Chapitre VII.
Des ouvrages périodiques.
§. I.
Des Journaux Littéraires.
La maniere de faire savoir au public par une espêce de Journal, ce qui se passe dans la République des Lettres, est une des plus belles inventions du dix-septiéme siécle. La gloire en est due à M. de Sallo, Conseiller au Parlement de Paris, qui fit paroître le Journal des Savans, l’an 1665. sous le nom de Hédouville. Nous avons joui paisiblement de l’honneur de cette invention jusqu’en 1687. que M. Wolfius, savant Allemand, s’avisa de nous la contester pour en revêtir Photius qu’on doit ranger plûtôt dans la classe des bibliographes que dans celle des journalistes.
La forme du Journal des Savans n’a pas été toujours la même. Dans les commencemens, on se contentoit d’indiquer l’usage des livres modernes, & d’en porter des jugemens sans aucun extrait ; mais peu à peu le Journal est devenu annalitique. Cet ouvrage est aujourd’hui entre les mains d’une société de gens de lettres, aussi estimables par leur érudition que par leur politesse. Quand un auteur s’est trompé, on le reprend honnêtement ; & lorsqu’il y a du ridicule dans un livre on le tire avec tant de circonspection, que l’écrivain peut seulement se le reprocher à lui-même. Les analyses sont longues ou courtes, selon que l’importance de la matiere le demande, & le style noble, pur, élégant, est proportionné aux différens sujets.
Le Journal des Savans fut le pere d’une quantité prodigieuse d’autres Journaux ; mais on doute s’il voudroit légitimer tous ses enfans. Depuis 1665., on en a vu paroître & disparoître plus de deux cens, écrits en diverses langues. Le fameux Bayle, surpris de voir qu’en Hollande où il y avoit tant de Libraires & une si grande liberté d’imprimer, on ne se fût pas encore avisé de donner un Journal de Littérature, en publia un au commencement de 1684., sous le titre de Nouvelles de la République des Lettres. Presque tout étoit vif & animé dans ses extraits. Il avoit l’art d’égayer toutes ses matieres, & de renfermer en peu de mots l’idée d’un livre. Il étoit ordinairement sage & retenu dans ses jugemens ; mais son style étoit un peu trop libre. Il s’étoit flatté que son ouvrage ne seroit pas défendu en France ; cependant il le fut, parce que l’on prétendoit qu’il renfermoit des semences d’erreur. Mais cette défense n’empêcha pas qu’il n’y en passât tous les mois un grand nombre d’exemplaires qui étoient lus avec une avidité inconcevable.
Les occupations multipliées de l’auteur, & quelques maladies l’ayant obligé de discontinuer ses nouvelles au mois de Février 1687., Basnage de Bauval les reprit à sa sollicitation au mois de Septembre de la même année. Il les publia sous le titre d’Histoire des ouvrages des Savans, & les poussa jusqu’au mois de Juin 1702. La modération & le désintéressement conduisoient sa plume, & quoiqu’en Hollande il observoit les regles de la politesse & de l’honnêteté. Ses extraits étoient bien faits ; mais son style étoit trop peiné & trop maniéré.
Jean le Clerc, ministre Arménien à Amsterdam, émule de Bayle, entreprit aussi un Journal dès 1686. & le publia sous le titre de Bibliothèque universelle & historique. Mais après le vingt-cinquiéme volume de cet ouvrage savant & curieux, il lui donna celui de Bibliothèque choisie, pour servir de suite à la Bibliothèque universelle. Cette Bibliothèque choisie commença en 1703. & finit en 1713. ; après le vingt-septiéme vol. en 1715. M. le Clerc qui enfantoit en même tems quantité d’autres ouvrages, & sur toutes sortes de matieres, fit encore paroître la Bibliothèque ancienne & moderne, qu’il continua jusqu’à ce qu’affoibli par l’âge il fut obligé de quitter la plume.
De tous les Journaux qui parurent ensuite en Hollande, aucun ne fut mieux écrit que le Journal Littéraire commencé à la Haye en 1713. Divers écrivains connus, tels que s’Gravesande, Sallengre, Van-effen, St. Hyacinthe, y travaillerent successivement. Les auteurs lisoient les ouvrages avec réfléxion ; leurs jugemens étoient exacts & sans partialité ; mais sous prétexte de donner des analyses ; ils étoient un peu trop copistes : défaut qui leur est commun avec la plûpart des faiseurs de Journaux.
