Joseph de Maistre43
I
Deux nouveaux volumes de Joseph de Maistre, — de Joseph de Maistre, pour cette fois, tout seul, et bien lui-même, sans addition, sans omission et sans adultérisation d’aucune sorte, ainsi qu’Albert Blanc (de Turin), comme il signait alors, nous l’avait donné dans deux autres volumes « qu’on n’a point discutés », dit aujourd’hui M. Sainte-Beuve, qui était sans doute aux Antipodes quand la chose arriva, car non seulement nous avons discuté ces deux malheureux et coupables volumes dans lesquels Albert Blanc se permettait de couper et d’interrompre à sa convenance ces lettres charmantes ou magnifiques de Joseph de Maistre pour mettre, entre deux, ses énormités, à lui, Blanc, et des énormités saint-simoniennes, dans un style attaqué d’éléphantiasis, mais nous sommes allés jusqu’à soupçonner leur éditeur d’interpolation !… et nous l’avons dit sans biaiser.
Albert Blanc se l’est peut-être mieux rappelé que Sainte-Beuve, dont la généreuse mémoire ne se souvient probablement que de ce qu’il a fait lui-même, et si Blanc se l’est rappelé, ce lui fait honneur, mais ce lui en eût fait davantage s’il en était convenu avec la noblesse de la bonne foi. Malheureusement, il n’en a soufflé mot. Il se contente de se frotter les mains dans sa préface. Mais c’est là peut-être une manière de se frotter une conscience qui fait mal encore. Toujours est-il que, s’il ne confesse pas de repentir, il ne retombe pas dans sa faute, et qu’il nous donne — grâces lui en soient rendues ! — du Joseph de Maistre irréprochable, qui, dégagé de tout alliage, sonne l’or pur de son propre esprit !
Ces nouvelles lettres, qui vont de 1811 à 1817, ne sont point, du reste, une découverte dans le talent de Joseph de Maistre. Elles contiennent l’idée qu’on a de ce talent, mais elles ne la modifient pas. Comme les très grands écrivains qui ont su s’attendre, Joseph de Maistre, qui fut une créature beaucoup trop élevée et trop simple pour se jeter à la tête de la publicité et pour s’ébouriffer de ce mot de gloire, comme Diderot, Rousseau et tant d’autres, Joseph de Maistre, qui écrivit tard, apparaît, quand il paraît avec une beauté accomplie et une physionomie complète. Comme celui qu’il a si grandement haï, chez qui il y eut deux physionomies : — celle du Consul, aux longs cheveux, et celle de l’Empereur, la médaille césarienne, — Joseph de Maistre n’eut pas deux temps de physionomie. Il n’eut pas celle du Consul et de la Jeunesse ; il n’eut que celle de la maturité et de l’Empereur. Il ne se fit point devant le public ; il n’eut ni accroissements ni changements qu’on puisse constater ou suivre, comme beaucoup d’autres esprits, qui se transforment devant nous dans l’action même de leur talent. Sa manière de procéder est plus profonde, et j’oserai dire plus chaste. Si son talent n’a pas jailli d’un bloc, il ne s’est montré que quand il a été bloc, c’est-à-dire, pour parler plus littérairement, quand il a réuni en soi tout ce qui fait l’unité de la force et la perfection de cette harmonie que Platon compare à une sphère !
Dès le premier jour, le talent de Joseph de Maistre a été incommutable, même à lui-même ! Malgré les différences qu’on a cru voir entre le de Maistre qui parle à cet être abstrait et sans visage, le public, et le de Maistre qui parle à ses amis ou à ses enfants, aux visages qu’il aime, il y a pour le vrai critique le de Maistre de toutes les Correspondances dans le de Maistre des Œuvres, et j’en atteste particulièrement les Soirées de Saint-Pétersbourg ! Chez ce pur et grand et bel écrivain, c’était, comme chez une femme d’une beauté souveraine, — d’une beauté Borghèse, — c’était la même beauté et jusqu’au même sourire ; seulement, c’étaient quelques sourires de plus.
