Chapitre VI.
Des Livres qui traitent de la Rhétorique.
§. I.
Des ouvrages des Anciens sur la Rhétorique, & des traductions qui en ont été faites en françois.
LEs Grecs ont été les premiers qui ont donné des regles d’Eloquence, quoique ce peuple ingénieux pût s’en passer plus facilement qu’un autre. De tous ceux qui brillerent en ce genre, il n’y en a point qui ayent mieux réussi qu’Aristote. On trouve dans sa Rhétorique de l’ordre, de l’exactitude & une grande suite de principes & de raisonnemens bien liés. Les préceptes que ce Rhéteur philosophe fournit sur le genre déliberatif, le démonstratif & le judiciaire ; la peinture qu’il fait des mœurs de chaque âge, de chaque état, de chaque condition, la maniere dont il explique les moyens d’exciter ou de calmer les passions ; les instructions qu’il donne par rapport aux preuves, aux caractères de la bonne élocution, au choix des mots, à la structure de la période, & à toute l’œconomie du discours oratoire, montre qu’il n’ignoroit rien de ce qui est essentiel à l’éloquence, & qu’il en avoit approfondi toutes les parties. C’est le sentiment du P. Rapin & tous ceux qui ont lu l’ouvrage d’Aristote ont applaudi à l’éloge que ce savant Jésuite en fait. Mais en général, la diction de ce Rhéteur a un air fec, triste & scholastique. M. de Voltaire le traite avec plus d’indulgence ; il prétend que tous ces préceptes respirent la justesse éclairée d’un Philosophe & la politesse d’un Athénien ; & en donnant les regles de l’éloquence, il est, dit-il, éloquent avec simplicité.
François Cassandre, le même que Boileau a peint comme un misanthrope, donna en 1675. in-12. une traduction françoise de la Rhétorique d’Aristote, qui est claire, exacte & fidéle, mais qui pourroit être plus élégante. Il joignit des remarques pour éclaircir quelques endroits de l’ouvrage même, l’un des plus difficiles que nous ayions & que les différentes versions latines ont encore obscurci.
Les Grecs ont eu un autre Rhéteur, non moins profond qu’Aristote, & plus agréable ; c’est Longin. Son traité du Sublime n’est pas l’ouvrage d’un pédant froid & sec. En traitant des beautés de l’élocution, il en a employé toutes les finesses. Souvent il donne lui-même l’exemple de la figure qu’il enseigne ; & en parlant du sublime, il est quelquefois sublime, sans pourtant s’écarter trop du style didactique. Ce petit traité est une piéce échappée du naufrage de plusieurs autres livres que cet illustre auteur avoit composés. Il ne faut pas en négliger la lecture. La traduction françoise que Boileau en a donné, a rendu la copie facile & aussi agréable à lire que l’original.
Si des Grecs nous passons aux Latins, nous trouvons d’abord Ciceron qui fut le maître, ainsi que le modèle ; de la véritable éloquence. Après avoir donné les exemples dans ses harangues, il donna les préceptes dans son livre de l’Orateur. Il suit presque toujours la méthode d’Aristote, & s’explique avec le style de Platon. Ce traité fut un des fruits de la vieillesse de ce grand homme. M. l’Abbé Colin en publia une excellente traduction en 1737., exactitude, fidélité, élégance, on y trouve tout ce qu’on devoit attendre d’un auteur familier avec les Orateurs anciens & modernes, & couronné trois fois par l’Académie françoise.
Il ne faut pas confondre ce traité de Ciceron avec ses Entretiens sur les Orateurs illustres. Ce dernier ouvrage est une espêce d’application des préceptes contenus dans l’autre. Ciceron y fait une revue de tous ceux, qui, avant lui, ou même de son tems, s’étoient distingués dans cet art. Il porte un jugement sain & précis de leurs ouvrages ; il en découvre les beautés comme les défauts. Les Muses & les Graces semblent avoir travaillé de concert à ces Entretiens ; mais on ne peut pas donner le même éloge à la traduction que M. de Villefore en publia en 1726. in-12. On n’y trouve point l’élégance de l’original, & le sens n’est pas toujours rendu. Mais il est vrai que Ciceron n’est pas un auteur facile à manier, & c’est beaucoup d’en approcher.
Quintilien, sous l’Empereur Galba, tint école de Rhétorique, & enseigna avec la même distinction que Ciceron avoit harangué. Après vingt ans d’instruction publique, il se retira & donna un Traité sur les causes de la corruption de l’éloquence dont on regrette la perte. Ses Institutions oratoires que nous possédons, sont une Rhétorique complette que l’on vante avec raison, & qui n’a d’autre défaut que d’être trop prolixe.
Ses préceptes brillant d’une lumiere pure,Semblent être puisés au sein de la nature.C’est ainsi qu’avec art dans les dépôts de Mars,Sont rangés les drapeaux, les piques & les dards.Non pour offrir aux yeux une parade vaine ;Mais placés avec ordre on les trouve sans peine.