Les Jésuites ont été long-tems en possession d’un Journal connu sous le titre de Mémoires pour l’histoire des sciences & des beaux arts. Il seroit difficile de vous faire connoître les différentes personnes qui ont eu part à ce Journal commencé en 1701. On y trouvoit des extraits très-bien faits ; mais pendant un certain tems les controverses du Jansénisme & du Molinisme y entroient pour beaucoup. Le néologisme & les phrases de collège défiguroient le style, & l’on sentoit un peu trop que dans la distribution des éloges & du blâme, ils distinguoient leurs amis de leurs ennemis. Ce Journal est aujourdhui entre les mains de M. l’Abbé Aubert & de M. Castillon : deux auteurs qui savent rendre justice au mérite, & qui écrivent avec soin & avec goût.
Il y a eu une autre espêce de Journaux littéraires plus piquants encore
que ceux qui sont connus ordinairement sous ce nom. On voit bien que
j’ai en vue les feuilles périodiques dont l’Abbé Desfontaines donna la
premiere idée
vers l’an 1732. Son premier ouvrage en ce genre parut sous le titre de
Nouvelliste du Parnasse. Il fut supprimé peu de
tems après. Mais en 1735. il obtint un nouveau privilège pour des
feuilles périodiques. Ce sont celles qu’il intitula, Observations sur les écrits modernes. On les supprima encore
en 1743. Cependant l’année suivante il donna de nouvelles feuilles sous
le titre de Jugemens sur les ouvrages nouveaux. Il
explique lui-même à la tête de son Nouvelliste du
Parnasse comment il prétendoit exécuter son projet.
“Notre but n’a jamais été, dit-il, de faire des extraits des
livres nouveaux ; nos lettres sont destinées à des réfléxions sur
les ouvrages d’esprit, & sur d’autres, lorsqu’ils amenent
l’occasion de dire des choses agréables ou curieuses. Ce n’est pas
sans raison que nous avons choisi le genre épistolaire ; outre que
le style en est libre & aisé, certains tours qui lui sont
familiers donnent de l’éclat & de la vivacité aux
réfléxions.”
Il y a en effet de la chaleur dans les feuilles
périodiques de l’Abbé Desfontaines. Son style
est vif, clair, naturel, & assaisonné du
sel de la critique ; il avoit surtout une adresse cruelle &
singuliére à donner le change aux auteurs mêmes qu’il critiquoit ; &
tel écrivain a été le remercier d’une louange ingénieusement équivoque,
qui s’est ensuite apperçu qu’il s’étoit laissé honteusement tromper par
son style à deux faces. Une obligation qu’on lui a, c’est d’avoir
poursuivi sans relâche le phœbus, le clinquant, le goût des pointes
& du néologisme. On n’auroit peut-être que des louanges à lui
donner, dit M. Lacombe, s’il se fût toujours montré un
censeur impartial, s’il eût toujours eu soin de couvrir de fleurs
l’épine dont il piquoit. Mais l’humeur & la passion ont souvent
conduit sa plume. La mordante ironie n’a pas épargné les auteurs les
plus illustres. Peut-être n’agissoit-il ainsi que pour s’attirer un plus
grand nombre de lecteurs. Il n’ignoroit pas que le vulgaire s’amuse
volontiers des quérelles, & voit avec une sectette satisfaction ceux
qui ont forcé son estime, exposés eux-mêmes à la risée publique. Lorsque
l’Abbé Prévot publia la traduction des Lettres
familieres de Ciceron, il
en fit présent à l’Abbé Desfontaines, qui lui
écrivit : “Je fais cas de votre ouvrage, j’en ferai un extrait
comme il faut. Vous me pardonnerez bien, si j’y fais quelques
remarques critiques. Alger mourroit de faim, s’il étoit en paix avec
tout le monde.”