Ce talent de Joseph de Maistre, caractérisé tant de fois par nous et par d’autres, ajoute certainement, par ce qu’on en retrouve et ce qu’on en publie, à la somme de nos plaisirs intellectuels, mais embarrasse pour en parler après tout ce qu’on en a déjà dit. Et d’autant qu’aucune caractérisation ne creusera désormais d’une seule ligne l’empreinte maintenant creusée dans tous les esprits par cette physionomie d’écrivain, aussi facile à reconnaître et aussi difficile à déguiser que la figure de Louis XIV.
II
Nous ne reviendrons donc pas sur cette physionomie. Nous la laisserons telle qu’elle est en toutes les imaginations, dans la grandeur de sa double force, imposante comme la bonté grave, et charmante comme la toute-puissance qui sourit. Si les fins seuls ont senti dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, à travers la hauteur, la colère, l’imprécation, l’aigle et les foudres enfin, le commencement de ce sourire qui s’étend, s’accomplit et rayonne si longuement dans les Correspondances, ce sourire, à présent, n’est plus mis en doute, et fait dire déjà ou fera dire demain de l’homme terrible, redouté si longtemps, le bon de Maistre, comme on dit le bon Homère, le bon Shakespeare. Le bon ! cette épithète de la puissance humaine et qui l’enserre si bien en ses deux syllabes que les Grecs disaient eux-mêmes du souverain des Dieux : le bon Jupiter !
Quand on ne peut plus montrer dans une figure placée et comme appendue, ainsi qu’un grand portrait, dans la préoccupation contemporaine, un trait oublié que l’admiration n’avait pas vu ou que quelque autre trait d’à côté plus développé ou plus puissant avait recouvert et caché, il faut s’en détourner sous peine de pléonasme d’idées, car la critique, cette observatrice qui se sert tout à la fois du télescope et du microscope, est tenue d’apercevoir dans ce qu’elle regarde quelque chose qu’on ne voyait pas, sous peine de manquer à son devoir. L’individualité complète, l’individualité de pied en cap de Joseph de Maistre, certes ! nous sommes heureux de la retrouver dans le livre d’Albert Blanc, qui l’avait mutilée, tronçonnée, et, pis que cela, déshonorée en un précédent travail. Mais cette individualité, qui n’en a pas fait le tour ? Qui ne sait pas l’écart de compas qu’il faudrait pour mesurer cet homme, qui va du génie à la plus grande âme, de la plus grande àme à l’esprit le plus séduisant, et chez qui toutes les qualités simplement aimables ne font pas croire, comme chez la plupart des autres hommes, à un affaiblissement dans la puissance ?… Tout cela est incontesté aujourd’hui et demain sera incontestable, et nous le laisserons à qui fait la cour à la gloire en lui faisant écho, pour prendre seulement un détail de ces lettres, un détail entre mille, parce que ce détail donne à leur publication une spécialité de saveur morale et une nuance de beauté littéraire que nous n’avons jamais trouvées à un égal degré dans les autres Correspondances de Joseph de Maistre, et sur lequel, pour cette raison même, nous demandons la permission d’insister.
Il y est pourtant bien exquis déjà, en ces correspondances ! Ce qui frappa surtout quand elles parurent, car son génie était connu et faisait trembler, ou du moins étonnait quand on ne tremblait pas, ce qui frappa en ces lettres inespérées, ce fut le père, non le père majestueux, quoiqu’il y fût aussi, le paterfamilias, Romain deux fois, de la Rome antique et de la Rome chrétienne, mais le père tendre comme une mère, le genre de père qu’avec la gravité d’un tel homme justement on n’attendait pas ! Le sentiment paternel a cela de divin, il est vrai, qu’il se paye comme Dieu avec lui-même et qu’il est heureux uniquement de ce qu’il existe. Vous savez la phrase très commune, mais très vraie : « Quel mérite a-t-on d’aimer ses enfants ? » On a le mérite des âmes bien faites et profondes ; mais de mérite acquis, pénible, arraché aux instincts et tout saignant des cruautés du sacrifice, il n’y en a point, c’est la vérité !