C’est ce que dit Pope en parlant de Quintilien. Ce Rhéteur a profité du travail & des lumieres d’Aristote & de Ciceron, mais il a suivi une route toute différente. Il prend au berceau celui qu’il veut former à l’éloquence. Il lui choisit des maîtres vertueux & habiles ; il montre comment il faut lui enseigner les principes des langues, des sciences & des beaux arts. Il prescrit la méthode qu’on doit garder pour cultiver ses dispositions naturelles, pour éclairer son esprit, diriger ses lectures, corriger ses essais, & se former peu à peu à l’exactitude de la composition. Non content de donner des regles par rapport à la conduite de l’esprit, il en donne aussi pour celle des mœurs. Ensuite quand le cœur & l’esprit du disciple sont assez formés, il lui ouvre les trésors de la Rhétorique, il lui en découvre la nature, la fin & les moyens. De son tems, l’éloquence avoit beaucoup dégénéré. On commençoit à préférer le clinquant à l’or pur ; on rejettoit les pensées que la nature dicte pour courir après celles que l’art suggére. On vouloit dans un discours des pointes, de jeux de mots, des traits brillans. On cherchoit, non ce qui orne la vérité, mais ce qui la farde ; & l’on croyoit n’avoir ni esprit, ni délicatesse, si ce qu’on disoit pouvoir s’entendre facilement, & sans avoir besoin d’interprêtes. Quintilien combattit ce mauvais goût. Il prit la défense des Anciens ; il soutint qu’il étoit dangereux de vouloir avoir plus d’esprit que Démosthènes & que Ciceron, qu’ Homère, que Virgile & qu’Horace ; que ces vains ornemens dont on étoit si amoureux faisoient une éloquence fardée, qui n’avoit plus rien de naturel ; enfin que l’affectation, l’obscurité, l’afféterie & l’enflure étoient incompatibles avec le beau style. Tout le monde connoît la fidéle & élégante traduction de Quintilien en quatre vol. in-12. & en un vol. in-4°. par M. l’Abbé Gedoin. Admirateur des Grecs & des Romains, il en devint▶ l’heureux interprête. Ses versions ressemblent aux belles copies de l’antiquité, qui font revivre dans un travail moderne le feu & l’esprit de l’original ancien.
On a attribué à Quintilien, mais peut-être sans raison, le Dialogue des Orateurs, qui se trouve parmi les œuvres de Tacite. Ce Dialogue ne peut être que l’ouvrage d’un grand maître. On y trouve des caractères soutenus, des portraits d’après nature, des contrastes menagés avec art, une composition variée, des comparaisons justes. Par-tout on discerne un auteur sage, judicieux, mais trop fleuri & trop porté vers cette éloquence déclamatoire qui s’empara peu à peu de tous les esprits, & qui perdit entiérement le goût. M. Morabin publia en 1722. à Paris une traduction de ce Dialogue qui est exacte & conforme à l’original.
§. II.
Rhétorique des modernes.
L Es Modernes ont écrit sur la Rhétorique comme les Anciens ; ils ont suivi leurs préceptes, mais ils les ont quelquefois approfondis de façon à se les rendre propres. Je commencerai la liste de leurs écrits par l’ouvrage que M. Gibert a publié sous ce titre : Jugement des Savans sur les auteurs qui ont traité de la Rhétorique, avec un précis de la Doctrine de ces auteurs. Ce livre est d’autant plus utile, qu’on peut le regarder en quelque façon, comme un corps de Rhétorique, à cause du grand nombre de regles, de principes & de réfléxions sur cet art, dont il est rempli. C’est en même tems un bon recueil de Mémoires qui peuvent infiniment servir à ceux qui voudront écrire sur cette matiere. Il y a beaucoup à profiter dans l’examen qu’il fait des sentimens de tant de différens auteurs, sur un art aussi beau & aussi utile que celui de l’Eloquence. M. Gibert ne prétend pas cependant avoir épuisé son sujet, ni avoir parlé de tous les Rhéteurs anciens & modernes. En ceci, comme dans les autres sciences, le bon est borné & le mauvais est infini.
Il faut mettre dans ce dernier genre toutes les Rhétoriques qui ont précédé l’Art de parler du Pere Lami de l’Oratoire, & on pourroit même y comprendre ce livre, plein de choses étrangeres à son sujet, d’idées fausses & bizarres, & qui est d’ailleurs très-superficiel. C’est le sentiment de M. Gibert qui nous a donné quelque chose d’infiniment meilleur dans sa Rhétorique ou Regles de l’Eloquence, Paris 1730. in-12.
Cet ouvrage est divisé en trois Livres. L’auteur traite dans le premier
de l’invention oratoire, c’est-à-dire, de cette partie de l’art de
l’éloquence
qui donne des préceptes pour aider à trouver
les pensées qui doivent composer le discours. Il explique dans le second
Livre, les différentes parties du discours & l’arrangement qu’il
faut y garder. L’élocution & tout ce qui y a rapport, font la
matiere du troisiéme Livre. Dans tous, on sent un maître qui avoit
enseigné depuis plus de 40 ans les regles qu’il explique. “C’est
lui rendre justice, dit l’Abbé Desfontaines, que
de reconnoître qu’il posséde Aristote, Hermogene, Ciceron, Quintilien ; qu’il entend la matiere qu’il
traite ; qu’il entend la matiere qu’il traite ; que les principes de
ses grands maîtres sont bien expliqués, & qu’il y a de la
dialectique dans ce qu’il a écrit sur l’art oratoire, où
l’imagination a tant de part. Mais il y a quelques endroits obscurs,
& cette obscurité vient du style qui est embarrassé, peu châtié,
pour ne pas dire dur. Il est vrai qu’on se propose seulement
d’instruire ; mais le genre didactique a ses graces particuliéres,
j’en appelle à l’Art de penser. Je n’aime pas non
plus les termes techniques écorchés du Grec ; il falloit en
substituer de plus intelligibles. Ce que je
pardonne
encore moins à l’auteur si estimable par son sçavoir & par sa
probité, c’est de citer des vers classiques qui doivent mourir dans
les lieux où ils sont nés. Les exemples sont en général bien choisis
& bien éclaircis, mais il s’en trouve quelques-uns d’un
très-mauvais goût.”
