unité, du moins dans ses œuvres philosophiques et littéraires, et ne se donna plus de peine stérile pour consommer le grand mariage de l’Analyse et de la Synthèse (ses mots favoris), on sera en droit de s’étonner que l’histoire du xviiie  siècle soit encore à faire, et que nous, les fils du xixe , nous ayons échappé, en ne l’écrivant pas, aux deux plus puissantes tyrannies de notre pensée, — nos sympathies et nos prétentions !

Cette observation, que la Critique ne pouvait omettre quand il s’agissait d’un ouvrage qui commence avec le xviiie  siècle, Ernest Moret l’a faite, comme nous, dans sa préface, et de la même plume il a pourtant écrit modestement au front de son livre : Quinze ans du règne de Louis XIV 15. Rien de plus ! Est-ce inconséquence ? Est-ce défiance de soi ? Pourquoi se parque-t-il dans ces quinze années ? Il dit quelque part, il est vrai, que son projet, si Dieu lui prête vie, est d’aller un jour jusqu’au règne de Louis XV. Alors, au lieu de quinze années, nous en aurions peut-être cinquante, mais il resterait toujours à écrire cette histoire dont Moret signale l’absence, cette œuvre, une et vaste, dont le Temps lui-même a tracé le cadre avec des dates et des événements. Si Ernest Moret n’avait aucun talent, nous ne ferions pas ces questions. Quinze ans découpés dans le siècle de Louis XIV, quinze ans d’un règne pour les gâter en les racontant, ce serait encore trop, sans nul doute ; mais il entend l’Histoire. Il en a l’instinct. Il est fait pour elle. Il lui a dévoué sa vie. Que n’a-t-il donc élevé son projet et sa pensée jusqu’à une histoire du xviiie  siècle ?… Assurément, on ne doit rien entreprendre que dans la mesure de ses forces, mais, si on n’en activait pas, si on n’en provoquait pas le développement et le jeu par la difficulté du but qu’on se propose, en aurait-on la mesure réelle ? S’apercevrait-on même qu’on les a ? Les forces sont des lions qui dorment en nous, dans ces parties de notre être intellectuel que Bacon appelait des cavernes (speluncas). Il faut les réveiller en leur montrant des proies généreuses. Certes ! nous l’avons dit assez souvent pour qu’on ne puisse plus l’oublier, nous aimons mieux l’histoire creusée que l’histoire étendue, si la superficie qu’elle embrasse doit lui faire perdre de sa profondeur. Mais, outre que ce n’est pas là une nécessité, il se rencontre parfois en histoire de ces sujets qui ont, comme certaines contrées en géographie politique, des frontières naturelles vers lesquelles on tend malgré soi, pour peu qu’on ait quelque vigueur et quelque courage. Diviser un règne comme celui de Louis XIV, ou ne pas étreindre dans son dessein le siècle tout entier dont on dit les premières années, c’est toujours, quelque parti qu’on prenne, fragmenter un ensemble, briser et disjoindre ce qui devrait rester cohérent, altérer la nature des choses. D’historien qu’on croyait être, on trébuche dans le chroniqueur. Or, si la chronique a son mérite et parfois son charme, elle est toujours inférieure à l’histoire. L’histoire se rabougrit dans toutes ces divisions, bonnes pour la faiblesse des valétudinaires qui l’écrivent. Elle y perd les grandes qualités qui la rendent la plus imposante et la plus robuste des Muses : l’ampleur, la majesté, l’ordonnance de composition, — et ce n’est pas tout ; qui oserait dire qu’elle n’y perd pas de sa vérité ?… Qu’on y prenne garde ! La vérité historique, cette chose vivante, n’est point la vérité de l’exactitude, cette chose morte ; et peut-être se dégage-t-elle plus encore de l’ensemble fortement exprimé des choses que du soin apporté à la description des détails.