D’un autre côté, quand on aime ses enfants et qu’on a du génie, comme de Maistre, et de la tendresse dans le génie, on efface bien vite sous la vérité de ce qu’on écrit toutes les mignonneries de cette délicieuse Artificielle, de cette caillette, non pas d’esprit, mais de cœur, qui s’appelle madame de Sévigné ! Et le mérite est encore là d’être ce qu’on est, c’est-à-dire un des privilégiés du bon Dieu ! Or, à côté du sentiment et de la grâce de la paternité dans un homme de génie, il y a en Joseph de Maistre un sentiment bien plus étonnant et bien plus rare, un sentiment qui fait moins son train dans les cœurs et qui surtout, dans cette correspondance-ci (Correspondance diplomatique)44, s’élève en lui jusqu’à la plus haute raison et la plus haute vertu, sans cesser pour cela d’être une grâce, sans cesser d’être une chose charmante d’expression, et ce sentiment-là, c’est le respect voulu et maintenu de tout ce qu’on pourrait ne plus estimer ou mépriser peut-être. C’est le respect du sujet fidèle à un souverain très indigne ou très ingrat, mais, après tout, au souverain ! Car Joseph de Maistre, ce n’est pas la féodalité comme nous l’avons vue mourir dans les derniers gentilshommes de l’ancienne monarchie, c’est quelque chose de plus et de mieux.
Et, en effet, pour ce génie mystiquement politique, la souveraineté était un fait de l’ordre supranaturel et divin que les fautes, les excès, les aveuglements, les folies des familles dépositaires de cette chose — la souveraineté — ne pouvaient elles-mêmes jamais invalider, et contre laquelle tout ce qu’on faisait était, comme le dit Bossuet, nul de soi. Telle était l’idée de Joseph de Maistre, que vous retrouvez sous toutes les pages qu’il a écrites ici ou là : ici plus profondément, plus splendidement, — mais en appuyant moins là-bas, mais partout ; — cette idée est le sol, le sous-sol et la superficie de toutes ses théories politiques, de toutes ses dissertations d’histoire. Eh bien, cette idée immense, utopique ou fausse si vous voulez, mais sublime, de la souveraineté, n’a pas régné que sur la pensée de Joseph de Maistre, elle a régné aussi sur tous les actes de sa vie, et elle a communiqué au royalisme de ce pauvre gentilhomme de Savoie, pour lequel le roi qu’il servait eut toutes les royales ingratitudes et toutes les royales indifférences, quelque chose de si continûment et de si obscurément héroïque, que le héros ressemble, ma foi ! beaucoup à un saint !
Je ne dirai point que ce fut pendant dix-sept ans le plus incroyable spectacle, car ce ne fut point un spectacle du tout. Deux ou trois personnes tout au plus surent les misères de ce pauvre grand homme, qui s’est plaint heureusement dans ces lettres, mais comme jamais ne se plaignit un homme qui a droit de se plaindre. Ainsi qu’on le savait avant les Correspondances, ministre plénipotentiaire du roi de Sardaigne réfugié à Gagliari, auprès de l’empereur de Russie, Joseph de Maistre fut pendant dix-sept ans en proie aux plus cruelles détresses, ce qu’on ne savait pas et ce que la Correspondance diplomatique a seule révélé.