L’auteur du Traité des Etudes excelle dans les parties
qui manquent à M. Gibert. On sçait que le second
volume de son ouvrage est entiérement consacré à la Rhétorique.
“Il peint, dit l’Ecrivain déjà cité, agréablement ses
pensées ; son style est vif & élégant ; mais il y a peu d’ordre
dans son traité ; ses fréquentes contradictions sont de la peine à
des lecteurs attentifs ; elles se dérobent à la plûpart des lecteurs
entraînés par les agrémens du style. Après qu’on a lu un certain
nombre de pages tout vous échappe ; on sçait seulement que l’auteur
a dit des choses ingénieuses, & a souvent parlé en Orateur ; on
ne peut presque rien reduire en principes. Je voudrois que M. Gibert eût l’esprit & le style de M. Rollin, ou que celui-ci eût autant médité que son
émule sur les
fondemens de l’art oratoire ; l’un a plus
de sçavoir, l’autre a plus de goût. A l’égard de l’ordre & de la
méthode, la Rhétorique de M. Gibert tient beaucoup
de celle d’ Aristote ; & M. Rollin semble s’être formé sur Quintilien, qui donne rarement des préceptes sans
ornemens.”
Nous devons à trois Jésuites des observations relatives à la Rhétorique qui ne font pas sans mérite. Le premier est le P. Rapin dont les Réflexions sur l’éloquence de ce tems en général, imprimées à Paris 1672. in-12., méritent quelque attention. Ce que l’auteur dit en particulier sur les causes de la chûte de l’éloquence, est fort judicieux. Il les attribue au peu de liberté qu’ont les Orateurs, à la modicité des récompenses qu’ils espérent, à la multitude des affaires qui les accablent, au peu de soin qu’ils prennent de s’instruire, au défaut de génie, à la suite du travail. Mais dans d’autres endroits le Pere Rapin montre plus son érudition que la justesse de son esprit. Il rapporte mal plusieurs faits ; plusieurs de ses idées sont fausses, & il confond les grands ornemens de l’éloquence avec les antithèses, les épithètes, les faux brillans.
La Maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit, Paris 1688. in-12. par le P. Bouhours, confrere du Pere Rapin, offre aussi beaucoup de pensées plus brillantes que solides. On y donne de grands éloges à des saillies de bel esprit, plûtôt qu’aux vraies productions de génie. Il y a d’ailleurs un autre défaut : c’est que sur un grand nombre d’exemples que l’auteur rapporte, il se contente de dire qu’ils plaisent, sans montrer pourquoi ils plaisent. Son autorité n’étant point infaillible, il devoit, ce semble, l’appuyer sur de bonnes raisons. Aussi tous ses lecteurs ne sont-ils pas de son goût. Beaucoup de pensées qu’il approuve, qu’il loue, ne paroissent à d’autres que des trivialités brillantes. On n’a pas trouvé non plus assez de justesse dans plusieurs de ses idées, comme dans celle qu’il donne de la délicatesse, qu’il fait consister dans le mystère qu’une pensée présente à l’esprit, & que l’esprit se plaît à développer. Cette définition peut être appliquée à une pensée obscure, comme à une pensée fine.
Il peut aussi y avoir des raisonnemens qui ayent le même caractère. Ce qui choque le plus dans l’ouvrage du P. Bouhours, ce sont des retours sur lui-même trop marqués ; & une trop grande attention à faire connoître ses propres qualités dans la peinture avantageuse qu’il fait de ses interlocuteurs ; (car son livre est en forme d’entretien.) Avec tous ces défauts, il faut avouer qu’il y a une telle abondance de jolies choses dans ces dialogues qu’ils satisfont quelquefois autant l’imagination que les oreilles, & l’on y est comme ébloui par la variété des objets. Mais peut-être n’est-ce pas là faire l’éloge d’un ouvrage d’instruction. L’auteur avoit voulu en faire en même tems une Rhétorique & une Logique. Ce n’est assurément ni l’un ni l’autre. Le Pere Bouhours sentit bien qu’il seroit critiqué & pour aller au-devant des censeurs, il se donna les plus grands éloges dans quatre Lettres anonymes à une Dame de Province, publiées en 1688. Il n’y avoit guéres que l’amour propre d’un Jésuite qui fut capable d’un artifice semblable.