Voilà le reproche fondamental que nous ferons d’abord à Ernest Moret, et que la préface de son livre et son livre même, avec les qualités qu’il accuse, nous donnent le droit de lui adresser. Il semble avoir trop pensé que l’histoire pouvait se commencer indifféremment à toute date, et qu’une fois sur cette date, il n’y avait plus qu’à enfourcher les faits et à trotter. Cela dit, et lui parti avec une si pauvre conception de l’Histoire, nous avouerons de fort bonne grâce qu’il va très bien. Il arpente son terrain d’un pied sûr et le fouille avec intelligence. Les quinze années qu’il a choisies pour en raconter et en pénétrer les événements sont les dernières années du règne de Louis XIV. C’est l’histoire du plus lent et du plus orageux coucher de soleil qu’on ait jamais vu luire sur le monde ; car Napoléon ne s’est pas couché au bout de sa course, mais il est tombé au milieu, comme une foudre, que Dieu pouvait éteindre seul. Il y a, parmi ceux qui écrivent l’Histoire, des imaginations qui vont de préférence aux désastres, aux revers, à tout ce pathétique qui éveille plus que la pensée dans la tête, mais la pitié, c’est-à-dire une vertu, dans les cœurs. Ceux-là, on pourrait les appeler les tragiques de l’Histoire. Ils aiment mieux nous raconter des malheurs et des défaites que d’élever des arcs de triomphe et de décrire les magnificences de la fortune. On a beau s’être voué au culte sévère de l’Histoire et s’efforcer de grandir en soi ce sentiment de l’impartialité qui fait de l’homme plus qu’un homme, on est entraîné par la nature de son esprit vers les sujets qui ont avec cet esprit de mystérieuses analogies. Cela serait-il l’explication qu’il faudrait donner au choix fait par Moret des quinze dernières années du siècle de Louis XIV ? Nous ne le croyons point. Il n’a pas ce genre d’imagination, difficile à dompter, qui maîtrise et entraîne un homme vers les spectacles pressentis par l’âme qui les aime et qui doit en recevoir l’impression à pleins bords et avec d’inexprimables frémissements. C’est un esprit calme et lucide, que les choses, quand elles sont puissantes et colorées, teignent de leurs reflets, mais sans le troubler. Il n’est pas froid, non ! Mais on ne sent pas quand on le lit ce que nous recherchons, même en histoire : le voisinage d’une âme qui chauffe la nôtre, ou bien cette âpre froideur de l’intelligence qui finit, comme la neige, par brûler autant que le feu, et que possèdent seuls les grands historiens, les grands observateurs de la nature humaine dont la pensée est toutes les passions. Ernest Moret n’appartient pas à cette race d’esprits. Sa vocation d’historien n’est pas la domination de facultés irrésistibles, ce commandement intérieur du génie, impérieux jusqu’à la cruauté. Nous nous imaginons plutôt que, moins inspirée, moins violente, moins involontaire, cette vocation s’est révélée à lui paisiblement entre deux cartons, pendant qu’il remuait des textes et mettait la main sur des documents dans son cabinet de travail. Nous croyons que la Curiosité, cette mère de la Science, et la piété de l’Exactitude, qui en est la sœur, ont mis l’auteur des Quinze années du règne de Louis XIV dans la voie qui lui convenait le mieux, et nous ajouterons qu’elles peuvent y mener loin un esprit clair, laborieux et distingué comme le sien.

En effet, ce volume est plus qu’une promesse. C’est une œuvre surtout recommandable par la mise en lumière du renseignement et par la rapidité du récit, deux qualités essentielles sans lesquelles il n’y a pas d’historien. Personne mieux que Moret ne presse les faits, sans les entasser, dans une marche simple et rapide. Quoique son premier volume ne contienne guères que quatre années de ces quinze qu’il doit nous raconter plus tard, on sait si ces quatre années furent pleines de choses et d’événements ! Le xviie  siècle venait d’expirer, et celui-là qui lui succédait allait bientôt justifier le mot contemplatif du vieux Mathieu dans son Louis XI : « Les grandes montées font les grandes descentes. » Le scandale du testament de Charles II éclatait, comme une trahison de Louis XIV, quoique Louis XIV — et Moret le rappelle avec raison dans son histoire — ne fût pour rien dans la dictée de ce testament, inspiré (ou imposé peut-être) par le génie du patriotisme espagnol à la tête imbécile de Charles II. La diplomatie de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Hollande, était trop intéressée dans la question et trop retorse pour croire à l’innocence de l’ambition du grand roi. L’acceptation de ce testament qui souleva toute l’Europe contre Louis XIV, et qu’à sa place aucun de ses ennemis n’aurait rejeté, produisit immédiatement cette guerre de coalition si acharnée et si funeste qui se fit partout : en Allemagne, en Flandre, en Italie, et plus tard enfin en Espagne, et dans laquelle la France opposa à ces fléaux incarnés contre nous : Guillaume III, Marlborough, le prince Eugène, le duc de Savoie, le regain magnifique encore de ses grands hommes : Vendôme, Villars, Berwick et Catinat. Moret suit pied à pied les négociations mêlées à la guerre, et la guerre elle-même, jusqu’au moment des défections, plus amer peut-être que celui des défaites, où les alliés de Louis XIV commencèrent de l’abandonner, et où Villars, frappé dans le sentiment de sa supériorité méconnue, quitta le théâtre de la guerre pour venir pacifier les Cévennes, déchirées par le calvinisme insurgé.