Comme tout est relatif en ce monde, on peut bien dire que pour un ministre plénipotentiaire Joseph de Maistre mourut de faim dix-sept ans à Saint-Pétersbourg. Dans un pays comme la Russie, où la richesse est plus nécessaire que partout ailleurs, même qu’en Angleterre, Joseph de Maistre ne pouvait payer un secrétaire, et le plus souvent n’avait pas assez d’argent pour prendre une voiture. « On me dit, — écrit-il avec cette philosophie que j’appelle, moi, une sainteté, et qui fut toujours si piquante d’esprit quand elle était le plus touchante de résignation, — on me dit que j’ai de l’esprit, mais je ne puis cependant pas faire avec de l’esprit une berline ! »
Ce Job de la diplomatie savait tenir contre la misère avec la gaité de Beaumarchais, mais il ne savait plus qu’être triste devant l’abandon d’un gouvernement, stupide de cœur comme de tête, qui ne lui donnait ni mission réelle, ni instructions, et, en échange d’admirables conseils demandés pour ne pas les suivre, lui renvoyait d’ordinaire d’ineptes duretés… Ah ! si dans les Mémoires de Lamarck (une révélation aussi comme ces Lettres diplomatiques) nous souffrons amèrement de voir Mirabeau, cette grande canaille de Mirabeau, qui veut sauver la monarchie et qu’on paie pour cela, avoir des coups de sang d’honnête homme indigné parce qu’il ne gagne pas son argent et qu’on ne suit pas ses conseils, si c’est là un de ces spectacles qui relèvent Mirabeau du mépris dans lequel l’aurait tenu l’Histoire, mais, hélas ! qui navrent le cœur de ceux-là qui ne voudraient pas mépriser Louis XVI, que dire et que penser de ce roi de Sardaigne qui a le bonheur d’avoir pour serviteur un Joseph de Maistre, un Mirabeau sans scories, qui n’a, lui, ni dans l’intelligence, ni dans la conscience, ni dans la conduite, l’ombre d’une seule de ces taches dont Mirabeau était constellé, et qui n’écoutait pas cet homme fidèle, au génie toujours prêt pour son service, ou qui le méconnaissait après l’avoir invoqué !
Que dire de cette véritable déportation de Joseph de Maistre, dans une cour où ce supplicié de par son maître ne se débattait pas, ne criait pas, mais restait digne et doux, — un de ces doux à qui, disent les livres saints, la terre appartient, — et qui, en attendant la terre qu’il n’eut jamais, du reste, eut au moins l’estime et la faveur d’Alexandre, d’Alexandre qui avait pénétré quel homme c’était que ce Joseph de Maistre, et qui, par des procédés de grande âme, le vengea souvent des sécheresses et des ingratitudes de son roi !
C’est là l’histoire de Joseph de Maistre que ces lettres ne nous racontent pas en se passionnant, mais montrent avec une éloquence inouïe, gaie ici, triste là, ironique plus loin, mais toujours aimable et respectueuse ! car Joseph de Maistre est certainement le seul homme au monde qui ait fait passer tous les sentiments de la vie, les plus offensés et les plus résistants, à travers la réalité d’un respect qui ne se démentit jamais, quand tout aurait dû, à ce qu’il semble, le faire éclater. Ce n’était plus ici de la courtisanerie ou de l’étiquette, ce n’était même point passion malheureuse de fidélité, non ! C’était quelque chose d’incomparable, — une sensibilité, une fierté, une conscience de soi, justement révoltées, et qui, armées de toutes les puissances de l’esprit, savaient s’en servir d’une manière charmante ou poignante, sans blesser une seule fois ce respect dans lequel de Maistre avait mis l’honneur de sa vie !
Voilà la saveur morale de cette correspondance, mais la beauté morale qu’elle atteste a fait leur beauté littéraire. Pour se plaindre comme Joseph de Maistre se plaint dans ses lettres, pour sourire comme il y sourit, pour se moquer comme il s’y moque, il a fallu autant de stoïcisme que de grâce, et, on le sait, messieurs les stoïques ne sont pas habituellement gracieux ! Il faut lire ces lettres pour le savoir.
Jamais on ne se douterait à distance des dépenses d’esprit, d’art, de délicatesses infinies qu’il a faites, cet Infortuné et ce Méconnu adorable, pour insinuer seulement qu’il était méconnu et qu’il était malheureux ! Allez ! vous pouvez prendre les plus spirituels parmi les plus spirituels quand l’esprit est aimable, vous pouvez prendre Hamilton, Rivarol et Voltaire lui-même, et vous n’aurez jamais rien de plus aimable que ce de Maistre qui parle si délicieusement des torts qu’on a envers lui avec ceux-là mêmes qui les ont ! Jamais l’esprit, cet esprit qui est toujours un peu diable, n’est-ce pas ? ne s’en est si bien tiré dans une circonstance si difficile !