Le Pere Buffier, autre Jésuite, a donné une forme moins agréable, mais plus solide, à son Traité philosophique & pratique de l’Eloquence, à Paris chez le Clerc 1728. in-12. Il y a des paradoxes dans cet écrit ; mais il y a aussi des réfléxions très-justes. L’auteur regarde tous les traités des anciens sur la Rhétorique, plûtôt comme des ouvrages propres à occuper agréablement l’esprit, qu’à donner cette sensibilité qui fait l’homme éloquent. Il fait consister l’éloquence uniquement dans le talent de faire sur l’ame des autres, par l’usage de la parole, l’impression de sentiment que nous éprouvons. C’est à-peu-près la définition qu’en a donné ensuite M. d’Alembert. Selon l’auteur Jésuite, cette éloquence, la seule qu’il admette pour vraie, tire peu de secours des regles ordinaires, parce que, dit il, elles ne peuvent être que générales & vagues. Elles sont vraies en elles-mêmes, mais inutiles dans la pratique, par la quantité infinie de circonstances où elles doivent avoir des applications particulieres, dont il prétend qu’on ne peut indiquer le détail. Il entre cependant lui-même dans une sorte de détail de ces regles touchant les principales parties du discours, & ce qu’il dit, peut faire plaisir à ceux mêmes qui ne seroient pas de son opinion. Les préceptes sur les figures de Rhétorique lui paroissent encore plus inutiles ; parce que ces figures sont, selon lui, des tours si naturels à tous les discours humains, que l’art ne fait qu’y prêter des noms, pour faire souvenir que leur variété sert à en mettre dans les discours, ce qui se présente, ajoute-t’il, comme de soi-même à tout homme qui n’a pas une imagination froide.
Qu’on pense ou qu’on ne pense pas comme le P. Buffier, on ne peut s’empêcher de trouver de la profondeur & de la finesse dans ses réfléxions. C’est la qualité qu’on remarquera encore dans les Agrémens du langage réduits à leur principe, publiés en 1718. in-12. par M. de Gamache, Chanoine de Ste. Croix de la Bretonniere. Ses regles sont ingénieuses & ses exemples agréables ; on a appellé son livre le Dictionnaire des Pensées fines, parce qu’il y en a beaucoup de ce genre, & qu’il peut servir à en faire naître. Mais ces traits déliés ne sont que trop communs dans notre siécle, & loin de nous donner le moyen de faire un amas de fleurs, sous lesquelles le goût se perd, il faudroit plûtôt nous apprendre l’art d’être simple.
Les Dialogues sur l’Eloquence, ouvrage posthume de M. de Fénélon, parurent la même année que les Agrémens du langage. Les anciens & les modernes avoient traité de l’Eloquence avec différentes vues & en différentes manieres, en Dialecticiens ; en Grammairiens, en Poëtes. Mais il nous manquoit un homme qui traitât cette science en philosophe, & en philosophe chrétien. C’est ce qu’a exécuté l’illustre Archevêque de Cambrai dans ses Dialogues. Mais plus il y a d’agrémens dans cet ouvrage, plus on doit être en garde contre ce qu’il renferme de contraire aux progrès & à la perfection de l’éloquence. C’est ce qui a engagé M. Gibert à faire remarquer plusieurs des défauts qui se trouvent dans ces Dialogues ; les réfléxions qu’il fait à cet égard dans ses Jugemens des Savans sur les maîtres d’Eloquence, méritent d’être lues. Il observe, entr’autres, que l’auteur s’attache à décrier ce qu’il a fait briller par-tout ; le bel esprit qu’il est plus aisé de censurer que d’éviter : mais dans les défauts même de Fénélon, on reconnoît toujours sa belle ame. Il exhorte dans plusieurs endroits à n’employer l’éloquence que pour porter les hommes à la vertu. Il dit que le desir de plaire, de s’élever, de se faire de la réputation, n’est point un motif qu’on doive écouter ; qu’il ne faut parler que pour instruire ; ne louer un héros que pour apprendre ses vertus au peuple, que pour l’exciter à les imiter, que pour montrer que la gloire & la vertu sont inséparables.
La Rhétorique Françoise à l’usage des Demoiselles, avec des exemples tirés de nos meilleurs Orateurs & de nos Poëtes modernes, in-12., par M. Gaillard, a toutes les graces propres au beau sexe, sans exclure la solidité qui est le partage du nôtre. Les exemples sont tous tirés des Auteurs françois, & ils sont à la portée de tous les esprits. Les femmes qui veulent réunir les talens du cabinet & de la société, ne peuvent se dispenser de lire ce bon ouvrage.
L’ Art du Poëte & de l’Orateur, publié en 1766. in-12. par le P. Papon de l’Oratoire, n’a point été destiné aux Demoiselles. L’auteur l’annonce comme un ouvrage classique ; mais, quoique cette Rhétorique soit faite pour des jeunes gens, c’est peut-être la plus éloignée de la route ordinaire des Rhéteurs. L’auteur ayant réfléchi sur un défaut essentiel des Rhétoriques de Collège, qui est de ramener tout à l’imitation des Anciens, & de nous remplir des préceptes d’Aristote, sans les plier à nos usages, à nos mœurs, a cru devoir les abandonner & tracer un nouveau plan. Toutes les autres Rhétoriques sont bornées à l’éloquence & ne parlent point de la Poésie. On embrasse ici ces deux objets, parce que le Poëte & l’Orateur, (ainsi qu’on l’observe) n’ayant tous deux que le même but, celui de plaire, de toucher, d’instruire, ils ne différent que dans la maniere d’employer les moyens qui leur sont communs : mais la poétique n’est pas longue, parce qu’on se propose moins de former des Poëtes que des lecteurs éclairés.