Après la mort de l’Abbé Desfontaines, M. M. Freron & de Laporte, disciples de ce juge du Parnasse, donnerent des nouvelles feuilles, l’un sous le titre de Lettres sur quelques écrits nouveaux, l’autre sous celui d’Observations sur la Littérature moderne. Ces ouvrages écrits d’une maniere attrayante, ne furent continués que jusqu’en 1753. Au commencement de l’année suivante, M. Freron publia son Journal sous le titre d’Année littéraire. Il en donne huit volumes chaque année. Son ouvrage comprend la belle littérature, les productions agréables, telles que les histoires, les romans, les brochures, les piéces d’éloquence & de poésie, les ouvrages dramatiques, particuliérement la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture, en un mot, ce qu’on entend par belles-lettres & beaux arts. La liberté qu’a l’auteur de dire naturellement ce qu’il pense des ouvrages nouveaux, la critique piquante qui caractérise ses écrits, lui ont conservé la réputation que ses premiers essais en ce genre lui avoient acquise. On a vu, pendant plusieurs années, une foule de journaux s’élever à l’envi ; tous n’ont fait que paroître. La Semaine, le Glaneur, le Conservateur, le Journal des Journaux, le Censeur hebdomadaire, le Spectateur, le Rédacteur, ont à peine laissé l’idée de leur existence. Mais l’Année littéraire s’est maintenue, malgré les clameurs du bel esprit de nos jours, qui démasqué & vivement censuré par l’auteur des feuilles, a cru lui imposer silence en l’accablant des injures les plus atroces. On se plaint vainement contre un critique qui a une partie du public pour lui.
Le Mercure de France, si vilipendé par la Bruyere, auroit eu son estime, s’il avoit été fait de son tems avec le même soin qu’aujourdhui. Il est entre les mains d’une société de gens de lettres de beaucoup de mérite, à la tête desquels est M. Lacombe. Son origine remonte à l’an 1672. M. de Vise en avoit fait un ouvrage purement agréable. Ses successeurs en ont fait un livre utile, sans lui faire perdre ses agrémens. Ce Journal est divisé en six articles. Dans le premier, on fait entrer les morceaux d’imagination & de pur agrément. Dans le second, on donne les séances des Académies, & l’on annonce les livres nouveaux. Le troisiéme est consacré à des morceaux de science & de belles-lettres. On réserve le quatriéme aux arts utiles & agréables. Le cinquiéme est pour les spectacles & le sixiéme pour les nouvelles, naissances, mariages, morts, édits, déclarations, arrêts & avis. Ces six articles bien remplis & de morceaux choisis, en prose comme en vers, justifient la dévise du Mercure, qui est Diversité.
Le Journal de Verdun commencé depuis plus de soixante ans, débute par des annonces de livres nouveaux, donne quelques morceaux de poésie ; mais les nouvelles politiques en occupent la plus grande partie ; & il en est un recueil qui servira à l’histoire. Il est dirigé par M. Bonami, de l’Académie des inscriptions & belles-lettres, homme savant & poli.
Les hommes qui cultivent les arts & les sciences, sont considérés comme ne faisant qu’une seule république. La Gazette littéraire embrasse les productions de tous les savans de l’Europe, & leur fait parler une langue commune, en rendant leur esprit & leurs idées en françois par des extraits ou des morceaux entiérement traduits. Deux hommes distingués par leurs talens, conduisent cet excellent Journal, dont la réputation s’étend dans tous les lieux où le nom françois a pénétré. Nous apprenons dans le moment que ce Journal n’existe plus.
Les petites Affiches de Province sont les moins coûteuses & les plus répandues de toutes les feuilles. M. de Querlon, qui en est l’auteur, juge avec tant d’impartialité, discerne les beautés & les défauts avec tant de finesse & écrit avec tant de précision, que, quoique son ouvrage soit particuliérement destiné à la province, il a une quantité considérable de souscripteurs dans la Capitale.
Le Journal Encyclopédique embrasse tous les objets des sciences & des beaux arts. Il peut tenir lieu des Gazettes mêmes ; car la derniere partie est un Journal politique très-bien fait. M. Rousseau de Toulouse & ses parens M. M. Castillon, sont les auteurs de cet ouvrage, auquel on fait en France, comme dans les pays étrangers, un accueil très-favorable. L’instruction s’y trouve avec l’agrément, & il y a de la profondeur dans quelques-uns de leurs extraits.