Tel est, en peu de mots, le sujet de ce premier volume. L’auteur y a concentré heureusement, dans l’intérêt de la vérité historique, agrandie par son propre effort, à lui, et par sa recherche, les deux livres modernes qui ont versé le plus de jour sur les hommes et les faits d’une époque qu’il retrace à sa manière, je veux dire les Mémoires de Mignet sur la succession d’Espagne, et les Mémoires militaires du général Pelet, aussi intéressants que les premiers, mais moins connus. Comme l’histoire ne s’improvise pas et qu’elle appartient à tout le monde, autant que l’eau et la lumière, l’honneur de l’historien est de puiser à des sources pures, et son mérite, de se servir, avec intelligence, de tout ce qu’il y a puisé. C’est le mérite de Moret. Avec des ouvrages presque spéciaux de diplomatie et de guerre, il a construit une histoire essentiellement politique. Préoccupé surtout des résultats généraux, il nous a montré presque exclusivement par les côtés de leur action publique les hommes qui s’y meuvent, et en cela il a obéi aux exigences de son sujet. Seulement, effet étrange et pourtant naturel des habitudes de la pensée ! comme nous avons tous vécu plus ou moins intimement depuis notre enfance avec les grands hommes de ce temps, le mieux connu de tous parce qu’il est le plus glorieux de nos Annales ; comme jamais époque ne produisit plus de ces Mémoires personnels qui sont les fruits des civilisations avancées, nous avons peine à reconnaître, malgré la fidélité des portraits, dans cette clarté sagement distribuée de l’histoire, les hommes que nous avons contemplés sous une lumière ardente et rapprochée, à travers cette lentille de cristal brûlant des Mémoires. Quoique ressemblants, ils nous paraissent changés, maigris, éteints, presque dédoublés, — des espèces de fantômes d’eux-mêmes. Alors on sent profondément ce que sont les Mémoires, même les plus passionnés, même les plus suspects, pour la complète intelligence de la réalité historique, et on conçoit nettement tout ce qui manquerait si on ne les avait pas. Alors Saint-Simon, par exemple, Saint-Simon, malgré ses injustices, l’improbité de ses passions, les fureurs de ses engouements et le feu livide de sa haine, se trouve avoir l’utilité de sa flamme, comme le tison qu’on prendrait pour faire un flambeau.

Nous avons à peu près dit tout sur le livre de Moret. On nous permettra un mot encore. Après la valeur constatée de l’œuvre historique, il y a les jugements personnels de l’historien, son coup d’œil, à lui, promené hardiment sur les choses rassemblées et groupées par sa main. Eh bien, nous sommes tenu à le dire en finissant, c’est là le côté faible de l’ouvrage ! Les jugements qu’on y trouve, ces jugements qui doivent couronner tous les faits quand l’historien sait penser sur ce qu’il raconte, manquent généralement du grand caractère qui, toujours dans la vérité, et quelquefois, hélas ! dans l’erreur, sacrent un livre et le classent de primesaut parmi les œuvres supérieures. Moret n’a point ce que j’oserais nommer la faculté suraiguë de l’Aperçu, le plus beau don que Dieu puisse faire à ceux qui doivent écrire l’histoire. Quand on a lu son livre des Quinze ans du règne de Louis XIV, on a certainement quelques notions justes de plus, quelques faits de plus dans la tête, bien époussetés et bien éclaircis, mais on n’a pas une vue nouvelle, — une de ces traînées de lumière, ou même, simplement, un de ces points fixes et lumineux que les hommes qui fécondent les événements par la méditation allument dans l’esprit avec une phrase ou avec un mot.