L’ouvrage du P. Papon parut dans une mauvaise
circonstance. On venoit de donner à Paris la Rhétorique
Françoise de M. Crevier en 2. vol. in-12., & ce livre fit tort à l’autre. On peut
dire de cette production posthume d’un Rhéteur habile ce que Mr. de Querlona a dit des Regles de
l’Eloquence
par Gibert.
“C’est l’ouvrage le plus complet que nous connoissions en ce
genre, & son usage, pour qui saura le lire avec fruit, ne se
bornera point aux écoles. On a souvent mis en question, (&
depuis que tout le monde se mêle de donner de nouveaux plans
d’étude, on l’agite plus que jamais,) si la Rhétorique est
nécessaire. Personne ne peut ignorer que le talent de l’éloquence
dans ce degré éminent, où s’éléve un assez petit nombre d’hommes
privilégiés, ne soit un present de la nature, comme tous les dons du
génie. Mais si l’on reconnoît des Orateurs, formés par l’étude ou
par l’exercice, il faut reconnoître des regles, & dès-lors, la
Rhétorique est un art utile, puisqu’elle rend à faciliter
l’énonciation, ou l’usage de parler de la maniere la plus propre à
persuader, à convaincre, ou à se faire écouter
agréablement.”
L’Art Oratoire réduit en exemples, en 4. volumes in-12. 1760. par Gerard de Benat, est une compilation, où l’on propose quelquefois de mauvais modèles. Les morceaux qu’il cite sont pris très-souvent dans des Orateurs qui avoient plus d’esprit que de goût.
§. III.
Ecrits sur l’Eloquence de la Chaire & du Barreau.
L’Eloquence de la Chaire, dit le Pere Ceruti, a de grands avantages sur l’Eloquence profane. Elle trouve plus aisément l’art d’intéresser le sentiment, l’art d’étonner l’imagination ; elle présente de plus grands moyens à celui qui parle ; elle étale de plus grands objets à ceux qui écoutent. Le rôle le plus imposant que puisse jouer un Orateur profane, c’est d’être l’interprête de son Roi ou l’organe de la patrie ; le théatre le plus brillant qu’il puisse s’ouvrir, c’est un Sénat, une Cour, une place publique ; les sujets les plus frappans qu’il puisse traiter sont l’homme & ses besoins, le tems & ses vicissitudes. L’Orateur sacré joue un plus grand rôle, celui d’être l’interprête de son Dieu, & l’organe de la Religion. Il s’ouvre un plus grand théatre ; il parle dans le sanctuaire des Temples & à la face des Autels ; il traite un plus grand sujet, Jesus-Christ & ses loix, l’éternité & ses suites.
Il est donc important pour ceux qui se consacrent à ce genre d’éloquence, de lire les auteurs qui en ont donné les regles.
Le P. Rapin a laissé quelques bonnes réfléxions sur ce
sujet intéressant, mais elles trouverent dans le tems plusieurs
critiques. “L’on voit bien (dit Gueret dans sa
Guerre des Auteurs anciens & modernes) que
l’auteur n’a fait son livre que pour décharger son chagrin sur nos
plus grandes Orateurs, & particuliérement sur ceux de la
chaire.”
Le critique en cite ensuite quelques-uns de ceux
que Rapin a censurés ; mais ils sont si peu connus que
le tems a prouvé que le Jésuite n’a voit pas tort. Gueret lui reproche ensuite de vouloir “que le
Prédicateur fasse provision d’une morale de qualité pour la Cour,
d’une morale bourgeoise pour le peuple & d’une morale
campagnarde pour les villageois ; encore n’est-ce pas là tout. Car
si ce prédicateur avec sa triple morale, n’a le visage d’un
Anachoréte ; s’il prétend
prêcher avec un teint frais
& vermeil ; s’il ne se défait de son embonpoint ; fut-il le plus
grand Orateur du monde, ce nouveau Rhéteur nous assure qu’il ne fera
rien, & que ses paroles se perdrent en l’air. Sur ce pied là, il
faut désormais que nos Prédicateurs ◀deviennent étiques ; il ne leur
sera plus permis de se bien porter ; la jaunisse & la maigreur
seront deux parties essentielles dans l’éloquence sacrée ; &
voilà ce que personne n’avoit enseigné jusqu’à présent.”
On
voit par ce passage que Rapin exigeoit peut-être trop
de choses des Orateurs sacrés, comme aujourdhui on en exige trop
peu.
On trouvera l’apologie de ce Jésuite dans l’Art de prêcher la parole de Dieu publié à Paris en 1687. in-12., par le P. Marc-Antoine de Foix, Jésuite de l’illustre maison de ce nom, homme d’un esprit supérieur, & fort distingué dans sa Compagnie. Ami du P. Rapin, il tâche de le laver des reproches que Gueret & plusieurs autres lui ont fait ; mais il tombe lui-même dans plusieurs des défauts que ces critiques ont repris. L’ouvrage du Pere de Foix est encore mieux écrit, plus solide, plus approfondi ; on y reconnoît l’homme d’esprit, le savant poli, & versé dans la littérature sacrée & profane. Mais il y a trop de répétitions dans son traité, & sur-tout trop de digressions. On y trouve une longue apologie des Sermons de St. François de Sales ; un discours sur la nécessité & les avantages de la Théologie scholastique, qui est précisément l’opposé de la véritable éloquence ; enfin un panégyrique des Casuistes modernes fort ennuyeux & fort long. Cet auteur n’avoit pas le talent de la précision.