Nous avons un grand nombre d’autres ouvrages périodiques, qui ont chacun leur utilité.
Le Journal Economique, composé par une société de gens de lettres, vit le jour pour la premiere fois en 1751. Il a pour objet l’économie considérée dans les parties relatives au commerce, à l’agriculture, & aux arts qui en dépendent. Le zéle du bien public a suggéré l’idée de cet ouvrage.
Le Journal Ecclésiastique embrasse toutes les connoissances qui peuvent intéresser le Clergé séculier & régulier. M. l’Abbé Dinouart, qui en est l’auteur, le remplit des instructions les plus solides.
Le Journal des Dames, commencé par M. de Campigneules, & continué par M. M. Mathon de la Cour & Sautreau, s’occupe de tout ce qui peut intéresser le beau sexe dans la littérature & dans les arts agréables. Il a été supprimé en 1768., quoiqu’il fut très recherché.
Le Journal de Médecine, par Mr. Roux, & la Gazette salutaire imprimée à Bouillon, sont deux Journaux qui ont le même objet. Les auteurs le remplissent avec succès. Il y a encore le Journal du Commerce, la Gazette du Commerce, la Gazette Comestible, dont les auteurs s’occupent à donner les connoissances relatives à leur titre.
L’Encyclopédie Militaire est un Journal, qui est uniquement destiné aux Officiers. C’est une nouvelle école de Mars.
Le Journal d’Education étoit consacré à l’instruction des instituteurs de la jeunesse. L’auteur s’occupoit de tout ce qu’on fait dans les différens Collèges ou dans les pensions du Royaume. Mais son Journal ayant eu peu d’acheteurs, il a été obligé de le discontinuer.
Le Spectateur françois pour servir de suite à celui de Marivaux. Ce Journal a pour objet de présenter un tableau des mœurs & des ridicules du siécle. Les deux premiers volumes qui paroissent annoncent que les auteurs ne sont point au-dessous de leur entreprise.
Enfin l’Avant-Coureur, petite feuille in-8°., composée aujourdhui par M. Lacombe, va au-devant des autres écrits périodiques. Son but est d’annoncer les nouveautés en tout genre à l’instant même qu’elles paroissent.
Tant d’ouvrages périodiques ne peuvent être en vogue, sans une grande multitude de lecteurs. Nous en avons en effet beaucoup en France ; mais il est bon d’avertir les jeunes gens que des extraits de livres ne forment pas plus le véritable homme de lettres, que des lambeaux de différentes étoffes ne feroient un habit convenable. Il est bon de lire des Journaux ; mais il faut aussi lire autre chose, du moins si l’on veut acquérir des connoissances étendues & solides.
§. II.
Des gazettes.
Ces rélations des affaires publiques, inventées en France en 1631. par le Médecin Théophraste Renaudot, sont très-multipliées aujourdhui en Europe. Il seroit difficile de dire à laquelle de ces Feuilles on doit donner la préférence. Chaque lecteur doit se décider suivant son goût, ou plûtôt suivant le parti qu’il a pris. Dans la derniere guerre les uns étoient pour le Roi de Prusse, les autres pour l’Impératrice Reine. Aujourdhui on se partage entre la Czarine & le grand Turc. On doit donc se consulter soi-même en faisant choix des papiers publics, qui favorisent le plus notre inclination. Mais, quoique l’on ne doive donner aucun conseil à cet égard, il faut bien recommander aux jeunes gens de ne pas donner la préférence à ces Gazettes qui ne sont que des compilations gros-fréres de nouvelles diffamantes, de libelles absurdes écrits d’un style barbare, où la vérité n’est pas moins blessée que la langue.
La Gazette de France s’est toujours préservée de ce défaut. On n’y dit pas tout ; mais tout ce qu’on y dit est vrai. Le style est aussi simple que correct, & c’est un bon modèle pour ces sortes d’ouvrages. Rien de plus ridicule que de prendre un ton empoulé pour annoncer des choses triviales. Les exordes, les réfléxions, les longues phrases doivent en être bannies. Vérité, clarté, simplicité, voilà les qualités d’une bonne Gazette.