Voltaire, Rivarol, Hamilton, ces vauriens brillants, auraient succombé, ils auraient emporté la nuance. Joseph de Maistre, lui, ne l’a pas même altérée. Il s’est joué en elle, il a eu la force qui s’arrête à temps, et sa force a été doublée. C’est que Joseph de Maistre a encore plus le génie de l’esprit que l’esprit du génie. Il a beau avoir de la grandeur de tête et de la vertu, Joseph de Maistre a un esprit du diable, comme on dit dans le pays des gens d’esprit, mais c’est le diable avant sa chute, dans le temps qu’il était ange encore et qu’il s’appelait Lucifer !
La Correspondance diplomatique, interrompue en 1811, dans ces deux premiers volumes qui nous donnèrent un de Maistre d’invention encore plus que de découverte, va, avec les deux volumes nouveaux, de 1800 à 1817 ; c’est-à-dire qu’elle embrasse en définitive les plus grands événements du siècle qui a changé la Tradition européenne. C’est là un intérêt immense. C’en est un autre de voir l’histoire de ces redoutables temps passer à travers la tête de Joseph de Maistre, et s’y teindre des idées et des couleurs de ce grand esprit éclatant ! Quel envers à l’histoire de Thiers sur le Consulat et l’Empire, que cette correspondance du comte de Maistre ! Cependant, ce n’est ni cette histoire écrite à ce point de vue qu’en France n’accepterait personne, ni cette curieuse rencontre de Joseph de Maistre jugeant confidentiellement Napoléon, qui sont l’intérêt le plus vif de cette piquante publication. Avant de l’avoir lue, nous nous doutions bien du genre de jugements qu’on y trouverait (à part les arrangements d’Albert Blanc, bien entendu). L’esprit le plus absolu, mais aussi le plus élevé qu’ait produit l’ancien régime expirant, l’auteur illustre du Pape, des Soirées de Saint-Pétersbourg et du Bacon, ne pouvait être compté parmi ces jaloux contemporains de Napoléon qui ont parlé de lui avec la voix de femme de la jalousie : madame de Staël, Marmont, Chateaubriand !
Nous nous doutions bien de la haine de Joseph de Maistre contre celui qu’il appelle le Dæmonium meridianum, mais nous savions aussi à l’avance que cette haine ne serait jamais mesquine, et, de fait, la haine de de Maistre est taillée à la grandeur de l’homme qui l’inspire ! Elle lui fait encore piédestal. Tout cela, facile à prévoir, n’est donc pas pour nous comparable à l’impression que doit causer le ton d’un livre écrit par un esprit qui passait pour violent, — ce qui n’était peut-être pas une calomnie, — et qui a résolu incroyablement le difficile problème, en littérature et en société, de tout dire en respectant tout et de toujours le dire de manière à entrer le plus dans ceux à qui on le dit ! L’auteur du fameux passage sur Voltaire et sur le bourreau ! l’homme de la rage sainte, concluant comme saint François de Sales qu’il ne faut pas dire trop de mal même du diable, et ajoutant à son talent à force de vertus, voilà pour nous la grande affaire.
Être doué d’un esprit prodigieux dans le sens le plus leste et le plus brillamment impertinent de ce mot d’esprit, qui souvent dominait chez Joseph de Maistre toutes les gravités du génie, et devenir d’autant plus spirituel qu’on est plus respectueux, et gagner, dans cette compression féconde, mais douloureuse, d’un respect même immérité, des formes toutes — puissantes ou délicieuses pour sa pensée, qu’on n’aurait peut-être jamais eues sans cela, voilà ce que nous tenions à faire remarquer, nous qui pensons que la moralité d’un homme ajoute toujours à la beauté de ses œuvres ! Quelle plus belle leçon de rhétorique donnée par la morale à la littérature, qui probablement n’en profitera pas !