Voici un autre livre d’un Jésuite ; c’est l’Eloquence chrétienne dans l’idée & dans la pratique, par le P. Blaise Gibert 1715. in-4°. Cet écrit est à peu-près du même mérite que le précédent ; il est rempli d’idées fausses & écrit d’un style encortillé. Le dessein de l’auteur est d’expliquer ce qui est de bon ou de mauvais goût dans l’éloquence de la chaire & ce dessein est louable ; mais il est mal exécuté. Le Jésuite blâme les Prédicateurs qui citent les auteurs payens, parce que, dit-il, c’est donner une pierre à un enfant au lieu de pain, un scorpion au lieu de poisson. Le blâme peut être bon, mais la raison sur laquelle on l’appuie est fort mauvaise, à moins qu’on ne suppose une doctrine perverse dans ses citations. En condamnant le brillant dans le discours, il dit qu’un homme qui s’en défait écrase tous ses petits contre la solidité de la pierre. Tout est écrit de ce style pédantesque.
Voulez-vous quelque chose de mieux ? Lisez les Maximes sur le ministère de la Chaire, par le P. Gaichiés de l’Oratoire. Elles ont été recueillies avec ses Discours académiques, à Paris 1738. in-12. Il y a peu de livres écrits avec plus de précision que les Maximes sur la Chaire. Il seroit difficile, dit l’Abbé des Fontaines, de rassembler en moins de mots & avec autant de goût & de discernement, tout ce qui sert à bien connoître l’art de prêcher. L’auteur a recueilli avec soin les préceptes les plus importans sur cette matiere ; & quoique distingués par des chiffres, ils ne laissent pas de former un tissu délicat & ingénieux. On voit tout d’un coup qu’il n’a observé cette méthode que pour les rendre plus vifs & plus aisés à retenir. Il y a un art admirable à avoir ainsi fondu ses idées, & à les avoir exprimées avec un laconisme dont l’énergie ne nuit point à la clarté. Un ouvrage si bien digéré, & dont toutes les parties tiennent par un fil presque imperceptible, suppose la méditation la plus profonde, la parfaite connoissance des vraies beautés de l’Eloquence, & l’attention la plus sérieuse aux principes & aux conséquences qui en résultent. Rien n’y sent la sécheresse didactique ; le style est toujours plein d’agrément & de noblesse. Un grand éloge de ces Maximes, plusieurs fois réimprimées, c’est que dans une édition faite à Toulouse, on les attribua sur un bruit assez répandu, au P. Massillon ; mais on se trompoit, & le célébre Orateur déclara qu’il n’en étoit point l’auteur, en marquant en même tems toute l’estime qu’il en faisoit.
Je vous ai déjà parlé des Dialogues de l’illustre Fénélon. Le troisiéme roule tout entier sur l’éloquence de la chaire. Il y a quelques idées singulieres & même des contradictions. Le Prélat condamne les pensées fines, les sons harmonieux, les antithèses étudiées, les périodes arrondies, &c. &c. &c. : & si l’on examine les endroits qui lui plaisent dans les auteurs, tous ces ornemens s’y rencontrent. Il fait un si grand cas de la force de l’action, qu’il décide qu’un Missionnaire de Village, qui sçait effrayer & faire couler des larmes, frappe bien plus au but de l’éloquence, qu’un Prédicateur dont le style est châtié, & le raisonnement solide, mais dont l’action est languissante. Il n’approuve point la méthode de partager les Sermons en deux ou trois points, ni l’usage où l’on est d’apprendre tout par cœur. Mais si ces divisions se suivent l’une l’autre, si au lieu de faire de chaque point comme un Sermon particulier, elles ne forment qu’un tout bien lié, bien suivi ; il me semble que ces divisions ne servent qu’à mettre plus d’ordre & de méthode, à faire sentir davantage si l’on a prouvé ce que l’on avoit entrepris de prouver. A l’égard de la coutume d’apprendre par cœur, l’impossibilité pour bien des gens de prêcher ex abundantis, comme le voudroit Fénélon, sera pour eux une raison décisive de conserver l’ancienne méthode. Une personne qui seroit en état d’étendre ou de resserrer une vérité, de la presser, ou de ne faire que l’indiquer selon qu’il s’appercevroit que cela conviendroit à la situation d’esprit de ses auditeurs, pourroit faire un grand fruit ; mais il est rare de trouver de telles personnes. C’est beaucoup que la plûpart disent de bonnes choses de quelque maniere qu’elles s’y prennent. On doit s’en contenter, & ne pas vouloir les astraindre à une méthode, dont peu de gens sont capables, & qui peut produire plus de mal que de bien.
Le sentiment de M. de Fénélon étoit celui du Pere de la Rue, comme on le voit par la préface de ses Sermons. Le zéle, dit-il, n’a point de plus fidéle instrument qu’une imagination bien gouvernée, ni de plus grand ennemi, qu’une mémoire impérieuse, à qui l’imagination & l’esprit sont forcés d’obéir. C’est ce qui engage l’habile Jésuite à prouver, autant qu’il est en lui, qu’on ne devroit pas prêcher de mémoire, & les désavantages qu’il y a à prêcher ainsi. Ses raisons paroissoient justes en général. Mais il est plus aisé d’en sentir la bonté, que de les exécuter. Cette préface au reste, est un morceau digne d’être lu, si l’on en excepte le fade panégyrique de Louis XIV. & de sa Cour.