Cette histoire, après tout, intéressante, renseignée, d’une expression preste et svelte (l’expression, la meilleure qualité de l’auteur !), laisse l’esprit à peu près tel qu’elle l’a trouvé, sans modifications intérieures, — les seuls enseignements que les hommes subissent et que les livres puissent donner. Nulle appréciation plus profonde n’en jaillit pour l’intelligence et ne l’arrache au joug doux et léger des jugements superficiels. L’auteur des Quinze ans du règne de Louis XIV rencontrera-t-il plus tard, sur l’homme et le règne dont il a commencé de raconter le déclin, une idée qui dépasse toutes celles qu’on trouve dans la majorité des esprits ? Deviendra-t-il le Montesquieu de cette décadence ?…

Nous le souhaitons sans l’espérer. Rien, dans ce premier volume, ne l’annonce. Avec le choix qu’il avait fait des plus tristes années d’un règne qui tenterait par les côtés les plus brillants les imaginations vulgaires, nous pensions qu’il avait sur ces quinze années, jugées un peu trop par les hommes, ces valets de bourreau du succès, comme le sont les phases malheureuses, quelque juste réclamation à élever, quelque inscription en faux inattendue à introduire contre des opinions la plupart sans sagacité et sans largeur. En France, l’esprit, dont on a tant, est si souvent le roi fainéant des idées communes ! Malgré beaucoup d’écrits publiés sur Louis XIV et sur son siècle, la dernière portion du règne de ce roi, la seule qui soit à juger (l’autre, on l’admire, ce qui est plus agréable et plus facile), n’est point encore jugée comme elle doit l’être, et si l’on peut tirer une induction des opinions d’un premier volume qu’on a lu à celles des volumes qui n’ont pas été publiés et qui doivent suivre, il est à craindre que le livre de Moret ne contribue pas beaucoup à ce jugement définitif. L’auteur a, pour ainsi dire, une perspicacité raccourcie. Il y voit bien, mais il y voit de près. Aussi prend-il souvent pour des fautes de Louis XIV ce qui fut l’inévitable conséquence d’une situation impossible à changer. Pour n’en donner qu’un seul exemple, entre bien d’autres que nous pourrions citer, il reproche à Louis XIV la reconnaissance du droit des Stuarts au moment où l’acceptation du testament de Charles II étendait sur la France une résille de complications, et, la vue bouchée par la préoccupation politique, par cet intérêt du moment, il ne voit pas que Louis XIV donné, Guillaume III donné et l’Europe donnée, cette Europe fendue en deux jusqu’à son axe depuis Luther, il était impossible — et même inconcevable — que le gouvernement de Louis XIV ne reconnût pas, quoi qu’il pût arriver, du reste, de cette reconnaissance, l’hérédité monarchique des Stuarts, et ne soutînt pas le catholicisme, directement, et peut-être, quoi qu’en dise Macaulay, uniquement attaqué par l’Angleterre dans leur personne. Il ne comprend pas que cela était de situation, et qu’en politique et en histoire la situation a une telle force, que de grands esprits comme Napoléon, qui l’ont sentie contre la leur, ont incliné, du coup, vers une superstitieuse fatalité ! Sous Louis XIV, les questions politiques étaient encore doublées de questions religieuses, et les écrivains d’un temps sans religion comme l’est le nôtre l’oublient trop. Ils discernent bien la faute politique, qu’ils cherchent incessamment « à grand renfort de besicles », comme dirait Rabelais, mais s’ils avaient l’œil plus perçant et l’aile plus robuste, s’ils remontaient d’un cran plus haut que cette politique dans laquelle ils se prennent les pieds, ce qui se détache en faute pour eux rentrerait dans le tissu des nécessités de l’histoire, dont les rois sont bien les tisserands, disait Philippe II, mais à qui Dieu fournit le fil. Certes, oui ! Louis XIV a commis des fautes, et nous les connaissons. Mais le sentiment moderne, le sentiment qui nous a été inoculé par la Révolution française, se trompe souvent quand il les signale. Il les confond et il les déplace. Confusion et déplacement funestes, qui doivent troubler la limpidité du courant historique pour des siècles, car, si les hommes se trompent sur la nature des fautes qui ont produit les abaissements ou les calamités d’une époque, ils ne se trompent pas dans cet instinct qu’ils ont gardé depuis la Chute et qui leur fait mettre toujours des fautes partout où il y a du malheur !