M. l’Abbé Trublet, à l’imitation du Pere de la Rue, a fait aussi d’excellentes Réfléxions sur l’Eloquence à la suite de ses Panégyriques.
“Je me flâte, dit-il, qu’on trouvera de la conformité entre
les unes & les autres (les Panégyriques) entre ma théorie &
ma pratique, & d’autant plus, peut-être, que j’ai moins songé à
y en mettre. L’attention actuelle aux regles & aux préceptes
seroit un obstacle à les observer. Il faut les avoir étudiées, se
les rappeller encore dans les intervalles du travail, & n’y plus
songer pendant le travail même. Le seul précepte que je n’ai jamais
perdu de vue, parce qu’il est le seul indispensable, & qu’il
comprend tous les autres, c’est celui de tendre toujours à la plus
grande utilité de l’auditeur. Mais j’ai encore moins composé mes
Réfléxions d’après mes Panégyriques, que mes Panégyriques d’après
mes Réfléxions ; & j’ose espérer qu’on ne trouvera rien dans
celles-ci qui ait été dicté au Rhéteur par l’intérêt personnel de
l’Orateur ; rien qui décéle l’intention de
justifier par des principes particuliers une maniere qui me seroit
particuliére. Ces réfléxions sont absolument à tous égards dans le
goût de mes Essais de littérature & de morale.
Ce ne sont guéres que des pensées détachées, venues les unes après
les autres en différens tems, rangées à peu-près dans l’ordre où
elles me sont venues, & dès-lors peut-être assez mal arrangées.
De-là encore quelques répétitions. Les mêmes pensées m’étant
revenues plus d’une fois, j’ai cru pouvoir répéter avec différens
tours, quelques-unes de celles qui m’ont paru les plus
importantes.”
M. l’Abbé Trublet, ami de l’Abbé de St. Pierre, a profité des Observations de celui-ci pour rendre les Sermons plus utiles. Ces observations n’ont presque rien qui ressemble aux autres ouvrages sur l’éloquence chrétienne, dont j’ai parlé dans cet article. C’est un écrit systématique, où, avec de fort bonnes idées, on en trouve beaucoup plus de singulieres, comme dans la plus grande partie des opuscules de cet Ecrivain. Dans celui-ci il exclut de la chaire les discours où l’on ne traiteroit que des mystères, où l’on ne parleroit que de la vérité de la Religion, & plusieurs autres sujets que nos meilleurs Prédicateurs ont traités avec beaucoup de solidité. Il convient de l’importance des Sermons, il veut qu’on y assiste, & il recommande cette pratique ; mais il voudroit que dans tout discours on eût pour but unique de diminuer le nombre des injustices, & d’augmenter celui des bienfaisances du plus grand nombre des auditeurs : il traite tout le reste de vérités spéculatives. Entr’autres opinions singulieres que l’on trouve rêpandues dans cet écrit, on est étonné que l’auteur y soutienne celle-ci, que les Chrétiens sages & éclairés croient qu’il vaut mieux écouter un beau & bon Sermon pour mieux pratiquer les vertus, que de demander à Dieu la grace de bien pratiquer ces vertus ; & il ose traiter ceux qui pensent différemment, d’Idolâtres, de Payens, de Quakers, & de Fanatiques ignorans.
Il y a plus de justesse & plus d’agrément dans l’art de prêcher., petit Poëme en quatre chants, par l’Abbé de Villiers. L’auteur allie l’instruction avec l’enjouement. Il donne les regles principales de l’éloquence de la chaire & même celles de la véritable éloquence en général ; mais son style est foible, il ne peint rien.
L’Essai sur l’éloquence de la chaire, par M. l’Abbé Gros de Besplas 1767 : in-12. , est d’un homme d’esprit qui a bien réfléchi sur un art qu’il cultive avec succès.
Je pourrois faire connoître plusieurs autres Ecrits sur l’éloquence ; mais ils sont répandus çà & là dans des traités qui roulent sur diverses matieres. Il vaut mieux dire quelque chose des écrits sur l’éloquence du Barreau. Nous ne sommes pas bien riches dans ce genre ; on trouvera pourtant de bonnes choses dans les Regles pour former un Avocat, par M. Biarnoi de Merville, Avocat au Parlement de Paris, 1740. in-12. L’auteur entre dans le détail de tout ce qui doit composer un bon plaidoyer, & des talens extérieurs de l’Avocat. Son ouvrage est en forme de maximes ; & j’en ai peu trouvé qui ne soient solides & judicieuses. Un peu plus de précision & dans quelques-unes un peu plus de clarté, n’y eussent pas nui.
On désire la même qualité dans les Entretiens sur l’éloquence de la Chaire & du Barreau, par Gueret, Avocat au Parlement de Paris, 1666. in-12. Il donne de fort bons préceptes ; mais ses réfléxions ne sont pas toujours judicieuses. Il ne veut pas, par exemple, qu’on emploie le pathétique dans le Barreau ; il en fait un caractère distinctif de l’éloquence des sophistes. Cette éloquence, dit-il, emploie la douceur, la violence, le pathétique & l’harmonie des périodes. Elle a tantôt bouleversé la Grèce, par les Philippiques de Démosthènes, & tantôt l’Empire Romain par celles de Ciceron. Mais la véritable éloquence n’emploie t’elle pas aussi tout ce que l’on reproche à celle des sophistes, & ne sçait-elle pas en faire un bon usage ? Et si l’éloquence des Philippiques de l’Orateur grec & de l’Orateur romain est une fausse éloquence, il n’y en eut jamais de vraie.
Le traité de l’Eloquence du Barreau, par M. Gin 1767. in-12., offre quelques vues nouvelles & des réfléxions judicieuses.
§. IV.
Des écrits sur l’action de l’Orateur.
C’est en vain qu’un Docteur qui prêche l’Evangile.Mêle chrétiennement l’agréable & l’utile.S’il ne joint un beau geste à L’art de bien parler,Si dans tout son dehors il ne sait se régler,Sa voix ne charme plus, sa phrase n’est plus belle,Dès l’exorde j’aspire à la gloire éternelle ;Et dormant quelquefois sans interruption,Je reçois en sursaut sa bénédiction.Vous donc qui pour prêcher courez toute la terre,Voulez-vous qu’un grand peuple assiége votre chaire ?Voulez-vous enchérir les chaises & les bans,Et jusques au portail mettre en presse les gens ?Que votre œil avec vous me convainque & metouche ;On doit parler de l’œil autant que de la bouche.Que la crainte &c l’espoir, que la haine &c : l’amourComme sur un théatre y parlent tour-à-tour.
Tels sont les préceptes que le Pere Sanlecque, Chanoine de Ste. Geneviéve, donne aux Orateurs dans son Poëme sur les mauvais gestes de ceux qui parlent en public, & sur-tout dès Prédicateurs. Cet ouvrage dont la Poésie est foible, offre des maximes utiles, exprimées quelquefois heureusement ; mais on sçait qu’on n’a jamais rien approfondi en vers, & il faut lire sur la matiere qui fait l’objet de ce chapitre des Livres plus solidement raisonnés.
M. l’Abbé Mallet qui donna en 1753. des Principes pour la lecture des Orateurs, que j’ai oublié de vous faire connoître, publia la même année un Essai sur les bienséances oratoires, dans lequel il expose avec netteté les préceptes des grands maîtres.
Trois ans après, Mr. l’Abbé Dinouart fit présent aux
littérateurs d’un traité plus approfondi intitulé : l’Eloquence du corps ou l’action du Prédicateur :
ouvrage utile à tous ceux qui parlent ou qui se disposent à parler
en public. Cette production réimprimée en 1761. in-12., renferme tout ce que les plus grands hommes de
l’antiquité & du dernier siécle, ont écrit de plus judicieux sur
l’action de l’Orateur. “Une excellente Rhétorique, dit Fénélon, seroit celle où l’on rassembleroit les
plus beaux préceptes d’Aristote, de Ciceron, de Quintilien, de Lorgin, &c. & ne prenant que
la fleur
de la plus pure antiquité, on feroit un ouvrage exquis.”
L’auteur a rempli ce dessein par rapport à l’objet qu’il traite. Les
jeunes Prédicateurs trouveront ici dans un seul volume les maximes &
les regles des meilleurs Orateurs anciens & modernes. Toute la
matiere de ce bon Livre est distribuée en vingt-trois chapitres qui
roulent uniquement sur l’action de l’Orateur sacré. L’auteur traite
diverses questions qui y sont relatives, & il couronne son ouvrage
par l’Art de prêcher de l’Abbé de Villiers, & par le Poëme du Pere Sanlecque. Ces deux écrits terminent le volume.
Quelque différens que soient l’objet du comédien & celui du Prédicateur, comme ils les remplissent par les mêmes moyens, peuvent servir au vice & à la vertu, je crois pouvoir consseiller à ceux qui se destinent à la chaire la lecture du Livre de M. Remond de Ste. Albine, intitulé le Comédien ; livre excellent & rempli de réfléxions très-justes & très-fines sur l’art de la déclamation. On sçait que Ciceron avoit eu pour maître Clodius Esopus, le plus grand acteur qu’ayent eu les Romains dans le tragique ; & j’ai entendu dire que le Pere de la Rue avoir quelquefois consulté le célébre Baron.
On peut aussi se servir très-utilement des Pensées sur la déclamation, qu’un célébre acteur du théatre italien de Paris, M. Riccoboni, donna en 1738. in-8°. Il ne borne pas ses préceptes aux Comédiens ; il en donne aux Orateurs sacrés. Il remarque les différens caractères de la déclamation qui leur convient, selon les différentes sortes de discours qu’ils ont à prononcer. Le ton de zéle doit dominer dans le Sermon, le ton de l’admiration dans le Panégyrique & le ton de la douleur dans l’Oraison funèbre. En finissant, Mr. Riccoboni exhorte les jeunes Orateurs à s’exercer long-tems en secret, avant que de paroître en public. En effet, il est fâcheux d’avoir à essuyer leur apprentissage, & c’est ce qui n’arrive que trop souvent aujourdhui où tous les écoliers se croient maîtres.